LA RÉALITÉ VIRTUELLE RÉDUIT-ELLE LA DOULEUR ET L’ANXIÉTÉ EN ODONTOLOGIE ? REVUE SYSTÉMATIQUE DE LA LITTÉRATURE - Clinic n° 02 du 01/02/2023
 

Clinic n° 02 du 01/02/2023

 

Dossier

Amandine EGLY*   Florian KAPPES**   Laurent DEVOIZE***   Radhouane DALLEL****  


*Interne en Chirurgie orale, Université Clermont Auvergne, CHU Clermont-Ferrand.
**Interne en Chirurgie orale, Université Clermont Auvergne, CHU Clermont-Ferrand.
***PUPH, Université Clermont Auvergne, CHU Clermont-Ferrand. INSERM U1107.
****PUPH, Université Clermont Auvergne, CHU Clermont-Ferrand. INSERM U1107.

La gestion de la douleur et de l’anxiété est une préoccupation quotidienne des chirurgiens-dentistes. Des solutions existent telles que la sédation consciente ou l’hypnose mais elles exigent une formation spécifique. La réalité virtuelle (RV), technologie innovante permettant de créer un environnement en trois dimensions, a fait l’objet d’études cliniques sur différentes procédures avec des résultats prometteurs. Cette revue systématique vise à déterminer l’intérêt de la RV en odontologie.

La gestion de la douleur et de l’anxiété est une préoccupation quotidienne des chirurgiens-dentistes. Nous disposons d’ores et déjà de nombreux traitements, pharmacologiques (anxiolytiques, sédation consciente) ou non (tell-show-do, hypnose, musique), pour contrôler l’anxiété et/ou la douleur. Cependant, certains traitements induisent de nombreux effets indésirables ou nécessitent du temps pour construire une relation avec le patient. Le numérique ouvre de nouvelles perspectives dans le traitement de la douleur et de l’anxiété. Les thérapies numériques proposent des interventions thérapeutiques pilotées par des logiciels de grande qualité pour prévenir, gérer ou traiter un trouble médical ou une maladie. Ces solutions numériques peuvent être utilisées seules ou combinées à un médicament, un dispositif médical ou une thérapie afin d’optimiser les effets du traitement. Parmi toutes les approches numériques pour le traitement de la douleur, la réalité virtuelle (RV) fait l’objet depuis plusieurs années d’études et de tests sur différents types de douleurs, avec des résultats prometteurs [1]. L’objectif de cette revue systématique est de déterminer les effets de la RV sur la douleur et l’anxiété chez l’adulte en odontologie.

MATÉRIELS ET MÉTHODE

Nos recherches sont effectuées à partir des bases de données PubMed, Web of Science et Cochrane. Les termes utilisés lors de cette recherche sont : virtual reality, anxiety, pain, oral, dental. Les articles répondent aux critères d’inclusion suivants : être publiés en anglais, traiter de la RV en odontologie, inclure des participants adultes (plus de 18 ans), des deux sexes et être en lien avec l’anxiété et/ou la douleur.

RÉSULTATS

Au total, l’équation de recherche conduit à une première sélection de 215 articles. Après exclusion de 3 doublons et de 195 études jugées non pertinentes, 17 articles sont sélectionnés pour évaluation du texte intégral parmi lesquels 8 études répondant à nos critères d’inclusion (figure 1). Ces dernières sont analysées qualitativement (tableau 1) et leurs caractéristiques sont décrites dans le tableau 2. La RV est testée sur différents types de soins dentaires : anesthésie locale [2, 3], avulsions dentaires [4-6], actes de chirurgie orale autre que l’avulsion dentaire (exérèse de tumeur, biopsie, énucléation de kyste, pose d’implant) [7], débridement radiculaire [8] et préparation cavitaire sans anesthésie [9]. Quatre études évaluent les effets de la RV à la fois sur l’anxiété et la douleur [2-4, 8], 3 sur l’anxiété seule [5-7] et 1 sur la douleur seule [9]. L’anxiété est évaluée à l’aide d’une échelle visuelle analogique (EVA) [6, 7], du questionnaire d’anxiété de Spielberger (STAI) [5] ou en mesurant les variations de la tension artérielle [8] ou de la fréquence cardiaque [2-4, 7, 8]. L’évaluation de la douleur est réalisée à l’aide d’une échelle visuelle analogique (EVA) [3, 8, 9] ou du W-BFS (Wong Baker Faces Pain Scale) [2, 4]. Les effets de la RV sur la douleur et/ ou l’anxiété sont rassemblés dans le tableau 3. On note que la plupart des études (6 sur 8) montrent une diminution significative de la douleur et/ ou de l’anxiété lors d’une anesthésie locale [3], d’une avulsion dentaire [4-6], après un acte de chirurgie orale autre que les avulsions [7] et lors d’un débridement radiculaire [8]. Deux articles sont sans résultat significatif : l’un évalue l’effet de la RV lors de l’anesthésie locale comparée à un anesthésique topique [2] et l’autre [9] lors de préparation cavitaire sans anesthésie (tableau 2). Tous deux précisent néanmoins que la plupart des participants préfèrent la RV lors de leur traitement dentaire.

DISCUSSION

Cette revue systématique de la littérature détermine, pour la première fois, si la RV diminue la douleur et/ou l’anxiété lors de la réalisation de soins dentaires chez l’adulte. Malgré l’existence de nombreuses publications, notre analyse n’a permis d’inclure que 8 études répondant à nos critères d’inclusion. Le plus souvent, ces études montrent une baisse de l’intensité de la douleur induite par différents types de soins dentaires, tels que l’anesthésie locale [3], l’avulsion dentaire [4] ou le débridement radiculaire [8]. Cependant, 2 études n’observent pas d’effet antalgique lors de l’anesthésie locale [2] ou d’une préparation cavitaire sans anesthésie [9].

De plus, une réduction de l’anxiété est notée lors d’une anesthésie locale [3], après une avulsion dentaire [4-6] ou au cours d’un débridement radiculaire [8]. Toutefois, une étude n’observe pas d’effet sur l’anxiété lors de l’anesthésie locale [2].

L’analyse des articles inclus dans cette revue systématique révèle que les sujets découvraient la RV pour la première fois. On peut alors se demander s’il n’existe pas un effet de nouveauté. Dans la majorité des études [2, 4-7, 9], les patients sont satisfaits de la RV et sont donc prêts à renouveler l’expérience lors de soins dentaires ultérieurs. Cependant, d’autres investigations sont nécessaires pour évaluer l’effet de la répétition des séances de RV sur la douleur et l’anxiété.

Une revue systématique publiée en 2021 analyse les effets de la RV en chirurgie orale [10]. Après avoir inclus 6 articles, les auteurs concluent à l’efficacité de la RV sur les douleurs pré et post-opératoires. Cependant, les conclusions de cette étude sont discutables car elle inclut des patients sans aucune limite d’âge, ne distingue pas la RV de la distraction audio-visuelle et inclut aussi des chirurgies non orales (adénoïdectomie et amygdalectomie). Ainsi, l’évaluation de la qualité des études et l’analyse des données publiées ne nous permettent pas de tirer de conclusions définitives. En effet, les 8 études incluses dans cette revue systématique présentent des limites : elles sont souvent monocentriques et incluent un faible nombre de sujets (de 21 à 103) dans une tranche d’âge limitée. De plus, elles diffèrent beaucoup par leur type – 4 sont réalisées en split mouth [4, 7-9] –, leur cohorte de contrôle – abstention de traitement [2-6], application d’un anesthésique topique [2], voire même une distraction audio-visuelle comme la projection d’un film [8] – et leur critère de jugement – EVA, W-BFS, fréquence cardiaque, tension artérielle, STAI. Du fait de cette hétérogénéité, une méta-analyse n’a pu être menée.

La diminution de l’anxiété par la RV peut s’expliquer par le fait que le casque de RV protège le patient de tous stimuli sonores et visuels potentiellement désagréables lors des soins dentaires. En effet, la vue du sang, de l’aiguille d’anesthésie, des instruments métalliques et tranchants ainsi que l’audition des bruits de turbines sont autant de stimulations qui peuvent générer de l’anxiété. Le choix du casque de RV revêt donc une importance primordiale puisqu’il faudrait qu’il soit le plus immersif possible afin que le patient ignore les gestes du praticien. Cependant, d’autres éléments pratiques sont à prendre en compte : le poids du casque – un casque de RV peut être lourd (700 grammes environ) –, son encombrement – un casque trop volumineux peut gêner le praticien dans son geste –, sa compatibilité avec le respect de l’asepsie au cours du soin – même s’il existe des protections à usage unique sur certaines marques de casque de RV, une désinfection entre chaque patient doit être rendue possible par le fabricant. Ainsi, une étude comparant les différents casques de RV disponibles sur le marché paraît nécessaire.

La RV est une technologie informatique qui crée un environnement artificiel simulé en trois dimensions. Elle immerge le patient dans un « univers virtuel », audio et visuel, et l’incite à interagir avec ce monde. L’aptitude de la RV à réduire non seulement l’anxiété mais aussi la douleur serait due à notre capacité d’attention limitée. En effet, la douleur exige de l’attention et, si une certaine part de cette attention est divertie, le patient réagira plus lentement aux stimuli douloureux. La RV n’interrompt pas les messages douloureux mais agit sur leur perception par l’intermédiaire de l’attention, de l’émotion, de la concentration et/ ou de la mémoire. Une étude [11] par imagerie cérébrale de patients utilisant la RV alors qu’ils sont exposés à un stimulus douloureux démontre une réduction de plus de 50 % de l’activité cérébrale reliée à la douleur dans plusieurs régions du cerveau (cortex cingulaire antérieur, cortex insulaire antérieur, cortex somatosensoriel primaire et secondaire et thalamus) impliquées dans les aspects sensoriel et émotionnel de la douleur.

CONCLUSION

Cette revue systématique confirme tout l’intérêt de la RV dans la réduction de la douleur et de l’anxiété en odontologie. Néanmoins, le nombre d’études disponibles étant faible et d’une qualité méthodologique variable avec un nombre de patients limité, des études complémentaires sont nécessaires pour donner une conclusion ferme et définitive.

BIBLIOGRAPHIE

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  • 11. Hoffman HG, Richards TL, Coda B, Bills AR, Blough D, Richards AL, Sharar SR. Modulation of thermal pain-related brain activity with virtual reality: Evidence from fMRI. Neuroreport 2004; 25:2013-2014.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.