Clinic n° 02 du 01/02/2023

 

Chirurgie

Orale

Brendan GUÉGAN*   Vincent BENARD**   Théo CASENAVE***   Philippe LAPEYRIE****  


*AH, Chirurgien oral.
**AH, Chirurgien oral.
***AH, Chirurgien oral.
****PH, Chirurgien oral. Service de Chirurgie orale, CHU Nîmes.

La projection de la troisième molaire dans la fosse infra-temporale est une complication rare, souvent évoquée, peu rapportée. Elle est régulièrement décrite comme l’une des complications per-opératoires les plus graves lors de l’avulsion des dents de sagesse. Un délai de récupération entre la 3e et la 6e semaine est rapporté selon les auteurs et la technique.

L’avulsion des troisièmes molaires est un acte courant de chirurgie orale qui possède, comme toute chirurgie, son lot de complications. Ces dernières sont de l’ordre de 5 %. La fracture de tubérosité, la fracture radiculaire, la perforation du sinus maxillaire avec ou non projection de la dent, le prolapsus du corps adipeux de la joue sont les plus fréquentes [1]. Parmi les incidents per-opératoires, la projection de la troisième molaire dans la fosse infra-temporale est une complication rare pour laquelle aucune indication dans la prise en charge n’est proposée. Les données manquent de détails et de précisions concernant la technique chirurgicale ou le délai d’action. Ce cas, rédigé selon le protocole CARE [2], rapporte avec précision une prise en charge empirique.

CAS CLINIQUE

Un patient de 16 ans, de type caucasien, sans antécédents médicaux, a été adressé dans le service de chirurgie orale par son chirurgien-dentiste pour avulsion des 4 troisièmes molaires. Il présentait des antécédents de douleurs au niveau des sites des troisièmes molaires mandibulaires.

L’examen clinique et radiographique (orthopantomogramme) (figure 1) a montré que les troisièmes molaires étaient incluses avec un potentiel d’éruption défavorable et que le patient avait une ouverture buccale normale. Une discussion des bénéfices et des risques a été réalisée avec le patient (infection, saignement, projection dans le sinus, lésion du nerf alvéolaire inférieure, fracture mandibulaire, anesthésie locale et générale ; le risque de projection dans la fosse n’a pas été mentionné). Il a donné son consentement qui a été signé par les deux responsables légaux.

Il a alors été décidé de procéder à l’avulsion des 4 troisièmes molaires à l’état de germe (stade 6 de Nolla), sous anesthésie générale (souhait du patient).

L’avulsion a été réalisée par un chirurgien spécialiste en chirurgie orale, droitier, positionné à droite du patient, ayant 3 ans d’expérience. Le geste a consisté, au maxillaire, à la réalisation d’une incision vestibulaire intra-sulculaire initiée au niveau de la deuxième molaire maxillaire gauche, prolongée distalement sur la tubérosité maxillaire. Puis, décollement d’un lambeau muco-périosté, chargé à la lame malléable, le cale-bouche en place. Au cours de la luxation à l’élévateur courbe, le germe de la troisième molaire maxillaire gauche a été soudainement perdu de vue. L’alvéole était vide et une communication avec le sinus était présente.

Une radio de profil et de face a été réalisée immédiatement en per-opératoire, montrant la présence du germe latéralisé par rapport au sinus en arrière de l’arcade zygomatique dans l’espace infra-temporal (figure 2). Le lambeau muco-périosté a été étendu en mésial et distal. Une recherche minutieuse à l’endoscope a été réalisée sans jamais retrouver la dent.

Malgré la tentative de récupération immédiate sous endoscope la recherche a été arrêtée, le site refermé au fil tressé résorbable 3.0 et l’avulsion des autres germes a été réalisée. Le patient a été placé sous antibiotique (amoxicilline + acide clavulanique pendant 7 jours), antalgique (paracétamol, tramadol) et bain de bouche antiseptique à la chlorhexidine (pendant 7 jours).

L’échec d’avulsion a été expliqué au patient et à la famille de même que les risques, les suites post-opératoires et la conduite à tenir.

Un rendez-vous de contrôle a été donné au patient à 1 semaine avec CBCT de contrôle. Le jour de la consultation, le patient n’avait pas réalisé le CBCT. Il présentait une limitation de l’ouverture buccale, des douleurs bilatérales résiduelles mais non spécifiques au site de la troisième molaire maxillaire gauche et attribuables aux suites opératoires classiques des germectomies des troisièmes molaires. À 15 jours, le patient est revenu avec un CBCT (Newtom). Il présentait une ouverture buccale à 40 mm et la symptomatologie était absente. L’examen du CBCT avec les différentes coupes et la reconstruction en 3 dimensions a permis de localiser avec précision le germe de la troisième molaire maxillaire gauche. Il était positionné en arrière de l’arcade zygomatique dans la fosse infra-temporale (figure 3). Il a été conseillé au patient de revenir immédiatement en cas d’apparition du moindre symptôme.

Nous avons programmé à 13 semaines post-opératoires la réintervention sous anesthésie générale, l’inquiétude de la famille se faisant ressentir devant la persistance de cette dent malgré l’absence de symptôme du patient. Les bénéfices/risques ont été expliqués au patient et à sa famille concernant le risque d’échec de récupération, les risques liées aux éléments vasculo-nerveux nombreux de cette zone, la nécessité d’un abord éventuellement cutané exobuccal en cas d’échec par la voie strictement endobuccale, le risque de paralysie faciale, la morbidité, les séquelles esthétiques et fonctionnelles potentielles. Les responsables légaux et le patient ont donné leur consentement pour la récupération chirurgicale sous anesthésie générale.

Trois jours avant l’intervention, un nouveau CBCT (Newton) est réalisé afin de confirmer la position de la dent (figure 4), cette dernière ayant pu migrer entre le premier CBCT post-projection et le dernier, comme déjà décrit dans la littérature. Ceci est en effet constaté mais de façon peu significative avec une très légère migration vers le bas entre les clichés à 11 jours et à 13 semaines.

Une incision intra-sulculaire vestibulaire à la lame 15 a été initiée en mésiale de la première prémolaire maxillaire gauche, prolongée en crestale en arrière de la tubérosité, puis une décharge en mésiale de la prémolaire en direction du cintre zygomatique a été effectuée. Un décollement et une élévation d’un lambeau muco-périosté ont été réalisés (figure 5).

Nous avons palpé à travers le périoste à l’aide d’un instrument à bout mousse la zone où devait se situer la dent. Une fois la dent repérée, la dissection des tissus au bistouri électrique a été effectuée jusqu’au contact de la dent.

La dent a été localisée à travers le périoste dans les tissus buccaux, dans une capsule fibreuse ferme qui la stabilisait (figure 6). Une fois la capsule suffisamment disséquée à la monopolaire, la dent a été saisie fermement avec une pince de Ulrich à griffe et retirée en appliquant une force relativement conséquente, signe de la stabilité que provoque l’encapsulation fibreuse (figure 7).

Le site a ensuite été rincé par une solution saline puis refermé (figure 8).

L’hémostase n’a pas été accentuée au-delà de la dissection à la monopolaire, le saignement étant minime. Une compresse humide a été laissée en compression durant 20 minutes après la suture.

Le patient a été placé sous antibiotique (amoxicilline + acide clavulanique pendant 7 jours), antalgique (paracétamol, tramadol), antiseptique locaux (chlorhexidine en bain de bouche).

Nous avons revu le patient à 15 jours post-opératoire, soulagé de la récupération de la dent. Il était totalement asymptomatique avec une ouverture buccale à 40 mm et rassuré de la bonne réussite de l’opération. Il a décrit des légères douleurs pendant 2 jours en post-opératoire calmées par le paracétamol 1 g, sans limitation de l’ouverture buccale et avec un léger œdème.

DISCUSSION

Les méthodes de récupération et les délais sont choisis en fonction du plateau technique disponible. Le délai avant récupération est source de débat : certains auteurs recommandent une prise en charge précoce pour éviter tout phénomène infectieux grave alors que d’autres recommandent une prise en charge différée entre 3 et 6 semaines pour permettre sa migration vers le bas [3] et la formation d’une capsule fibreuse [4] (comme rapporté dans notre cas à 13 semaines). En effet, la migration vers le bas rend la dent plus accessible alors que la formation de la capsule fibreuse la stabilise et diminue le risque de projection plus profonde. Le bénéfice de différer la récupération est tout de même à mettre en balance avec le risque de complication infectieuse grave [5].

Plusieurs abords sont rapportés : intra-sulculaire [6], dans le fond du vestibule [7], trans-sinusien [8], voie de Gillies [9] ou encore hémi-coronale [4]. Ici, l’incision intra-sulculaire avec un lambeau large et un abord initial sous-périosté a permis de bien visualiser le site opératoire ainsi que les structures anatomiques et de ne passer le périoste qu’au plus proche de la dent. Ceci a facilité sa localisation et nous a évité d’être gêné par le corps adipeux de la joue. La palpation à travers le périoste avec un instrument mousse permet de s’assurer de la bonne localisation de la dent. L’utilisation du bistouri électrique monopolaire est un atout majeur : il permet d’assurer une hémostase et une incision sans risque d’exercer des forces défavorables sur la dent pouvant la projeter au-delà de sa zone actuelle.

Le retrait de la cale buccale ou de l’ouvre-bouche latéral doit être systématique lors de l’avulsion des troisièmes molaires maxillaires incluses. L’ouverture buccale met en tension les muscles masticateurs qui se plaquent contre le vestibule, réduisant le champ de vision et l’abaissement du coroné associé, ce qui entraîne l’ouverture de la charnière zygomatique facilitant la projection iatrogène de la dent [10].

CONCLUSION

Ce rapport de cas rappelle l’importance de mettre en place un instrument en distal de la tubérosité (écarteur, rugine, autre…) pour guider l’élévation et faire obstacle à la projection de la dent sous le lambeau et les tissus moux, de garder un contact visuel constant de la dent, de retirer l’ouvre-bouche et enfin de ne pas exercer de forces excessives, non contrôlées et à l’aveugle.

Lors de la récupération, le bénéfice attendu en temporisant est à mettre en balance avec le risque de complication infectieuse grave.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Pourmand PP, Sigron GR, Mache B, Stadlinger B, Locher MC. The most common complications after wisdom-tooth removal. Part 2: A retrospective study of 1,562 cases in the maxilla. Swiss Dent J 2014;124:1047-1051,1057-1061.
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  • 9. Shruthi TM, Shetty A, Imran M, Akash KS, Ahmed F, Ahmed N. Removal of displaced maxillary third molar using modified Gillie’s temporal approach. Ann Maxillofac Surg 2020;10:210-212. [doi.org/10.4103/ams.ams_254_19]
  • 10. Elgbouri H, Boulaadas M, Nassih M, et al. [A very unusual complication of the extraction of a wisdom tooth]. Rev Stomatol Chir Maxillofac 1999;100:82-84.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.