Clinic n° 02 du 01/02/2023

 

Dossier

Gaëlle ZNATY*   Florian HINGRE**   Paul LE HAY***   Jordan SCHEER****   Cédric BERBE*****   Valérie BERTAUD******  


*CCU-AH, Université de Rennes, Faculté d’Odontologie, Département de Santé publique. Service d’Odontologie, CHU Rennes.
**Médecin généraliste, Maison de Santé pluridisciplinaire, Rupt-sur-Moselle.
***Étudiant, Université de Rennes, Faculté d’Odontologie.
****Médecin généraliste, CCU, Département de Médecine générale de Rennes, Université de Rennes.
*****Médecin généraliste, Université de Lorraine, Département de Médecine générale de Nancy.
******PU-PH, Université de Rennes, Faculté d’Odontologie, Département de Santé publique. Service d’Odontologie, CHU Rennes.

Pour les médecins généralistes, la prise en charge des urgences bucco-dentaires constitue un défi régulier aux confins du périmètre de leur formation et peut susciter des difficultés d’ordre diagnostique et/ou thérapeutique. Développé dans le cadre d’une collaboration inter-universitaire et interdisciplinaire, le site web Dentaclic a pour ambition de devenir un outil de référence pour les médecins de premier recours dans la prise en charge de ces pathologies.

Si les chirurgiens-dentistes et les médecins ont une formation et une culture professionnelles différentes, ils partagent un même impératif de prodiguer les meilleurs soins possibles auprès de leurs patients.

L’exemple le plus éloquent est celui des urgences bucco-dentaires qui occupent une place non négligeable dans les consultations en médecine générale.

En effet, dans une étude réalisée en 2014 dans les Deux-Sèvres, 33 % des médecins généralistes soignent en moyenne 1 pathologie bucco-dentaire tous les 15 jours et 4,7 % plus d’1 par semaine [1]. De même une étude britannique a mis en évidence que 41 % des patients présentant une urgence dentaire ont obtenu des premiers soins auprès de leur médecin généraliste [2].

Chez le médecin de premier recours, la consultation semble généralement aboutir à une réorientation vers un chirurgien-dentiste pour les urgences traumatiques et à une prescription d’antalgiques ou d’anti-inflammatoires et d’antibiotiques dans les cas d’urgences douloureuses.

En effet, 68 % des recours à un médecin généraliste pour douleur dentaire donneraient lieu à une antibiothérapie contre 28 % lors du recours à un chirurgien-dentiste [3]. Or, ces pratiques sont dommageables, autant à l’échelle individuelle que collective, au regard du problème majeur de santé publique que représente l’antibiorésistance.

Afin d’optimiser les pratiques des professionnels de santé, force est de constater que le numérique constitue un levier incontournable. Plus spécifiquement, les sites d’aide au diagnostic présentent des qualités incomparables : facilité d’accès, actualisation de l’information et instantanéité de l’information pour l’utilisateur. Nous avons donc réalisé un site web d’aide au diagnostic dans le but d’accompagner les médecins généralistes dans leur pratique.

Le présent article vise à présenter les étapes de réflexion, de conception et de développement réalisées et à venir pour le site Dentaclic, un outil d’aide au diagnostic des urgences bucco-dentaires à l’usage du médecin de premier recours (figure 1).

Une première version a été développée en 2017 dans le cadre d’une thèse d’exercice au sein du département de Médecine générale de l’université de Nancy [4]. Puis, l’outil a été repris et enrichi en 2022 par la sous-section de Santé publique de l’UFR d’Odontologie de Rennes avec l’aide du Service universitaire de pédagogie et des technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement de l’Université de Rennes (SUPTICE).

LE MÉDECIN GÉNÉRALISTE FACE À L’URGENCE BUCCO-DENTAIRE

Les consultations pour motif bucco-dentaire peuvent mettre en difficulté le médecin généraliste dans la détermination du diagnostic, de l’indication d’une prescription médicamenteuse, de la prise en charge de la douleur, voire de l’acte technique à réaliser en cas d’urgence traumatique.

Dans les urgences d’origine infectieuse, les anti-inflammatoires sont contre-indiqués et, dans certains cas, il peut être nécessaire pour le médecin généraliste de rediriger le patient en urgence vers une structure hospitalière ou de réaliser un geste local.

Par ailleurs, dans des cas d’urgences traumatiques, certains gestes simples doivent être réalisés le plus rapidement possible sous peine d’aboutir à une perte de chance pour le patient au regard de la conservation des dents et de leur vitalité. Par exemple, dans les cas d’expulsions dentaires, le devenir de la dent est directement lié au délai, en minutes, et aux conditions de réimplantation.

Dans certains cas fréquents d’urgences douloureuses comme les pulpites réversibles et irréversibles ou les parodontites apicales aiguës, la prescription d’antibiotiques n’est pas justifiée.

Le sujet est donc d’intérêt à différents niveaux : celui du patient, du médecin généraliste – alors confronté à des difficultés diagnostiques et thérapeutiques – et du chirurgien-dentiste – qui reçoit en deuxième recours le patient.

LES SYSTÈMES D’AIDE À LA DÉCISION MÉDICALE, DES OUTILS NUMÉRIQUES PLÉBISCITÉS PAR LES MÉDECINS

Un système d’aide à la décision médicale (SADM) est une « application informatique dont le but est de fournir aux cliniciens en temps et lieux utiles les informations décrivant la situation clinique d’un patient ainsi que les connaissances appropriées à cette situation, correctement filtrées et présentées afin d’améliorer la qualité des soins et la santé des patients » [5].

Dans une étude sur les SADM commanditée par la Haute Autorité de Santé, différentes autorités responsables des systèmes de santé d’Europe et d’Amérique du Nord estimaient que le problème n’était plus désormais de décider si la diffusion des SADM devait ou non être encouragée mais de décider comment faire pour parvenir à en généraliser progressivement l’usage [6].

En 2016, 71 % des médecins généralistes en France utilisaient quotidiennement internet dans le cadre de leur pratique professionnelle et 96 % l’utilisaient au moins une fois par semaine [7]. Le site d’aide à la décision Antibioclic© (antibioclic.com), qui fait référence auprès des médecins généralistes pour la décision thérapeutique en antibiothérapie, a une fréquentation de 5 000 médecins généralistes par jour [8]. Mais le domaine dentaire reste à développer puisque, sur ce site, la thématique des infections dentaires n’est pas traitée.

Dans ce contexte, un SADM répond parfaitement aux différentes contraintes liées à la prise en charge des urgences bucco-dentaires par le médecin de premier recours et l’outil Dentaclic peut constituer dès lors un allié de choix pour le médecin généraliste.

CAHIER DES CHARGES DE DENTACLIC

Afin de positionner Dentaclic comme l’outil de référence dans la prise en charge des urgences bucco-dentaires par le professionnel de premier recours, nos équipes ont élaboré un cahier des charges (figure 2).

• Un contenu exhaustif, fiable et actualisé selon les dernières recommandations : Dentaclic doit répondre aux différentes situations cliniques susceptibles de se présenter en cabinet de ville, avec des données issues des recommandations des sociétés savantes en France. Il doit pouvoir être facilement adapté et mis à jour avec l’évolution de ces recommandations.

• Une utilisation simple et adaptée à la consultation de médecine générale : l’outil doit être accessible facilement depuis n’importe quel ordinateur ou téléphone disposant d’internet et sans téléchargement préalable. Il doit répondre aux critères d’une consultation de médecine générale : un temps de consultation court (environ 15 minutes par patient) [9], des examens complémentaires restreints et un contexte de consultation parfois difficile quand il s’agit d’une consultation pour des urgences dentaires (patients anxieux, algiques et souvent en errance thérapeutique).

• Une plateforme ergonomique et un graphisme simple et épuré : le choix a été fait de réaliser un contenu qui permette d’aller à l’essentiel en quelques clics. En outre, un accent a été mis sur le caractère intuitif de la plateforme.

• S’agissant du public utilisateur, si le public initialement ciblé est constitué par des médecins généralistes, l’objectif est de le diffuser auprès d’autres publics tels que les internes en médecine générale mais aussi les médecins urgentistes, les pédiatres et les infirmières.

LES DÉBUTS DE DENTACLIC

La première version du site Dentaclic a été conçue en 2017 dans le cadre d’une thèse d’exercice de Médecine à l’université de Nancy. La première étape de développement de l’outil a consisté à identifier par une recherche bibliographique les diagnostics les plus fréquents. Dix diagnostics ont alors été retenus et classifiés en 4 catégories : pathologies endodontiques, parodontales, post-opératoires et complications loco-régionales telles que la cellulite d’origine dentaire (figure 3).

Il s’ensuivit une phase pour identifier la physiopathologie, la sémiologie et la prise en charge des diagnostics retenus. Concernant les prises en charge, une attention particulière a été donnée à la rationalisation des prescriptions d’antibiothérapie (pour chaque diagnostic, évaluer l’indication d’antibiothérapie) ainsi qu’à la prise en charge de la douleur. Pour aboutir à un diagnostic, les équipes ont fait le choix d’un arbre décisionnel qui repose sur des questions courtes proposées successivement à l’utilisateur, jusqu’à ce qu’un diagnostic lui soit proposé.

Dentaclic 1.0 a été diffusé aux conseils régionaux et départementaux de l’ordre des médecins, ainsi qu’aux Unions régionales des professionnels de santé. Sur 4 mois d’essai de l’outil en 2017, il enregistrait 1 250 utilisateurs (soit 10 utilisateurs par jour en moyenne).

LE DÉVELOPPEMENT DE DENTACLIC 2.0

En 2022, Dentaclic a fait l’objet d’une seconde phase de développement qui visait à actualiser les données et à faire évoluer ses fonctionnalités afin de renforcer la position du site comme outil de référence dans la prise en charge des urgences bucco-dentaires.

Alors que l’outil avait été développé par des médecins généralistes, des chirurgiens-dentistes ont pris part à la seconde phase de développement du projet, permettant un partenariat interdisciplinaire et inter-universitaire puisque les facultés de Médecine de Nancy et d’Odontologie de Rennes sont impliquées.

Parmi les évolutions, les diagnostics (limités à 10 dans sa première version) ont été augmentés afin d’être le plus exhaustif possible. Au-delà de la douleur dentaire, l’intérêt a été porté sur les pathologies infectieuses d’origine dentaire, pour lesquelles le pronostic vital peut même être engagé, mais aussi sur les traumatismes bucco-dentaires et sur les pathologies dentaires de l’enfant (figure 3).

Les diagnostics les plus graves (pathologies infectieuses, traumatismes, hémorragies), nécessitant une prise en charge rapide et prioritaire, sont mis en avant pour permettre au médecin de premier recours de les poser plus rapidement, toujours dans un souci de temps de consultation limité.

Les informations sur la physiopathologie, la sémiologie et la prise en charge ont été actualisées avec les dernières recommandations de bonnes pratiques qui les concernent. Des fiches thérapeutiques ont été ajoutées afin de corréler ces données avec la prise en charge qui doit être faite par le médecin généraliste puis avec celle qui sera faite par le chirurgien-dentiste, dans un souci d’information du médecin généraliste et du patient. Concernant les fonctionnalités proposées par le site, le système d’arbre décisionnel a été écarté car il ne répondait plus aux critères de rapidité d’orientation diagnostique. En effet, le nombre de questions pouvant être posées à l’utilisateur était triplé à cause de l’augmentation du nombre de diagnostics retenus.

Pour le remplacer, nos équipes ont choisi une détermination du diagnostic en 2 grandes étapes.

• Une première étape de tri permet au praticien de cibler la catégorie ou le motif d’urgence principal : pathologie infectieuse, traumatisme, douleur dentaire, pathologie dentaire de l’enfant… (figure 4). Ces 5 catégories d’urgence ont été choisies pour leur facilité d’association à des propos rapportés par le patient et/ou à des catégories d’urgences connues par le médecin généraliste.

• Une seconde étape sous forme d’items à cocher permet au praticien de sélectionner les signes et symptômes pouvant être rapportés par le patient ou ceux objectivés par le médecin lors de son examen clinique (figure 5).

Dentaclic suggère alors une ou plusieurs orientations diagnostiques au praticien qui peut évaluer la pertinence du diagnostic proposé face aux éléments rapportés par le patient (figures 6 et 7) et enfin choisir de suivre la conduite à tenir proposée.

Enfin, et toujours dans cette volonté de faciliter la prise en charge des patients par le médecin généraliste, Dentaclic propose aux utilisateurs des lettres et ordonnances types en fonction des diagnostics qui ont été retenus.

Les étapes futures de développement viseront notamment à ajouter une fonctionnalité de chatbot ou robot conversationnel pour permettre au médecin une détermination du diagnostic encore plus efficace et conviviale.

CONCLUSION

En répondant à un besoin spécifique d’aide à la prise en charge des urgences bucco-dentaires par le médecin généraliste, Dentaclic participe à un objectif plus global de décloisonnement des filières, d’amélioration de la qualité des soins prodigués aux patients par l’intermédiaire du numérique.

En formation ou en exercice, en hôpital ou en ville, l’appropriation par les professionnels de santé du numérique et d’applications efficaces est désormais incontournable pour le futur du système de soins.

La mise en ligne de la version Dentaclic 2.0 est prévue courant 2023 et sera disponible sur le site www.dentaclic.com

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Grignon R. Évaluation de la prise en charge des infections dentaires en médecine générale. Thèse d’exercice pour le Diplôme d’État de Docteur en Médecine générale. Université de Poitiers, 2014.
  • 2. Thomas DW, Satterthwaite J, Absi EG, Lewis MA, Shepherd JP. Antibiotic prescription for acute dental conditions in the primary care setting. Br Dent J 1996;181:401.404.
  • 3. Anderson R, Calder L, Thomas DW. Antibiotic prescribing for dental conditions: General medical practitioners and dentists compared. Br Dent J 2000;188:398.400.
  • 4. Hingre F, Huant T, Berbé C. Élaboration d’un outil d’aide au diagnostic et à la prise en charge des douleurs dentaires non traumatiques de l’adulte à l’usage des médecins de premier recours. Exercer 2019;154:274-280.
  • 5. Teich JM, Osheroff JA, Pifer EA, Sittig DF, Jenders RA. Clinical decision support in electronic prescribing: Recommendations and an action plan: Report of the joint clinical decision support workgroup. J Am Med Inform Assoc 2005;12:365-376.
  • 6. Comble PH, Renaud-Salis JL, Lagouarde P, Darmoni S. Étude des systèmes d’aide à la décision médicale. Étude commanditée par la Haute Autorité de santé, 2010.
  • 7. Centre d’Étude Sur les Supports de l’Information Médicale (CESSIM). Baromètres annuels sur les usages digitaux des professionnels de santé, 2016. [/www.ipsos.com/fr-fr/ les-pratiques-numeriques-des-medecins-generalistes-en-2016]
  • 8. Peiffer-Smadja N, Delory T, Jeanmougin P, et al. Quels sont les déterminants du succès durable d’un outil d’aide à la prescription antibiotique en médecine générale ? Médecine et Maladies Infectieuses 2020;50:S57.
  • 9. Letrilliart L, Supper I, Schuers M, et al. ECOGEN: étude des Éléments de la COnsultation en médecine GENérale. Exercer 2014;25:148-157.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.