RESTAURATIONS DIRECTES ANTÉRIEURES : RÉSINE COMPOSITE STRATIFIÉE PROTOCOLES DE COLLAGE ET RECOMMANDATIONS CLINIQUES (1RE PARTIE)
Biomatériaux
Protocoles
Romain CEINOS* Jean-Pierre ATTAL** Élisabeth DURSUN*** Philippe FRANÇOIS****
*MCU-PH, Dentisterie restauratrice et Endodontie, Université Côte d’Azur. UR4462, Unité de Recherche Biomatériaux Innovants et Interfaces (URB2i), Université Paris Cité. Président de la BioTeam Nice. Membre du groupe international Bio-Emulation.
**MCU-PH, Hôpital Charles-Foix, Université Paris Cité. UR4462, Unité de Recherche Biomatériaux Innovants et Interfaces (URB2i), Université Paris Cité. Membre du groupe international Bio-Emulation.
***PU-PH, Odontologie Pédiatrique, Hôpital Henri-Mondor, Université Paris Cité. UR4462, Unité de Recherche Biomatériaux Innovants et Interfaces (URB2i), Université Paris Cité.
****MCU-PH, Hôpital Bretonneau, Université Paris Cité. UR4462, Unité de Recherche Biomatériaux Innovants et Interfaces (URB2i), Université Paris Cité.
Le secteur antérieur cristallise toutes nos attentions car il est le carrefour de la fonction et de l’esthétique. Face à la multiplicité des thérapeutiques et aux avancées constantes des biomatériaux, le chirurgien-dentiste doit s’interroger sur les meilleures techniques adhésives à mettre en œuvre dans cette zone.
La restauration stratifiée directe à la résine composite, la facette en céramique vitreuse et le cantilever en zircone constituent une excellente triade thérapeutique pour aborder l’ensemble des conditionnements tissulaires et prothétiques. L’objectif de cet article en 2 parties est d’exposer les protocoles contemporains directs et indirects de collage à travers trois pas à pas illustrés.
Cet article propose de faire le point sur les techniques scientifiquement fiables et cliniquement pertinentes dans le secteur antérieur. L’objectif est non pas de proposer un panorama exhaustif des méthodes de collage mais de résumer les points clés des protocoles pouvant être considérés comme des gold standards contemporains.
Les restaurations directes antérieures en résine composite présentent de nos jours d’excellentes performances cliniques. Les principales causes d’échec recensées dans la littérature sont la fracture de la restauration ou sa détérioration, notamment de son aspect esthétique. Afin d’atteindre les objectifs de pérennité des traitements aux résines composites directes, plusieurs paramètres cliniques sont à considérer. Ainsi, le biomatériau sélectionné, le design des marges cavitaires et le protocole de collage employé vont avoir un impact sur le résultat final obtenu mais aussi sur son maintien dans le temps. L’objectif de cet article est d’exposer le protocole contemporain direct de collage d’une restauration stratifiée aux résines composites à travers un pas à pas illustré.
Les restaurations directes antérieures en résine composite nano ou microhybrides ont d’excellentes performances cliniques dans le temps [1]. Leurs principales causes d’échec sont la fracture de la restauration ou la détérioration de son aspect esthétique [2].
La dentisterie adhésive n’est pas simplement la combinaison d’un adhésif et d’une résine composite aux tissus dentaires. Le biomatériau sélectionné et la recherche de préparation optimale des marges cavitaires (en fonction de leur position et de leur géométrie) vont avoir un impact sur le résultat final du traitement et sur sa pérennité [3, 4].
Dans le cadre des restaurations directes dans le secteur incisivo-canin, la stratégie de collage va principalement reposer sur deux problématiques :
– quel type de design au niveau des bords cavitaires pour le meilleur compromis entre adhésion et transition optique dent/restauration ?
– quelle procédure de collage est la plus pertinente eu égard à la situation clinique rencontrée : choix du système adhésif, qualité de photopolymérisation, utilisation ou non d’inhibiteurs de métalloprotéinases matricielles (MMPs) ?
La géométrie idéale de la préparation des lignes cavitaires dans les restaurations antérieures est une problématique ancienne [5]. Et pour cause, la forme de la préparation amélaire a des répercussions optiques mais aussi mécaniques.
Indépendamment de la méthode de conditionnement tissulaire, l’orientation des prismes d’émail est importante [6]. Les études montrent que l’adhérence est plus élevée si l’émail est coupé dans une direction transversale à l’orientation des prismes, par rapport à une direction longitudinale [7]. Pour prendre en considération cette orientation prismatique, plusieurs types de préparation ont été proposés dans la littérature. Ainsi, parmi le type de finitions vestibulaires possibles, il est avéré que le biseautage de l’émail va réduire significativement la détérioration de la restauration par rapport à l’absence de préparation [8, 9].
La préparation amélaire à réaliser pour masquer efficacement l’interface dent/matériau, c’est-à-dire pour obtenir la « non-visibilité du joint » ou encore l’absence de coloration secondaire, porte à controverse [1]. De nos jours, il est souvent plébiscité dans les cas illustrés sur divers réseaux sociaux de préparer un biseau très long en vestibulaire sur plusieurs millimètres avec, pour objectif louable, de rendre la transition restauration/dent imperceptible. La littérature invite cependant majoritairement à employer d’autres designs [10]. La coloration marginale dans le temps étant liée aux imperfections d’interface, le biseau long ne s’avère probablement pas la meilleure solution. En effet, le biseau long implique, du fait de sa géométrie, une résine composite se finissant en épaisseur pelliculaire, qui semble plus volontiers soumise aux phénomènes de chipping. Par ailleurs, une étude par éléments finis semble aller favorablement vers des designs aboutissant à une épaisseur de résine composite majorée à l’interface de collage (chanfrein continu ou en escalier) [11]. Cette approche est retrouvée dans plusieurs études [12, 13]. Récemment, certains auteurs préconisent même l’absence de préparation des marges et remettent en cause l’intérêt du biseau [14]. Dans l’attente d’études cliniques fiables sur cette étape de préparation tissulaire, il semble préférable d’opter pour un biseau vestibulaire court de 1 à 2 mm (et non long) ou un congé « quart-de-rond » (chanfrein court arrondi). Ce type de préparation semble être le meilleur compromis entre résistance biomécanique [15], économie tissulaire et rendu optique. L’épaisseur du bandeau d’émail naturel va permettre de disposer les incréments de résines composites de masses dentine et émail de façon optimale, pour masquer la transition entre la dent et la restauration [16, 17] (figure 1).
Concernant les parois palatines et proximales, une préparation à plat à 90° confère un soutien stable à la restauration. Un biseautage de ces zones n’est donc pas souhaitable [18].
Les adhésifs « simplifiés » (mordançage et rinçage en 2 étapes, M&R2, ou auto-mordançants en 1 étape, SAM1) sont reconnus moins performants que les adhésifs qui incluent une résine hydrophobe (mordançage et rinçage en 3 étapes, M&R3, ou auto-mordançants en 2 étapes, SAM2).
Les systèmes adhésifs dits « universels » pouvant emprunter les deux modalités (avec ou sans mordançage préalable) offrent désormais une meilleure polyvalence aux cliniciens par rapport aux situations cliniques rencontrées. Pour autant, le mordançage de l’émail à l’acide phosphorique reste la méthode la plus fiable pour obtenir des restaurations durables et étanches [19]. Les mordançages amélo-dentinaires ou sélectifs de l’émail sont donc à l’heure actuelle les deux stratégies d’adhésion recommandées en secteur antérieur. Or, la plupart des situations cliniques rencontrées dans les restaurations directes antérieures implique l’émail comme substrat majoritaire. Si l’on exclut les situations atypiques (usure profonde), une technique de mordançage totale amélo-dentinaire avec une exposition minorée de la dentine à l’acide orthophosphorique par rapport à l’émail peut s’avérer une stratégie envisageable [20]. Cependant, quand la dentine est largement exposée, en cas d’utilisation d’un adhésif universel, la priorité sera donnée à un mordançage sélectif de l’émail [21]. Contrairement à l’idée reçue, grandement rencontrée au sein de la profession, le type de système adhésif mis en œuvre (M&R ou SAM) n’a pas de répercussion sur le risque de développer ou non des sensibilités post-opératoires, si la procédure est bien appliquée [22]. L’emploi d’un adhésif universel en mordançage sélectif aura ici surtout pour but d’augmenter la qualité d’adhésion dentinaire. En outre, le mordançage amélaire aboutit à moins de colorations marginales dans le temps [1].
L’utilisation d’un adhésif universel eu égard aux adhésifs conventionnels offre un certain nombre d’avantages. Ceux-ci contiennent des monomères phosphate et/ou carboxylate fonctionnels, dont certains sont capables de créer une liaison chimique au calcium dans l’hydroxyapatite. Le 10-méthacryloyloxydécyl dihydrogénophosphate (10-MDP) adhère au calcium sans provoquer une forte décalcification de l’émail et de la dentine. Une légère décalcification de l’hydroxyapatite subsiste et conduit à la libération de calcium et à la formation de sels stables de MDP-Ca s’organisant en nano-layering, qui aboutirait à une cohésion renforcée entre l’adhésif et le tissu dentaire [20, 23, 24]. En outre, la réorientation de la chaîne carbonée (pôle phosphate vers la dent et pôle méthacrylique vers la surface) semble produire une diminution de l’hydrophilie de la couche adhésive, la rendant moins perméable, donc moins sensible à la dégradation hydrique. Enfin, le choix d’un adhésif universel en 2 temps (avec primer et bonding) assure une couche hydrophobe supplémentaire qui s’oppose plus efficacement aux mouvements hydriques à l’interface de collage. L’utilisation d’inhibiteurs des MMP pendant la procédures adhésive (ex. : chlorhexidine), même si elle a pu être largement plébiscitée dans la littérature en particulier dans les cas de mordançage total, semble être peu efficace dans le temps [20, 25].
Enfin, bien que peu étudié dans la littérature mais fréquemment suspecté cliniquement, il semble que l’épaisseur du joint adhésif ait un impact sur l’intégration esthétique de la restauration antérieure. En effet, plus le joint serait fin, plus esthétique serait la transition entre le composite et la dent. L’épaisseur de cette couche adhésive est variable selon les systèmes adhésifs [26] : alors que les mono-flacons – M&R2, SAM1, Universels – ont une couche aux alentours de 10 µm d’épaisseur, les systèmes complexes historiques – Optibond FL (Kerr), Scotchbond Multi Purpose (3M ESPE), Clearfil SE Bond 2 (Kuraray-Noritake)… – ont une épaisseur de couche aux alentours de 50 µm. Leurs évolutions les plus récentes – G2 Bond (GC), Optibond Extra (Kerr)… – ont, quant à elles, une épaisseur de couche aux alentours de 20 µm. Ainsi, l’utilisation d’un adhésif universel mono-flacon ou des nouveaux systèmes complexes à épaisseur de couche adhésive diminuée pourrait être privilégiée pour améliorer les résultats esthétiques immédiats des restaurations antérieures.
Une patiente se présente en consultation avec des restaurations inadaptées sur 21 et 22 (figures 2 et 3). La morphologie et la couleur à reproduire sont étudiées à l’aide d’un jeu de photographie avec et sans filtre polarisant (Polar_eyes, Bioemulation) (figures 4 et 5). Après anesthésie, l’isolation est assurée par un champ opératoire de type digue caoutchoutée (Nictone blue, Bisico) de prémolaire à prémolaire (figure 6). Les restaurations sont déposées et les bords marginaux amélaires vestibulaires sont préparés en biseau court, puis soigneusement polis (figure 7). L’émail est mordancé à l’aide d’acide orthophosphorique à 37 % (figure 8), puis abondamment rincé (figure 9). Le choix du système adhésif s’est ici porté, pour les raisons précitées, sur un adhésif universel en 2 temps (G2Bond, GC). Les études in vitro et cliniques suggèrent qu’une application vigoureuse à la micro-brush peut conduire à une pénétration plus complète de la solution adhésive dans le réseau de collagène dentinaire [27, 28]. Après application de la couche de primer et d’adhésif selon les recommandations du fabriquant, une photopolymérisation est conduite sur chacune des dents à leur quasi-contact pour une polymérisation optimale [29] (figure 10). La clef palatine en silicone, issue d’un jeu de cires diagnostiques réalisé en amont du soin, est chargée en résine composite masse émail et vient être plaquée au contact des surfaces dentaires (figure 11). Une fois photopolymérisés, les pans amélaires des futures restaurations sont ainsi constitués (figure 12). La coquille palatine est complétée par les surfaces proximales amélaires. Les masses dentinaires viennent imiter les fusées dentinaires naturelles, afin de mimer le jeu d’opalescence des dents adjacentes (figure 13). Pour parfaire le mimétisme des restaurations, des masses effets sont adjointes aux bords libres (OA et OBN, Enamel Plus HRi, Micerium S.p.A., Bisico), de même qu’un maquillant intensif blanc (Enamel Plus stain flow white, Micerium S.p.A., Bisico) (figure 14). Un incrément de résine composite amélaire, identique à celui utilisé pour créer la coquille palatine, vient napper la surface vestibulaire de la restauration sur une épaisseur approximative de 0,5 mm (figure 15) avant d’être photopolymérisé (figure 16). Les contours et les finitions sont conduits en imitant la macro-géographie des dents adjacentes mise en exergue par le frottement d’un papier articulé. Une grande attention est portée sur la symétrie des lignes de transition et la reproduction des dépressions verticales, subdivisant les surfaces de restauration (figure 17). Un polissage suivi d’un brillantage est assuré par le passage de polissoirs et roues associé à des pâtes à polir de granulométrie décroissante (kit Ena Shiny, Micerium S.p.A., Bisico) (figure 18). Le respect des différentes étapes du protocole clinique et le soin porté à la symétrie du contour des bords libres incisifs (figure 19) aboutissent à une bonne intégration de la restauration après réhydratation tissulaire (figures 20 à 22) (encadré 1).
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.
• En vestibulaire : un biseau court de 1 à 2 mm ou un chanfrein court arrondi semble être à privilégier.
• En proximal et en palatin : les surfaces préparées sont planes. L’utilisation d’une fraise tubulaire lisse à extrémité plate travaillante permet l’obtention aisée d’un tel design sans risquer de léser les dents adjacentes.
• Le choix du système adhésif peut s’orienter vers un M&R3 peu chargé ou un adhésif universel afin de favoriser une adhésion optimale à l’émail par attaque acide préalable et éviter la coloration de l’interface.
• Une application vigoureuse à la micro-brush de l’adhésif sur la dentine serait bénéfique à la qualité de la couche hybride.
• Le respect des protocoles et l’emploi d’une lampe à photopolymériser de qualité sont les conditions sine qua non d’un résultat pérenne dans le temps.