PERCEPTIONS ET EXPÉRIENCES DES PATIENTS PORTEURS DE PROTHÈSES SUR IMPLANTS TRANS-ZYGOMATIQUES
Dossier
Carole KANJ* Antonin HENNEQUIN** Franck AFOTA*** Charles SAVOLDELLI**** Éric SOLYOM***** Jean-Noël VERGNES****** Florent DESTRUHAUT*******
*PH, Odontologie, CHR Cahors.
**AHU, Réhabilitation orale, URU EvolSan, Université Paul Sabatier, CHU Rangueil, Toulouse.
***Chirurgien oral, Co-directeur du DU de Greffes osseuses pré-implantaires, Institut Universitaire de la Face et du Cou, CHU Nice.
****MCU-PH, Chirurgie maxillo-faciale, Institut Universitaire de la Face et du Cou, CHU Nice.
*****Chirurgien maxillo-facial, Chargé d’enseignement, URU EvolSan, Université Paul Sabatier, Toulouse.
******PU-PH, Santé Publique, Université Paul Sabatier, CHU Rangueil, Toulouse.
*******PU-PH, Réhabilitation orale, URU EvolSan, Université Paul Sabatier, CHU Rangueil, Toulouse.
Cette étude identifie les perceptions et expériences des patients sur les parcours pré-thérapeutiques, la chirurgie implantaire et la réhabilitation prothétique par prothèse sur implants trans-zygomatiques. Bien que les participants reconnaissent avoir surestimé la phase chirurgicale, ils rencontrent une morbidité plus importante que prévue concernant la phase de guérison. Des propositions d’amélioration de prise en charge peuvent être explorées pour une meilleure expérience globale de la réhabilitation pour le patient.
L’ancrage zygomatique constitue une alternative intéressante en vue d’une réhabilitation prothétique fixe, en présence d’un maxillaire sévèrement atrophique, contournant les procédures d’augmentations osseuses. La réhabilitation totale du maxillaire par des prothèses sur implants trans-zygomatiques (ITZ) est un acte thérapeutique délicat et complexe, parfois de dernier recours. Les données issues de la littérature montrent à ce jour un taux de survie relativement élevé et une assez faible incidence des complications pour ce type de réhabilitation [1-3], avec une possibilité de mise en charge immédiate qui diminue le temps d’attente entre la chirurgie et la réhabilitation prothétique [4] (figure 1). Cette thérapeutique semble favoriser une réinsertion sociale et professionnelle rapide, augmentant le confort et la qualité de vie de ces patients [5, 6] : ce postulat est issu de recherches quantitatives (à l’aide de questionnaires) portant principalement sur la satisfaction et la qualité de vie. À notre connaissance, aucune étude qualitative par des entretiens n’a été menée sur ce sujet spécifique. Afin d’identifier les facteurs contribuant potentiellement à l’amélioration de la prise en charge, une approche qualitative sur un échantillon de participants restreint est privilégiée. Les objectifs de l’étude sont multiples : comprendre le parcours de chaque participant avant, pendant et après la prise en charge ainsi que les répercussions sur la qualité de vie ; évaluer la compréhension technique ; soulever des aspects des expériences personnelles non identifiées par les recherches précédentes.
L’étude de nature socio-anthropologique permet de comprendre de manière approfondie les perceptions de participants sur leur parcours de soins passés, de comprendre le vécu ainsi que l’apport de la thérapeutique par prothèse sur ITZ sur la qualité de vie. L’étude a donné lieu à un consentement éclairé écrit et toutes les données ont été anonymisées. Des entretiens semi-directifs ont été menés auprès de 7 personnes (tranche d’âge : 46-72 ans) ayant bénéficié d’une réhabilitation fixe par ITZ selon une thérapeutique mixte pour 2 d’entre elles (pose de 4 implants conventionnels antérieurs et de 2 ITZ postérieurs) ou quad-zygoma pour les 5 autres (pose de 4 ITZ).
Une approche d’analyse thématique a été réalisée : elle consiste à identifier, analyser et répertorier les tendances et les thèmes issus de la collecte de verbatim. Un thème (code) est un texte, ou un morceau des données elles-mêmes, qui révèle une signification ou un motif important aux questions de recherche. Un thème se compose de plusieurs sous-thèmes (sous-codes) qui sont liés au sujet principal de ce thème.
Plusieurs thématiques ont pu être dégagées à travers plusieurs phases du parcours thérapeutique (tableau 1).
Les participants présentent leur parcours de soins passés comme désagréable, non conservateur et non satisfaisant. Ils décrivent une relation de soin sans confiance conduisant à des dégradations bucco-dentaires évoluées, voire à une rupture de soin.
Le handicap en résultant semble omniprésent et rend leur quotidien difficile. Ils décrivent un sentiment d’injustice, de désespoir, d’impuissance, sans voir d’issue à leur souffrance.
Les contraintes fonctionnelles identifiées par les participants sont liées au défaut de stabilité, de rétention et de solidité des prothèses ainsi qu’aux difficultés masticatoires, gustatives, d’élocution et de phonation sans compter la douleur qu’elles peuvent engendrer.
Les patients relatent avoir eu des conduites d’évitement et une phobie sociale, d’une part, par peur de perdre leur prothèse au milieu d’une conversation ou d’un repas et, d’autre part, par le sentiment honteux d’être laid et difforme jusqu’à ne plus pouvoir se voir ou se supporter. La vie amoureuse et sexuelle est aussi altérée par un mauvais confort buccal.
Face à cette dégradation sans issue, beaucoup de questions sur leur condition de vie et leur avenir socio-professionnel ont fait surface.
Les patients indiquent s’être retrouvés dans une impasse thérapeutique, résignés à une solution prothétique non satisfaisante, les praticiens annonçant un pronostic très défavorable et ne proposant aucune solution thérapeutique adaptée.
Les participants affirment avoir été bien informés et avoir accepté le traitement de manière éclairée et loyale. Ils attestent d’une totale confiance envers leur praticien et estiment ne pas avoir eu le besoin de connaître tous les détails de la chirurgie.
Ils avouent avoir été anxieux avant leur intervention, en évoquant leurs inquiétudes vis-à-vis de la réussite ou non de l’intervention, de la douleur et des éventuelles répercussions post-chirurgicales, notamment en ce qui concerne une réhabilitation prothétique post-chirurgicale immédiate.
Les patients notent l’importance de l’accompagnement et du soutien de leur famille pour faire face à leur handicap, accepter et adhérer au traitement.
Les participants estiment que l’anesthésie générale leur a permis de surmonter leur anxiété vis-à-vis de la douleur et de la durée de l’intervention.
La plupart des participants (5 sur 7) estiment avoir surestimé la douleur et les suites opératoires qu’ils allaient ressentir après l’opération.
Certains patients estiment cependant que les douleurs sont mal prises en charge, d’autres que l’expérience négative est liée au caractère visible des hématomes et du gonflement modifiant la forme de leur visage.
L’expérience positive des patients passe par la prise de conscience de la qualité du travail réalisé et la disponibilité du chirurgien joignable à tout moment en post-opératoire.
Les patients ayant pu bénéficier d’une mise en charge immédiate par une prothèse provisoire fixe décrivent une période d’adaptation difficile liée à la nécessité d’une alimentation uniquement molle, au temps d’adaptation de la langue, et à la modification de l’élocution, des zozotements et une tendance à postillonner. Les patients ont ressenti un manque d’accompagnement et de soutien face à cette contrainte. Une orientation vers un professionnel compétent est à leur sens nécessaire pour pallier de manière plus adaptée ce problème phonétique.
Les patients indiquent que les techniques de simulations pré-prothétiques leur ont permis de se projeter et de se préparer à l’acceptation d’un nouveau visage, d’un nouveau sourire. Toutefois, pour certains, cela peut être une épreuve car ils se retrouvent confrontés à leur mutilation.
Les patients indiquent également s’être sentis robotisés et déshumanisés en regardant leur radiographie avec les implants posés et avoir eu le sentiment d’un corps hybridé, hors norme.
Les patients décrivent une ambivalence entre la perception d’un corps étranger et l’assimilation des prothèses comme faisant partie intégrante d’eux-mêmes.
L’acceptation des prothèses a été favorisée par la « discrétion et le naturel prothétique » préservant leur identité.
Les individus bien conscients de la complexité de la situation initiale notent une amélioration fonctionnelle et une diminution du handicap. Ils ont retrouvé une alimentation normale, variée, et surtout un plaisir à manger. Ils ressentent la prothèse comme solide et pérenne, ce qui leur permet une meilleure fonction masticatoire, une réassurance sociale et un sentiment de normalisation.
Dans notre étude, la plupart des participants étaient tout à fait satisfaits et relevaient une amélioration significative de leur qualité de vie par rapport au port d’une prothèse amovible. Ils perçoivent la réhabilitation comme le passage d’une « mort symbolique à la vie ».
Les recherches existantes s’appuient sur des mesures quantitatives pour rendre compte de la satisfaction prothétique en termes de stabilité, solidité, performance masticatoire, phonétique, esthétique, facilité de nettoyage et estime de soi [6-10]. Les méthodes qualitatives complètent les données quantitatives en permettant une exploration plus approfondie du vécu et des expériences, avant et après la réhabilitation. Cependant, aucune étude qualitative n’a encore été menée sur les réhabilitations par ITZ. La littérature existante offre peu d’informations sur le parcours des patients, leurs attentes vis-à-vis du traitement ainsi que le vécu de la chirurgie. Il est important d’identifier et de comprendre le handicap des patients mais également leurs doléances afin d’obtenir une meilleure conformité entre celles-ci et la réalisation implanto-prothétique [11, 12]. Cette démarche permettra d’éclairer le choix du traitement en comparaison avec d’autres thérapeutiques implantaires conventionnelles associées ou non à des greffes osseuses [13].
Certains participants présentent dans leur antécédents une maladie parodontale avancée sans prise en charge adaptée et d’autres un édentement de longue date suite à des soins non conservateurs. L’errance thérapeutique à laquelle ils sont confrontés pendant longtemps les a conduits à une détresse psychologique, avec des difficultés de mastication, d’élocution, d’interaction sociale. L’atrophie osseuse consécutive était telle que les conditions locales des crêtes édentées ont entraîné un échec des réhabilitations prothétiques amovibles et rendaient difficile la pose d’implants conventionnels sans y adjoindre des techniques d’augmentations osseuses. Toutefois, 6 individus sur 7 signalent une réticence face à la proposition de réhabilitation par greffes osseuses liée notamment au délai de mise en œuvre, au manque de prédictibilité et à la nécessité d’un site donneur.
Face à ce parcours difficile parsemé d’échecs et de doutes, les patients désiraient une réhabilitation fiable et rapide, un temps de guérison court. De plus, l’opportunité d’une mise en charge immédiate constituait un atout important pour des patients encore en activité professionnelle. L’âge moyen dans notre étude est de 55 ans, ce qui est conforme à la littérature [7].
Les résultats de l’enquête ont montré que l’expérience favorable des patients est également liée à la relation des patients avec leur praticien. Le fait d’être reconnus dans leur handicap, mis en confiance, informés clairement et loyalement, puis accompagnés, a permis d’atténuer leurs angoisses et de s’engager dans un traitement qui peut sembler invasif et onéreux. Ce résultat est conforme à la littérature dans le cas d’implants conventionnels qui établit un lien entre l’information préopératoire et l’anxiété des patients [14] et entre la perception de la douleur et l’anxiété pré-opératoire [15].
Les participants avaient des attentes concernant le fait de pallier les difficultés fonctionnelles, sociales et psychologiques qu’ils avaient rencontrées avec leurs prothèses antérieures et un souhait de rétablir la normalité. Les patients recherchaient une discrétion prothétique reproduisant le caractère naturel préservant au mieux leur visage et donc leur identité.
Par ailleurs, la fixité des prothèses sur implants trans-zygomatiques répondait aux attentes des patients en demande d’une réhabilitation proche de leur schéma corporel initial, le caractère amovible des prothèses antérieures étant considéré comme une contrainte sociale importante. Cette notion de normalité est également retrouvée dans l’étude qualitative de Grey et al. qui ont étudié les motivations et les attentes des patients vis-à-vis des implants conventionnels [16].
La sédation par anesthésie générale était le choix conditionnel de tous les participants. Elle a permis de réduire leur anxiété et de percevoir la réhabilitation implantaire de manière favorable. Les résultats de notre étude contrastent avec ceux d’Almeida et al. où la procédure de sédation consciente en implantologie trans-zygomatique était un choix en ce qui concerne la simplicité, le coût économique et la possibilité de rentrer chez soi plus tôt après l’opération [17].
La plupart des personnes interrogées ont surestimé l’importance et la durée des suites post-opératoires, notamment la douleur, l’œdème et les hématomes.
L’expérience négative porte essentiellement sur le caractère visible des hématomes et œdèmes. Les participants à l’enquête qui ont également bénéficié d’implants conventionnels à distance de la chirurgie zygomatique décrivent néanmoins une expérience plus favorable pour l’implantologie conventionnelle. Ces résultats contrastent avec ceux de la littérature où la plupart des auteurs rapportent un vécu post-opératoire similaire [18]. En revanche, les participants ont sous-estimé la phase de cicatrisation lors de la réhabilitation par prothèse transitoire fixe. Le vécu négatif de la réhabilitation porte sur la limitation alimentaire imposée par une alimentation molle conseillée, sur la limitation phonétique et sur l’importance de la phase d’adaptation. Ce résultat est retrouvé en implantologie conventionnelle [19]. Sartori et al. proposent l’utilisation d’un questionnaire qui permet de déterminer les plaintes des patients en post-opératoire [9]. Celles-ci pourraient être prises en charge par une orientation spécifique des patients par des nutritionnistes, orthophonistes, psychologues, kinésithérapeutes maxillo-faciaux, comme l’ont suggéré les patients au cours des entretiens.
En dépit de certaines contraintes passagères et de la nécessité d’une phase d’adaptation, l’expérience positive des patients est en lien avec une satisfaction prothétique qui renvoie à une meilleure qualité de vie en termes de critères bio-psycho-socio-professionnels. Cette conclusion qualitative rejoint l’étude sur implants zygomatiques de Pineau et al. qui constate via un questionnaire (OHIP) que les patients ont tous noté une nette amélioration de leur qualité de vie après l’intervention par rapport à leur état antérieur [6].
La phase d’adaptation et d’intégration prothétique dont les participants font part dans l’enquête passe par l’acceptation de leur nouveau visage (face à face avec soi-même), l’acceptation du regard de l’autre, c’est-à-dire de son conjoint, de ses enfants et de sa famille (le face à l’autre), puis celui de la société (le face aux autres). Ces notions rejoignent celles décrites par Destruhaut et al. dans le cadre des réhabilitations par prothèses maxillo-faciales [20, 21].
L’amélioration de la qualité de vie apportée par les prothèses sur ITZ semble rendre cette réhabilitation prometteuse. Elle mérite sûrement d’être mise en avant et reconnue par les enjeux qui l’entourent, dans le système de soin (assurance maladie) et également au sein du corps médical comme le signalent certains participants de l’étude. Il est intéressant de se questionner sur les causes et conséquences de cette méconnaissance afin de pallier l’errance thérapeutique et donc la perte de chance auxquelles sont confrontés les patients. Est-elle liée à une sous-estimation du handicap ou à un manque de connaissances sur les moyens thérapeutiques envisageables face à ces cas complexes ? Une étude auprès des chirurgiens-dentistes sur leurs connaissances et leurs perceptions de la réhabilitation par prothèses sur ITZ pourrait être menée en ce sens, pour aboutir à une bonne orientation et à une meilleure prise en charge des patients présentant des maxillaires extrêmement atrophiques (figures 4 à 6).
Les témoignages des patients ont été rendus anonymes et enregistrés à l’aide de voix d’acteurs.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.