PARODONTITES SÉVÈRES CHEZ LE JEUNE PATIENT : INTÉRÊT D’UNE CONSULTATION FAMILIALE
Parodontologie
Odontologie pédiatrique
Élisabeth DURSUN* Clarisse CHEN** Sabrina LOUNES*** Adrian BRUN****
*PU-PH, Hôpital Henri-Mondor. Université Paris Cité.
**Externe, Hôpital Henri-Mondor. Université Paris Cité.
***Externe, Hôpital Henri-Mondor. Université Paris Cité.
****MCU-PH, Hôpital Henri-Mondor. Université Paris Cité.
La parodontite de stade III/IV grade C, anciennement nommée parodontite agressive [1], localisée incisives/molaires ou généralisée, est à l’origine de destructions osseuses sévères et rapides chez de jeunes patients en bonne santé générale [2]. Sa prévalence n’est pas très élevée (entre 0,1 et 6,5 % dans les différentes populations) [
La parodontite sévère présente une forte agrégation familiale, probablement liée à des facteurs génétiques combinés à des facteurs environnementaux partagés (pathogènes spécifiques, habitudes d’hygiène). Ainsi, le dépistage des membres de la famille d’un jeune patient atteint apparaît pertinent. Une consultation mixte d’odontologie pédiatrique et parodontologie, dédiée à la prise en charge familiale des parodontites, a été créée avec un double objectif : étudier la distribution/les caractéristiques de cette pathologie dans les familles et améliorer le dépistage précoce et la prise en charge par des séances d’éducation thérapeutique. Cet article a pour but de relater les cas de trois patients et leurs familles suivis dans cette consultation, puis de discuter l’intérêt de cette approche.
La parodontite de stade III/IV grade C, anciennement nommée parodontite agressive [1], localisée incisives/molaires ou généralisée, est à l’origine de destructions osseuses sévères et rapides chez de jeunes patients en bonne santé générale [2]. Sa prévalence n’est pas très élevée (entre 0,1 et 6,5 % dans les différentes populations) [3] mais ses conséquences sont notables, avec un haut risque de perte dentaire précoce. Si son étiologie n’est pas précisément définie, il est admis que son apparition résulte de l’association de plusieurs facteurs, combinant microbiote dysbiotique et réponse immunitaire altérée [4].
De plus, sa composante familiale est considérée comme essentielle, avec le partage de facteurs de susceptibilité d’ordre génétique, comportemental ou bactérien, favorisant l’accumulation de cas dans la même famille, jusqu’à atteindre 40 à 50 % des membres [5]. Cette forte agrégation familiale devrait donc se répercuter dans nos pratiques.
Selon les résultats d’une enquête réalisée auprès de 145 praticiens, après avoir diagnostiqué une parodontite sévère chez un jeune adulte (20-45 ans), 82 % des omnipraticiens et parodontistes évoquent le caractère familial, mais seuls 14 % préconisent un examen des enfants. Inversement, 59 % des chirurgiens-dentistes sondés prenant en charge les enfants recommandent un examen clinique et radiographique des parents lors du dépistage d’atteintes parodontales sévères chez un enfant/adolescent. Ainsi, la plupart des praticiens n’ont pas le réflexe de systématiquement dépister le cercle familial proche lorsqu’ils diagnostiquent une parodontite sévère, que ce soit de manière ascendante (dépistage des parents en cas de parodontite chez l’enfant) ou descendante (dépistage de l’enfant en cas de parodontite chez les parents).
Pourtant, les bénéfices à long terme du traitement parodontal chez les adolescents ne sont plus à prouver [6], soulignant l’importance de l’enseignement au contrôle de plaque et la compliance du patient à long terme. Toutefois, cette dernière n’est pas toujours évidente à obtenir chez l’enfant/l’adolescent ; de plus, elle est tributaire du contexte familial.
Après avoir suivi plusieurs adolescents atteints de parodontites de stade III/IV grade C, nous avons créé à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil une consultation familiale combinant parodontologie et odontologie pédiatrique.
L’objectif de cet article est de décrire le principe de cette consultation, son bénéfice dans le dépistage et la prise en charge parodontale via le portrait de trois familles pour, in fine, inciter le praticien à élargir sa vision de la prise en charge des parodontites sévères chez le sujet jeune, trop souvent cantonnée à une prise en charge individuelle.
Lorsqu’une parodontite stade III/IV grade C est diagnostiquée chez un enfant (département d’odontologie pédiatrique) ou chez un jeune adulte (département de parodontologie) :
– nous proposons systématiquement - en insistant sur son importance - une consultation parodontale au cercle familial proche (parents et/ou frères et sœurs) ;
– nous évaluons l’état parodontal individuel des membres de la famille mais aussi le contexte familial général ;
– nous mettons en œuvre une prise en charge adaptée.
Pour qualifier l’entendement de la maladie et l’engagement des parents dans la prise en charge, ce que nous avons appelé le soutien familial, nous avons choisi d’évaluer quatre critères en notant pour chacun, s’il est « satisfaisant », « plus ou moins satisfaisant », « non satisfaisant » :
– respect des rendez-vous et ponctualité ;
– observance et application des méthodes enseignées par le praticien ;
– implication des parents lors des séances avec leur enfant ;
– intérêt général de la famille à la prise en charge de sa pathologie,
Le soutien familial est alors considéré, comme :
– total : quand aucun critère n’est « non satisfaisant » et au maximum un critère est « plus ou moins satisfaisant » ;
– variable : quand un critère au plus est « non satisfaisant » et au moins un critère est « satisfaisant » ;
– limité : quand au moins deux critères sont « non satisfaisants ».
Nous présentons trois patients inclus dans notre consultation et leurs familles, incarnant les trois types de soutien. Nous retracerons leur maladie parodontale, le contexte familial et les résultats thérapeutiques.
Ce premier patient, rencontré en 2019, a été à l’origine de notre consultation. Ou., 12 ans, sans antécédent médical connu, consulte en urgence pour un trauma dentaire. L’examen clinique montre 11 et 21 en extrusion et une mobilité très marquée des dents mandibulaires. Lors du repositionnement de 11 et 21 et du protocole de collage de la contention, une suppuration au niveau de ses incisives mandibulaires est visible (figure 1) et forcément sans rapport avec le trauma. La radiographie panoramique révèle une alvéolyse sévère des blocs incisifs maxillaire et mandibulaire (figure 2), plus précisément objectivée sur les radiographies rétro-alvéolaires (figure 3). L’importance de la profondeur de sondage jusqu’à 12 mm (figure 4) et la sévérité de l’alvéolyse font poser le diagnostic de parodontite stade IV grade C généralisée.
Une thérapeutique parodontale est entamée selon les récentes guidelines :
– étape 1 : élimination du biofilm supra-gingival, notamment via la révision des techniques de prophylaxie orale avec inclusion du brossage interdentaire ;
– étape 2 : contrôle du biofilm et du tartre sous-gingival, notamment via une instrumentation sous-gingivale.
Puis, un bilan sanguin est prescrit pour écarter toute pathologie systémique (face à l’étendue et la rapidité de progression des lésions) et une « convocation » des parents et de ses 8 frères et sœurs est tentée.
À l’issue de la thérapeutique étiologique, le contrôle de plaque est perfectible, l’inflammation gingivale est légèrement réduite, les suppurations sont persistantes sur certains sites et, en corolaire, les profondeurs de sondage n’ont pas diminué. La nécessité d’un bon contrôle de plaque est rappelée, en essayant d’impliquer la famille, et nous décidons de réinstrumenter et de prescrire une association amoxicilline/métronidazole.
Si la numération des hématies et leucocytes sort des normes, les pédiatres à qui nous l’avons adressé sont peu inquiets mais prescrivent d’autres bilans, jamais réalisés. De notre côté, sa présence aux rendez-vous est erratique et ses retards sont systématiques. Le suivi est interrompu par le confinement de mars 2020, pendant lequel il perd sa 21, puis s’ensuivent de successifs rendez-vous non honorés amenant, peu de temps après, à l’extraction de toutes les incisives mandibulaires. Malgré de vives exhortations, seuls deux bilans complets parmi les membres familiaux proches ont pu être menés (figure 5) : sa mère, 47 ans, présente une parodontite stade III grade B généralisée (figure 6) et son frère, 20 ans, présente une parodontite stade III grade C localisée (figure 7).
Malgré un contexte alarmant, même prévoir une prothèse amovible transitoire s’avère escarpé du fait des absences répétées et du soutien parental défaillant. Le dépistage des deux autres parodontites (mère et frère) et les explications accessibles du facteur familial n’ont guère aidé à la prise de conscience car l’intérêt de la famille reste modique. Notons toutefois la barrière de la langue pour la mère et une culture où peu d’importance est accordée à la santé dentaire, au point que la perte d’une incisive maxillaire et des incisives mandibulaires ne perturbe ni le concerné, ni sa famille.
Na., 10 ans, sans antécédent médical connu, est adressée par un confrère chirurgien-dentiste pédiatrique pour une inflammation gingivale peu fréquente à cet âge et disproportionnée au vu de la faible quantité de plaque (figure 8). L’examen clinique met en évidence des poches de 5 mm au niveau des incisives mandibulaires et en lingual des molaires mandibulaires, associées à des suppurations et du tartre sous-gingival. Les radiographies révèlent un début d’alvéolyse sur les incisives alors que le sondage met en évidence des poches profondes (figure 9). Ces éléments font poser le diagnostic de parodontite de stade II et de grade C localisée aux molaires-incisives.
Comme pour Ou., une thérapeutique parodontale est initiée, un bilan sanguin est prescrit pour écarter toute pathologie systémique (face à ces lésions assez marquées pour son âge) et ses parents et frères et sœurs sont « convoqués ». La thérapeutique étiologique permet de stopper l’évolution de la parodontite débutante de Na., même si elle reste difficile à stabiliser. Au moindre relâchement du contrôle de plaque, l’inflammation reprend (figure 10).
Le bilan sanguin ne met en évidence qu’un déficit en vitamine C, pour lequel nous avons proposé une supplémentation.
Du côté familial (figure 11), nous avons diagnostiqué chez la mère, 35 ans, une parodontite de stade III et de grade B généralisée (figure 12) et suspecté une parodontite chez le père, 45 ans, qui parle lui d’un « accident » (figure 13). Son frère An., 8 ans, présente sur les rétro-coronaires un niveau osseux qui fait suspecter un début de perte osseuse difficile à confirmer (2 mm entre la crête et la jonction amélo-cémentaire) qui, vu le contexte familial, est à scrupuleusement surveiller (figure 14). Sa sœur Ri. ne présente aucune atteinte pour le moment. Enfin, il faut prévoir le dépistage ultérieur de Ji., 2 ans.
La difficulté ici s’ancre dans le maintien de la motivation de cette jeune fille à une hygiène irréprochable, notamment le passage des brossettes interdentaires, qu’elle a du mal à maintenir dans la durée, ce qui est recevable à son âge. Si les parents sont attentifs et concernés pour les rendez-vous des enfants, ils le sont relativement moins pour eux-mêmes, estimant l’évolution de leur parodontite comme inéluctable. Cette famille figure le soutien familial variable car, malgré l’écoute et les efforts, le défaut d’observance et le désintérêt des parents pour leur propre maladie sont susceptibles à plus long cours de retentir sur les enfants, qui souvent reproduisent les comportements des parents.
M. Ga., 37 ans, présentant une parodontite de stade IV et de grade C (figure 15), entend bien notre invitation à recevoir son fils, Ya., 13 ans, ainsi que sa femme, 41 ans, déjà suivie pour une parodontite de stade II et de grade B généralisée. L’adolescent présente une inflammation gingivale modérée accompagnée de tartre, de poches peu profondes (4 mm) en regard des molaires, permettant de poser le diagnostic de parodontite de stade I et de grade C localisée (figures 16 et 17).
La thérapeutique parodontale étiologique permet la diminution de l’inflammation gingivale (bien que localement persistante) et la régression des profondeurs de poches, compte tenu de l’implication de Ya. qui éprouve des difficultés au brossage levées par l’implication de son père. Par ailleurs, ce dernier a contribué à motiver les autres membres de la famille (oncles et tantes de Ya.) à consulter (figure 18).
Ce cas met en exergue l’importance du soutien familial, en l’occurrence total. En informant le père du développement possible chez son fils de pertes dentaires similaires aux siennes, il est très vigilant à la bonne réalisation de l’hygiène bucco-dentaire de son fils, devenant ainsi un allié dans la prise en charge.
Dans toutes les familles suivies (27 à ce jour), dès qu’un enfant présente une parodontite, au moins l’un des parents est affecté. Si la réciproque n’est pas vraie, c’est peut-être parce que les enfants sont encore jeunes mais ils n’en demeurent pas moins des sujets à risque de développer ultérieurement la maladie. La prise en charge familiale cible la surveillance rapprochée d’individus à risque, pour un dépistage puis un traitement précoces. Ce dernier limite la perte d’attache, facilite le suivi et améliore le pronostic [6].
Notons que les maladies parodontales chez l’enfant ne sont pas rares, mais qu’elles sont sous-diagnostiquées jusqu’au stade où la destruction osseuse devient marquée. Ainsi, il est capital, pour toute consultation d’un petit patient, d’interroger les parents sur les antécédents de parodontites ou pertes dentaires dans la famille, de sonder les sites à risque (trop peu de praticiens/dentistes pédiatriques réalisent des sondages chez l’enfant) et de guetter radiographiquement la distance jonction amélo-cémentaire/crête alvéolaire.
Les concepts actuels de l’enseignement à l’hygiène orale reconnaissent l’importance de l’implication à différents niveaux : individuel, familial et communautaire [7]. L’évaluation du soutien familial permet de définir le profil des familles et d’accommoder notre approche. En cas de soutien familial total, la prise de conscience est immédiate et notre rôle consiste essentiellement à inculquer les techniques de contrôle de plaque adaptées et à réaliser les séances de soins/suivi. En cas de soutien familial variable et a fortiori en cas de soutien limité, des séances d’éducation thérapeutique pourraient concourir à lever des freins repérés et à faire germer la prise de conscience de la maladie et ses conséquences. Elles contribueraient aussi à susciter la motivation d’agir pour sa santé, afin que les recommandations d’hygiène et les séances de soins prennent enfin un sens pour le patient et sa famille. Par ailleurs, l’âge du patient est un élément important à considérer. Obtenir l’observance d’enfants et d’adolescents est assez complexe et c’est là que la direction du lien familial a son importance : si le patient diagnostiqué initialement est un ascendant, son pouvoir de décision est plus important que si c’est un descendant. Enfin, pour comprendre toutes les informations qu’il reçoit, un patient doit développer des compétences (notion de littératie en santé) : avoir accès à l’information, comprendre et communiquer à ce sujet et savoir quoi faire de ces informations. Néanmoins, ce concept est influencé par d’autres variables, comme le niveau d’instruction, le contexte socio-économique ou la structure familiale [8].
Le mode d’hérédité de ces parodontites à agrégation familiale n’est toujours pas clairement précisé [9]. La constitution d’arbres généalogiques avec les données les plus larges possibles sur la famille permettrait d’estimer plus finement la probabilité de développer la maladie en fonction du sexe et du lien familial. Toutefois, il n’est pas aisé d’étendre les dépistages aux oncles et tantes ainsi qu’aux cousins et cousines. Quant aux grands-parents, des éléments même peu précis (perte de dents précoce, port d’un appareil amovible précoce…) pourraient enrichir les données. Néanmoins, si aucun modèle de transmission n’a encore pu être déterminé, cela peut être imputé au caractère multifactoriel de cette maladie. Hormis les jumeaux, la part d’hérédité dans la parodontite est estimée à « seulement » 15 % [10]
Des analyses bactériennes comparant les espèces présentes dans ces familles, au cours du temps, et celles de familles sans maladie parodontale aideraient à déterminer la part du facteur bactérien. À terme, certaines bactéries phares pourraient jouer le rôle de biomarqueurs. Leur détection pourrait aiguiser la précision diagnostique (en dépistant par exemple la parodontite avant les signes cliniques et radiographiques) et orienter la prise en charge.
Toutefois, une récente étude pilote utilisant le séquençage de nouvelle génération n’a pas mis en évidence de transmission intra-familiale de bactéries, suggérant un rôle génétique [10]. Mais de ce côté, les hypothèses actuelles tendent à considérer cette maladie comme l’expression de la combinaison de nombreux allèles à risque et de leurs interactions avec des facteurs internes et externes, puisque les effets individuels des allèles à risque sont modérés [11].
Les tests génétiques ne sont donc pour l’heure pertinents ni pour dépister/diagnostiquer les patients à risque parodontal dans un contexte probable ou certain d’agrégation familiale ni pour guider les choix de traitements.
Compte tenu du rôle du facteur familial (hérédité et facteurs de risque communs) dans les parodontites, en cas de parodontite sévère chez un enfant/adolescent ou chez un jeune adulte (moins de 45 ans), l’ensemble de la famille doit être considéré comme à risque de présenter ou de développer une maladie parodontale. Ainsi, il apparaît pertinent d’inciter le cercle familial proche (voire la famille plus élargie) à un examen parodontal complet, pour un dépistage le plus précoce possible de la parodontite.
La prise de conscience familiale permet d’optimiser la prise en charge. Les séances de consultation (avec explication de la maladie et maîtrise de l’hygiène orale) comme celles de soins gagnent à être réalisées en famille (dans la limite de la taille du cabinet !) pour en majorer l’impact, notamment chez les familles à soutien variable. Pour les familles plus en difficulté, des séances d’éducation thérapeutique dédiées pourraient aider à enclencher un déclic.
Enfin, à long terme, les observations cliniques et radiographiques ainsi que les arbres généalogiques associés à des prélèvements bactériens, voire des tests génétiques sur ces cohortes, pourraient se révéler utiles à une plus fine compréhension de cette maladie, en estimant la part des différents facteurs incriminés (gènes, mode de vie, bactéries, habitudes orales).
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.