Clinic n° 06 du 01/06/2023

 

Occlusion et

Numérique

Gérard DUMINIL  

Exercice libéral à Nice. Retraité.

Les évolutions technologiques actuelles ouvrent de nouvelles perspectives dans tous les domaines de la dentisterie. L’empreinte optique initialement introduite dans notre pratique pour des indications limitées à la prothèse de petite étendue permet aujourd’hui, grâce à l’ouverture des systèmes et aux progrès techniques accomplis, d’augmenter grandement son champ d’applications.

Le but de cet article est de présenter quelques solutions numériques pour contrôler...


Résumé

Les technologies numériques aujourd’hui omniprésentes dans les cabinets dentaires permettent d’améliorer la gestion de l’occlusion. Au niveau diagnostique, c’est aller au-delà du marquage coloré en incorporant les possibilités de visualiser soit directement, soit sous forme graphique les contacts occlusaux statiques et dynamiques. Les apports sont également considérables dans les indications prothétiques.

Nous évoquons les possibilités de l’empreinte optique et de ses extensions logicielles, du capteur occlusal OccluSense et du très performant système d’enregistrement des mouvements physiologiques par caméra infrarouge ModJaw.

Les évolutions technologiques actuelles ouvrent de nouvelles perspectives dans tous les domaines de la dentisterie. L’empreinte optique initialement introduite dans notre pratique pour des indications limitées à la prothèse de petite étendue permet aujourd’hui, grâce à l’ouverture des systèmes et aux progrès techniques accomplis, d’augmenter grandement son champ d’applications.

Le but de cet article est de présenter quelques solutions numériques pour contrôler l’occlusion statique et dynamique. Ce sont les empreintes optiques, un appareil de mordu électronique sur capteur sensible à la pression (OccluSense), un système d’enregistrement de la cinétique mandibulaire par capture 3D infrarouge (ModJaw) et l’utilisation des scans faciaux.

EMPREINTES OPTIQUES

Dans le cadre de la consultation

Les indications de l’empreinte optique dépassent le domaine strictement prothétique. Son utilisation pour l’analyse de l’occlusion permet d’obtenir simplement et rapidement, dans un seul rendez-vous, des éléments de diagnostic pertinents.

Quel que soit le système d’empreinte utilisé, on effectue la numérisation complète des deux arcades ainsi que l’enregistrement de la position d’OIM. Enregistrer l’occlusion se résume à simplement scanner les faces vestibulaires des deux arcades en engrènement, et ce de chaque côté. Il est important à ce stade que le patient maintienne fermement la position fermée, la présence de la caméra contre la joue pouvant entraîner un léger desserrement (figure 1).

L’affichage immédiat offre la possibilité d’observer isolément chaque arcade pour déterminer la forme de l’arcade, la qualité de l’alignement, les courbes occlusales… (figure 2).

L’affichage de l’image en mode monochrome améliore l’observation des facettes d’usures ou des éclats d’émail (figure 3). La présence de facettes importantes peut être un indicateur de para-fonctions.

L’observation est également possible en position engrenée, comme si l’on tenait les moulages à la main. L’utilisation combinée de la fonction de zoom permet l’examen dans des zones où l’examen clinique est totalement impossible (figures 4 et 5).

Le contrôle des contacts occlusaux se faisait classiquement en utilisant des indicateurs sous plusieurs formes :

- les marqueurs sur supports (papiers et rubans colorés) ;

- les rubans sans marqueur (films d’aluminium) ;

- les marqueurs sans support (poudre en spray ou encre) ;

- les élastomères et cires.

Ces matériels ont largement été utilisés depuis des décennies pour localiser les contacts avec certains degrés d’imprécision [1, 2].

Il est maintenant possible, avec les fichiers issus de l’empreinte optique, de bénéficier du même type d’analyse.

Une commande permet d’afficher sur les faces occlusales un gradient de couleurs objectivant la situation et l’intensité des contacts occlusaux [3].

L’échelle de valeurs colorées est ajustable pour discriminer plus précisément la position des contacts inter-arcades (figure 6). Ceci concentre l’observation sur les zones de contact et peut s’assimiler à l’utilisation d’un marqueur occlusal très fin ; la précision de cette méthode a fait l’objet de plusieurs publications [4, 5].

Il est aussi possible d’enregistrer des positions excentrées (diduction ou propulsion) (figure 7), la confection de cales en cire ou en élastomère permettant le maintien de la position par le patient lors de l’enregistrement. La cale est interposée du côté controlatéral à l’enregistrement, puis interchangée pour réaliser l’enregistrement du côté opposé.

L’examen de l’OIM et de positions excentrées est, certes intéressant, mais ne concerne que des situations figées. Une évolution récente dans certains logiciels (3Shape, Medit) permet maintenant l’enregistrement des mouvements dynamiques et leur reproduction instantanée à l’écran sous tous les angles (vidéo 1).

L’affichage des zones de contact reflète alors les trajets des dents en contact lors des excursions et cela devient bien plus intéressant, surtout dans la perspective d’une restauration prothétique. Nous observons ici une fonction de groupe en diduction gauche, la présence de contacts interférents au niveau du couple 27/37 et des contacts non travaillants entre 17 et 47 (figure 8). Une autre fonction appelée monitoring est destinée à contrôler les changements intervenant au fil du temps sur les dents du patient. L’application principale de ceci est la surveillance des sujets « bruxeurs » pour renforcer leur prise en charge comportementale.

Le logiciel superpose des empreintes prises à des dates différentes et met en évidence de manière colorée les modifications qui sont intervenues dans l’intervalle de temps (figure 9).

L’effet pédagogique est pertinent, ce qui normalement engage le patient à plus d’observance dans sa prise en charge comportementale, composante importante de la thérapeutique du bruxisme.

Dans les applications prothétiques

Une des fonctionnalités les plus importantes de l’empreinte numérique est la conservation de l’enregistrement de la relation intermaxillaire entre diverses étapes prothétiques. Cette fonction épargne de nombreuses séances par rapport à la méthode conventionnelle.

Le cas clinique présenté illustre cet avantage. Il s’agit de la confection de 5 couronnes céramo-métalliques sur les dents antérieures au maxillaire, porteuses d’attachements sur les dents distales, et d’une prothèse amovible pour compenser l’édentement.

Un premier enregistrement des arcades est réalisé dans la situation initiale ou avec des dents provisoires (figure 10) : l’occlusion est enregistrée dans ces conditions. Puis un second enregistrement de l’arcade est réalisé après avoir préparé les dents devant être couronnées. L’enregistrement précédent de l’occlusion est conservé pour l’une et l’autre situation (figure 11). Nous disposons ainsi d’informations qui auraient nécessité au moins deux séances cliniques.

Dès cette étape, il est possible de demander la finition directe de ce cas, le gain de temps étant considérable si on le compare aux nombreuses séances requises dans la méthode conventionnelle (figure 12).

Trois séances cliniques uniquement :

- empreinte initiale pour demander la confection des provisoires ;

- dépose des couronnes existantes, préparation des dents, adaptation des provisoires, empreinte des deux arcades provisoires en place, enregistrement de l’occlusion, puis empreinte des dents préparées ;

- séance de pose de tous les éléments (figures 13 et 14).

Conception et fabrication d’une gouttière occlusale

Plusieurs logiciels de laboratoire (Exocad, DentalWings et 3Shape Dental System) permettent la conception et la fabrication de gouttières occlusales mais ceci implique de déléguer ces étapes. Il existe également un petit logiciel gratuit très simple d’utilisation (Splint) dans la suite Medit Link qui permet au praticien de s’acquitter de cette tâche en quelques minutes.

L’enregistrement de la relation intermaxillaire est réalisé dans la position thérapeutique choisie, ici c’est la relation centrée, le patient étant porteur d’une butée antérieure déterminant l’espace inter-arcade nécessaire à l’épaisseur de la gouttière et au maintien de la relation intermaxillaire (figure 15). Le logiciel propose une exécution entièrement automatisée du processus ou une conception étape par étape de l’opérateur. Très rapidement, on oriente le modèle supérieur dans le plan d’occlusion (figure 16), puis on détermine l’axe d’insertion pour gérer la rétention et les zones de contre-dépouilles (figure 17). Enfin, les limites périphériques sont définies (figure 18). Le logiciel comble l’espace inter-arcade et quelques ajustements affinent la profondeur des indentations (figure 19). Le modèle ainsi conçu peut être exporté vers une imprimante 3D pour fabrication (figures 20 et 21) (vidéo 2).

FILMS CAPTEURS ÉLECTRONIQUES

Le contrôle de l’occlusion, par des films capteurs sensibles, existe depuis plusieurs années. Le système T-Scan a connu au fil du temps plusieurs mises à jour avec l’évolution de la finesse des supports [4-6]. La société Bausch, bien connue pour sa gamme de marqueurs d’occlusion, présente elle aussi un système comparable. Pour fonctionner, ce nouveau système, OccluSense nécessite :

- un boîtier contenant de l’électronique et supportant le film occlusal de 60 µm d’épaisseur dont la surface colorée laisse des marques sur les dents aux endroits des points de contact (figure 22) ;

- un réseau Wifi ;

- une tablette (iPad) avec l’application spécifique (OccluSense) téléchargeable gratuitement sur l’App Store.

Le boîtier connecté à un réseau Wifi transmet des informations à une tablette sur laquelle s’affiche en temps réel, en 256 couleurs, un graphique indiquant la localisation et l’intensité des contacts (figure 23).

Le logiciel d’exploitation des données permet la création d’un dossier du patient dans lequel seront conservés les divers enregistrements réalisés, ce qui permet par la suite de les comparer.

Ce dispositif permet des enregistrements de mouvements fonctionnels au rythme de 150 captures de contacts par seconde, ce qui donne à la relecture un effet de ralenti permettant de mieux appréhender la séquence des contacts. La chronologie d’apparition des contacts est une donnée importante dans l’analyse des mouvements : elle permet de différencier les zones qui servent au guidage de celles qui servent au calage de l’occlusion. Sur le plan clinique, cela permet de réaliser une équilibration occlusale et de contrôler immédiatement l’amélioration de la répartition des contacts. Les indications sont multiples : en denture naturelle, en orthodontie, sur des gouttières occlusales, en prothèse.

Toutes ces informations peuvent être imprimées et exportées vers le laboratoire de prothèse.

ENREGISTREUR DE LA CINÉTIQUE MANDIBULAIRE

ModJaw est un système complet destiné au contrôle de l’occlusion dans ses aspects statiques et dynamiques [7]. Il offre l’affichage en temps réel de l’image des arcades lors des déplacements mandibulaires limites et physiologiques (mastication). Il affiche également les trajets condyliens et les trajets de déplacement du point inter-incisif et des points des fosses centrales des premières molaires mandibulaires.

L’appareil se compose :

- d’un chariot supportant une caméra infrarouge à très haute définition et d’un ordinateur intégré à un écran tactile (figure 24) ;

- pour le patient, d’un serre-tête (diadème) comportant un réflecteur, et un autre réflecteur à solidariser à la mandibule par le biais d’un cadre vestibulaire para-occlusal ;

- pour le praticien, d’un stylet destiné à la calibration du système en indiquant quelques points de référence sur le crâne.

Il faut préalablement disposer des fichiers des arcades du patient au format STL qui peuvent être obtenus soit par empreinte optique, soit par numérisation de moulages au laboratoire de prothèse.

Méthodologie

Installé dans le fauteuil dentaire face à la caméra, le patient est coiffé du serre-tête (diadème) prenant appui sur le nasion et muni du réflecteur, solidarisé aux faces vestibulaires des dents mandibulaires (figure 25).

Le praticien, en suivant les indications du logiciel, localise avec son stylet les points para condyliens, le point sous-orbitaire, le point inter-incisif et le point sous-nasal. Ceci permet la calibration du système et corrèle les images des arcades affichées sur l’écran avec les dents du patient (figure 26).

L’enregistrement peut alors débuter : immédiatement, les arcades s’animent sur l’écran en phase avec les déplacements mandibulaires du patient (figure 27).

Sur les indications du praticien, le patient effectue les divers mouvements d’ouverture/fermeture, de latéralité dents au contact ou sans contacts. Un test de mastication complète la séance d’enregistrement qui prend environ 5 minutes. Dans ce court laps de temps, une foule d’informations a été acquise. Le praticien dispose de la cartographie et de l’intensité des appuis dentaires dans toutes les situations statiques et dynamiques. Ceci permet de dépister des interférences, des prématurités, éventuellement de relier ces contacts à des dysfonctionnements des déplacements condyliens. Mais le système se comporte aussi comme un véritable arc facial couplé à une axiographie puisqu’il lie les arcades dentaires au plan de référence tel que le plan axio-orbitaire et qu’un calcul automatique des paramètres du déterminant postérieur est effectué (pente condylienne, angle de Bennett…). La valeur diagnostique est ici optimale avec l’affichage simultané des trajets condyliens et du déplacement des arcades. En utilisant le curseur du film de l’enregistrement, il est possible de situer la position condylienne et les rapports dentaires au moment où se produit le ressaut articulaire. Le diagnostic et la décision thérapeutique en sont considérablement facilités (vidéo 3).

Toutes ces informations peuvent être exportées vers le laboratoire de prothèse dans la plupart des logiciels de CAO. Le prothésiste peut programmer l’articulateur virtuel avec les données enregistrées, concevoir et réaliser le projet prothétique en optimisant l’anatomie occlusale pour l’intégrer au mieux dans la fonction du patient.

JUMEAUX NUMÉRIQUES

Un jumeau numérique est un double virtuel présentant des caractéristiques anatomiques génériques programmé par la société Circle pour reproduire tous les mouvements mandibulaires (figure 28). Le protocole clinique décrit ci-après vise à introduire les paramètres d’un patient pour personnaliser les fonctions de l’avatar numérique.

La prise d’empreinte en bouche des arcades et de l’occlusion doit être complétée par un scan reliant les incisives maxillaires et le nez. Pour cela, la caméra commence par enregistrer les dents maxillaires puis, dans un mouvement continu, passe devant la lèvre et remonte vers le nasion (figure 29).

L’absence d’arc facial dans les protocoles numériques pose le problème du positionnement des empreintes numériques par rapport aux repères articulaires, plans et axes de référence.

La capture de la face en 3D permet d’établir une corrélation entre les divers éléments et ainsi de situer les arcades dans le massif facial [8-10] (figure 30).

Le repère du nez sert d’élément de corrélation avec le scan facial pour positionner les dents dans le massif facial (figures 31 et 32). La prothèse à réaliser se trouve ainsi correctement située par rapport aux déterminants anatomiques de l’articulateur virtuel (figure 33). La conception tire profit des suggestions de l’intelligence artificielle pour le placement des dents, le prothésiste gardant toujours la main pour des ajustements si nécessaire.

Après avoir obtenu les validations nécessaires entre le laboratoire et le praticien, la solution passe du virtuel au réel pour le plus grand confort des patients (figure 34) (vidéo 4).

CONCLUSION

L’apport de la technologie est évident : il permet d’enrichir grandement l’information de l’enregistrement occlusal par des données dynamiques et de contrôler dans le temps l’évolution de la situation occlusale. Avec les empreintes optiques, ce qui est évoqué dans cet article concernant le domaine de l’occlusion montre les multiples utilisations des fichiers enregistrés bien au-delà des indications prothétiques simples. OccluSense et ModJaw ont des indications plus spécifiques du contrôle de l’occlusion. Tout récemment proposée, la notion de jumeau numérique associée à l’intelligence artificielle ouvre de grandes perspectives dans la gestion de l’occlusion prothétique.

BIBLIOGRAPHIE

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  • 10. Amezua X, Iturrate M, Garikano X, Solaberrieta E. Analysis of the influence of the facial scanning method on the transfer accuracy of a maxillary digital scan to a 3D face scan for a virtual facebow technique: An in vitro study. J Prosthet Dent 2021;S0022-3913(21)00081-0.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.

Vidéo 1 Enregistrement dynamique de l’occlusion. bit.ly/3iLcSb9