ÉDENTEMENT COMPLET ÉTUDE PROTHÉTIQUE ET CRITÈRES DE CHOIX DU TYPE DE RESTAURATION
Prothèses
Protocoles
Anne-Sophie VAILLANT* Pascale CORNE**
*MCU-PH en Prothèse, Faculté d’Odontologie de Lorraine, Service d’Odontologie, CHRU de Nancy.
Face à un édentement complet, le chirurgien-dentiste fait face à une multitude de solutions thérapeutiques qui requièrent toutes une analyse approfondie de la situation [1]. Une erreur de conception peut ainsi être à l’origine d’instabilités, de complications répétées, d’échecs fonctionnels ou encore d’échecs esthétiques. « L’implantologie au service de la prothèse », une expression qui prend ici tout son...
Face à un édentement complet, le chirurgien-dentiste fait face à une multitude de solutions thérapeutiques qui requièrent toutes une analyse approfondie de la situation [1]. Une erreur de conception peut ainsi être à l’origine d’instabilités, de complications répétées, d’échecs fonctionnels ou encore d’échecs esthétiques. « L’implantologie au service de la prothèse », une expression qui prend ici tout son sens. Les différentes solutions prothétiques ont des caractéristiques, des avantages et des inconvénients qu’il convient de confronter à la situation clinique unique du patient afin de lui proposer la solution prothétique à privilégier.
L’analyse prothétique débute par un entretien avec le patient où ce dernier doit librement expliciter tous ses souhaits et ses motivations. La prise en compte de ses récriminations face à ses restaurations passées fait intégralement partie du processus de prise en charge. L’étude des prothèses existantes est importante. Si elles conviennent au patient, le projet devra idéalement s’en approcher. Au contraire, toutes les doléances énumérées par le patient (inconfort, esthétique…) doivent être idéalement résolues par le nouveau projet. Il faudra en tout cas pouvoir apporter une réponse claire au patient : peut-on résoudre ses doléances par la nouvelle proposition thérapeutique ? Il faut pouvoir expliquer au patient que l’objectif d’une prothèse fixée sera parfois difficilement atteignable. L’entretien avec le patient permet aussi de se faire une idée du degré d’exigence de ce dernier.
Les documents utiles à posséder pour débuter une étude sont classiques : photographies (visage entier, bouche au repos, sourire forcé, demi-sourire, photographies intrabuccales) et empreintes d’étude idéalement montées sur articulateur. Des radiographies diagnostiques (panoramique, rétro-alvéolaires si des dents sont encore présentes) complètent le recueil des données. Ce bilan sert aussi de base de discussion avec le patient. La situation de la ligne du sourire permet au praticien de se rendre compte si la future transition entre gencive naturelle et artificielle sera visible :
- si le niveau gingival est supérieur à la ligne du sourire, la transition sera masquée et l’esthétique de la restauration préservée ;
- si, au contraire, la transition gencive/prothèse est visible, cette « complication » est à notifier dans le projet prothétique et à expliquer au patient. On s’oriente alors idéalement vers un bridge supra-implantaire conventionnel avec réalisation de greffe de conjonctif enfoui pour optimiser l’esthétique gingivale.
L’espace prothétique mis en évidence par les maquettes d’occlusion est une donnée primordiale à prendre en compte car elle détermine à elle seule plusieurs limitations de solutions thérapeutiques. À cette étape, il peut être intéressant de se documenter sur le sourire « idéal » du patient selon lui ou de prendre en considération d’anciennes photographies. Des empreintes secondaires sont réalisées, en particulier si l’on s’oriente vers une solution amovible. Ces empreintes anatomo-fonctionnelles ont aussi pour avantage de libérer les zones de surextensions laissées lors de l’empreinte primaire, qui pourraient nuire à l’enregistrement des relations maxillo-mandibulaires (RMM) dont la dimension verticale (DV) est déterminée par le positionnement des tissus mous [2]. Les surextensions, notamment au niveau du frein labial supérieur, peuvent être ainsi à l’origine d’une erreur d’appréciation de la position de la lèvre supérieure pendant l’étape du réglage des maquettes (figure 7). L’enregistrement de la RMM en relation centrée intégrant la notion de DV et DVO (dimension verticale d’occlusion) prend ici toute son importance. Les modèles montés en articulateur permettent alors l’élaboration du montage prospectif.
L’essayage et la validation du projet prothétique par le patient représentent une étape clé qui doit idéalement se faire en présence d’un proche du patient. Ce dernier est parfois plus à même de nous orienter vers une modification du projet. Cette étape de validation doit toutefois être nuancée concernant l’aspect final de la restauration. Chez les édentés totaux, la mise en place de cire rose peut parfois apporter un aspect « trompe-l’œil » sur le résultat final. L’épaisseur de cire est d’ailleurs un indicateur important à mettre en évidence dans l’étude prothétique.
Une fois le volume prothétique déterminé, le guide radiologique (ou un duplicata radio-opaque du projet prothétique) va être utilisé pour la réalisation du CBCT.
Son analyse portera notamment sur les hauteurs prothétiques en lien avec les demandes du patient qui doivent permettre de choisir la thérapeutique idéale en exploitant au maximum le volume osseux disponible (en hauteur et en largeur). Il faut être particulièrement vigilant quant à l’absence ou non d’un décalage entre le volume osseux et le volume prothétique nécessaire.
L’utilisation du numérique dans la planification prothétique offre des perspectives très intéressantes de nos jours [3]. L’objectif premier est d’obtenir un clone digital du patient. Le praticien commence toujours par des photographies mais il faudra ensuite obtenir un fichier stl. des arcades du patient soit à l’aide d’empreintes optiques réalisées directement en bouche, soit à l’aide d’empreintes en alginate scannées secondairement par le prothésiste. Le scan facial est également un outil intéressant car il permet d’intégrer un projet prothétique dans un visage en 3D et facilite la validation du projet virtuel. Toutefois, la validation d’un projet prothétique nécessite idéalement une étape de validation « réelle ». Confirmer la bonne dimension verticale et la relation centrée reste primordial dans un projet, notamment dans les cas où le nombre de dents absentes est important. Les étapes de conception doivent donc être suivies par l’élaboration d’un dispositif prothétique (Try-In) pour permettre cette validation (figure 8). Les outils d’aide au design numérique sont aussi intéressants dans ce type d’étude car ils permettent de faciliter l’analyse esthétique à l’aide de masque préétablis [4] (figure 9). Par la suite, le CBCT permet obtenir un fichier DICOM qui se superpose au projet prothétique et permet de visualiser le volume osseux disponible. L’analyse prothétique peut alors être réalisée et permettre d’établir la ou les solutions thérapeutiques.
Il est important d’avoir une vision à long terme de nos restaurations implanto-prothétiques.
Les anciens patients atteints de parodontites courent un risque accru de peìri-implantite [5]. Par conséquent, l’enseignement de l’hygiène implantaire et prothétique fait partie intégrante du traitement [6]. On peut aussi préférer attendre quelques mois après l’avulsion des dernières dents pour espérer une disparition des bactéries parodonto-pathogènes. Toutefois, on ne retrouve pas de consensus sur ce point dans la littérature scientifique. La maintenance doit être stricte et écrite dans le contrat de soins. Les patients doivent s’astreindre aÌ une hygiène extrêmement rigoureuse, fondée sur le passage pluriquotidien de brossettes interdentaires ou de fil type Access Floss (avec deux parties passefil rigides). L’expression « qui peut perdre ses dents peut perdre ses implants » peut aider le patient à la prise de conscience de l’importance du suivi à long terme (prophylaxie personnelle pluriquotidienne et maintenance professionnelle).
La capacité du patient à maintenir une bonne hygiène bucco-dentaire doit entrer en compte lors de l’élaboration des plans de traitements implantaires chez les personnes âgées à fort risque de maladie parodontale ou avec une dextérité manuelle diminuée.
Il peut être intéressant de parfois privilégier une solution amovible pour limiter le risque de péri-implantite. La réalisation de la planification prothétique suit un protocole simple mais rigoureux. Satisfaire les exigences et rétablir la fonction et l’esthétique du patient édenté nécessitent une connaissance des différentes possibilités prothétiques, tout en gardant en mémoire la balance avantages/inconvénients qu’il est important de lui présenter. L’analyse prothétique de ces patients nous conduit facilement à automatiser nos thérapeutiques alors qu’il existe de réelles contraintes techniques et domaines d’indication pour chacune d’elles. Notre rôle en tant que chirurgien-dentiste est ainsi d’amener notre patient à choisir la thérapeutique qui lui convient en fonction de ses besoins et de son contexte [7], en n’omettant pas que la prothèse amovible complète reste l’antichambre de toutes ces solutions implantaires.
Largement décrite, cette technique peut donner de très bons résultats au maxillaire mais engendre un taux plus important d’échecs à la mandibule [8]. Sa mise en œuvre reste simple et relativement peu coûteuse et représente la solution idéale en cas de contre-indication absolue à l’implantologie.
Ce type de prothèse est la solution thérapeutique minimale à proposer à tous nos patients face à un édentement mandibulaire [9]. La mise en place de 2 implants parallèles entre eux (et leurs axes perpendiculaires au plan d’occlusion) dans la symphyse mandibulaire sur lesquels se positionnent des attachements axiaux (type Locator) offre un complément de rétention aux prothèses amovibles complètes. Le choix de la force de rétention des inserts est fait en fonction des attentes du patient et de sa dextérité pour enlever la prothèse. Son confort et ses capacités masticatoires sont ainsi nettement améliorés. Il est important toutefois de veiller à positionner une barre de renfort coulée pour diminuer le risque de la fracture de la prothèse. Cette solution offre un bon compromis pour un budget limité : elle permet une amélioration notable du confort par le complément de rétention apporté, une réintervention aisée et une maintenance à faible coût.
Il est aussi maintenant possible de proposer ce type de prothèse sur 4 implants à très faible diamètre (2,4 mm). Ces implants dits « monoblocs » développés par Straumann font corps avec un attachement de type Optiloc. Ce très faible diamètre permet ainsi d’implanter des patients qui n’étaient jusqu’alors pas candidats à l’implantologie en raison d’un faible volume osseux symphysaire. La mise en charge est alors concomitante à la pose des implants.
Ce concept a été remis au goût du jour grâce à l’avènement de la CFAO et combine les avantages de la PACSI et de la prothèse implantaire transvissée. Elle offre les avantages suivants : rétention très importante, hygiène aisée, maintenance facilitée. En contrepartie, cette solution nécessite un budget élevé pour une solution prothétique restant amovible. Ce caractère « amovible » doit alors être absolument entendu et accepté par le patient. Cette solution est proposée dans les cas où le volume prothétique est majeur avec un décalage des bases osseuses. Quatre à 6 implants sont ainsi positionnés par arcade. L’avantage réside dans le fait de garder un volet maxillaire vestibulaire et de pouvoir ainsi assurer un soutien correct de la lèvre maxillaire. Des piliers télescopiques de conicité 5° sont mis en place sur les implants. Ces piliers sont destinés à supporter la prothèse amovible dont l’intrados contient une contre-barre supportant des coiffes femelles en or. Le design des piliers télescopes se fait numériquement en fonction du volume prothétique. Ce type de prothèse autorise l’absence d’une plaque palatine au maxillaire, souvent critiquée des patients, uniquement en présence de 6 implants. Cette prothèse doit toutefois être évitée chez les patients aux forces masticatoires élevées car la friction importante entre les coiffes femelles et les piliers peut être à l’origine d’usure prématurée des pièces prothétiques ou, plus dramatiquement, de péri-implantites.
Aussi dénommé All-on-4 ou All-on-6, ce type de prothèse a été initialement décrit par Paolo Maló à la fin des années 90 [10]. Elle consiste en la réalisation d’une prothèse d’usage composée d’une armature transvissée sur des piliers implantaires coniques à rattrapage d’axe (type Multi-unit). Les implants sont ainsi positionnés selon des recommandations bien précises : 2 implants antérieurs droits et 2 implants postérieurs angulés d’environ 30° par rapport au plan d’occlusion. La mise en place des implants angulés permet de s’adapter aux situations de résorption osseuse et limite la réalisation de greffes osseuses aux résultats variables. L’angulation permet aussi de propager plus distalement les forces de mastication et diminue les contraintes subies sur l’os péri-implantaire.
Cette solution prothétique fixe autorise la possibilité de mise en charge immédiate. Les matériaux (dents prothétiques et gencive artificielle) montés sur l’armature sont les mêmes qu’en prothèse amovible conventionnelle, ce qui facilite et limite les coûts des éventuelles réinterventions ou réparations futures. En fonction de la nature de l’arcade antagoniste, et notamment en face de restaurations en céramique, l’usage de la résine est parfois annonciateur d’une maintenance plus régulière en raison de potentielles désolidarisations de dents de leur armature. L’intrados de la restauration doit être convexe et lisse pour faciliter l’hygiène et la maintenance. Cette prothèse requiert une maintenance annuelle réalisée par un professionnel (parfois même bisannuelle en fonction des patients) et donc un coût non négligeable qu’il convient de présenter au patient dès le début de la prise en charge.
Cette solution est celle qui se rapproche le plus de la prothèse fixée sur dents naturelles. La prothèse céramo-métallique ou en tout céramique peut être soit scellée, soit transvissée en fonction de la situation clinique. La mise en place en moyenne de 8 implants par arcade est à privilégier pour assurer un espace suffisant d’os entre 2 implants. Il faut être très vigilent lors de la simulation implantaire et prévoir des émergences implantaires en regard des futures dents. Ce type de restauration est particulièrement indiqué dans des cas de pertes osseuses minimes car il permet d’éviter des prothèses aux dimensions aberrantes. Il est fréquemment recommandé de prévoir des greffes gingivales pour gérer l’esthétique du « rose », notamment chez les patients avec un sourire gingival.
La technique des implants zygomatiques permet de pallier des atrophies osseuses sévères qui contre-indiqueraient les techniques implantaires plus classiques. Le patient bénéficie par la suite d’une réhabilitation fixe sur barre connectée aux implants par l’intermédiaire de piliers à rattrapage d’axe (type Multi-unit). Cette prothèse s’apparente donc aux bridges sur pilotis décrits précédemment. Les taux de survie des implants zygomatiques sont d’ailleurs similaires à ceux des implants conventionnels [11].
Les tableaux 2, 3 et 4 synthétisent les différents paramètres à prendre en compte pour le choix de la réhabilitation prothétique.
La gencive artificielle ne doit en aucun cas être en surplomb de la gencive naturelle. Dans les cas de résorptions avancées, notamment au maxillaire où elle est centripète, s’il est nécessaire d’augmenter le soutien de la lèvre, la solution amovible est à privilégier (prothèse amovible complète conventionnelle, prothèse amovible complète supra-implantaire, prothèse barre contre barre, prothèse sur coiffes télescopiques) en permettant d’assurer un bon soutien de lèvre grâce au rebord vestibulaire dont seules les prothèses amovibles peuvent bénéficier. L’esthétique et la phonation sont ainsi plus faciles à assurer par rapport à un bridge transvissé.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.
Étape 1. Réaliser des empreintes primaires.
Étape 2. Réaliser des empreintes secondaires anatomo-fonctionnelles.
Étape 3. Enregistrer les rapports maxillo-mandibulaires (figure 1).
Étape 4. Essayer le montage prospectif avec des dents ajustées (figure 2).
Étape 5. Une fois validé, le montage prospectif devient directeur de la suite du traitement (figure 3).
Étape 6. Transformer le montage directeur en guide radiologique (figure 4).
Étape 7. Réaliser le CBCT avec le guide radiologique en place ou fusionner le projet prothétique au format stl. avec le CBCT (figure 5).
Étape 8. Analyser le projet prothétique en fonction du CBCT avec prévisualisation de la mise en place des implants (figure 6).
Étape 9. Proposer une solution thérapeutique au patient (tableau 1).