ASSOCIER MICRO-ABRASION ET ÉCLAIRCISSEMENT AMBULATOIRE POUR TRAITER UNE FLUOROSE MODÉRÉE
Dentisterie
Esthétique
Chaïma BOUAHAJJA* Saida SAHTOUT** Athina TEMMAR*** Julien DELRIEU**** Karim NASR***** Thibault CANCEILL****** Franck DIEMER*******
*Résidente en odontologie conservatrice et endodontie (OCE). Hôpital Militaire Principal d’Instruction de Tunis, Tunisie.
**Professeur en OCE et cheffe de service. Clinique Hospitalo-Universitaire de Médecine dentaire de Monastir, Tunisie.
***Exercice libéral, Saint-Clar-de-Rivière.
****Chef de clinique, Département d’Odontologie, Faculté de Santé de Toulouse.
*****MCU-PH, Département d’Odontologie, Faculté de Santé de Toulouse.
******MCU-PH, Département d’Odontologie, Faculté de Santé de Toulouse.
*******PU-PH, Département d’Odontologie, Faculté de Santé de Toulouse.
Prendre en charge des dents atteintes de fluorose constitue un défi pour les chirurgiens-dentistes qui prennent en charge les patients avec un motif de consultation esthétique. Parmi les techniques proposées, la micro-abrasion amélaire est une thérapeutique minimalement invasive qui trouve notamment son indication pour les cas de fluorose légère à modérée. Elle peut être couplée à d’autres thérapeutiques comme l’éclaircissement externe en ambulatoire pour des résultats esthétiques optimaux.
De nos jours, la société est fortement influencée, via les médias et les réseaux sociaux, par l’idée d’un « sourire parfait », en réalité synonyme de dents « blanches et alignées ». Cela s’accompagne d’une recrudescence des demandes de traitements à visée esthétique, notamment les éclaircissements dentaires, particulièrement populaires parmi les patients [1].
Différents protocoles et produits d’éclaircissement sont disponibles, à savoir les produits utilisés par le patient, avec ou sans supervision professionnelle, et les produits professionnels utilisés seulement au cabinet dentaire [2]. L’éclaircissement ambulatoire est une technique effectuée par le patient lui-même sous la supervision d’un chirurgien-dentiste. Ce suivi par un professionnel s’avère très important pendant le traitement afin de garantir sa sécurité, d’augmenter l’efficacité de la procédure d’éclaircissement et de rassurer le patient sur la survenue possible de sensibilités.
La micro-abrasion amélaire est une thérapeutique minimalement invasive permettant d’éliminer les dyschromies et les défauts de surface limités à la couche externe de l’émail. Elle agit sur la surface amélaire avec une double action : chimique (érosion) et mécanique (abrasion). Les produits micro-abrasifs actuels contiennent une faible concentration d’acide chlorhydrique – de 6,6 % pour Opalustre (Ultradent) à 10 % pour Prema (Premier Dental Company) – avec du carbure de silicium de différentes granulométries [3]. Ces particules de silice (SiO2) pourraient être incorporées dans l’épaisseur de l’émail, ce qui conduirait à la formation de nouveaux cristaux d’apatite capables de minimiser et de résister au processus de déminéralisation et de réduire l’accumulation de la plaque [4, 5].
L’épaisseur de l’émail éliminé lors d’un traitement par micro-abrasion peut varier, selon les études, de 20 à 200 µm en fonction de la concentration en acide et de la durée de l’application [4]. Cette perte minime d’épaisseur peut parfois faire apparaître la dentine sous-jacente, d’où un aspect plus foncé des dents [4]. L’association des thérapeutiques de micro-abrasion et d’éclaircissement externe en ambulatoire trouve alors son indication pour un meilleur rendu esthétique avec des résultats plus stables.
Un patient âgé de 32 ans est adressé par son orthodontiste au service d’Odontologie conservatrice et Endodontie au sein de la Clinique dentaire de Monastir, Tunisie. Après avoir bénéficié d’un traitement orthodontique, le patient souhaitait améliorer la teinte de ses dents et se présentait donc à la consultation pour un motif esthétique.
Le patient est en bonne santé et ne présente pas d’antécédents médicaux ni chirurgicaux. Il ne fume pas et il ne boit pas beaucoup de café. Le patient déclare, à l’anamnèse, qu’il a grandi dans une région de la Tunisie où l’eau est hautement fluorée.
L’examen clinique révèle l’absence de toute lésion carieuse ou parodontale. Le patient ne présente aucune fêlure amélaire, ni abrasion ni d’érosion dentaire. Les dents sont indemnes de toute restauration coronaire en composite ou en amalgame. L’examen radiologique confirme l’absence de toute pathologie dentaire ou péri-apicale.
L’hygiène bucco-dentaire du patient est perfectible. Il a bénéficié d’un détartrage et d’un polissage après le débaguage, soit 3 semaines avant la consultation.
Les dents présentent des lignes et des taches blanchâtres et jaunâtres allant, pour quelques dents (la 12, la 11 et la 21), jusqu’à la couleur brunâtre. En rassemblant les données de l’anamnèse (patient ayant grandi dans une région dont l’eau a une haute teneur en fluorure) et les données cliniques, le diagnostic a été posé : fluorose dentaire modérée selon l’indice de Dean [6] (figure 1).
Le traitement combiné par micro-abrasion et éclaircissement externe en ambulatoire sur les dents allant de la 14 à la 24, permettrait de répondre aux exigences esthétiques du patient, la micro-abrasion étant une solution thérapeutique conseillée dans le cas de fluorose légère à modérée [3]. L’association de l’éclaircissement à la micro-abrasion pourrait être aussi très importante pour harmoniser la teinte et perfectionner le résultat. Le patient a été informé que la technique utilisant la micro-abrasion pourrait nécessiter deux séances si le résultat obtenu à la première s’avérait insuffisant.
Un enseignement à l’hygiène a été réalisé au début du traitement. Y ont été ajoutées des recommandations alimentaires comme minimiser le café, les boissons et les épices colorées tout au long de la durée du traitement et jusqu’à une stabilisation du résultat.
Des photographies avec le teintier VITA classical A1-D4® ont été réalisées afin d’évaluer la teinte des dents, de comparer le résultat au début et à la fin du traitement ainsi que de préfigurer le résultat souhaité pour le patient.
La mise en place d’un champ opératoire est un préalable primordial avant tout traitement par micro-abrasion afin de protéger la gencive de l’action érosive et abrasive de la pâte de micro-abrasion. La digue a ainsi été positionnée de la 14 à la 24 (figure 2).
La pâte de micro-abrasion (Opalustre™, Ultradent) a été appliquée sur la surface de l’émail et des mouvements de rotation ont été initiés à l’aide d’une cupule siliconée spécifique (OpalCups™, Ultradent) montée sur un contre-angle réducteur à une vitesse d’environ 2 000 tours/min (figure 3). L’application se fait durant 10 secondes avec une pression manuelle faible. Ce cycle de rotation est toujours suivi par un rinçage abondant ainsi qu’un séchage de la surface dentaire. Le résultat de l’éclaircissement des taches brunes et jaunes est évalué après chaque cycle pour savoir s’il est nécessaire d’ajouter un cycle complémentaire (figure 4).
Durant la première séance de soins par micro-abrasion, 8 cycles ont été réalisés. Les dents mandibulaires (de la 34 à la 44) ont été sujettes au même protocole.
L’évaluation exacte du résultat de la micro-abrasion n’est pas possible instantanément après la séance, vu le phénomène de déshydratation des dents qui suit l’application de la pâte abrasive et la présence de la digue. Le patient a été revu le lendemain (l’hydratation des dents par contact avec la salive a permis de bien identifier le résultat de la micro-abrasion) : des taches brunes étant encore identifiables, une deuxième séance de soins s’est avérée nécessaire.
Lors de la deuxième séance, 5 cycles de 7 à 10 secondes chacun ont été réalisés (figures 5 et 6). À ce stade, le traitement par éclaircissement externe trouvait son indication pour harmoniser la teinte en réduisant le contraste entre les zones micro-abrasées et la surface amélaire non concernée par la micro-abrasion.
À la fin de cette séance, une empreinte à l’alginate a permis la confection des gouttières d’éclaircissement en polyvinyle (gouttières sans réservoirs, découpées à 2 mm des collets des dents).
Après vérification de l’ajustage et de la stabilité des gouttières, une démonstration de mise en place du produit d’éclaircissement dans la gouttière préformée a été réalisée auprès du patient.
Un produit à base de peroxyde de carbamide à 16 % (Home–Whitening 16 %, White Smile) a été appliqué la nuit sur une durée minimale de 3 heures consécutives.
Un rendez-vous de contrôle après une semaine nous a permis de vérifier le résultat et de confirmer la nécessité d’une seconde semaine de traitement. Un gel fluoré a été prescrit puisque le patient décrivait l’apparition d’une légère sensibilité. Les photographies intra-orales après 14 jours d’application de peroxyde de carbamide 16 % révélaient un résultat très satisfaisant pour le patient ainsi que pour le praticien (figure 7), qui ont ainsi décidé de consort d’arrêter le traitement à ce stade malgré la persistance de taches blanches. Une thérapeutique d’érosion/infiltration n’a pas été retenue par le patient déjà satisfait de l’esthétique de ses dents.
Une photographie avec une prise de teinte avec le teinter VITA classical A1-D4® permet de comparer l’évolution de la teinte des dents de la 14 à la 24 (figures 8 et 9).
Le cas clinique présenté ici illustre l’intérêt d’associer les thérapeutiques de micro-abrasion et d’éclaircissement externe dans la prise en charge esthétique des patients atteints de fluorose. La fluorose dentaire est un trouble spécifique généré par une ingestion chronique et excessive de fluor pendant la phase de formation de la dent [7]. Selon Dean et McKay, le niveau optimal du fluorure de l’eau doit être inférieur à 0,9-1 ppm [6]. Cliniquement, la fluorose dentaire se caractérise par une hypominéralisation de l’émail et la présence de taches et/ou de lignes opaques blanches, voire des colorations brunes, à sa surface dans les situations prononcées. Ces colorations sont diffuses, symétriques et réparties sur l’ensemble des dents [8]. La perte de substance, les porosités et les taches brunâtres se voient généralement dans des cas plus sévères [8]. Histologiquement, l’émail d’une dent atteinte de fluorose est caractérisé par la présence d’espaces inter-prismatiques plus larges, ce qui donne lieu à un émail poreux et perméable [9]. Les pigments colorés vont alors s’incorporer dans les pores et transforment les opacités blanches en brunes [9]. Les altérations dues à la fluorose dentaire influencent considérablement la psychologie de certains patients et pourraient même altérer leur qualité de vie [8].
La prise en charge des dents atteintes de fluorose dépend de la sévérité de l’atteinte. Pour les cas les moins sévères, on opte pour des méthodes minimalement invasives telles que l’éclaircissement externe, la micro-abrasion amélaire ou une association des deux [10]. L’étape d’éclaircissement sera réalisée après la micro-abrasion si l’émail, à cause de sa porosité de départ, doit être poli avant application des produits éclaircissants. D’autres méthodes telles que la macro-abrasion et la restauration par résine composite, la réalisation des facettes ou encore des couronnes à recouvrement total sont considérées comme des thérapeutiques invasives et sont réservées plutôt pour les cas les plus sévères. L’érosion-infiltration constitue aujourd’hui une nouvelle option thérapeutique pour la prise en charge des dents atteintes de fluorose [8]. Elle consiste en une application d’acide chlorhydrique à 15 %, suivie par une application d’une résine très fluide [9]. Elle pourrait être une alternative à l’approche restauratrice invasive en masquant de façon considérable les dyschromies. Le choix de l’une ou de l’autre parmi ces options thérapeutiques doit répondre aux attentes du patient, tout en prenant en considération le type et l’intensité des colorations [9].
La micro-abrasion amélaire est une technique minimalement invasive, simple et peu couteuse. Elle est très intéressante dans la correction des altérations de teinte et des légers défauts de structure retrouvés dans les cas de fluorose, d’hypoplasie amélaire ou d’amélogenèse imparfaite [3]. Selon la littérature récente, la micro-abrasion est une technique efficace dans les cas de fluorose légère à modérée [3, 7, 8]. Cette thérapeutique agit par une double action : une action érosive (chimique) et une action abrasive (mécanique). Un essai clinique randomisé réalisé par Castro et al. a montré que la micro-abrasion associée à l’éclaircissement à domicile réduisait efficacement les dyschromies dans le cas de fluorose légère à modérée, tout en améliorant l’aspect esthétique des dents et en renforçant l’estime de soi chez les patients, sans incidence majorée d’effets secondaires tels que la sensibilité dentaire [10]. En réalité, plusieurs auteurs ont recommandé cette association afin de diminuer le contraste entre les taches de la fluorose et la surface amélaire saine [3, 10]. Ceci permet d’avoir une teinte uniforme et d’optimiser le rendu esthétique.
Dans le cas clinique présenté ici, il a été choisi de commencer par le traitement mécanique – la micro-abrasion amélaire – afin d’éliminer les colorations foncées des incisives supérieures, motif de consultation initial du patient. S’en est suivie la phase de traitement d’éclaircissement externe ambulatoire pour agir sur la luminosité des dents et affiner le rendu esthétique. En réalité, l’intérêt de cette association se manifeste aussi par la rapidité et l’effet immédiat au fauteuil, ce qui permet de renforcer la motivation du patient par l’observation immédiate de la modification de la teinte des dents. Il est aussi possible de commencer le traitement par l’éclaircissement ambulatoire afin de jouer sur la luminosité de la dent et de terminer avec la micro-abrasion amélaire.
Le produit éclaircissant choisi dans la réalisation de ce cas clinique a été du peroxyde de carbamide à 16 % qui a été appliqué pendant 2 semaines selon les recommandations du fabricant. Des données d’une méta-analyse publiée en 2018 mettent en évidence l’absence de différence entre les produits plus ou moins concentrés sur le changement de teinte [11], alors que Matis et al. ont montré que le peroxyde de carbamide PC à 15 % atteignait des degrés d’éclaircissement plus élevés que le PC à 10 % après deux semaines d’utilisation [12]. Le risque et l’intensité de la sensibilité dentaire, qui est l’effet secondaire le plus couramment rencontré avec l’éclaircissement dentaire, sont plus élevés avec les agents PC de concentration de plus de 10 % [11].
D’autres associations de thérapeutiques esthétiques ont été proposées dans la littérature pour résoudre le problème des dyschromies dues à la fluorose dentaire [13]. Parmi ces associations, la micro-abrasion et l’éclaircissement externe au fauteuil, ou encore la micro-abrasion associée à la fois à l’éclaircissement et à la technique d’érosion-infiltration. Le choix des procédures à appliquer dépend principalement de la profondeur de la lésion. L’estimation de la profondeur des opacités amélaires peut être réalisée par la méthode de transillumination [9] : suite à l’application d’une source lumineuse de type LED au niveau de la face linguale de la dent, la tache est jugée superficielle si les contours de cette opacité sont nets et elle est jugée profonde si ses contours sont flous [9].
Le traitement par association des thérapeutiques esthétiques de micro-abrasion et d’éclaircissement ambulatoire reste une alternative sure, simple et minimalement invasive pour éclaircir les taches légères à modérées de la fluorose dentaire. Le respect d’un régime alimentaire strict et d’habitudes d’hygiène bucco-dentaire adaptées au traitement entrepris permettent au patient d’obtenir des résultats durables dans le temps. Un résultat stable et durable influence favorablement la qualité de vie du patient notamment dans ses interactions sociales. La réalisation d’une procédure combinée ne saurait en revanche être suffisante pour la gestion des atteintes très avancées de la fluorose.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.
Nous tenons à remercier Dr Mohamed Aziz BELGACEM pour son aide dans la prise des photos de ce cas clinique.