Clinic n° 05 du 01/05/2023

 

Dossier

Caroline LEVERD*   Julie DEBREU**  


*Ancienne AHU, ancienne interne. Exercice libéral exclusif en Odontologie pédiatrique, Paris.
**Masseur kinésithérapeute, spécialiste en Rééducation oro-faciale, Saint-Vincent-de-Tyrosse.

Le bruxisme chez l’enfant représente un motif de consultation fréquent. Il est défini par les parents comme un serrement, un grincement de dents, détectable notamment par la nuisance sonore et des surfaces d’usure dentaire. Cette usure dentaire est nécessaire chez les enfants, elle permet la croissance des maxillaires et l’évolution de la denture temporaire à mixte. Cependant, dans certains cas, l’attrition sévère doit amener à une prise en charge pluridisciplinaire. Alors comment différencier le physiologique du pathologique ?

DÉFINITION

Le bruxisme est défini comme une action non nutritive, répétitive, involontaire, le plus souvent inconsciente. On distingue le bruxisme d’éveil (diurne) de celui du sommeil essentiellement nocturne.

D’origine multifactorielle, de nombreux paramètres sont à prendre en compte.

Le stress reste un facteur étiologique prédominant. Le bruxisme peut être associé à une maladie neurologique ou à la prise de médicaments [1, 2].

Chez l’enfant, l’usure dentaire est un phénomène physiologique avec une usure des pointes canines (figure 1) qui permet de déverrouiller l’occlusion, de libérer les mouvements mandibulaires et de participer à la croissance des maxillaires [3]. Le bruxisme serait aussi défini comme « une soupape de décompression » face au stress quotidien et permettrait un équilibre émotionnel et psychologique [3].

DIAGNOSTIC

Chez l’enfant, l’apparition du bruxisme pourrait techniquement se produire dès l’apparition de la dentition. Il démarre souvent entre 3 et 4 ans en denture temporaire stable [3]. Le bilan bucco-dentaire à partir de 3 ans, mis en place depuis 2019, permet un diagnostic précoce et une sensibilisation des parents (figures 2 et 3).

Les étiologies sont multiples et de nombreux facteurs ont été mis en cause dans la survenue du bruxisme chez l’enfant, notamment le stress, les troubles du sommeil, une ventilation buccale, une mauvaise posture, la présence de TDAH (trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) ainsi que les troubles psychologiques [2-4]. Dans une société en constante évolution, l’apparition de différentes sources de stress (divorce des parents, confinement, harcèlement scolaire, omniprésence des écrans) ne cesse d’augmenter chez une génération alpha (né entre 2010 et 2020) déjà sur-sollicitée. Ce sont des facteurs à prendre en compte dans l’apparition du bruxisme. L’interrogatoire des parents est donc essentiel et permet de rechercher toute autre pathologie sous-jacente et de connaître les habitudes comportementales de l’enfant, les facteurs psychosociaux, les antécédents familiaux de bruxisme, l’onychophagie et les ronflements [1, 4, 5].

EXAMEN CLINIQUE

En exo-buccal, nous allons nous attarder sur la posture de la tête, l’aspect des muscles masséters hypertrophiés ou non, la présence de douleur des muscles masticateurs, les signes d’une ventilation buccale ainsi que la morphologie, l’occlusion et le tonus labial.

En endo-buccal, la présence de facettes d’usure plus ou moins généralisées (figure 4), l’avancement de la mandibule, l’empreinte des dents sur la langue sont des signes pathognomoniques de la présence d’un bruxisme [3, 4]. On peut aussi observer certains de ces signes lors d’examens complémentaires comme les radiographies ou les empreintes optiques (figure 5).

En ce qui concerne la sphère ORL, l’hypertrophie amygdalienne est aussi un facteur de risque supplémentaire de bruxisme.

PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE

La prise en charge n’est recommandée que lorsqu’une atteinte importante des structures dentaires est présente ou lorsque l’intensité du bruxisme est forte : facettes d’attrition modérées à sévères, en particulier sur les premières molaires permanentes, ou attrition sévère, sur les canines et les molaires temporaires [3].

La présence de douleurs comme les myalgies ou les céphalées au réveil représente aussi un facteur de prise en charge précoce [4].

L’émail en denture temporaire est plus poreux, moins épais et moins minéralisé, ce qui le rend plus sensible à l’attrition, à l’hypersensibilité dentinaire et à la carie (figure 6). L’application de vernis fluoré est donc recommandée afin de diminuer les risques de carie et d’hypersensibilité.

Des reconstitutions à l’aide de matériaux de restauration comme les ciments verres ionomères, les composites, les onlay-overlay ou les coiffes préformées peuvent être nécessaires en fonction de l’usure [3].

La mise en place de gouttières chez l’enfant est complexe et à proscrire car cela risque de bloquer la croissance maxillo-faciale [3, 5]. Cependant, une alternative peut être mise en place à l’aide d’un éducateur fonctionnel afin de limiter les usures et de protéger les surfaces dentaires (figure 7).

La gestion du stress et de l’anxiété doit être envisagée et discutée avec les parents.

L’enfant est orienté au besoin chez l’orthodontiste afin de prendre en charge d’éventuelles dysmorphoses et dysfonctions qui perturberaient une bonne harmonisation de la cavité buccale ainsi qu’un bon positionnement de la langue [6]. Un bilan de la sphère ORL est recommandé afin de diagnostiquer une obstruction des voies aériennes supérieures, un SAOS (syndrome d’apnées obstructives du sommeil) ou la présence d’allergies chroniques qui sont des facteurs de risque supplémentaires de bruxisme. Un bilan alimentaire et médical peut aussi être mis en place afin d’étudier des facteurs érosifs (reflux gastro-œsophagien, boissons acides, etc.) qui peuvent accentuer l’usure pathologique des dents [3].

RÉÉDUCATION MAXILLO-FACIALE

La rééducation oro-maxillo-faciale chez l’enfant et l’adolescent permet la prise en charge de pathologies telles que le dysfonctionnement temporo-mandibulaire, les dyspraxies linguales, l’apnée du sommeil ou encore l’accompagnement lors de chirurgies orthognatiques.

Le masseur kinésithérapeute spécialisé évalue les dysfonctionnements afin d’établir son plan de rééducation.

En première intention, l’observation de la position de repos est essentielle (figure 8). Elle renseigne sur :

- l’état de l’espace inter-dentaire (la perte de l’espace entre les arcades peut engendrer des tensions musculaires) ;

- la mise en évidence d’une attrition ;

- la position de la langue.

Le bruxisme éveillé se distingue du bruxisme du sommeil mais ils ont en commun une activité musculaire manducatrice importante. L’évaluation de la structure crânio-faciale, du rachis cervico-thoracique et des membres supérieurs est indispensable au traitement [7].

Une réduction d’amplitude de la région cervicale et un positionnement antérieur de la tête peuvent avoir pour conséquence mécanique une augmentation de la tension musculaire des muscles post-vertébraux pouvant se répercuter sur le flux ventilatoire. L’antéposition cervicale altère la position des contacts occlusaux, facteur prédisposant à l’apparition du bruxisme d’éveil et d’une activité musculaire excessive. Le trouble postural céphalique est fréquemment retrouvé chez les enfants dans les bruxismes d’éveil et de sommeil avec un haut degré d’anxiété [10].

Le masseur kinésithérapeute spécialisé a un rôle à jouer dans la prise en charge du dysfonctionnement temporo-mandibulaire et dans les dyspraxies linguales. Par ces techniques de rééducation, il permet d’obtenir une automatisation des fonctions de la respiration, de la posture de langue et de la sangle oro-labiale.

Les désordres ventilatoires augmenteraient le nombre d’épisodes du bruxisme du sommeil provoqués par des micro-réveils. Ce système d’alerte a pour but de lutter contre l’hypoxie lors du sommeil. Ramener le jeune patient à une respiration nasale, en automatisant le positionnement lingual physiologique et en tonifiant le plancher buccal et de la langue, favoriserait le bon fonctionnement et le développement temporo-mandibulaire et donc la libération de la filière oro-pharyngée.

Pour favoriser ces nouveaux apprentissages, les levées de tensions, le renforcement de la musculature et le développement de la proprioception sont des moyens que le kinésithérapeute peut mettre en place. Le maintien de l’équilibre mandibulaire par la détente des muscles masticateurs ainsi que le renforcement des muscles abaisseurs permettraient une diminution de l’activité du bruxisme [2]. La levée des obstacles anatomiques et l’éducation à l’automatisation de ces fonctions favorisent les nouveaux comportements réflexes [8]. Dans la rééducation linguale, l’apprentissage des nouvelles praxies et de la posture linguale au palais se fait en plusieurs séances (figure 9).

L’automatisation passe par une exécution volontaire quotidienne d’exercices à introduire dans le quotidien de l’enfant en vue d’améliorer la déglutition, la phonation et la ventilation [9]. La mise en place d’un journal de la langue, des jeux ludiques, l’utilisation des habitudes de vie de l’enfant sont des éléments à prendre en compte pour favoriser l’apprentissage et une répétition quotidienne. Cependant, une participation active du patient est essentielle pour mener cette rééducation à son terme. Les bilans sont transmis à l’équipe pluridisciplinaire au fur et à mesure de la rééducation pour favoriser l’évolution et l’efficacité des traitements mis en place en parallèle par les autres praticiens.

CONCLUSION

Aucun consensus n’ayant été établi concernant la prise en charge du bruxisme chez l’enfant, elle est pluridisciplinaire et en rapport avec l’étiologie retrouvée lors du diagnostic [4]. Il est parfois difficile de rassurer les parents et d’apporter des réponses sur le grincement de dents de leur enfant (encadré 1). La synergie entre les différents professionnels de santé (pédodontiste, orthodontiste, ORL, kinésithérapeute, psychologue) est essentielle et permet d’apporter un panel thérapeutique large afin de limiter les risques que ces désordres ne persistent à l’âge adulte, car ils peuvent s’installer durablement lorsqu’ils sont présents dès l’enfance.

CONSEILS À DONNER AUX PARENTS

• Éviter de regarder la télévision, d’utiliser le téléphone portable et de jouer aux jeux vidéos avant le coucher.

• Appliquer de la chaleur humide sur les muscles masticateurs afin de les détendre.

• Dormir sans oreiller pour favoriser une bonne posture céphalique afin d’obtenir un angle de 90° entre la mandibule et la face antérieure du cou.

• Éviter la mastication de chewing-gum.

• Pratiquer des activités calmes avant le coucher (méditation associée à la relaxation de Schultz).

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Lavigne GJ, Khoury S, Abe S, Yamaguchi T, Raphael K. Bruxism physiology and pathology: an overview for clinicians. J Oral Rehabil 2008; 35:476-494.
  • 2. Lobbezoo F, Ahlberg J, Glaros AG, et al. Bruxism defined and graded: An international consensus. J Oral Rehabil 2013;40:2-4.
  • 3. Camoin A, Tardieu C, Blanchet I, Orthlieb JD. Le bruxisme du sommeil chez l’enfant. Arch Peìdiatrie 2017;24:659-666.
  • 4. Saulue P, Carra MC, Laluque JF, d’Incau E. Understanding bruxism in children and adolescents. Int Orthod 2015;13:489-506.
  • 5. Carra MC, Huynh N, Morton P, et al. Prevalence and risk factors of sleep bruxism and wake-time tooth clenching in a 7- to 17-yr-old population. Eur J Oral Sci 2011;119:386-394.
  • 6. Nahás-Scocate ACR, Coelho FV, de Almeida VC. Bruxism in children and transverse plane of occlusion: Is there a relationship or not? Dent Press J Orthod 2014;19 (5):67-73.
  • 7. Girard M, Leroux C. Gestion des muscles et de fonctions par le kinésithérapeute dans les traitements orthodontiques et ortho-chirurgicaux. Rééduc Oro-myofonctionnelle 2015;86:85-111.
  • 8. Gil H, Fougeront N. Dépister un dysfonctionnement lingual : bilan à l’usage des prescripteurs. Rev Orthop Dento Faciale 2015;49:277-292.
  • 9. Breton-Torres I, Lefebvre C, Goudot P. Technologie rééducative appliquée et dysfonction de l’appareil manducateur. Paris : Masson, 2003.
  • 10. Vélez AL, Restrepo CC, Peláez-Vargas A, et al. Head posture and dental wear evaluation of bruxist children with primary teeth. J Oral Rehabil 2007;34:663-670.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.