Clinic n° 02 du 01/02/2023

 

Dossier

Vanessa CHIM*   Samy TAWFIK**   Rufino FELIZARDO***   Adeline BRAUD****   Géraldine LESCAILLE*****  


*UFR Odontologie, Université Paris Cité. Service de Médecine bucco-dentaire, Hôpital Pitié-Salpêtrière (AP-HP).
**UFR Odontologie, Université Paris Cité. Service d’Odontologie, Hôpital Rothschild (AP-HP).
***UFR Odontologie, Université Paris Cité. Service d’Odontologie, Hôpital Rothschild (AP-HP).
****UFR Odontologie, Université Paris Cité. Service d’Odontologie, Hôpital Rothschild (AP-HP).
*****UFR Odontologie, Université Paris Cité. Service de Médecine bucco-dentaire, Hôpital Pitié-Salpêtrière (AP-HP).

La simulation fait partie intégrante de la formation en santé, tout particulièrement en odontologie. Outre les simulateurs procéduraux physiques sur des mâchoires et dents en résine, les outils numériques permettent de compléter la formation. L’utilisation de la réalité virtuelle permet non seulement de former mais aussi d’évaluer les étudiants, sur des connaissances théoriques, des compétences diagnostiques ou thérapeutiques, mais également d’un point de vue relationnel avec le patient.

CONTEXTE

Le rapport de la Haute Autorité de Santé (HAS) de 2012 définit la simulation en santé comme « l’utilisation d’un matériel (comme un mannequin ou un simulateur procédural), de la réalité virtuelle ou d’un patient standardisé, pour reproduire des situations ou des environnements de soins ». Cela afin d’« enseigner des procédures diagnostiques et thérapeutiques et […] de répéter des processus, des situations cliniques ou des prises de décision par un professionnel de santé ou une équipe de professionnels ». Ainsi, la HAS posait un principe fondamental : « Jamais la première fois sur un patient » [1].

Comme dans toutes les disciplines de santé, l’intérêt pédagogique de la simulation est indéniable en odontologie. Le métier de chirurgien-dentiste nécessite une acquisition de gestes spécifiques dans un environnement de plus en plus assisté par le numérique permettant également la conception de dispositifs médicaux nécessaires à la réhabilitation bucco-dentaire des patients.

Toutes les UFR d’odontologie fournissent un enseignement fondé sur la simulation, conformément à la définition de la simulation en santé de la HAS. Et ce bien avant que le concept soit posé en 2012 sur des aspects avant tout procéduraux et, plus récemment, une évolution particulièrement importante avec le développement de la formation autour du savoir-être (figure 1).

À QUOI CORRESPOND LA RÉALITÉ VIRTUELLE DANS L’APPRENTISSAGE EN SANTÉ ?

La réalité virtuelle (RV) correspond à une technologie stimulant la présence physique d’un utilisateur et lui permettant d’interagir avec un environnement généré artificiellement par des logiciels. Elle propose la possibilité de créer une expérience immersive à l’utilisateur, c’est-à-dire une activité sensori-motrice et cognitive dans un monde créé numériquement lui permettant de voir la scène virtuelle quelle que soit la direction de son regard. En pratique, il existe principalement deux types d’interfaces visuelles permettant l’immersion du regard [2] :

– les salles immersives ou CAVE (Cave Automatic Virtual Environment) : l’utilisateur est immergé dans un espace sphérique ou cubique projetant des images sur ses murs, tout en se synchronisant en temps réel en fonction des mouvements de l’utilisateur, reproduisant alors un environnement artificiel géométriquement cohérent ;

– les casques de RV : visiocasques portés par l’utilisateur permettant de stimuler le système visuel et de synchroniser en temps réel les mouvements de l’utilisateur à travers le casque avec ou sans manettes (figure 2).

La RV n’est cependant pas à confondre avec la réalité augmentée qui correspond à une technologie qui permet d’intégrer des éléments virtuels au sein d’un environnement réel.

Les applications de la RV sont multiples. Elles permettent de compléter la formation sur simulateur procédural en contextualisant les situations cliniques, que ce soit dans des jeux sérieux (ou serious games) ou dans la planification de gestes dans des modules dédiés à l’aide de fichier DICOM de patients, transformées en réalité virtuelle avec des possibilités infinies. La RV permet de répondre à l’apprentissage de la résolution de problèmes complexes et contextualisés dans une situation/problème complet entrant dans le champ des compétences et non plus seulement dans celui des habiletés ou des capacités. Par ailleurs, concernant le savoir-être, ces enseignements permettent d’aborder la relation praticien/patient en abordant les aspects comportementaux, notamment autour de patients spécifiques (patient anxieux, etc.).

DES JEUX SÉRIEUX EN ODONTOLOGIE ?

Un jeu sérieux est une « application informatique, dont l’objectif est de combiner à la fois des aspects sérieux ( serious ) tels, de manière non exhaustive, l’enseignement, l’apprentissage, la communication ou encore l’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo ( game) » [3]. Ces jeux permettent d’aborder de multiples aspects du savoir, du savoir-faire et du savoir-être en santé (figure 3), dans un contexte ludique qui peut se décliner de différentes manières (chambre des erreurs, escape game, mise en ordre d’une procédure, etc.) [4]. Nous avons développé différents programmes, dont certains en lien avec les autres disciplines médicales de manière transversale et soutenus par l’Université Paris Cité et l’ARS Île-de-France, notamment concernant l’hygiène des mains. Le projet SERIODONT inclut quant à lui des modules disponibles en ligne pour les étudiants dans toutes les disciplines de l’odontologie (odontologie conservatrice, endodontie, prothèse, chirurgie, parodontie…). Ce format pédagogique permet l’apprentissage de compétences techniques, telles que la prise de décision et la réalisation de séquences procédurales, et non techniques, favorisant l’écoute et la communication avec le patient. Outre son potentiel interactif, les avantages de ce format pédagogique sont multiples :

– consultation à distance et de manière autonome par l’étudiant ;

– travail sur plusieurs scénarios développés et adaptés « à façon » en fonction des compétences cliniques visées ;

– individualisation de la formation avec retour possible individualisé à l’étudiant.

Ces jeux sérieux ont été développés à l’aide de l’application VTS Editor©, qui permet de développer les scénarios de manière autonome en choisissant les personnages à disposition et en insérant des fonds d’écran, et de l’équipe pédagogique TICE (Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement) de l’Université Paris Cité (figure 4). Un module chirurgical a été développé par l’équipe de chirurgie orale pour préparer les étudiants à la clinique à l’entrée en 4e année d’étude. Il aborde la préparation du matériel, la préparation du patient et du praticien avant une intervention mais également l’accident d’exposition au sang (AES) ou encore le malaise vagal (figures 5 à 7), autant de situations qui arrivent fréquemment et pour lesquelles il est nécessaire de se préparer. Ce module a été évalué par les étudiants très favorablement et a notamment permis de montrer une amélioration des connaissances significatives des étudiants dans un test pré et post-jeu sérieux.

DE L’APPRENTISSAGE DE L’ANATOMIE À LA PLANIFICATION INTERVENTIONNELLE À PARTIR DE DICOM DE PATIENTS

Outre l’utilisation des jeux sérieux, des logiciels permettent l’apprentissage de l’anatomie et la transformation des examens d’imagerie médicale en RV utilisables en immersion (Medicalholodeck©, ou encore les logiciels DIVA© et AVATAR MEDICAL™ développés par l’Institut Pasteur). Cette possibilité transforme l’apprentissage de l’anatomie et de la pathologie des structures maxillo-mandibulaires mais permet également, notamment en chirurgie orale, de prévoir un acte chirurgical en évaluant les obstacles anatomiques et les risques associés chez un patient spécifique (figures 8 à 10).

L’éventail est large et permet de répondre, tout au moins partiellement, à la possibilité de se former à distance, ce qui a été notamment largement accéléré dans le contexte de la pandémie de la COVID-19 et a l’avantage de ne pas dépendre de l’accès à la manipulation sur pièces anatomiques comme les dissections qui deviennent de plus en plus complexes à organiser [5]. Une étude indienne récente a observé une baisse de motivation de la part des étudiants durant la crise sanitaire ainsi que des difficultés concernant l’apprentissage de l’anatomie en absence de travaux pratiques avec présence d’enseignants [6]. Pour pallier cette problématique, le recours à l’utilisation de nouvelles technologies innovantes (telle la réalité virtuelle) a marqué une réelle transition numérique de l’enseignement. Bien que la plupart des études ne révèlent pas de réel impact sur la supériorité de la RV dans l’apprentissage de l’anatomie, on constate néanmoins un intérêt certain dans la satisfaction des étudiants et leur motivation à étudier l’anatomie [7, 8].

Par ailleurs, outre l’apprentissage de l’anatomie, elle permet d’aborder des cas pathologiques ou des variations diverses de manière immersive et en 3D à partir de fichiers natifs DICOM de patients transformés en RV. Nous avons développé le projet OREAL porté par les équipes de chirurgie orale et d’imagerie, visant à acquérir de nouveaux casques de RV et à développer un enseignement hybride accessible à la fois par des capsules vidéo en ligne de manière autonome et par des expériences en immersion à l’aide des casques de RV. Ils permettent par ailleurs la planification d’interventions, jusqu’à la simulation de pose d’implants dentaires, ce qui permet de mieux comprendre les enjeux d’axes d’insertion et la problématique de la réhabilitation prothétique, préambule intéressant à la pose sur simulateurs procéduraux.

VERS DES SIMULATEURS PROCÉDURAUX HAPTIQUES EN RV IMMERSIVE ?

Outre les différents aspects que nous venons d’évoquer, la RV immersive se positionne pour remplacer les simulateurs haptiques qui permettent d’aborder une situation clinique procédurale à l’instar des simulateurs procéduraux physiques, grâce à un retour de force incorporé. Ces dispositifs utilisent des « algorithmes volumétriques qui procurent différentes sensations en fonction de la zone de la dent sur laquelle travaille l’étudiant : carie émail, dentine… » (Virteasy©). Ces simulateurs possèdent plusieurs avantages, notamment l’absence de nécessité de prévoir du consommable, intéressant en termes de coût financier mais également d’impact sur l’écologie en remplacement des mâchoires et dents en résine. Ils permettent aussi de diversifier les exercices en partant d’imagerie en format DICOM.

CONCLUSION

La réalité virtuelle est une évolution majeure dans l’apprentissage et la formation des étudiants en odontologie permettant une formation hybride, avec des possibilités à la fois en distanciel et en présentiel, et aussi d’aborder à la fois le savoir, le savoir-faire et le savoir-être indispensables à l’exercice de notre profession. À noter toutefois que la RV immersive peut entraîner un symptôme proche du mal des transports, un facteur limitant à prendre en considération. Par ailleurs, la mise en place des scenarios est longue et consommatrice de temps dans la phase de préparation, notamment concernant les jeux sérieux.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. HAS. Guide de bonnes pratiques en matière de simulation en santé, 2012.
  • 2. Fuchs P, Hugues O. Interfaces visuelles pour la réalité virtuelle. Techniques de l’ingénieur 2021. [doi:10.51257/a-v3-te5906]
  • 3. Alvarez J. Du jeu vidéo au serious game. Approches culturelle, pragmatique et formelle. Université de Toulouse, 12-2007.
  • 4. Gorbanev I, Agudelo-Londoño S, González RA, et al. A systematic review of serious games in medical education: Quality of evidence and pedagogical strategy. Med Educ Online 2018;23:1438718. [doi:10.1080/10872981.2018.143 8718]
  • 5. Ghosh SK. Cadaveric dissection as an educational tool for anatomical sciences in the 21st century. Anat Sci Educ 2017;10:286.299. [doi:10.1002/ase.1649]
  • 6. Singal A, Bansal A, Chaudhary P, Singh H, Patra A. Anatomy education of medical and dental students during COVID-19 pandemic: A reality check. Surg Radiol Anat 2021;43:515.521. [doi:10.1007/s00276-020-02615-3]
  • 7. Triepels CPR, Smeets CFA, Notten KJB, et al. Does three-dimensional anatomy improve student understanding? Clin Anat 2020;33:25.33. [doi:10.1002/ca.23405]
  • 8. Lo S, Sandel Abaker AS, Quondamatteo F, et al. Use of a virtual 3D anterolateral thigh model in medical education: Augmentation and not replacement of traditional teaching? J Plast Reconstr Aesthet Surg 2020;73:269.275. [doi:10.1016/j.bjps.2019.09.034]

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.