Clinic n° 12 du 01/12/2022

 

Dossier

Jean LECERF*   Hélèna DEHARVENGT**   Guillaume PARADIS***  


*Ancien expert judiciaire.
**Ancien MCU-PH, UFR d’Odontologie de Rennes.
***Comité dentaire de la MACSF.
****Exercice libéral à Neuilly-sur-Seine.
*****Expert judiciaire à Rennes.

L’évolution des connaissances thérapeutiques associées aux partages des données médicales accessibles par les patients nous obligent à une maîtrise des informations, des propositions et à leur justification. Les photographies dentaires utilisées pour visualiser l’état initial, l’évolution et la fin des soins permettent d’expliquer un plan de traitement, les différents soins et de justifier les étapes thérapeutiques. La réalisation d’images ne présente aucun caractère obligatoire, mais lorsqu’un litige apparaît elles permettent de rendre compte objectivement des informations médicales initiales motivant le projet de soins.

« Une image vaut mille mots » Confucius

Le monde actuel, rapide et très ouvert, contraint souvent le praticien à devoir justifier ses choix thérapeutiques. Les patients qui nous consultent sont de plus en plus informés, ayant souvent pris le temps de « surfer sur la toile » afin d’essayer de comprendre les traitements qui peuvent leur être appliqués. Les différentes possibilités thérapeutiques, les spécialisations pointues ainsi que la technologie, de plus en plus présentes, rendent malgré tout nos traitements moins compréhensibles aux yeux des patients [1]. Il nous faut alors écouter, noter, argumenter, expliquer, convaincre pour que notre patient assimile les différents aspects des solutions thérapeutiques proposées, leurs avantages, leurs contraintes et les différentes étapes du traitement. Cela nécessite du temps, de la patience et de la pédagogie. Ce temps thérapeutique doit se dérouler dans une atmosphère d’écoute, d’échange et de respect réciproque. À ce stade, la photographie dentaire constitue pour le praticien un véritable outil de diagnostic. C’est un examen non invasif, facile et rapide à réaliser, qui nous permet de réfléchir aux différentes solutions thérapeutiques à envisager et de proposer un traitement adapté [2, 3].

En post-traitement, malheureusement, quelques patients peuvent estimer à tort ou à raison avoir subi un préjudice corporel et souhaitent obtenir réparation de ce préjudice. Son évaluation se fera alors dans le cadre d’une expertise amiable ou judiciaire [4]. L’expert désigné devra décrire l’état antérieur, c’est-à-dire celui présent juste avant les soins critiqués, la pertinence des traitements proposés ainsi que les dommages éventuels et appréhender leurs évolutions [5]. On comprend donc aisément que les photographies réalisées lors de la phase initiale d’un traitement deviendront alors un outil précieux pour le praticien qui devra justifier ses options thérapeutiques.

RAPPELS DE LA SINISTRALITÉ EN MÉDECINE BUCCO-DENTAIRE

Le suivi des chiffres diffusés par la MACSF, qui comptabilisait 29 185 contrats en 2021, rapporte une stabilisation de la sinistralité professionnelle aux environs de 6 % après augmentation entre 2010 et 2018.

En 2018, année « record », 1 996 déclarations de sinistres ont été adressées à cet organisme, ce qui représente pour cette année particulière un taux global de sinistralité de 9 %.

Les années 2019 et 2020 ont connu un fléchissement de la sinistralité.

Concernant l’année 2020, la fermeture des cabinets au titre des mesures prises lors de la crise sanitaire du COVID-19 empêche toute comparaison fiable avec les années précédentes [6].

En 2021, le nombre total de déclarations reçues se rapproche des moyennes observées en 2019 avec une légère augmentation dans la catégorie implantaire (21 % en 2021).

En matière prothétique non implanto-portée, l’essentiel des réclamations porte sur la prothèse fixe représentant les trois quarts des litiges de cette catégorie.

Les auteurs du rapport indiquent que, en matière de soins conservateurs, l’endodontie est le poste le plus à risque de réclamation et confirment l’analyse des années précédentes.

Compte tenu du nombre élevé de praticiens inquiétés et de la nécessité de pouvoir argumenter de manière objective les choix thérapeutiques, on comprend donc l’intérêt majeur d’inclure les photographies en complément des radiographies dans le dossier médical, facilitant ainsi la gestion d’éventuelles contestations.

En outre, on peut espérer que ces photographies soient aussi des documents susceptibles d’éviter le conflit. En effet, elles permettent d’objectiver l’état initial (ou les étapes clés du traitement) pour revenir et valider le traitement proposé et donc la réalisation finale.

QUELLES PHOTOGRAPHIES PRÉSENTER EN CAS DE CONFLIT ?

Comment se déroule une expertise ?

D’une manière générale, une expertise se déroule de manière contradictoire. Chacune des parties peut s’exprimer.

La partie « demanderesse », le patient en général, doit apporter la preuve de ce qu’il avance, à savoir l’existence d’une faute commise, d’un préjudice subi et d’un lien de causalité direct et certain entre les deux. L’expérience montre que de nombreux patients « demandeurs » argumentent leur dossier en présentant aux débats des photographies prises le plus souvent au moyen d’un « smartphone ». Elles sont souvent de mauvaise qualité mais, dans une majorité de cas, ne permettent pas d’obtenir tous les renseignements recherchés… mais elles existent.

La partie « défenderesse », à savoir le praticien, doit apporter des éléments pour sa défense [5]. La qualité du dossier médical revêt un aspect majeur car, trop souvent, il s’apparente davantage à une fiche comptable dans laquelle figure la liste d’actes cotés selon la nomenclature CCAM. Bien souvent, ni la justification de l’acte médical ni les difficultés rencontrées ni les explications données au patient n’apparaissent, ce qui hypothèque gravement la défense du praticien (tableau 1). En outre, le praticien n’a bien souvent aucune photographie à présenter pour étayer sa défense faute d’avoir suffisamment documenté le dossier médical.

Lors de l’examen clinique qui est pratiqué par l’expert lors de la réunion d’expertise, deux points capitaux sont abordés :

– la situation initiale, habituellement « état antérieur » ;

– la situation actuelle.

Comparer les deux situations permet d’évaluer l’éventuelle imputabilité des dommages aux soins réalisés.

Comment optimiser l’utilisation des photographies ?

Le nombre de cas cliniques à traiter ne permet sans doute pas d’étayer chaque dossier médical par un nombre important de photographies. Les statistiques abordées dans cet article permettent de donner un cadre à notre pratique photographique. L’actuelle présentation a pour objet non pas de revenir sur les techniques de prise de vue intra-buccales ou de portrait assez largement développées dans la littérature [2, 3, 8] mais de proposer une planification des photographies à réaliser dans les situations susceptibles d’être à l’origine d’un conflit.

On pourra distinguer 3 niveaux de documentation photographique :

– les situations que l’on peut qualifier de simples dans lesquelles les désordres pathologiques sont limités (remplacement d’une seule dent, perturbation esthétique limitée) ;

– les situations complexes et à risque que sont les reprises de traitement prothétique, les réhabilitations prothétiques ou implanto-prothétiques de grande étendue, les pathologies occlusales majeures (classes 2 et 3 d’Angle sévères) et les para-fonctions de type bruxisme (cette dernière pathologie étant très souvent à l’origine d’un échec prothétique source de conflits) ;

– la documentation photographique destinée à illustrer les étapes du traitement et de répondre à la question : « les travaux sont-ils conformes aux données acquises de la science ? ».

QUELLES PHOTOGRAPHIES LORS DES SITUATIONS DITES « SIMPLES » ?

Dans le cas clinique présenté (figure 1), le patient consulte pour un problème esthétique dans le secteur incisif maxillaire. Les dents 11 et 21 fracturées lors d’un accident de la voie publique ont été restaurées à plusieurs reprises par des matériaux composites mis en œuvre par technique directe. Le résultat n’a jamais donné satisfaction au patient dont le niveau d’exigence est très élevé. Le risque de mise en cause du résultat obtenu est important. Dans ce contexte, la documentation photographique peut se limiter au secteur à restaurer compte tenu de l’absence d’autres pathologies bucco-dentaires.

Cette documentation photographique obtenue sans perte de temps de par sa simplicité permettra en cas de conflit de justifier très objectivement et simplement la situation antérieure.

Le résultat de la thérapeutique entreprise peut également figurer au dossier médical (figure 2). Il permet d’objectiver la parfaite correspondance entre la demande du patient et la thérapeutique entreprise.

Bilan photographique pour les situations simples

Dans ce type de situation clinique simple :

– le matériel nécessaire à la prise de photographies se limite, en dehors de l’appareil photographique et du flash, à des écarteurs et à un contrasteur qui permet de mettre en évidence les caractéristiques des dents à restaurer ;

– le nombre de photographies se limite à deux ou trois (situation initiale, situation post-opératoire, éventuellement photographie intermédiaire mettant en avant une particularité du protocole opératoire retenu, par exemple la mise en place du champ opératoire).

QUELLES PHOTOGRAPHIES DANS LES SITUATIONS COMPLEXES ET À RISQUE ?

Ces situations cliniques souvent délicates peuvent faire l’objet d’une documentation photographique plus étoffée. On peut en effet :

– dans les situations nécessitant une reprise de traitement, justifier vis à vis du patient la nécessité de refaire les soins ou les prothèses parfois entreprises peu de temps auparavant (figure 2) ;

– dans les situations nécessitant une réhabilitation initiale de grande étendue (figure 3), donner au patient une vision complète de notre proposition thérapeutique (figure 4) afin qu’il comprenne que, pour un résultat optimal, son cas requiert un plan de traitement complet et étendu [1, 7] ;

– dans les situations de troubles occlusaux sévères, établir le diagnostic différentiel entre les usures généralisées de nature érosive et les usures de nature mécanique et mettre en exergue les contraintes mécaniques subies par la reconstruction prothétique lors de troubles du type classe 2 ou classe 3 d’Angle.

Il peut être intéressant d’annexer les photographies au dossier médical. Elles permettront en cas de conflit d’établir « l’état antérieur » et de fournir la justification des informations médicales qui ont permis de recueillir le consentement du patient.

Bilan photographique pour les situations complexes et à risque

Dans ce type de situation clinique complexe, le matériel nécessaire est identique à celui utilisé pour les cas simples mais ces situations peuvent justifier, en plus des photos intrabuccales, la prise de photographies de portrait. Elles peuvent se réaliser en lumière ambiante ou artificielle mais il est conseillé de disposer d’un emplacement spécifique pour ce type de photographie [8].

Pour appréhender la situation exobuccale, deux situations se présentent.

• Si l’esthétique du sourire est altérée (figure 5), il faut disposer là encore de 3 à 5 photographies extra-orales rapprochées :

– une photographie lèvres jointes ;

– une photographie du sourire de face ;

– une photographie de 3/4 à droite et à gauche.

• Si la dimension verticale est altérée, il faut disposer de 3 photographies (figure 6) :

– une photographie de face ;

– une photographie de chacun des profils (droit et gauche).

• Pour appréhender la situation endobuccale, il faut réaliser au minimum 5 photographies (figure 7) :

– une photographie endobuccale de face ;

– une photographie de chacun des secteurs latéraux ;

– une photographie de l’arcade maxillaire ;

– une photographie de l’arcade mandibulaire.

Pourront s’y ajouter en cas de besoin des gros plans d’une dent ou d’un groupe de dents présentant un intérêt particulier [2, 3, 8] (figures 8 et 9).

QUELLES PHOTOGRAPHIES POUR ILLUSTRER LES ÉTAPES INTERMÉDIAIRES ?

Selon la difficulté de la situation clinique, certaines étapes intermédiaires peuvent être intéressantes à documenter. Elles permettent de retracer, étape par étape, les différentes phases du traitement entrepris et, en cas de conflit, d’éclairer le juge qui posera la question « les travaux réalisés sont-ils conformes aux données avérées de la science ? ».

Pour ne pas alourdir la pratique du cabinet, quelques étapes clés paraissent devoir retenir l’attention :

– l’étape de la mise en place des prothèses temporaires. Il s’agit là en effet d’une étape importante, souvent sous-estimée, parfois négligée mais qui constitue un véritable prototype de la future reconstruction prothétique (figure 10) ;

– l’étape de validation de la dimension verticale ;

– l’étape de validation de la passivité de l’armature en cas de réalisation de prothèse vissée implanto-supportée ou même de prothèse plurale « classique », ce qui se fait plus rare actuellement compte tenu de l’évolution des paradigmes (figures 11 et 12) ;

– l’étape d’essayage esthétique finale (figure 13).

D’autres photographies d’étapes intermédiaires pourront être réalisées mais le suivi de ces étapes pourra être résumé avec 5 ou 6 photographies.

CONCLUSION

Depuis quelques années, les aspects médico-légaux ont pris chaque jour plus d’importance dans la pratique de la médecine bucco-dentaire. Bien que n’ayant aucun caractère obligatoire, les photographies constituent des documents objectifs pouvant mettre fin à toute allégation contraire.

Elles permettent d’objectiver une situation initiale ou en cours de soins afin de mieux appréhender les remarques du patient et éviter un conflit ultérieur. Lorsque ce dernier n’a pu être évité, elles constituent des pièces essentielles pour la défense du praticien.

Le tableau récapitulatif joint a pour objectif de permettre au praticien d’optimiser et de sécuriser sa pratique photographique. Il est non exhaustif mais constitue une base lui permettant de codifier ses réalisations photographiques pour les inclure dans les examens complémentaires au même titre que les radiographies ou les moulages d’étude (tableau 2).

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Imburgia M. L’iPad au cabinet dentaire. La communication numérique en odontologie pour le patient et pour l’équipe dentaire. Paris : Quintessence International, 2014.
  • 2. Lecerf J, Plard H. La photographie en odontologie. Des bases fondamentales à la clinique : objectifs, matériels, conseils pratiques. Paris : Éditions CdP, 2018.
  • 3. Chossegros C, Benslama L. Pratique de la photographie oro-faciale à l’ère du numérique. EMC - Médecine buccale 2014;9 (6): 1-17 (Article 28-235-S-10).
  • 4. Bery A, Cantaloube D, Delprat L. Expertise dentaire et maxillo-faciale. Principe, conduite, indemnisation. Paris : Éditions EDP sciences, 2010.
  • 5. Simonet P, Missika P, Pommarede P. Recommandations de bonne pratique en odontostomatologie. Anticiper et gérer la contestation. Paris : Librairie ID, 2015.
  • 6. Rapport annuel de sinistralité 2021. Rapport de la MACSF. Chirurgiens-dentistes : les motifs de réclamation des patients en 2021. [www.macsf.fr/le-risque-des-professionnels-de-sante-en-2021/risque-des-professions-de-sante/c/chirurgiens-dentistes?s=&utm_campaign=NLchirurgien-dentiste-septembre-ra-2022-septembre-2022&utm_medium=newsletter&utm_source=unica#s1]
  • 7. Pasquier S, Combadazou JC, Nasr K, Paris JC. Esthétique et fonction : liaison numérique entre la clinique et le laboratoire. Info Dent 2010; 30/31:54-62.
  • 8. Bengel W. Mastering in dental photography. Londres, Chicago : Quintessence International, 2006.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.

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