PROTOCOLES DE COLLAGE DES RESTAURATIONS PARTIELLES POSTÉRIEURES
Biomatériaux
Philippe BOITELLE* Corentin DENIS** João PITTA***
*MCU-PH, UFR d’Odontologie, Université de Lille, CHU de Lille. Unité de Recherche Biomatériaux Innovants et Interfaces, URB2I, UR 4462, Bobigny. Université de Paris Cité.
**MCA, UFR d’Odontologie, Université de Lille, CHU de Lille.
***Chargé d’enseignement, Division de Prothèse fixe et Biomatériaux, Université de Genève.
Les restaurations collées représentent aujourd’hui un élément central dans notre arsenal thérapeutique. Guidé par le gradient thérapeutique [1], le développement des indications de ces restaurations est favorisé par la composition de leur matériau toujours plus performant dans l’imitation du comportement biomécanique, esthétique, fonctionnel et biologique des tissus de la dent [2,...
Les restaurations partielles postérieures collées directes ou indirectes sont utilisées constamment dans la pratique quotidienne. Maîtriser les protocoles de collages en cohérence avec les matériaux constitutifs de ces restaurations est devenu incontournable. Les meilleures performances de ces protocoles sont obtenues grâce à une bonne préparation des surfaces mises en jeu. Ainsi, les surfaces développées par les tissus dentaires sont sablées puis mordancées avant l’application d’un adhésif avec ou sans primer. Le traitement de l’intrados des restaurations sera dépendant de leur composition. Le matériau de collage est souvent commercialisé avec une faible viscosité. Mais le chauffage des composites de restauration représente maintenant une très bonne alternative. Les concepts de scellement dentinaire immédiat et de remontée de marge sont maintenant totalement intégrés dans ces procédures de collage parfaitement codifiées assurant une sécurité dans leur réussite et leur longévité.
Les restaurations collées représentent aujourd’hui un élément central dans notre arsenal thérapeutique. Guidé par le gradient thérapeutique [1], le développement des indications de ces restaurations est favorisé par la composition de leur matériau toujours plus performant dans l’imitation du comportement biomécanique, esthétique, fonctionnel et biologique des tissus de la dent [2, 3]. Ce développement est aussi permis par la qualité de leurs assemblages réalisés par des systèmes adhésifs apportant une cohésion structurelle à la dent restaurée et autorisant une préparation des tissus très peu iatrogène [4]. La compréhension des protocoles d’adhésion, pourtant bien codifiés et utilisés quotidiennement dans la pratique de l’omnipraticien, reste encore un point d’achoppement. Les figures et les iconographies cliniques déclinées ci-après ont pour objectif de démystifier les protocoles d’adhésion et d’en favoriser l’utilisation par le plus grand nombre.
Avant de détailler le traitement des surfaces mises en jeu, il convient de reprendre la classification des matériaux d’assemblage par collage selon leurs propriétés adhésives, décrite par Cheron et al. [5]. Cette classification, distinguant trois types de colles, permet de comprendre la nécessité de la préparation des surfaces et/ou de l’application d’agent de couplage sur celles-ci, comme illustré en figure 1.
Ainsi, les colles dites auto-adhésives (RelyX Unicem 2 Automix, 3M ESPE ; Bifix SE, VOCO ; SpeedCEM Plus, Ivoclar) ne demandent aucun type de manipulation particulière en dehors d’une simple enduction des éléments à assembler, même si un traitement des surfaces prothétiques permet d’améliorer leur niveau d’adhésion (figure 1). Il s’agit donc d’un protocole, similaire à celui des ciments de scellement, qui n’apporte pas de difficulté particulière. Leurs indications sont liées aux nécessités de simplification de protocole face à une étanchéité du champ opératoire trop aléatoire ou lorsque le temps d’exécution du protocole de collage doit être le plus court possible.
Les colles avec propriétés adhésives (Super-Bond C&B, Sun Medical ; Panavia F2.0, Kuraray Noritake) présentent des monomères 4-Meta ou MDP (10-Methacryloyloxydecyl dihydrogen phosphate) participant à l’adhésion aux matériaux constitutifs de la reconstitution tels que la zircone ou des alliages métalliques (figure 1). Leurs indications sont donc essentiellement tournées vers des reconstitutions (couronnes, bridges collés, inlay-core) composées de ces matériaux. Ces colles requièrent le traitement des surfaces prothétiques et dentaires.
Les colles sans propriétés adhésives (Variolink Esthetic DC, lvoclar ; G-CEM LinkForce, GC ; Multilink Automix, lvoclar ; Calibra, Dentsply Sirona ; RelyX Ultimate, 3M ESPE) nécessitent un traitement de surface de la restauration et de la dent ainsi que l’application d’un agent de couplage (figure 1). La littérature rapporte la grande performance de ces dernières dans l’adhésion, notamment à l’émail, et leur forte indication pour les restaurations partielles postérieures constituées de céramique vitreuse ou de céramique infiltrée de résine ou encore de composite nano-hybride [6].
L’optimisation de l’adhésion, et in fine la réussite du traitement restaurateur, est liée à la préparation des surfaces mises en jeu dans l’assemblage par collage de la pièce prothétique. Ces interfaces, du côté de la dent ou du côté de la reconstitution, sont le siège à la fois de liaisons mécaniques et d’interactions chimiques responsables de l’adhésion de la restauration à la dent (figure 1). Cette relation est directement dépendante du type de substrat. La nature ou la composition de ce dernier détermine le traitement nécessaire dont il devra bénéficier.
Le traitement des tissus dentaires, décliné dans la figure 2, se compose d’un sablage et d’une attaque acide [7]. Le sablage permet un excellent nettoyage et augmente les valeurs d’adhérence grâce à la rugosité de surface qu’il provoque. Il est recommandé de réaliser, pendant 10 secondes, une pulvérisation d’une poudre d’alumine de 50 µm sous une pression de 2 bars avec ou sans la présence d’eau (figure 2a). Le mordançage sélectif est réalisé avec de l’acide orthophosphorique à 37 % pendant 30 secondes sur l’émail et 15 secondes sur la dentine (figure 2b). Les surfaces doivent ensuite être rincées afin d’éliminer les résidus d’acide et de poudre d’alumine puis être séchées sous l’effet d’une turbulence entretenue par le spray d’air et par l’aspiration. Dans les protocoles d’utilisation des colles avec ou sans potentiel adhésif, l’application d’un adhésif avec ou sans l’étape de primer préalable est nécessaire et doit être scrupuleusement exécutée par un frottement prolongé de 45 secondes au minimum, notamment au niveau de la dentine (figure 2c). Le but est d’obtenir une application sur les différents reliefs laissés après les traitements de sablage et de mordançage à la surface des tissus. Si, aujourd’hui encore, les adhésifs de type MR3 (OptiBond FL, Kerr ; Clearfil SE Bond, Kuraray) représentent le gold standard, les adhésifs universels (Scotchbond Universal, 3M-Espe ; Adhese Universal, Ivoclar) constituent une excellente alternative grâce à un potentiel adhésif important [8, 9].
Du côté de la restauration, le traitement de l’intrados sera dépendant de sa composition, comme indiqué dans le tableau 1.
Les reconstitutions composées de céramique polycristalline comme la zircone sont préférentiellement assemblées avec des colles avec potentiel adhésif comportant des molécules de MDP. Le traitement de la surface de l’intrados prothétique consiste uniquement en un sablage avec de l’oxyde d’alumine 50 µm sous une pression de 2 bars. Un primer contenant du MDP est ensuite appliqué.
Pour les matériaux en céramique vitreuse (e.max, Ivoclar ; Suprinity, Vita) ou les matériaux hybrides comme les céramiques infiltrées de polymère (Enamic, Vita) [10], il est recommandé de réaliser uniquement un mordançage à l’acide fluorhydrique (4 à 10 %) afin de dissoudre en surface la phase vitreuse et d’exposer la phase cristalline du matériau, comme exposé en figure 3. Cette dernière va ensuite être le siège de liaison chimique grâce à l’application du silane. Le temps d’application de l’acide fluorhydrique sera de 20 secondes pour les matériaux en disilicate de lithium (e.max, Ivoclar) et de 60 secondes pour les autres matériaux (figure 3b). Le rinçage est réalisé avec une eau tamponnée au bicarbonate dans un bac à ultrasons. Après essayage en bouche de la pièce, il est aussi conseillé d’éliminer les glycoprotéines salivaires avec une application d’acide orthophosphorique pendant 15 secondes (figure 3c) ou un jet de vapeur d’eau [11]. Après séchage rigoureux, une seule application de silane est réalisée sur l’intrados puis la pièce est idéalement placée dans un réchauffeur afin d’éliminer les molécules d’eau créées par la réaction chimique de silanisation (figure 3e).
Les matériaux composites nano-hybrides (Celtra Duo, Dentsply Sirona ; Cerasmart, GC ; Tetric CAD, Ivoclar), souvent mis en œuvre par des techniques CFAO, présentent un taux de conversion élevé leur conférant de bonnes propriétés mécaniques mais une mauvaise exposition des groupes promoteurs d’adhésion [12]. Le traitement consiste dans un premier temps, comme détaillé en figure 4, à sabler l’intrados des pièces avec de l’oxyde d’aluminium 27 ou 50 µm afin de provoquer l’exposition de ces groupements (figure 4a). Toujours dans le seul but de nettoyer la surface des glycoprotéines salivaires déposées à la suite de l’essayage en bouche de la pièce, il est conseillé d’appliquer de l’acide orthophosphorique pendant 15 secondes ou un jet de vapeur (figure 4b). Un agent de couplage de type silane est ensuite appliqué (figure 4c et 4d). Les molécules de silane (Monobond Plus, Ivoclar ; Ceramic Bond, Voco) vont se lier d’un côté aux nanocharges du composite et de l’autre côté aux groupements méthacrylate de la colle.
Les colles sans potentiel adhésif peuvent maintenant être distinguées en fonction de leur viscosité. En effet, depuis quelques années sont apparues des techniques remplaçant la colle sans potentiel adhésif par du composite de restauration réchauffé. Les colles classiquement utilisées et appelées « composite de collage » sont des composites diméthacrylate micro-chargés ou micro-hybrides fluides avec une importante phase résineuse. La figure 5 montre les différentes étapes de collage d’un onlay avec ce type de colle fluide (Variolink Esthetic DC, lvoclar). À l’insertion de la pièce prothétique, l’expulsion des excès de colle va envoyer celle-ci dans l’ensemble des espaces à proximité comme les embrasures cervicales, le pourtour de la dent ou sur les faces des dents adjacentes. Il est recommandé d’oblitérer les espaces cervicaux avec des bandelettes de téflon ou du fil dentaire (figures 5b et 5c). Avant la photopolymérisation sous pression occlusale, le retrait des excès est réalisé par essuyage des surfaces à l’aide de microbrush ou de pinceau sous un contrôle minutieux avec des aides optiques. Ces colles dites duales (photo et chémo-polymérisables) sont indiquées pour des pièces prothétiques d’épaisseur importante (supérieure à 4 mm) comme il est souvent observé pour certains onlays ou overlays.
La technique d’assemblage avec du composite de restauration réchauffé (figure 6) est maintenant bien codifiée [13]. Des dispositifs réchauffeurs (Calset Composite Warmer, AdDent Inc ; Ena Heat, Micerium) permettant d’atteindre une température de 68 °C abaissent la viscosité du composite. Le composite, devenu plus fluide, assure l’insertion de la pièce prothétique mais un insert ultrasonique (Insert C20, Satelec) est nécessaire pour assurer son bon positionnement (figure 6l). Il est à noter que la littérature ne rapporte pas d’effet agressif de la température élevée du composite et de la pièce prothétique sur la physiologie pulpaire [14]. D’autant que cette technique est adaptée aux pièces prothétiques relativement superficielles comme des table-tops ou des Veneerlays. En effet, les composites utilisés (G-aenial, GC ; Estelite Sigma Quick, Tokuyama) sont uniquement photopolymérisables, ce qui limite l’épaisseur des pièces à 3 à 4 mm maximum [14]. Le retrait des excès est favorisé par la viscosité. Il peut être réalisé à l’aide d’une sonde et une spatule à bouche avec un temps de travail important permettant de parachever l’état de surface du joint (figure 6f). Un autre avantage de cette technique est aussi une résistance mécanique supérieure à celle des colles duales et des propriétés optiques pérennes dans le temps [15].
Pour ces deux types de techniques, une photopolymérisation peut être réalisée en deux temps : d’abord quelques flashs afin de fixer le positionnement de la restauration et ensuite un éclairage de 1 minute pour chaque face. L’optimisation de la polymérisation du joint peut être obtenue après l’application d’un gel de glycérine isolant la surface de l’oxygène inhibiteur (figures 5d et 6g).
Le scellement dentinaire immédiat (IDS) est maintenant totalement intégré dans les protocoles des restaurations indirectes [16]. Cette technique consiste en l’oblitération des tubulis dentinaires immédiatement après l’élimination des tissus pathologiques et le sablage/mordançage des surfaces dentaires, par l’application d’un adhésif de type MR3 et de composite de restauration visqueux ou liquide (figures 7d à 7f). Les adhésifs de type MR3 sont les systèmes adhésifs recommandés pour l’IDS [16]. Leur conditionnement en un primer et un adhésif ainsi que la consistance de leurs composants favorisent une bonne imprégnation de la dentine et l’obtention d’un film d’épaisseur suffisant pour assurer la meilleure étanchéité. L’affinité aux adhésifs de la dentine fraîchement coupée est directement impliquée dans le développement au maximum du potentiel d’adhésion et donc dans la réussite finale du collage de la reconstitution. Enfin, la fermeture des tubulis diminue les sensibilités post-interventionnelles, ce qui est apprécié des patients et simplifie la gestion quotidienne au cabinet. Par la suite, l’intégration d’incréments de composite a pour fonction de combler les contre-dépouilles et donc de préserver les tissus résiduels [16]. La préparation de la dent se résume en un aménagement supprimant les tissus trop fragiles et donnant l’espace prothétique minimal au matériau de la reconstitution (figure 7g).
La remontée de marge est une relocalisation en coronaire des limites cavitaires [17]. Cette technique a pour but de faciliter la prise d’empreinte et d’assurer une adaptation marginale optimale de la reconstitution. Cependant, des conditions de réalisation doivent être respectées telles qu’une bonne étanchéité de la marge cervicale de la cavité initiale (figures 7b et 7c), la possibilité d’un matriçage respectant l’anatomie dentaire (figure 7c) et une préservation de l’espace biologique avec le parodonte [16]. Cette technique met en œuvre du composite de restauration (visqueux et liquide). Cependant, si un doute persiste sur l’étanchéité du dispositif d’isolation, il est recommandé de préférer le ciment verre ionomère, beaucoup plus tolérant à l’humidité (figures 7h à 7j).
Dans la famille des restaurations partielles postérieures, le composite stratifié représente, du point de vue du protocole de collage, un cas particulier car une seule interface est mise en jeu : les tissus dentaires [18]. Le traitement de la surface dentaire pourrait être similaire à la description faite précédemment mais il est néanmoins simplifié, dans la plupart des cas : mordançage par l’acide orthophosphorique à 37 % avec une application plus longue pour l’émail. En raison de leur petite taille, ces restaurations n’ont pas besoin d’un protocole plus complexe dans le traitement de la surface de l’émail ou de la dentine. Les masses de composite sont ensuite positionnées directement sur le système adhésif préalablement appliqué sur les tissus dentaires mordancés. Le choix du composite se porte actuellement sur les composites hybrides comportant différentes formes de charges minérales et dont les composés organiques ne sont pas des dérivés du Bis-GMA (Filtek Silorane, 3M Espe ; Clearfil Majesty, Kuraray ; Tetric, Ivoclar) [19].
Les indications des composites stratifiés sont réservées à des pertes de substance limitées en taille et en volume ainsi qu’en fonction de leur localisation [20, 21]. Pour ces restaurations directes, une attention particulière doit être portée à l’isolation de la dent, au matriçage de la cavité et à l’apport d’incréments de petite taille (figures 7 et 8). La technique consiste d’abord à fermer la cavité par la reconstitution de la ou des faces proximales (figure 8d) grâce à un apport mixte de composite de type bulk (Tetric EvoCeram, Ivoclar ; SonicFill, Kerr) et de composite fluide (Venus Bulk Fill, Heraeus Kulzer) pour favoriser l’étanchéité du joint [22]. Ensuite, chaque cuspide est reconstituée par le montage de différents incréments (figures 7e et 7f). La stratification du composite direct est composée d’ajout de petites masses de matériaux [23]. L’idée est de jouer sur la teinte des incréments pour influencer la teinte finale, de maîtriser l’anatomie et aussi de diminuer le stress de polymérisation. Ces contraintes de polymérisation sont provoquées par la diminution du volume induite par la prise des résines composites. Ce phénomène associé à l’adhésion du composite aux parois crée des contraintes internes néfastes pour le comportement biomécanique de la dent restaurée, pour la restitution des bons volumes de la dent, notamment au niveau du point de contact, et pour le fonctionnement biologique de la dent avec une souffrance pulpaire révélée par des sensibilités dentinaires [24].
Le choix du protocole de collage dépend donc du type de la reconstitution, de ses matériaux constitutifs et des conditions cliniques de leur assemblage. Dans une pratique quotidienne, il semble important d’avoir à disposition un système pour chaque famille de colle afin de pallier toute éventualité. Ces protocoles parfois exigeants sont aujourd’hui éprouvés et donnent une certaine sécurité dans la réussite du collage. À l’inverse, les simplifications des procédures régulièrement proposées montrent souvent leurs limites et demandent une vigilance accrue en termes de performances réelles. Il est indéniable que la qualité des systèmes de collage a fait entrer notre discipline dans une nouvelle ère où la préservation tissulaire est au centre des enjeux.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.