ORTHODONTIE PAR ALIGNEURS CHEZ LES PATIENTS EN COURS DE CROISSANCE PRÉVENTION DES CANINES ET PRÉMOLAIRES INCLUSES DANS LES CAS DE CLASSE 2 ET 3
Orthodontie
Spécialiste qualifié en Orthodontie. Exercice libéral à Marseille.
La séquence d’éruption dentaire doit être connue du praticien de façon à pouvoir anticiper de façon la plus précoce possible une difficulté d’éruption d’une dent définitive.
« En termes orthodontiques ou dentaires, le terme « incluse » signifie qu’une dent n’a pas fait son éruption au moment prévu ou qu’une dent ne peut pas faire son éruption parce qu’elle...
Le traitement des patients en cours de croissance par aligneurs permet de corriger avec une réponse orthopédique de croissance, les classes 2 et les classes 3, de façon aussi efficace qu’avec les multi-bagues. De même, la prévention de l’inclusion des canines et prémolaires est redoutablement efficace avec ces traitements en utilisant l’expansion qui est un mouvement extrêmement prédictible. La technique par aligneurs est un outil et son utilisation doit nécessairement être précédée d’un diagnostic et d’un plan de traitement orthodontique. Ce n’est pas l’intelligence artificielle ou le technicien qui vont décider du scénario des mouvements, ni de la position finale des dents, mais le praticien lui-même. Cet article décrit les protocoles à suivre pour prévenir le risque de dents incluses chez les patients en cours de croissance avec un décalage antéro-postérieur, dans les traitements par aligneurs.
La séquence d’éruption dentaire doit être connue du praticien de façon à pouvoir anticiper de façon la plus précoce possible une difficulté d’éruption d’une dent définitive.
« En termes orthodontiques ou dentaires, le terme « incluse » signifie qu’une dent n’a pas fait son éruption au moment prévu ou qu’une dent ne peut pas faire son éruption parce qu’elle n’a pas de place ou qu’elle se présente dans la mauvaise direction ou position. On ne sait pas toujours ce qui cause une dent incluse, les causes étant la plupart du temps plurifactorielles. Nous entendons souvent parler d’adolescents ou d’adultes plus âgés ayant des dents de sagesse incluses. Mais d’autres dents peuvent également être incluses. » [1]. La prévalence des dents incluses et les bonnes pratiques sont décrites sur le site de la Société française de stomatologie, chirurgie maxillo-faciale et chirurgie orale [2].
Nous pouvons considérer l’arbre décisionnel suivant face à une situation de dent permanente incluse (figure 1) [3].
Dans les traitements par aligneurs, au cours desquels nous avons la possibilité de récréer un espace ciblé au niveau de l’arcade, nous suivrons la règle ci-dessous de façon à assurer le succès de notre traitement d’orthodontie (encadré 1) [4-6].
C’est lors du pic pubertaire que l’action orthopédique sera la plus efficace et nous pouvons, avec les traitements par aligneurs, espérer un résultat similaire à ceux obtenus avec certains appareillages orthopédiques classiques. Les tableaux 1 et 2 issus d’études [7] confirment que le maximum de correction est obtenu lors du pic pubertaire.
C’est pourquoi il est primordial de bien savoir estimer le moment de ce pic de croissance, l’estimation des stades vertébraux (figure 2) étant la référence privilégiée de nos jours [8].
Pour estimer le moment du pic de croissance, on peut aussi se référer au potentiel auxologique de Delaire (figure 3) ou à l’enveloppe de Profitt et Ackerman (figure 4) [9, 10]. Le potentiel auxologique mandibulaire est un indicateur pronostique du traitement orthopédique des classes II.
« Le potentiel auxologique mandibulaire (figure 3) est le potentiel de croissance de la mandibule, il mesure l’équilibre mandibulaire chez un sujet et le compare à celui qu’il devrait normalement avoir. Les méthodes morphologiques consistent en l’analyse qualitative et la mise en relation des différentes parties de la mandibule. La méthode architecturale va permettre d’ajouter une dimension quantitative à l’évaluation. Une étude clinique sur 34 cas suivis a montré le lien entre le potentiel auxologique et la quantité de croissance squelettique mandibulaire. Cette étude a également mis en évidence une valeur seuil du potentiel auxologique de 79,5 % au-dessus de laquelle le praticien pourra attendre une réponse squelettique de la mandibule de façon trés fiable si le sujet est en àge orthopédique et si l’appareillage utilisé stimule la croissance squelettique mandibulaire. La digitalisation de l’analyse de Delaire permet d’avoir une précision plus fine de cette valeur, qui peut étre appréhendée par la seule analyse qualitative d’une téléradiographie de profil » [9].
• Évaluation de la croissance mandibulaire et de la réponse au traitement par appareil fonctionnel chez des patients prépubères présentant différentes catégories auxologiques : « Chez les patients prépubères de classe II, la réussite du traitement dépend non seulement du choix de l’appareil, des compétences du clinicien et de la durée correcte du traitement, mais aussi du potentiel de croissance individuel et du type de visage. Par conséquent, le diagramme de Lavergne-Petrovic pourrait devenir une aide précieuse pour le diagnostic et le pronostic de l’orthodontiste » [11].
• Évaluation des résultats d’un traitement orthodontique par gouttières transparentes par rapport à un appareil fixe chez une population d’adolescents présentant des malocclusions légères : « Les résultats du traitement des malocclusions légères chez les adolescents par aligneurs transparents ont montré une efficacité équivalente par rapport aux appareils fixes, avec des résultats significativement meilleurs pour le traitement par aligneurs transparents en termes d’alignement dentaire, de relations occlusales et d’overjet. L’évaluation du nombre de rendez-vous, du nombre de visites d’urgence et de la durée globale du traitement a montré de meilleurs résultats pour le traitement par gouttières transparentes » [12].
Une patiente de 11 ans, Laure (figures 5 à 8), vient consulter après 18 mois de traitement interceptif chez un confrère. Le plan de traitement du confrère évoque deux possibilités : extraction des molaires ou des premières prémolaires. Dès le premier rendez-vous, étant donné l’étroitesse et le manque de place à l’arcade supérieure, nous estimons que la solution des extractions n’est pas la meilleure des indications dans ce cas car elle risque de conduire dans le futur à une récidive et à une réouverture des espaces d’extractions.
À cet âge et étant donné le potentiel de croissance, nous préférons réaliser de l’expansion à l’arcade supérieure. Un traitement par aligneurs est donc recommandé avec la mise en place d’un scénario particulier qui consiste à réouvrir les espaces au niveau des canines depuis le début du traitement, en changeant le protocole par défaut du système. Nous reviendrons sur ce sujet en fin d’article.
Nous commençons avec un premier ClinCheck (figure 9) (vidéo 1) qui réouvre les espaces au niveau des prémolaires à la mandibule et au niveau des canines au maxillaire. Suite à cette réouverture d’espace, la 13 se mettra en place toute seule alors que la 23 se redresse mais apparaît sur l’arcade en position palatine.
La 23 sera prise en charge avec les aligneurs au moment où sa couronne clinique aura fait l’éruption nécessaire pour assurer un enveloppement dans l’aligneur, le plus complet possible. Il est à noter que, dans la technique par aligneurs, c’est la surface de contact de la dent avec l’aligneur qui va permettre le contrôle : plus cette surface est étendue, meilleure est l’adaptation de l’aligneur, et donc meilleur est le contrôle sur la dent (tableau 3) [13].
Finalement, après la prise en charge de la 23, nous pourrons finir la correction de la classe 2 jusqu’à l’obtention d’une classe parfaite et un centrage des points inter-incisifs (figures 10 à 15).
Pascal est un garçon de 10 ans (figures 16 à 20) (vidéo 2) que nous suivons depuis l’âge de 6 ans.
Il a bénéficié, à l’âge de 6 ans, d’une première interception avec disjonction intermaxillaire de façon à corriger son endognathie maxillaire, puis la mise en place de 12 et 22 a été réalisée avec un sectionnel et des multibagues. S’en est suivie une seconde phase interceptive au cours de laquelle un arc transpalatin a été mis en place afin de maintenir le sens transversal.
Suite à la perte de la dent 55 pour raison carieuse, la 16 s’est mésialée. Cette mésialisation a entraîné un manque de place pour la 15. Vu le contexte hyperdivergent de classe 3, il est absolument nécessaire, comme dans le cas précédent, de ne procéder à aucune extraction, l’expansion étant le meilleur choix thérapeutique à proposer au patient dans ce contexte. Le risque majeur des extractions est de réduire le développement de l’arcade à cet âge et, vu le contexte de classe 3 hyperdivergent associé à une position basse de la langue, l’expansion s’avère ici la meilleure option.
Il aurait été éventuellement possible de refaire une deuxième disjonction plus tard mais ceci aurait simplement permis de gérer le sens transversal. Nous n’aurions pas pu rouvrir les espaces de façon ciblée comme nous pouvons le faire avec les aligneurs. Nous avons donc procédé à une réouverture des espaces de 15, 13, 23 avec le ClinCheck (figure 17) en demandant un staging différent du staging par défaut : ce staging consiste à rouvrir les espaces depuis le début en effectuant des distalisations en masse.
Les 13 et 23 sont sorties en position plus vestibulaire (en comparaison avec le cas clinique précédent où la 23 était sortie en position palatine) et l’égression est gérée par la mise en place de boutons et d’élastiques (n° 12, réf. 772-124-00, Dentaurum) positionnés en forme de triangle, avec la pointe vers le haut (figures 21 à 28).
Pour les patients de ces 2 cas cliniques, l’extraction des dents de sagesse sera réalisée par la suite.
La correction du sens sagittal et vertical chez les adolescents en cours de croissance est beaucoup plus prévisible que chez les adultes si on commence pendant le pic pubertaire [14]. Il faut donc commencer à temps !
Une modification particulière est requise sur le staging car le staging du ClinCheck est différent de celui des adultes.
Attention également au phénomène de glissement avec les aligneurs et les élastiques qui peut entraîner des surcorrections rapides et plus importantes qu’avec les multi-bagues.
En effet le contact plastique/plastique s’avère très favorable aux corrections orthodontiques et orthopédiques rapides en raison de la perte des contacts cuspidés, d’où le risque de surcorrections.
Dans le cas où nous souhaitons prévenir la survenue de dents incluses et où nous intervenons à temps, des règles sont à suivre (encadré 2).
• Protocole 1. On demande une expansion avec une réouverture ciblée des espaces depuis le stage 0 en demandant un changement du protocole par défaut et une distalisation en masse bi ou unilatérale selon le besoin.
• Protocole 2. En même temps que les espaces sont réouverts, nous utilisons des mécaniques de classe 2 ou de classe 3 selon les cas. La correction orthopédique de la classe 2 ou de la classe 3 se fait en même temps que la réouverture des espaces pour les dents pour lesquelles on risque une inclusion. Dans les cas de classe 3, les boutons sont collés en palatin des premières molaires pour permettre d’avoir une composante transversale des élastiques de classe 3 qui aille dans le sens de l’expansion (figure 29).
• Protocole 3. Pour les élastiques de classe 3, penser à mettre des élastiques avec des boutons en palatin des 16 et 26 de façon à avoir une action transversale des élastiques pour l’expansion.
• Protocole 4. Dans les cas où on intervient très précocement, l’expansion, bien sûr, est la clé dans ces traitements et elle doit être réalisée en premier.
La correction du sens antéro-postérieur par aligneurs chez les patients en cours de croissance peut se révéler très efficace et rapide. L’expansion permet de prévenir, dans le même temps, la survenue de dents incluses dans les cas d’arcades étroites.
L’analyse de ces deux cas cliniques montre bien que les extractions sont la solution à proscrire dans ces cas de classe 2 et de classe 3 combinant des arcades étroites car elles risquent de conduire dans le futur à une récidive et à une réouverture des espaces d’extraction en plus des risques évidents d’inclusion de dents permanentes. L’expansion reste, dans ces cas typiques, le meilleur choix thérapeutique.
Un traitement par aligneurs avec mise en place d’un scénario particulier est donc extrêmement indiqué. Il convient alors de changer le protocole du ClinCheck, en demandant un staging différent du staging par défaut du système : ce staging consiste à rouvrir les espaces de façon ciblée avec une distalisation en masse comme nous pouvons le faire avec les aligneurs, et ce depuis le début du traitement.
La prise en charge de la correction de la déglutition et de la cinétique de la langue est à réaliser au cours du traitement de façon à prévenir les récidives.
Les règles de la contention suite à la réalisation de ces traitements sont les mêmes que pour tout autre traitement d’orthodontie réalisé avec une autre technique, à savoir une contention nocturne prolongée avec des gouttières englobant les deuxièmes molaires et la gestion des dents de sagesse par la suite, le moment venu.
L’auteur déclare avoir des liens d’intérêts avec Invisalign® mais déclare que le contenu de cet article ne présente aucun conflit d’intérêts.
« L’intervention précoce pour favoriser une éruption spontanée est conditionnée par 3 points :
– la dent retenue est proche de son couloir d’éruption physiologique ;
– l’espace sur l’arcade est suffisant pour permettre son émergence spontanée ;
– la racine de la dent permanente n’est pas totalement édifiée.
(…) Dans le cas où les trois conditions citées sont remplies, le pourcentage d’émergence spontanée est très variable selon les auteurs. Ce taux semble s’élever à 90 % selon les études de Bryan [4] et celle de Leyland [5], avec une durée moyenne de 9 mois jusqu’à l’émergence » [6].
1. Rouvrir l’espace dès que possible.
2. Replacer la dent sur sa trajectoire.
3. La racine ne doit pas être totalement construite.
Lorsque ces 3 conditions sont réunies, le pourcentage d’éruption dentaire spontanée peut varier. Mais suite aux études réalisées par Brian (2005) [4] et Leyland (2006) [5], il semble que le taux de réussite soit de 90 % en 9 mois.