NOIR, C’EST NOIR, IL Y A QUAND MÊME DE L’ESPOIR
Dermatologie
Buccale
Blandine GAUTIER* Volkan CÉTINKAYA** Camille LEROY*** Émilie HASCOËT**** Maxime GUILLEMIN***** Anne-Gaëlle CHAUX****** Alexandra CLOITRE******* Philippe LESCLOUS******** Adeline NORMAND*********
*Unité fonctionnelle de Chirurgie orale, Service d’Odontologie restauratrice et chirurgicale. CHU Hôtel-Dieu, Nantes.
**Service d’Anatomie et Cytologie pathologiques. CHU Hôtel-Dieu, Nantes.
Une femme de 23 ans est adressée par son médecin généraliste pour des lésions maculaires pigmentées de la lèvre inférieure d’apparition progressive et croissante depuis 1 an.
La patiente ne présente aucun antécédent médico-chirurgical notable, ni aucun traitement médicamenteux en cours. Aucun traumatisme muqueux n’est retrouvé. Elle n’est pas fumeuse.
L’examen clinique endobuccal révèle des lésions maculaires (c’est-à-dire planes) pigmentées brunes multiples localisées au niveau de la lèvre inférieure sur le vermillon et la commissure, uniquement à droite, ainsi qu’au niveau de la muqueuse jugale également à droite. Ces macules font environ 0,5 à 1 cm de grand axe (figure 1). Ces lésions sont apparues depuis environ 1 an, elles sont évolutives, avec augmentation en nombre. Il n’y a pas de symptomatologie particulière associée. Aucune induration n’est perçue à la palpation.
L’examen général ne retrouve pas d’adénopathie, ni de symptômes évocateurs d’une pathologie générale.
Devant des lésions pigmentaires brunes, il convient d’envisager d’emblée plusieurs étiologies principales [1] :
– des pigmentations exogènes (tatouages liés à des matériaux dentaires comme l’amalgame, tatouages au crayon ou à l’encre…) mais la localisation labiale et l’entretien avec la patiente permettent d’éliminer cette hypothèse ;
– un traitement médicamenteux inducteur de la mélanogenèse (antiviraux anti-VIH, certaines thérapies ciblées anticancéreuses, chloroquine…) mais, là encore, l’entretien avec la patiente ne permet pas de retenir cette hypothèse ;
– une pigmentation d’origine ethnique retrouvée chez les sujets à phototype élevé, ce qui n’est pas le cas ici ;
– une maladie d’Addison peut être responsable de lésions pigmentées orales généralement accompagnées d’une mélanodermie. Mais elle est également aussi accompagnée de signes d’insuffisance surrénalienne périphérique tels que l’asthénie, une perte de poids et des douleurs abdominales, ce qui n’est pas non plus le cas avec cette patiente ;
– une mélanose tabagique, généralement diffuse et accompagnée d’une kératose au voisinage. Cette hypothèse ne peut être retenue puisque la patiente ne fume pas ;
– des nævi mélanocytaires. Très fréquentes au niveau cutané, ces proliférations mélanocytaires bénignes sont rares en bouche et généralement uniques. C’est pourquoi cette hypothèse n’est pas retenue d’emblée dans le cas présent ;
– des macules mélaniques idiopathiques, connues aussi sous le terme de mélanose de Laugier, d’étiologie inconnue et non associées à une affection locale ou systémique. Cette hypothèse peut être privilégiée chez cette patiente ;
– un mélanome malin multiple, hypothèse qu’il convient toujours d’explorer même si, chez cette patiente, aucune adénopathie loco-régionale ni aucune induration sous-lésionnelle n’est retrouvée.
Pour confirmer notre hypothèse diagnostique de macules mélaniques idiopathiques et pour écarter un diagnostic de mélanome malin multiple, une biopsie est réalisée sous anesthésie locale avec prélèvement d’un échantillon d’environ 5 mm de diamètre contenant une macule.
L’analyse histologique montre une hyperpigmentation mélanocytaire régulière au niveau de la lame basale (jonction épithélium-chorion) en coloration standard HES (figure 2) comme en immuno-histologie plus spécifique : anticorps anti-MelanA (figure 3). Il n’y a pas de prolifération mélanocytaire maligne.
Tous ces éléments sont en faveur d’une macule mélanique labiale multiple, ou mélanose essentielle de Laugier. Ces lésions ne nécessitent pas de prise en charge ni de suivi particulier. En cas de préjudice esthétique, une exérèse chirurgicale ou un traitement par laser peuvent être proposés. La patiente a décidé de ne pas donner suite à ces propositions thérapeutiques.
Ces macules mélaniques idiopathiques peuvent être uniques ou multiples de localisation labiale inférieure dans un tiers des cas, plus fréquente chez la femme, apparaissant le plus souvent entre 20 et 30 ans, sans caractère ethnique et non associée à une affection locale ou systémique. Le siège électif est la demi-muqueuse labiale inférieure avec parfois la muqueuse jugale [2]. C’est exactement le cas chez cette patiente. L’atteinte buccale est parfois associée à des pigmentations des muqueuses anales et génitales. La cause de ces lésions est inconnue à ce jour, d’où le qualificatif aussi utilisé de mélanose essentielle. Ce type de lésion ne présente aucun risque d’évolution vers le mélanome malin.
La démarche diagnostique devant des lésions pigmentées de la muqueuse buccale d’allure mélanique consiste dans un premier temps à éliminer les diagnostics de gravité. Une biopsie est souvent nécessaire afin de ne pas méconnaître un mélanome malin.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.