Clinic n° 03 du 01/03/2023

 

Orthodonti

Anne-Marie SCORTECCI*   Julia ROS ALSINA**  


*Exercice libéral exclusif en ODF à Nice.
**Exercice libéral exclusif en ODF à Nice.

Les béances représentent entre 25 et 38 % des patients traités en orthodontie [1]. Plusieurs facteurs sont impliqués dans l’étiologie de cette malocclusion : la direction de croissance, les habitudes pernicieuses, les facteurs fonctionnels (déglutition atypique, ventilation buccale, hypertrophie adénoïdienne), des syndromes généraux, les forces éruptives et occlusales, les ankyloses dentaires ou le déséquilibre postural...


Résumé

Dans de nombreux cas, les anomalies du sens vertical, horizontal et transversal sont parfois combinées, rendant le cas complexe du fait des interactions tridimensionnelles.

Un diagnostic exhaustif et précis est nécessaire pour établir un plan de traitement adapté qui prend en compte les différents paramètres cliniques, la demande, les attentes du patient, son état initial, son âge et la nécessité de recourir à d’autres spécialistes en plus de l’orthodontiste.

Dans cet article sont décrits deux cas cliniques complexes : un cas de béance antérieure dans un contexte hyper-divergent avec un parodonte à risque ; une classe II-1 dans un contexte hypo-divergent, avec rétrognathie mandibulaire et supraclusie totale. Ces deux cas sont traités par aligneurs.

Les béances représentent entre 25 et 38 % des patients traités en orthodontie [1]. Plusieurs facteurs sont impliqués dans l’étiologie de cette malocclusion : la direction de croissance, les habitudes pernicieuses, les facteurs fonctionnels (déglutition atypique, ventilation buccale, hypertrophie adénoïdienne), des syndromes généraux, les forces éruptives et occlusales, les ankyloses dentaires ou le déséquilibre postural mandibulaire [2]. Des facteurs comme la complexité du traitement et l’âge du patient en début du traitement compliquent la correction et la stabilité du traitement [2].

Plusieurs alternatives mécaniques ont été décrites dans la littérature : la grille palatine [2], l’extraction de prémolaires ou premières molaires [3], l’utilisation des mini-vis ou de mini-plaques [4] et la chirurgie orthognathique [5].

Une fois le diagnostic, le plan de traitement et les objectifs définis, la technique la plus appropriée en découlera automatiquement.

L’objectif de cet article est de décrire les choix thérapeutiques réalisés sur des cas complexes en prenant en compte tous les paramètres.

CAS CLINIQUE N° 1

Diagnostic et étiologie

Patiente âgée de 30 ans, présentant des problèmes de phonation, de déglutition primaire avec une contraction de la houppe du menton et une faible efficacité masticatoire. L’interposition linguale et la contraction intempestive des muscles péribuccaux entraînent un état dentaire de béance antérieure sévère.

L’analyse faciale montre un visage symétrique, avec une augmentation du tiers inferieur de la face, un profil légèrement concave et une incompétence labiale.

L’analyse du sourire montre une diminution de l’exposition des incisives maxillaires, avec les milieux centrés (figure 1).

À l’analyse intra-orale, la patiente présente une classe I molaire bilatérale avec une occlusion inversée droite due à une endo-alvéolie maxillaire (figure 2).

Fonctionnellement, la patiente présente une ventilation buccale, une interposition linguale avec une déglutition primaire et des défauts de phonation, un état parodontal inflammatoire avec un parodonte fin de type IV selon la classification de Maynard et Wilson (1980).

L’analyse céphalométrique montre une classe I squelettique dans un contexte hyper-divergent avec une pro-alvéolie des incisives maxillaires (figure 3).

Objectifs du traitement

Les objectifs du traitement sont la correction de la béance et du sens transversal sans aggraver le sens vertical tout en maintenant la relation de classe I dentaire.

Plan de traitement

Pour assurer une stabilité à la fin du traitement, la rééducation linguale est réalisée pendant le traitement actif.

• Le premier traitement proposé est un traitement ortho-chirurgical avec disjonction maxillaire pour la correction du sens transversal sans action sur le parodonte dans un premier temps et, dans un deuxième temps, une impaction maxillaire postérieure pour avoir une autorotation mandibulaire antérieure qui aide à la correction de la béance et élimine l’incompétence labiale.

• Une deuxième option de traitement est l’extraction des premières molaires ou prémolaires, avec la fermeture des espaces d’extraction par dérive mésiale postérieure totale. Cette option corrige la béance antérieure grâce au redressement et à l’égression des incisives et grâce à la rotation anti-horaire de la mandibule.

• Une troisième alternative est l’extraction des troisièmes molaires avec une ingression molaire maxillaire et mandibulaire et une égression simultanée des dents antérieures. Cette option a le potentiel de corriger la béance antérieure avec peu de changements faciaux. La patiente n’accepte pas le traitement chirurgical de la première option à cause de son impact au niveau du visage.

La deuxième option est écartée à cause du risque d’aggravation de la rétrusion de la lèvre lors de la rétraction des dents antérieures ainsi que du contexte parodontal.

Bien que la troisième option présente la biomécanique la plus complexe et un contexte parodontal à risque, cette option est retenue. Les risques et les possibles compromis au niveau des résultats sont expliqués en détail à la patiente de même que l’aggravation des récessions gingivales à cause de la thérapeutique (expansion et égression).

Un assainissement parodontal avant le début du traitement ainsi qu’un suivi tout au long de la phase active sont demandés.

L’extraction des troisièmes molaires est obligatoire avant le début du traitement.

Prescription

La prescription pour la commande des aligneurs présente quelques spécificités afin d’atteindre les objectifs souhaités :

– égression des blocs incisivo-canins maxillaire et mandibulaire pour fermer la béance ;

– ingression postérieure maxillaire et mandibulaire afin de ne pas aggraver l’hyper-divergence et permettre l’autorotation mandibulaire ;

– aucune vestibulo-version des incisives mandibulaires compte tenu de l’hyper-divergence et de la finesse parodontale.

Il ne sera pas nécessaire de faire porter les élastiques intermaxillaires pour corriger l’occlusion inversée présente sur les prémolaires. Elle se fera spontanément pendant l’expansion bilatérale car les molaires sont déjà en occlusion.

La première série comporte 27 aligneurs au total.

Progression du traitement

Après 12 mois de traitement avec les élastiques de classe II (pour ne pas perdre la relation de classe I molaire et canine), l’occlusion inversée est corrigée.

À la fin de la première série d’aligneurs, la béance antérieure est fermée (figure 4).

Une deuxième série d’aligneurs est demandée pour parfaire le résultat.

À l’arcade mandibulaire, la position de la 34 est corrigée et le recouvrement amélioré.

Résultats du traitement

L’harmonie faciale, l’amélioration du sourire et une bonne inter-cuspidation dentaire sont atteintes. L’analyse clinique et l’analyse céphalométrique montrent la fermeture de la béance de 5,5 mm jusqu’à 1 mm de recouvrement.

Les molaires maxillaires ont été ingressées et les incisives maxillaires égressées (mouvement possible car le sourire est pauvre).

Il n’y a pas d’évidence de résorptions radiculaires à l’examen radiographique.

Au niveau parodontal, le résultat est acceptable malgré un contrôle moyen du parodonte (irrégularité de visite chez le parodontologiste malgré les recommandations).

Le résultat du traitement s’est maintenu stable jusqu’à 2 ans après la phase active (figures 5 et 6).

Il ne persiste pas de béance antérieure.

À la fin du traitement, la déglutition atypique est corrigée avec une nette amélioration de la phonation.

Discussion

Dans le cas présent, le motif de consultation de la patiente est la gêne occasionnée par la béance et la difficulté masticatoire. La gêne esthétique consiste uniquement en un sourire étroit et pauvre.

Il est possible dans ce cas, même si l’option chirurgicale est la seule qui permet de résoudre tous les problèmes, d’arriver à un compromis acceptable.

L’avantage du traitement par aligneurs est le contrôle des mouvements, notamment pour l’expansion : le nivellement se faisant de façon plus lente, il est plus simple de contrôler les mouvements d’expansion et d’égression nécessaires dans ce cas.

Malgré un parodonte inflammatoire plus ou moins bien contrôlé pendant toute la durée du traitement (avec l’impossibilité pour la patiente d’arrêter la cigarette – 1,5 paquet par jour – et un manque de régularité chez le parodontologiste), il y a peu d’aggravation de la situation parodontale.

CAS CLINIQUE N° 2

La supraclusion incisive est un motif de consultation fréquent. Elle est également à l’origine de nombreux délabrements puisqu’elle crée une occlusion traumatique au niveau dentaire mais également des troubles des ATM [6]. Sa correction ainsi que la stabilité du résultat représentent aujourd’hui un vrai défi orthodontique [7-9].

Diagnostic et étiologie

Patiente âgée de 30 ans qui consulte pour une gêne esthétique (encombrement antérieur) et des douleurs au niveau des ATM. Une tendance au bruxisme diurne et nocturne est rapportée avec des claquements et une position rétruse de la mandibule.

À l’examen facial, on observe au repos une bonne fermeture labiale naturelle, une diminution de l’étage inférieur de la face et un profil convexe avec une position rétruse de la mandibule.

L’angle naso-labial est normal. La lèvre inférieure est éversée.

L’analyse du sourire montre une position correcte des incisives maxillaires (figure 7).

L’examen intra-oral révèle une classe II complète bilatérale, un surplomb augmenté, un recouvrement antérieur de 100 %, avec une courbe de Spee profonde ainsi qu’un encombrement maxillaire et mandibulaire important (figure 8).

L’analyse céphalométrique confirme une rétrognathie mandibulaire dans un contexte squelettique hypo-divergent avec une incisive mandibulaire vestibulo-versée et égressée (figure 9).

Objectifs du traitement

Les objectifs du traitement sont de corriger l’endo-alvéolie maxillaire et mandibulaire, la classe II et la supraclusion antérieure et d’obtenir un repositionnement mandibulaire antérieur pour soulager l’ATM.

Le premier plan de traitement proposé à la patiente est l’option chirurgicale pour corriger le décalage de classe II et améliorer le sens vertical. La patiente refuse catégoriquement la solution chirurgicale qui ne peut pas lui assurer à 100 % une résolution des douleurs articulaires sans aucune autre gêne post-chirurgicale : cette solution est donc écartée. Nous optons pour un compromis qui semble acceptable et atteignable.

Compte tenu de la position rétruse de la mandibule, accentuée par la forme des arcades en lyre, nous pouvons espérer que, en déverrouillant la mâchoire inférieure par nivellement et à l’aide des élastiques intermaxillaires de classe II, nous pourrons avoir un repositionnement mandibulaire.

Bien entendu, il est impossible de le quantifier initialement. C’est pour cela que la prescription initiale des aligneurs est 70 % de distalisation et 30 % de repositionnement mandibulaire. Cette répartition est arbitraire.

Il est donc nécessaire de bien expliquer à la patiente nos objectifs et ce que l’on peut attendre au niveau des résultats :

– nivellement maxillaire et mandibulaire à 100 % ;

– repositionnement mandibulaire non quantifiable et très dépendant de la coopération de la patiente ;

– résolution des problèmes d’ATM non quantifiable.

À l’examen clinique, les incisives mandibulaires sont vestibulo-versées mais, compte tenu de la typologie hypo-divergente et du parodonte épais favorable, une éventuelle vestibulo-version des incisives mandibulaires est acceptable.

La réalisation du stripping est inévitable et cette information est expliquée à la patiente.

Progression du traitement

La prescription pour la fabrication des aligneurs est la suivante :

– ingression antérieure maxillaire et mandibulaire ;

– égression latérale et postérieure ;

– rampes rétro-incisives maxillaires ;

– expansion maxillaire et mandibulaire ;

– distalisation des molaires de 70 % et saut d’occlusion de 30 % ;

– pas de vestibulo-version des incisives mandibulaires ;

– traction intermaxillaire de classe II.

Les élastiques vont permettre l’expression de la distalisation maxillaire prévue par les aligneurs ainsi que le repositionnement mandibulaire.

Les rampes permettent l’expression en partie de l’égression des secteurs latéraux (figure 10). C’est un parti pris de ne pas mettre de mini-vis en première intention car nous souhaitons voir le repositionnement mandibulaire.

Pour les patients avec des problèmes au niveau des ATM, nous travaillons en partenariat avec les ostéopathes à la pose des gouttières, en cours du traitement et à la fin du traitement au minimum.

Résultats et conclusion

À la fin du traitement d’orthodontie, la patiente n’a plus de douleurs.

L’équilibre facial est respecté avec une fermeture labiale normale, un angle naso-labial et un angle labio-mentonnier normaux et un profil harmonieux.

La supraclusion est corrigée sans appauvrir le sourire.

La relation antéro-postérieure est corrigée et on retrouve un overjet antérieur normal.

La santé dentaire et parodontale est préservée.

Même si elle reste hypo-divergente, l’analyse céphalométrique finale montre une légère ouverture du plan mandibulaire (SN/MP = 27,5°).

Les incisives mandibulaires sont légèrement vestibulo-versées (i-NB = 6,4 mm).

Au niveau du profil, on observe une amélioration du tiers inférieur de la face avec un repositionnement mandibulaire (figures 11 et 12) et une meilleure relation entre les lèvres supérieure et inférieure.

Liens d’intérêt

Anne-Marie Scortecci déclare des liens d’intérêts avec Align Techology en tant que conférencière et déclare que le contenu de cet article ne présente aucun conflit d’intérêts. Julia Ros Alsina déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.

BIBLIOGRAPHIE

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  • 7. Baccetti T, Franchi L, Giuntini V, Masucci C, Vangelisti A, Defraia E. Early vs. late orthodontic treatment of deepbite: A prospective clinical trial in growing subjects. Am J Orthod Dentofacial Orthop 2012;142:75-82.
  • 8. Egermark I, Magnusson T, Carlsson GE. A 20-year follow-up of signs and symptoms of temporomandibular disorders and malocclusions in subjects with and without orthodontic treatment in childhood. Angle Orthod 2003;73:109-115.
  • 9. Philippe J. Contention et classe II, division 2. L’Orthodontie Bioprogressive 1995;mai:35-40.