Clinic n° 05 du 01/05/2023

 

Chirurgie

Orale

Michael MECHALI  

Exercice libéral limité à l’Implantologie, la Parodontie et la Chirurgie orale à Pignan.

L’améloblastome est une tumeur odontogène épithéliale bégnine mais agressive à croissance lente développée à partir des débris épithéliaux de Malassez.

Il est relativement rare puisqu’il représenterait 1 % de tous les kystes et tumeurs des maxillaires [1] et 10 à 14 % des tumeurs odontogènes, ce qui en fait la tumeur la plus répandue dans les pays émergents [2,

Résumé

L’améloblastome est une tumeur épithéliale odontogène histologiquement bénigne mais ayant un comportement malin par son pouvoir invasif et déformant local. Il représente 1 % de tous les kystes et tumeurs des maxillaires. C’est l’analyse anatomo-pathologique qui permet le diagnostic différentiel de lésions odontogènes ayant des caractéristiques cliniques et radiologiques communes avec l’améloblastome.

Son étiologie mal cernée et son évolution lente rendent parfois difficiles le diagnostic et une prise en charge précoce.

Son traitement est chirurgical : énucléation, curetage, résection interruptrice ou non en fonction de la taille, du type de lésion et de la localisation. Cet article rapporte le cas d’une patiente présentant un améloblastome de la mandibule traité précocement par un traitement conservateur sans aucun signe de récidive à 1 an.

L’améloblastome est une tumeur odontogène épithéliale bégnine mais agressive à croissance lente développée à partir des débris épithéliaux de Malassez.

Il est relativement rare puisqu’il représenterait 1 % de tous les kystes et tumeurs des maxillaires [1] et 10 à 14 % des tumeurs odontogènes, ce qui en fait la tumeur la plus répandue dans les pays émergents [2, 3]. L’incidence mondiale est de 0,5 cas par million d’habitants et par an. Il est souvent indolore, mais agressif et destructeur, avec la capacité d’atteindre une grande taille et une tendance à la récidive. En effet, le taux de récidive varie de 17,7 % pour la résection en bloc aÌ 34,7 % pour le traitement conservateur [4].

Environ 80 % des améloblastomes se produisent à la mandibule, et souvent dans la région ramique, contre 20 % dans le maxillaire. Il survient à tous les âges, avec une incidence maximale chez des patients de 30 à 40 ans et une égalité de répartition selon le sexe [4-6].

De larges résections avec une marge de sécurité sont recommandées pour prévenir une récidive locale [4-6]. En cas de lésion très étendue, une hémi-mandibulectomie avec reconstruction à l’aide d’os fibulaire [2] ou de crête iliaque [4] peut être réalisée de façon simultanée et restaurer l’esthétique et la fonction masticatoire [7]. Un suivi annuel pendant au moins 5 à 10 ans est recommandé [4, 8]. L’élimination complète de l’améloblastome minimise le taux de récidive et le risque de métastases [7]. En de rares occasions, une transformation maligne peut avoir lieu et un améloblastome bénin peut évoluer en un carcinome ameìloblastique [9]. Avec la transformation maligne, il existe un risque de métastases nodales ainsi que de métastases aÌ distance : par conséquent, une évaluation pré-opératoire appropriée dans de tels cas est cruciale pour une bonne planification du traitement.

CAS CLINIQUE

Une patiente, âgée de 72 ans, a été adressée par son chirurgien-dentiste traitant pour « un gonflement près du menton, une dent douloureuse qui se déplace ». Elle a rapporté avoir subi depuis quelques mois plusieurs épisodes de douleurs dentaires et avec persistance d’un œdème localisé en bas à gauche (vidéo 1).

Son chirurgien-dentiste avait auparavant procédé à des traitements radiculaires des dents nécrosées 32 et 33 et délivré plusieurs cures d’antibiothérapies avant d’adresser la patiente suite à la persistance des symptômes.

L’examen clinique a révélé (figure 1) :

- un œdème situé à la mandibule, entre la symphyse et la région ramique antérieure gauche ;

- une voussure linguale et vestibulaire, étendue aux racines des dents 32 à 34, souple et fluctuante ;

- une migration vestibulaire des dents 32, 33 et 34 ;

- une douleur à la percussion des dents 31 et 32 ;

- aucune anomalie parodontale.

La radiographie rétro-alvéolaire (figure 2) a montré une image radio-claire bien délimitée, d’aspect géodique, englobant une partie des racines des dents 31 à 34 et s’étendant au-delà des apex de ces dents. La dent 34 semble être située au centre de cette image également retrouvée à la radiographie panoramique.

Le CBCT (figure 3) a révélé une image radio-claire ovalaire, d’environ 20 mm de diamètre, monogéodique, avec effacement des corticales vestibulaires et linguales qui semblent avoir été soufflées au-delà de leur situation initiale. Les racines des dents 32 et 33 sont orientées en avant et en dehors : elles sont projetées en antérieur et en vestibulaire.

L’exérèse de cette lésion ainsi que l’avulsion de la 34 ont été proposées à la patiente. Elle a été avertie que, en ce qui concernait les dents 33 et 35, une décision d’avulsion ou de conservation serait prise lors de la résection.

Une information sur les risques inhérents (infectieux, hémorragique, anatomique) à ce type d’intervention a été donnée de même que sur les suites opératoires habituelles ou exceptionnelles.

La patiente a été opérée sous anesthésie locale, avec une prémédication antibiotique, antalgique de palier 1, anti-inflammatoire stéroïdien et sédative (amoxicilline 1000 mg, 1 comprimé matin et soir pendant 6 jours, à commencer l’avant-veille du rendez-vous ; prednisolone 20 mg, 3 comprimés le matin pendant 3 jours ; paracétamol 1000 mg, 1 comprimé matin, midi et soir pendant 3 jours ; hydroxyzine 25 mg, 2 comprimés le matin du rendez-vous ; chlorhexidine 0,2 % en bain de bouche et sous forme de gel en applications locales pendant 15 jours).

La séquence opératoire est la suivante :

- décontamination pré-opératoire du site à la povidone iodée ;

- anesthésie locale à l’articaïne adrénalinée 1/100 000 ;

- incisions au collet des dents 35 à 31 et décharge en mésiale ;

- décollement d’un lambeau de pleine épaisseur en vestibulaire et en lingual ;

- avulsion atraumatique de la dent 33 mobile dépourvue de soutien osseux ;

- dissection et clivage du kyste : énucléation de la lésion ;

- curetage franc contre les racines des dents 32 et 34 et contre les rebords osseux encore préservés ;

- surfaçage radiculaire des dents 31, 32 et 34 ;

- rinçage à la povidone iodée ;

- ostéotomies localisées par fraisage et suppression des séquestres osseux ;

- rinçage abondant au sérum physiologique ;

- repositionnement des lambeaux ;

- sutures au fil monofilament résorbable 4/0 (figure 4) ;

- conditionnement de la pièce opératoire et transmission au laboratoire d’anatomopathologie.

Quelques douleurs et un œdème submandibulaire léger ont été rapportés par la patiente en post-opératoire. Un bridge transitoire immédiat a été confectionné pour maintenir l’esthétique et la fonction masticatoire. Il n’y a eu aucune complication post-opératoire.

L’examen anatomo-pathologique de la lésion a conclu à un améloblastome.

Dans les semaines suivant l’intervention, des sensibilités dentaires sur 31, 32 et 35 ont fait l’objet d’un suivi auprès de son chirurgien-dentiste traitant.

Au contrôle à 6 mois, une bonne stabilité et une bonne cicatrisation des tissus mous autour des couronnes ainsi qu’un remodelage osseux dans la zone opérée ont été constatés (figure 5).

À 1 an post-opératoire, une reminéralisation osseuse au niveau du site de la lésion ainsi que la reconstitution d’une corticale fine ont été constatées (figure 6).

La patiente rapporte uniquement une petite sensibilité à la pression digitale de la gencive en regard de la racine de la dent 32.

Aucun signe de récidive n’a été observé.

DISCUSSION

Dans ce cas clinique, c’est la persistance de la tuméfaction relativement indolore du menton et des migrations dentaires ainsi qu’une image radio-claire ayant tendance à s’étendre, malgré des traitements endodontiques suite à des nécroses dentaires, qui ont conduit le chirurgien-dentiste traitant à adresser la patiente en vue d’une exérèse chirurgicale de la lésion.

L’imagerie CBCT a été d’une grande aide pour évaluer avec précision les dimensions de la lésion et sa proximité avec les structures anatomiques adjacentes [10].

Une simple biopsie sans exérèse pouvait aussi permettre le diagnostic de la lésion.

La localisation, l’accès favorable, l’aspect unikystique nettement délimité et le bilan d’extension par l’imagerie CBCT ont conduit à proposer une approche plutôt conservatrice mais avec une résection « franche » et un examen histologique afin de poser le diagnostic.

Aucun signe de récidive n’a été observé à 1 an ; une surveillance clinique et radiographique annuelle a été proposée à la patiente.

Certains auteurs ont estimé que la taille de l’améloblastome augmente en moyenne de 40,4 % par an [10] et que la durée des symptômes jusqu’au diagnostic est très variable. Nous pouvons penser que cet améloblastome a été pris en charge à un stade encore relativement précoce avant une extension possible aux tissus mous avoisinants.

L’analyse histologique a permis le diagnostic différentiel avec les tumeurs odontogènes comme le kératokyste dentaire, les tumeurs osseuses non odontogènes et la forme maligne de l’améloblastome (le carcinome ameìloblastique) [9].

Son étiopathogénie est toujours mal élucidée bien que quelques thèses aient été avancées : irritation non spécifique aux extractions et caries dentaires, traumatismes, inflammation, déficits nutritionnels ou encore agents pathogènes viraux [5].

Au niveau moléculaire, les facteurs génétiques impliqués dans le développement, la morphogenèse, la cyto-différenciation et le modelage des dents ont été associés au développement de l’améloblastome car certains d’entre eux sont altérés de manière significative dans les tissus améloblastiques, et cela favorise la transformation oncogénique [3].

CONCLUSION

L’améloblastome est la tumeur odontogène la plus fréquente des maxillaires et peut présenter différentes variantes.

L’analyse histologique permet le diagnostic différentiel de kystes et tumeurs odontogènes ayant des caractéristiques cliniques et radiologiques communes et permet également d’adapter la prise en charge et le suivi du patient.

Un suivi annuel permettra de réévaluer la situation clinique et radiologique, de détecter toute récidive et de confirmer la guérison à long terme.

BIBLIOGRAPHIE

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  • 8. Muller H, Slootweg PJ. The ameloblastoma, the controversial approach to therapy. J Maxillofac Surg 1985;13:79.
  • 9. Lin Z, Chen F, Wang T, Hu Q, Sun G. The variability and complexity of ameloblastoma: Carcinoma ex ameloblastoma or primary ameloblastic carcinoma. J Craniomaxillofac Surg 2013;41(3):190-193.
  • 10. Alves DBM, Tuji FM, Alves FA, Rocha AC, Santos-Silva ARD, Vargas PA, et al. Evaluation of mandibular odontogenic keratocyst and ameloblastoma by panoramic radiograph and computed tomography. Dentomaxillofac Radiol 2018;47(7):20170288.
  • 11. Mariz BALA, Andrade BAB, Agostini M, de Almeida OP, RomanÞach MJ, Jorge Jr J, et al. Radiographic estimation of the growth rate of initially underdiagnosed ameloblastomas. Med Oral Patol Oral Cir Bucal 2019;24(4):e468-e472.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.