COMBINER HYPNOSE MÉDICALE ET RÉALITÉ VIRTUELLE DANS LA PRISE EN CHARGE DES ENFANTS ANXIEUX QUAND LES SOINS DENTAIRES DEVIENNENT UN JEU D’ENFANT - Clinic n° 02 du 01/02/2023
 

Clinic n° 02 du 01/02/2023

 

Dossier

Nhat Minh DO*   Marie-Cécile MANIÈRE**   François CLAUSS***  


*Ancien interne en Médecine bucco-dentaire, AHU, Chef de clinique, CHU de Strasbourg.
**PU-PH en Odontologie pédiatrique, Faculté de Chirurgie dentaire, Strasbourg.
***PU-PH en Odontologie pédiatrique, Faculté de Chirurgie dentaire, Strasbourg. Président du Comité d’Éthique des Facultés de Médecine, d’Odontologie, de Pharmacie, des écoles de Maïeutique, Kinésithérapie et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg.

En odontologie pédiatrique, l’intérêt croissant pour la réalité virtuelle (RV) répond à la forte prévalence de l’anxiété dentaire chez l’enfant. Associée à un accompagnement sonore et verbal inspiré de l’hypnose thérapeutique, la distraction visuelle obtenue par immersion avec le casque de RV pourrait être d’autant plus efficace et reproductible.

L’anxiété dentaire ainsi que les douleurs dentaires restent les causes principales de l’agitation et du manque de coopération des enfants au cabinet dentaire. Ces phénomènes, décrits sous le terme anglophone de Dental Behavior Management Problems (DBMP), conduisent à une interruption de l’intervention et, souvent, à un renoncement aux soins en odontologie pédiatrique [1].

En France, la prévalence de l’anxiété dentaire chez les enfants âgés de 5 à 12 ans est de 16 % pour sa forme modérée et de 7 % pour sa forme sévère [1]. Pour apaiser ces enfants, les thérapies cognitives et les approches comportementales seules sont souvent insuffisantes et, selon la situation clinique, les praticiens peuvent avoir recours à un continuum de sédation.

Cet article a pour objectif :

– de rappeler l’apport de l’hypnose médicale en anesthésie ;

– de présenter un dispositif de RV permettant de combiner un discours hypnotique avec un scénario d’immersion multisensorielle ;

– de proposer un protocole de recherche clinique afin d’étudier son efficacité chez les enfants anxieux dans le cadre de soins dentaires.

L’HYPNOSE MÉDICALE À VISÉE ANXIOLYTIQUE ET ANALGÉSIQUE

L’hypnose en tant que mode de communication et outil thérapeutique connaît un essor important en anesthésie. Par la parole, le praticien induit chez le patient un état de conscience particulier caractérisé par une indifférence à l’extérieur et une hyper-suggestibilité. En d’autres termes, l’objectif de l’hypnose au cabinet dentaire est de permettre au patient de se détacher de sa réalité actuelle du soin et de lui éviter d’être focalisé sur son anxiété ou sa douleur pour se réapproprier sa réalité autrement. L’attention du patient est soutenue par des suggestions positives et il peut connaître des modifications dans sa perception du temps, de l’espace et de soi. Cela rend plus facile son expérience au cabinet dentaire et lui laisse une mémoire émotionnelle positive de la séance.

Un rapport de l’Inserm de 2015, intitulé Évaluation de l’efficacité de la pratique de l’hypnose, note que les résultats de l’hypnose sont variables mais qu’il existe néanmoins suffisamment d’éléments pour pouvoir affirmer que l’hypnose a un intérêt thérapeutique potentiel [2]. Des essais randomisés rapportent de manière concordante que cet état de conscience modifié (ECM) ou état de conscience « hypnotique » peut être utilisé à visée sédative (hypnosédation), pour lutter contre l’anxiété ou encore la douleur (hypnoanalgésie) [3] en peropératoire ou postopératoire en chirurgie et en médecine interventionnelle [4]. Cependant, le déploiement et l’utilisation de l’hypnose sont limités par plusieurs facteurs dont l’expertise en hypnose, le temps et l’effort demandés au praticien pratiquant l’hypnose et l’effort cognitif requis par le patient, ce dernier étant plus ou moins réceptif [5, 6].

L’HYPNOSE MÉDICALE COMBINÉE À UN DISPOSITIF DE RÉALITÉ VIRTUELLE

Le développement de nouvelles technologies, comme la RV, permet de faciliter l’induction hypnotique grâce à l’immersion tridimensionnelle multisensorielle [7, 8].

Il serait intéressant de combiner l’hypnosédation et la réalité virtuelle pour cumuler les avantages des deux techniques et miser sur leur complémentarité dans le cas de l’accompagnement des enfants anxieux.

Un des dispositifs qui proposent cette association est HypnoVR. L’immersion visuelle et le discours hypnotique sont diffusés respectivement dans les lunettes de RV et dans un casque audio pour accompagner le patient pendant les soins dentaires. Cela permettrait de le guider au travers des mêmes étapes de l’hypnose que lorsque celle-ci est classiquement induite par un hypnothérapeute (figure 1).

Cette approche cognitivo-comportementale non pharmacologique vise donc à distraire le patient, à le soustraire des stimulis anxiogènes inhérents à la pratique odontologique et à en faire un acteur à part entière. L’enfant reste actif dans la prise en charge à partir du moment où il choisit le scénario et ceci durant toute la séance. En effet, le discours d’hypnose utilisé est permissif et non contraint et amène un accompagnement avec des suggestions hypnotiques (figure 2).

De plus, une séquence de respiration guidée et de cohérence cardiaque ainsi que des compositions musicales spécifiques selon les principes reconnus de la musicothérapie complètent le dispositif pour une expérience d’immersion multisensorielle thérapeutique unique.

L’intérêt majeur réside principalement en l’absence d’effet secondaire et dans la qualité de la « sédation » qu’elle procure.

La simplicité du protocole d’utilisation, la possibilité d’une adaptation du scénario au patient et l’interactivité due à la réalité virtuelle permettent le plus souvent une bonne intégration de la procédure au plan de traitement ainsi qu’une bonne tolérance et une satisfaction du jeune patient.

En effet, les enfants, plongés dans un « univers d’écrans » dès leur plus jeune âge, sont facilement séduits et familiarisés avec ce système. La démocratisation des casques de RV dans le quotidien et leur côté ludique détournent l’attention et l’anxiété de l’enfant vis-à-vis des soins dentaires vers ce système de divertissement [9].

PROPOSITION D’UN PROTOCOLE DE RV EN ODONTOLOGIE PÉDIATRIQUE

L’hypnose sous RV reste un outil qui permet d’induire une forme de sédation consciente ; c’est pourquoi plusieurs précautions sont à mettre en place afin d’obtenir l’adhésion du patient.

• La vue est un canal sensoriel majeur pour l’enfant afin d’appréhender son environnement et de mesurer le danger. Avec le masque de RV sur les yeux, ses autres sens sont alors en alerte. Par conséquent, il est impératif de créer lors de la première séance une atmosphère de confiance. L’enfant a besoin d’explications, de voir, de toucher les instruments qui seront utilisés lors du soin afin de ne pas être surpris par les bruits et les vibrations qu’il pourrait ressentir durant l’opération. Les thérapies cognitives et les approches comportementales (méthode tell/ show/do) peuvent être employées pour cela (figure 3).

• Comme tout autre technique de sédation consciente, la façon dont le dispositif de RV est présenté à l’enfant est cruciale. Il peut être intéressant de rapprocher l’expérience de RV à une activité ludique, habituelle et agréable comme une séance en salle de cinéma. En filant la métaphore de la salle de cinéma, il est possible d’introduire la sensorialité du cinéma (fauteuil douillet et confortable, odeurs douces de pop-corn, grand écran d’action…) à la salle de soin afin d’obtenir l’aval et la participation du patient.

• Lors de la séance de travail, il est préférable de proposer un temps de détente avec la RV dans la salle d’attente avant d’installer l’enfant dans la salle de soin. Cela permet de le familiariser avec le dispositif et d’entamer l’hypnose (figure 4).

• Le temps de travail peut être de durée variable et le patient peut choisir plusieurs univers ou scénarios qui s’enchaînent automatiquement. En parallèle, le praticien peut suivre sur la tablette tactile l’évolution du scénario et introduire des distractions ponctuelles (stimulations visuelles et sonores intégrées dans le discours) lors des actes douloureux ou anxiogènes (figure 5). Il est impératif pour le praticien de garder un lien verbal avec le patient. Durant une séance d’hypnose médicale, les enfants font souvent des micro-retours. Lors de ces moments, ils doivent se sentir accompagnés et encouragés, par exemple sous forme d’exercices de respiration guidée. Il est alors conseillé de mettre le haut-parleur plutôt qu’un casque audio-hermétique.

• Le retour peut être enclenché à tout moment. Il est conseillé de garder sous observation l’enfant pendant 10 minutes après l’intervention.

À notre connaissance, aucune publication ne propose une évaluation de dispositif de RV avec des discours d’hypnose médicale pour des interventions dentaires chez l’enfant.

HYPNOSEDENT – PROTOCOLE D’ÉTUDE COMPARATIVE ENTRE RV ET SÉDATION PHARMACOLOGIQUE DANS LA PRISE EN CHARGE DE L’ENFANT ANXIEUX EN ODONTOLOGIE

L’étude clinique HYPNOSEDENT est actuellement en cours dans l’unité fonctionnelle d’odontologie pédiatrique du pôle de médecine et de chirurgie bucco-dentaires de Strasbourg. Elle a pour objectif de comparer l’efficacité en termes d’anxiolyse d’un logiciel d’hypnose médicale combiné à la RV par rapport à une sédation médicamenteuse de référence.

L’hypothèse de ce travail est que l’hypnose en réalité virtuelle permet de réduire l’anxiété des enfants ainsi que leur niveau de douleur pendant les soins dentaires avec une efficacité et une tolérance au moins similaires à celles de l’inhalation de MEOPA. Plus précisément, nos analyses statistiques seront fondées sur une hypothèse de non-infériorité de la RV par rapport à la technique pharmacologique de sédation au MEOPA.

L’originalité de l’étude réside également dans l’évaluation de l’impact du tempérament de l’enfant sur son acceptation du matériel de RV et sa suggestibilité hypnotique par la RV. En effet, de nombreuses études ont montré une corrélation significative entre la coopération de l’enfant durant les soins dentaires et certains de ses traits de tempérament comme l’émotivité, le niveau d’activité motrice et la sociabilité. Cette dernière est également étudiée à travers ses expériences et activités extra-scolaires (participation à des activités artistiques ou sportives en club…). Il semble intéressant d’évaluer l’effet de ces traits de tempérament sur la réponse à l’hypnose sous RV.

Des résultats encourageants ont été observés lors de l’étude pilote associée. Elle avait pour objectif d’évaluer la faisabilité clinique, la tolérance et l’efficacité des programmes de réalité virtuelle HypnoVR en odontologie pédiatrique.

Elle incluait principalement des jeunes patients anxieux, âgés d’au moins 9 ans (l’âge moyen étant 11 ans). Une évaluation des scores d’anxiété et de satisfaction a montré une réduction significative de l’anxiété (de 45 %) lors des séances itératives de réalité virtuelle, avec une satisfaction des patients moyenne de 8/10. Une bonne faisabilité clinique de l’utilisation de la réalité virtuelle a été montrée, avec la possibilité de réaliser des actes de chirurgie orale, d’endodontie ou des soins conservateurs. Des séances cliniques de longue durée (supérieure à 1 heure) ont été également menées sous réalité virtuelle, dans le cadre de réhabilitations complexes d’anomalies dentaires, avec un bon niveau d’anxiolyse.

Cette technique thérapeutique présente cependant plusieurs limites. L’interactivité avec l’enfant est réduite et, contrairement à l’hypnose médicale menée par le praticien, il est encore difficile de proposer un scénario/ discours complètement sur mesure et adapté à l’enfant. Les échecs associés à cette technique sont souvent dus à une demande supplémentaire d’accompagnement de certains enfants. Il serait intéressant de mobiliser davantage l’enfant, à l’instar des jeux vidéo sous RV. Rappelons les principes fondamentaux d’un jeu : une histoire stimulant l’imaginaire, un objectif à atteindre, différentes valeurs accordées aux résultats du jeu et des joueurs faisant des efforts pour influencer les résultats. Ainsi, associer un scénario de jeu à un discours d’hypnose médicale évolutif pourrait être une solution afin d’apporter encore plus d’interaction et d’adhésion chez l’enfant.

Par aileurs, un effort de réduction de la taille du dispositif visuel pourrait permettre de tendre vers une meilleure ergonomie.

CONCLUSION

De par son efficacité et sa facilité d’emploi, la réalité virtuelle entre dans l’arsenal thérapeutique pour la prise en charge des patients anxieux. Combinée à un discours d’hypnose médicale, elle pourrait apporter aux patients plus de confort pendant la séance et leur laisser un bon souvenir du cabinet dentaire. Ainsi, grâce à la RV, les soins dentaires chez les enfants pourraient devenir plus accessibles aux omnipraticiens !

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Nicolas E, Bessadet M, Collado V, Carrasco P, Rogerleroi V, Hennequin M. Factors affecting dental fear in French children aged 5-12 years. Int J Paediatr Dent 2010;20:366.373.
  • 2. Gueguen J, Barry C, Hassler C, Falissard B. Évaluation de l’efficacité de la pratique de l’hypnose. Rapport de l’Inserm, 2005:213.
  • 3. Eijlers R, Utens EMWJ, Staals LM, et al. Systematic review and meta-analysis of virtual reality in pediatrics: Effects on pain and anxiety. Anesthesia & Analgesia 2019;129:1344.1353.
  • 4. Lang EV, Benotsch EG, Fick LJ, et al. Adjunctive non-pharmacological analgesia for invasive medical procedures: A randomised trial. Lancet 2000;355:1486.1490.
  • 5. Geiger E, Peter B, Prade T, Piesbergen C. Intelligence and hypnotizability: Is there a connection? Int J Clin Exp Hypn 2014;62:310.329.
  • 6. Milling LS. Is high hypnotic suggestibility necessary for successful hypnotic pain intervention? Cur Pain Headache Rep 2008; 12:98.102.
  • 7. Patterson DR, Tininenko JR, Schmidt AE, Sharar SR. Virtual reality hypnosis: A case report. Int J Clin Exp Hypn 2004;52:27.38.
  • 8. Patterson DR, Wiechman SA, Jensen M, Sharar SR. Hypnosis delivered through immersive virtual reality for burn pain: A clinical case series. Int J Clin Exp Hypn 2006;54:130.142.
  • 9. Parsons TD, Riva G, Parsons S, et al. Virtual Reality in pediatric psychology. Pediatrics 2017; 140 (suppl.2):S86.S91.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.