LA MACROPHOTOGRAPHIE À VISÉE PÉDAGOGIQUE : VOIR PLUS PRÈS POUR MIEUX COMPRENDRE
Dossier
Matthieu PERARD* Jean LECERF** Prescillia DOS SANTOS*** Pierre-Olivier DERRIEN****
*MCU-PH, Université de Rennes 1, CHU de Rennes.
**LTSI, Inserm UMR 1099, Équipe MediCIS.
***Ancien expert judiciaire.
****Ancien MCU-PH, UFR d’Odontologie de Rennes.
*****Exercice libéral en Omnipratique à Rennes.
******Exercice libéral en Omnipratique à Vannes.
L’enseignement de l’odontologie s’appuie beaucoup sur des images fournies par la microscopie. Elles permettent de montrer l’infiniment petit pour mieux comprendre des concepts ardus tels que l’adhésion ou la physiologie pulpaire. Souvent cantonnée à l’illustration de cas cliniques [1], la photographie est un autre excellent moyen d’examiner les tissus de près, tout en conservant les couleurs d’origine.
La macro-photo revêt un intérêt pédagogique évident en odontologie. En photographiant les tissus dentaires d’extrêmement près, il devient possible de découvrir des détails anatomiques et histologiques inobservables à l’œil nu. Ces photographies réalisées à fort grossissements constituent un complément tout à fait pertinent aux images réalisées à l’aide d’un microscope électronique à balayages (MEB) et aux coupes histologiques.
D’un point de vue technique, la macro désigne le domaine de la photographie s’intéressant à des rapports de grandissement d’au moins 1:1 (figure 1). À ce grandissement, le sujet photographié a la même taille sur le capteur de l’appareil (ou sur le film) que dans la réalité. La plupart des appareils photo grand public présentent un mode macro, généralement représenté par un pictogramme floral sur le sélecteur. Mais pour nombre d’entre eux, ce réglage n’est qu’un mode permettant de photographier les sujets de relativement près, sans pour autant se rapprocher d’un grandissement 1:1. Pour pouvoir faire de la macro-photo à usage pédagogique, il est donc vivement conseillé d’investir dans un boîtier de type reflex et surtout dans un objectif macro, voire même dans un système de flashs adaptés.
Les objectifs « macro » utilisés par les chirurgiens-dentistes pour documenter leurs cas cliniques ne permettent normalement pas de dépasser un rapport de grandissement de 1:1 [2, 3]. À ce rapport, la plupart des capteurs des boîtiers utilisés vont permettre d’afficher entièrement une dent si elle n’excède pas les 25 mm de long. Pour pouvoir réellement saisir les petits détails non perceptibles à l’œil nu, le rapport de grandissement doit dépasser 2:1. Il existe plusieurs manières d’y parvenir. La première nécessite l’acquisition d’un objectif spécialisé comme le Canon MP-E 65 mm qui permet d’atteindre des grossissement 5:1 mais l’investissement est conséquent. La seconde méthode vise à éloigner l’objectif du capteur en interposant un soufflet ou des tubes d’allonge entre le boîtier et l’objectif (figures 2 et 3). Il est également possible d’ajuster une bonnette à l’extrémité de l’objectif. La bonnette agit alors comme une loupe qui accroît le rapport de grandissement (figure 4). Enfin, l’acquisition d’un adaptateur spécial permettra de monter à l’envers un objectif grand angle, par exemple un 28 mm (figure 5). Selon l’importance du tirage existant entre l’objectif et le capteur, il devient alors possible d’atteindre des rapports de grandissement situés entre 3:1 et 6:1 pour un coût relativement modique.
Contrairement à la prise de photos cliniques intra-buccales, les échantillons et l’appareil sont fixes en macrophotographie et il est donc envisageable de réaliser des clichés en lumière continue (sans flashs), sans trop risquer d’obtenir une image floue [4]. Cependant, les niveaux d’agrandissement ciblés nécessitent une intensité lumineuse conséquente et l’orientation des sources et leur température de couleur peuvent être également problématiques [5]. Il est en revanche tout à fait possible d’employer les mêmes flashs latéraux que pour les vues cliniques [3, 6] (figure 6).
Pour un budget plus conséquent, il est également envisageable d’utiliser deux flashs déportés indépendants, recouverts par des diffuseurs capables d’adoucir la lumière.
Les macrophotographies de surface sont des outils pédagogiques pertinents pour montrer les petits détails à la surface des dents, invisibles à l’œil nu ou aux aides optiques. Ils permettent par exemple de mettre en évidence les périkymaties à la surface de l’émail, mais aussi les striations liées à l’usure, les caries de l’émail ou, encore, les défauts marginaux des restaurations.
Les macrophotographies à usage pédagogique étant réalisées à partir de tissus humains, il convient d’informer préalablement le patient donneur. D’expérience, son accord est facile à obtenir après quelques explications mais il est nécessaire de lui faire signer un consentement éclairé (Code Santé Publique, article L. 1241-1).
L’un des éléments clés lors du recueil des tissus dentaires est qu’il ne faut jamais les laisser se dessécher. La déshydratation est rapide quand l’échantillon sort de la bouche et la dessiccation va altérer transitoirement sa couleur. Dès l’avulsion, les dents sont donc rincées et conservées au réfrigérateur dans du sérum physiologique pour n’être ressorties du liquide et séchées que quelques secondes avant la prise de vue [7]. Si l’objectif du photographe est de réaliser uniquement des images de tissus minéralisés, la conservation dans un flacon d’hypochlorite de sodium aÌ 3 % éliminera les tissus organiques tout en prévenant la contamination de l’échantillon. Pour acquérir des images des tissus mous, les prises de vues doivent être effectuées rapidement après l’avulsion. Si ce n’est pas possible, il faudra opter pour un processus de fixation de l’échantillon au laboratoire.
Pour la prise de vue, l’échantillon est placé face à l’objectif devant un fond noir, fixé à un support de couleur sombre pour faciliter le détourage des images (figure 6). La cire orthodontique est un bon moyen de maintenir l’échantillon en position verticale. À de tels rapports de grossissement, toute vibration de l’appareil risque de provoquer un léger flou de « bougé », même avec des flashs. L’appareil doit donc être fixé sur un trépied et il est conseillé de déclencher à l’aide du retardateur ou d’une commande à distance. L’ouverture est réglée entre f/22 et f/32 pour améliorer la profondeur de champ et les flashs doivent être positionnés à proximité du sujet car il faut fournir beaucoup de lumière à de si forts agrandissements. La luminosité du cliché est ensuite ajustée en jouant sur le temps d’exposition.
À des rapports d’agrandissement dépassant le 1:1, la profondeur de champ est extrêmement réduite et n’excède pas quelques mm, même en utilisant de très faibles ouvertures. Pour obtenir une image dont le sujet est bien net, il conviendra donc de placer les surfaces d’intérêt le plus parallèlement possible à l’extrémité de l’objectif ; il risque cependant d’y avoir des zones floues sur la périphérie de l’image, en particulier si l’objet est bombé (figures 7 et 8). Pour obtenir des photos de sujets bombés totalement nettes à fort grossissement, il faut avoir recours à la technique dite de focus stacking [8, 9]. Le principe est d’empiler, grâce à un logiciel, plusieurs clichés d’un même objet réalisés à des distances extrêmement rapprochées. Une glissière macro, qui peut être pilotée par le logiciel, va être chargée d’approcher progressivement l’appareil du sujet entre chaque prise de vue. Le logiciel (Zerene Stacker ou Helicon Focus) recalcule ensuite l’image totalement nette à partir de la série de clichés réalisés.
Le principe de la méthode est d’abraser une partie de la dent jusqu’à obtenir une coupe parfaitement polie de la zone d’intérêt. Un dégrossissage est réalisé à l’aide d’une fraise diamantée afin de réduire les premières couches de tissus dentaires. L’échantillon est ensuite abrasé par frottement sur une bande verticale de papier abrasif en carbure de silicium de forte granulométrie (sous irrigation), jusqu’à atteindre la coupe de la zone d’intérêt. Le polissage est débuté sur une succession de bandes abrasives de granulométries décroissantes et terminé sur des supports abrasifs rotatifs de très faible rugosité, afin d’atteindre un état de surface « poli miroir ».
La surface polie de l’échantillon est ensuite positionnée face à l’objectif et le plus parallèlement possible à son extrémité pour que toute la surface se trouve bien dans la zone de netteté. Les flashs sont positionnés latéralement, en choisissant une source principale plus lumineuse d’un côté et une source secondaire plus douce de l’autre, afin d’augmenter la sensation de relief. Ce type de cliché permet d’obtenir de belles photographies de coupes de dents, dont les couleurs sont fidèles à l’original. Elles sont particulièrement adaptées à la photographie de coupes de dents cariées (figures 9 à 11). Cependant, les images obtenues offrent assez peu de contrastes de couleur entres les différents tissus dentaires et les matériaux cosmétiques d’obturation.
Cette technique reprend le principe de la microscopie optique conventionnelle : la lumière provenant d’une source située sous une fine lamelle d’échantillon va traverser celui-ci avant d’être captée par l’objectif. La préparation des échantillons se réalise cette fois par polissage des deux faces de la dent, jusqu’à l’obtention d’une lame fine de 1 à 1,5 mm d’épaisseur. Pour effectuer les clichés, la lame doit être trans-illuminée à l’aide d’une lampe LED puissante de température de couleur autour de 4000-5000°K. L’échantillon est déposé sur une lame de microscopie et l’objectif de l’appareil est positionné juste à l’aplomb (figure 12).
Ce type de coupe permet de mieux distinguer les structures internes de la dentine et de l’émail telles que le trajet des tubuli et les stries de Retzius de la couche d’émail (figures 13 à 16). Les photographies obtenues sont plus colorées car l’opalescence des tissus dentaires filtre les teintes bleutées pour laisser transparaître le jaune-orangé.
La macrophotographie est une passion exigeante car elle nécessite de la minutie et une bonne dose d’ingéniosité. Les photos macro apportent cet échelon intermédiaire nécessaire à la meilleure restitution des images issues de la microscopie dans leur contexte clinique (figures 17 à 19). La liste des techniques de prise de vue énoncées ici n’est pas exhaustive et il existe encore, en macrophotographie, de vastes espaces à explorer pour le pédagogue comme pour le photographe amateur.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.