PRÉVENIR LES MALADIES BUCCALES, AGIR POUR L’ENVIRONNEMENT
Santé
Durable
François RITTIÉ* Céline CLÉMENT** Vanessa MOBY***
*CCU-AH en Réhabilitation orale, Université de Lorraine, Faculté d’Odontologie. Service d’Odontologie, CHRU Nancy. Activité salariée à Nancy. Militant à Greenpeace.
**MCU-PH en Santé publique, Université de Lorraine, Faculté d’Odontologie. Service d’Odontologie, CHRU Nancy.
***MCU-PH en Réhabilitation orale, Université de Lorraine, Faculté d’Odontologie. Service d’Odontologie, CHRU Nancy.
Les maladies buccales touchent la moitié de la population mondiale (3,5 milliards de personnes). La maladie carieuse et la maladie parodontale concernent respectivement 2,3 milliards et 796 millions de personnes dans le monde. En France, les maladies carieuses et parodontales sont également très présentes : 33 % des individus sont atteints de caries au stade dentinaire, 70 % présentent des gingivites et 5 % des parodontites sévères [
La protection de l’environnement est incontournable et constitue aujourd’hui un enjeu de santé publique. Pourtant, force est de constater que sa prise de conscience dans les domaines médicaux, et a fortiori en odontologie, peine à trouver sa place. Comment inverser cette tendance ? La clé principale ne se trouverait-elle pas dans la prévention ? Comment améliorer simultanément la santé buccodentaire des patients tout en minimisant l’impact environnemental des soins au cabinet dentaire ? Le praticien et le patient sont les deux piliers de cette prise de conscience. Le praticien joue un rôle clé à la fois en donnant des conseils appropriés au patient et en réorganisant son activité de soins de façon à limiter le plus possible son empreinte carbone. Le patient est le deuxième acteur de cette équipe en choisissant des produits d’hygiène ayant un impact environnemental le plus faible possible mais compatibles avec une santé orale optimale.
Les maladies buccales touchent la moitié de la population mondiale (3,5 milliards de personnes). La maladie carieuse et la maladie parodontale concernent respectivement 2,3 milliards et 796 millions de personnes dans le monde. En France, les maladies carieuses et parodontales sont également très présentes : 33 % des individus sont atteints de caries au stade dentinaire, 70 % présentent des gingivites et 5 % des parodontites sévères [1]. Leur traitement demande des soins plus ou moins invasifs occasionnant de multiples rendez-vous et la consommation de matériaux et d’énergie ayant un impact sur l’environnement, exprimé dans la littérature en termes d’émissions de gaz à effet de serre (GES). Ainsi, le secteur dentaire représenterait 3 % des émissions de GES en Angleterre selon le rapport du Center for Sustainable Healthcare publié en 2018 [2]. Les systèmes de santé, prévus pour améliorer la santé des populations, nuisent donc paradoxalement à la planète en participant au changement climatique qui menace à son tour la santé humaine et la qualité de vie.
Cet article a pour objectif de donner des pistes afin de réduire l’impact environnemental du cabinet dentaire sous un axe particulier, celui de la prévention.
Il existe une relation étroite entre les maladies buccales et les maladies systémiques, notamment avec les maladies cardiovasculaires et respiratoires, les cancers, le diabète et la polyarthrite rhumatoïde. Ces liens réciproques s’expliquent de plusieurs façons. D’une part, les maladies buccales peuvent se développer et/ou s’aggraver sous l’influence des maladies systémiques. La cavité orale est d’ailleurs souvent le site de diagnostic précoce de ces maladies. D’autre part, des processus inflammatoires et bactériens liés à la présence de maladies buccales peuvent générer à distance d’autres maladies, par dissémination respiratoire, digestive ou sanguine [3]. Les individus sont donc susceptibles de cumuler des maladies qui parfois évoluent en codépendance. Celles-ci ont un coût pour la société et un impact sur l’environnement. Le secteur de la santé contribuerait aux dérèglements climatiques à hauteur de 8 % des GES de la France [4].
Or, la plupart des affections bucco-dentaires sont des maladies chroniques évitables. Le développement des maladies buccales dépend en effet, dans un environnement donné, de l’exposition des individus à des facteurs de risque souvent communs à d’autres maladies chroniques non transmissibles, identifiés et donc en théorie évitables (figure 1). Ainsi, l’absence ou le faible contrôle de l’hygiène buccale, un déficit en apport de fluorures, une alimentation fractionnée et riche en hydrates de carbone, la consommation de boissons acides, de tabac et/ou d’alcool ainsi que le stress sont des facteurs qui, cumulés, favorisent l’apparition et/ou l’aggravation des maladies buccales. Prenons l’exemple de la consommation de tabac dont les effets sur la santé sont largement connus. Celle-ci est associée à une altération de la santé parodontale, y compris chez les sujets jeunes. Elle se manifeste notamment par une inhibition du système local de défenses immunitaires, une aggravation de la réaction inflammatoire et de la perte d’os alvéolaire et une augmentation significative de la profondeur de poche [5].
Les mêmes constatations ont été faites chez les « vapoteurs » bien que des études longitudinales doivent encore être réalisées pour le confirmer sur la durée. Il semblerait que les « vapoteurs » s’exposent également à un risque carieux plus important. En effet, certaines formulations de liquide à vapoter produisent une couche visqueuse favorisant l’adhésion notamment de Streptococcus mutans sur l’émail. L’acide acétique et l’acide lactique, dérivés provenant du chauffage du propylène glycol, pourraient contribuer à la déminéralisation de l’émail. Enfin, la sensation de « bouche sèche » créée par certains liquides à vapoter pourrait, de plus, conduire à une consommation excessive de boissons gazeuses et sucrées [6].
La prévention des maladies buccales et la suppression de leurs facteurs de risque constituent donc un enjeu à la fois en termes de santé publique et de protection de l’environnement.
Le biofilm bactérien étant le facteur principal commun aux maladies carieuses et parodontales, il est capital d’apporter au patient les conseils adéquats pour un contrôle de plaque optimal.
La désorganisation mécanique du biofilm reste le moyen le plus efficace pour en contrôler le dépôt. Ce contrôle de plaque est optimal s’il repose sur un brossage avec un dentifrice fluoré et une hygiène interdentaire au moyen de brossettes calibrées. Une brosse à dents à brins souples permet une meilleure pénétration des brins dans les zones rétentrices de plaque. L’efficacité de ces dispositifs va dépendre de leur adéquation aux besoins du patient, de leurs modalités d’utilisation ainsi que de leur design. La technique la mieux adaptée est celle utilisée par le patient à laquelle le praticien pourra apporter des corrections, des ajustements afin qu’elle soit efficace sans être traumatisante et adaptée à sa dextérité [7]. Pour le contrôle de plaque dans les espaces interdentaires, la brossette interdentaire a montré sa supériorité vis-à-vis des autres dispositifs, d’autant plus qu’elle est capable d’accéder à au moins 90 % des espaces interdentaires [8].
Ces conseils peuvent être délivrés lors de séances dédiées à l’enseignement de l’hygiène orale. Cependant, elles ne sont prises en charge ni par l’Assurance maladie, ni par les assurances complémentaires, et seront donc proposées en honoraires libres sur devis. L’information et l’éducation des patients dans le champ de la santé bucco-dentaire peuvent être assurées ou renforcées par l’assistant(e) dentaire qualifié(e), sous la responsabilité du chirurgien-dentiste.
Désorganiser le biofilm bactérien et la survenue de maladies carieuses et parodontales permettra de diminuer le recours aux soins nécessitant l’utilisation de plateaux techniques sophistiqués, comme c’est le cas en endodontie ou en implantologie (figure 2), ou à des prestataires comme le laboratoire de prothèse.
Toute activité de soin est génératrice d’émission de GES. Or, Duane et al. ont mis en évidence que les actes de prévention ont une empreinte carbone bien plus faible que celle engendrée par les actes prothétiques [9] (figure 3).
Les systèmes de soins dentaires sont souvent axés sur le traitement, avec une approche technologique, interventionniste et spécialisée, génératrice d’émissions de GES. Ils se consacrent moins aux causes profondes et évitables de la maladie. Ainsi, en France, trop de consultations dentaires sont réalisées en urgence, faute d’un suivi régulier et d’une approche préventive : pour 31 % des Français, le motif de leur dernière consultation est l’urgence, ce qui place la France comme le pire élève comparé à des pays européens à niveau économique équivalent. Seuls 43 % des Français consultent leur chirurgien-dentiste tous les ans, contre 70 % des Allemands. L’odontologie n’est pas la seule spécialité médicale touchée par un manque de prévention : ainsi, dans le système de santé français en 2020, sur les 285 milliards d’euros de la dépense courante de santé - évaluée par plusieurs types de financement : public, sécurité sociale, Organisme complémentaire d’assurance maladie (OCAM) et ménages -, seuls 3,6 % sont dévolus à la prévention institutionnelle [10].
D’ailleurs, ce possible désintérêt (peut-être en lien avec son actuelle non rémunération en France) pour la prévention - notamment primaire - en comparaison avec les autres sujets, se reflète dans l’hexagone par sa quasi absence des programmes de formation continue. Notons que les seuls travaux pratiques consacrés à l’hygiène orale au congrès de l’Association Dentaire Française (ADF) remontent déjà à l’année 2018 (Master Class sous la responsabilité scientifique de Frédéric Duffau). En revanche, les praticiens semblent investis dans les démarches écoresponsables au cabinet dentaire : une formation ainsi qu’un livret ont été proposés au congrès ADF 2021. Il serait donc désormais pertinent de déterminer à quel point une démarche préventive forte permettrait de contribuer à la sauvegarde de l’environnement.
Par conséquent, les défis climatiques pourraient constituer une opportunité pour remettre la prévention au centre de notre profession.
En tant qu’individu, nous avons tendance à séparer nos responsabilités en matière de citoyenneté environnementale de nos obligations professionnelles au sein du cabinet dentaire. Pour favoriser un comportement durable dans notre activité professionnelle, nous devons faire un effort conscient et délibéré pour transposer nos comportements domestiques de durabilité à l’environnement du cabinet dentaire.
Ainsi, quand on parle écologie au cabinet dentaire, les praticiens pensent essentiellement aux matériaux. Or, ils n’interviennent que pour 19 % des émissions de GES du cabinet et leur remplacement par des alternatives réutilisables et naturelles n’est pas toujours aussi écologique qu’imaginé. C’est le cas par exemple du remplacement des gobelets en plastique par ceux en carton, ces derniers ayant aussi un impact environnemental conséquent [9].
Or, un des axes les plus importants sur lequel nous pouvons jouer est le trajet des patients pour se rendre au cabinet dentaire, qui a d’ailleurs été mis en avant récemment par la Fédération dentaire internationale (FDI) (figure 4). Cette prévention primaire, par les moindres déplacements des patients et la moindre utilisation des produits, services et de l’énergie, apparaît ainsi comme un pilier de la diminution de l’empreinte carbone du cabinet.
Le trajet occupe en effet le pôle le plus polluant (65 % des émissions de GES), suivi par les achats de produits et services (19 %) et l’utilisation d’énergie (15 %) [9] (figure 5). C’est avant tout en réorganisant l’activité du cabinet dentaire que le praticien pourra ainsi s’attaquer au pôle le plus émetteur en CO2 : rassembler les soins par hémi-arcades, soigner les membres d’une même famille consécutivement et réduire la fréquence de rendez-vous en fonction du risque évalué.
L’impact environnemental de la santé orale du patient passe par le choix des produits d’hygiène ayant une empreinte environnementale la plus faible possible, mais compatibles avec une santé orale optimale. Environ 60 % des Français prennent ainsi en compte des critères de développement durable dans leurs achats.
Le dentifrice fluoré a un rôle capital en prévention primaire et secondaire pour, respectivement, éviter le développement de nouvelles lésions carieuses et permettre la reminéralisation des lésions non cavitaires et l’inactivation du processus carieux dans le cas des lésions cavitaires. La revue systématique de la littérature de Walsh et al. mise à jour en 2019 a confirmé l’efficacité cario-préventive des dentifrices fluorés (F) en denture temporaire comme en denture permanente, sous réserve d’un dosage minimum de 1 000 ppmF. En raison de la relation dose/effet, un dentifrice à haute teneur en F (> 1 500 ppmF), réservé aux enfants en denture mixte ou permanente à risque carieux élevé, est plus efficace que ceux dits standards. Si le label « Bio » est un gage de qualité incontournable pour certains consommateurs, il ne garantit en rien le dosage en fluor et il faut absolument orienter les patients vers les rares spécialités « Bio » contenant 1 450 ppmF [11].
Par ailleurs, informer nos patients de la faible quantité nécessaire de dentifrice - justement dosé selon l’âge et corrélé au risque carieux - à déposer sur sa brosse à dents permettrait sans nul doute de réduire la consommation de tubes de dentifrice (et des emballages peu respectueux de l’environnement) tout en garantissant son efficacité cario-préventive.
Effrayés par les effets démontrés ou supposés de certains composants des dentifrices, de plus en plus de patients se tournent vers le homemade. Ces fabrications maison présentent des inconvénients majeurs qui nous poussent à les déconseiller. Premièrement, ils ne contiennent pas de fluorures, ni d’agents moussants qui améliorent le nettoyage. L’usage d’un dentifrice « fait maison » associé à une application semestrielle de vernis F d’au moins 22 600 ppmF ne suffit pas à juguler le risque carieux. Deuxièmement, ils peuvent avoir des effets secondaires plus ou moins importants : ils ont une durée de conservation extrêmement limitée dans le temps et l’imprécision des dosages peut mener à des surutilisations d’agents abrasifs. Certaines formulations contiennent en effet des carbonates de calcium ou du charbon qui sont trop abrasifs et peuvent entraîner une altération des tissus dentaires [12].
L’impact environnemental des soins dentaires consécutifs à l’utilisation des dentifrices « fait-maison » risque donc d’être bien plus important que celui occasionné par l’utilisation de dentifrices conventionnels.
La Oral Health Foundation et la British Dental Association au Royaume-Uni ainsi que l’Association dentaire canadienne indiquent que la réduction de la prévalence de la maladie carieuse pourrait atteindre 25 % en ne se rinçant pas la bouche après le brossage des dents, que ce soit avec de l’eau ou avec un bain de bouche (même fluoré). Cela serait donc d’autant plus bénéfique pour les patients ayant un risque carieux élevé ou présentant des hypersensibilités dentaires. En effet, le rinçage élimine le fluor et supprime son action protectrice de résistance aux attaques acides et de renforcement de l’émail vis-à-vis des caries. Cependant, peu d’études ont rigoureusement étudié l’impact de cette modification d’hygiène orale et les résultats sont contradictoires [13].
Environ 49 % des français utiliseraient des bains de bouche, antiseptiques ou non. Or, les bains de bouche fluorés contiennent seulement 220 ppm de fluor contre 1 450 ppm pour le dentifrice, en moyenne. Ils n’apporteraient pas d’action anti-carieuse supplémentaire. Ceux à la chlorhexidine associés à un brossage dentaire permettent de réduire significativement les indices de plaque, de saignement et d’inflammation gingivale par rapport à un brossage seul et doivent seulement être prescrits aux patients ne pouvant réaliser une hygiène dentaire optimale par les moyens habituels (brossage dentaire et hygiène interdentaire). Le niveau de preuve clinique concernant leur efficacité sur l’inflammation gingivale proprement dite a été jugé insuffisant [14]. Par ailleurs, la chlorhexidine est peu dégradable mais sa toxicité environnementale n’a pas encore été étudiée. Une alternative pourrait être l’utilisation de plantes aux propriétés antibactériennes, anti-inflammatoires et qui sont biodégradables. Il est à noter que certains bains de bouche, à l’instar des dentifrices, contiennent des composants toxiques pour les organismes et environnements aquatiques [15].
Ces bains de bouche conditionnés pour la plupart dans des flacons en plastique semblent donc avoir un impact environnemental non négligeable pour une efficacité limitée.
Les brosses à dents et accessoires d’hygiène interdentaire possèdent également des alternatives réduisant de façon plus ou moins marquée leur empreinte environnementale. Les brosses à dents en plastique à tête remplaçable ou encore en bambou présentent moins d’impact qu’une brosse à dents conventionnelle en polypropylène. Les brosses à dents électriques auraient un impact sur le changement climatique plus de 11 fois supérieur à celui d’une brosse manuelle en bambou. Mais celles-ci présentent de grandes variabilités de conception et les caractéristiques de leur composition sont perpétuellement mises à jour [16]. Les brossettes interdentaires peuvent également être composées de bioplastiques ou être munies de têtes remplaçables. Des efforts sur un packaging sans plastique ont aussi été pensés pour le fil dentaire et la brosse à dents (figure 6). Pierre Fabre Oral Care a récemment développé le Green Impact Index évaluant 14 impacts environnementaux et 6 impacts sociétaux d’un produit cosmétique ou de santé familiale avant de lui attribuer un score global. Celui-ci permettrait au consommateur de faire un choix éclairé de ses produits d’hygiène.
Actuellement, ce score n’est pas encore employé pour évaluer les dentifrices, les brosses à dents et les dispositifs d’hygiène interdentaire (figure 7).
Notre profession doit s’engager sur la voie du développement durable. Le changement peine à se mettre en place bien que cet objectif soit clairement énoncé dans le rapport de l’OMS Vision 2030 qui vise à aider la profession dentaire à offrir une santé bucco-dentaire optimale pour tous.
L’éducation des patients et la formation des praticiens sont les facteurs les plus importants pour s’engager dans un changement positif de comportement et d’attitude. La sensibilisation par l’éducation est essentielle à tous les niveaux et devrait être le fondement des stratégies futures pour réduire en priorité les déplacements des patients obtenus notamment par une réduction de l’incidence des maladies buccales évitables.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.