Clinic n° 12 du 01/12/2022

 

Dossier

Clément LECLERC*   Florent HUGUET-JAIME**  


*AHU en Prothèse à l’Université de Rennes 1 et au CHU de Rennes.
**Exercice libéral à Laval.
***Exercice libéral à Paris.

L’éclaircissement dentaire est un traitement simple répondant aux besoins de nombreux patients en demande de soins esthétiques. Mais comment objectiver sa réussite ? Nous proposons un protocole que nous utilisons au quotidien dans nos cabinets respectifs et qui nous semble facile à mettre en œuvre.

De nos jours, la demande de traitements esthétiques est très présente dans l’activité du chirurgien-dentiste. Le gradient thérapeutique guidant la pratique clinique actuelle place l’éclaircissement comme premier pas dans les thérapeutiques esthétiques.

En effet, la première cause de mécontentement concernant l’apparence du sourire est la couleur des dents [1]. Cela confirme que l’éclaircissement dentaire a pleinement sa place comme moyen d’améliorer l’estime de soi, les perceptions sociales et, in fine, la santé [2].

Pourtant, l’évaluation de la couleur des dents, première étape clé, reste soumise à la subjectivité du praticien [3]. Il est possible d’utiliser des moyens connus comme les teintiers ou les photographies. Mais, malgré ces derniers, beaucoup d’éléments influencent la perception des couleurs. On peut citer la fatigue, l’expérience, le vieillissement, l’adaptation chromatique, les problèmes de vision des couleurs, les conditions d’éclairage, etc. Cela ne permet pas une évaluation précise et reproductible des couleurs [4].

Il est cependant nécessaire d’essayer d’obtenir des données objectives permettant au praticien de valider la thérapeutique et ainsi de pouvoir communiquer et expliquer aux patients.

Nous nous proposons donc d’étayer un protocole que nous utilisons au quotidien dans nos cabinets respectifs et qui nous semble facile à mettre en œuvre.

RAPPELS SUR L’ÉCLAIRCISSEMENT

La technique de l’éclaircissement externe ambulatoire a été décrite pour la première fois par Haywood et Heymann en 1989 [5]. Elle est efficace, facile à mettre en œuvre et simple d’utilisation pour le patient et le praticien.

La technique ambulatoire d’éclaircissement consiste à maintenir l’agent éclaircissant au contact des dents dans une gouttière souple thermoformées issue d’un moulage des arcades dentaires.

Aujourd’hui, pour cette technique, le peroxyde de carbamide est le plus souvent utilisé, à une concentration comprise entre 10 % et 16 % car l’utilisation de produit plus concentré ne montrerait pas plus d’efficacité [6].

Le temps de contact entre la surface dentaire et le produit doit être au minimum de 2 heures par jour. Habituellement, il convient de porter la gouttière pendant le sommeil, toute la nuit, mais le gel est efficace dès lors que la gouttière a été portée pendant au moins 2 heures. Le port se fait jusqu’à ce que la couleur souhaitée soit obtenue, sous la surveillance du praticien, avec une durée de traitement allant de 2 à 6 semaines, en fonction de la sévérité de la dyschromie.

L’analyse de la littérature sur l’éclaircissement montre une absence d’effets néfastes à moyen et long termes de ces traitements par rapport à la pulpe et aux tissus dentaires minéralisés. Le risque majeur lié à l’éclaircissement est l’apparition de sensibilités [7, 8] dentaires pendant le traitement. Celui-ci est proportionnel à la concentration et au temps d’application. Ces sensibilités sont réversibles et soumises à une forte variabilité interindividuelle.

Il n’existe à ce jour aucun consensus concernant les techniques d’éclaircissement des dents non vitales mais plusieurs techniques ont été décrites dans la littérature [9]. Au vu de la législation en vigueur et des données actuelles, nous choisissons d’opter pour la technique du walking bleach avec utilisation de peroxyde de carbamide à 10 % renouvelé tous les 2 jours jusqu’à obtention de la couleur souhaitée.

Le protocole de suivi et de contrôle de l’éclaircissement est simple et consiste en la réalisation de photographies pré-opératoires et post-opératoires qui seront comparés pour objectiver la réussite ou non du traitement. Ces photos permettent par ailleurs une bonne communication avec les patients sur l’apport du traitement.

Mais pour comparer les photos, il est nécessaire d’utiliser un outil de calibration photographique. Nous utilisons un protocole développé en 2016 par Sascha Hein et al. appelé e-LAB, permettant de rendre objectif le relevé de la couleur en s’appuyant sur un système colorimétrique universel, le CIELab, qui permet d’obtenir une quantification de niveau de luminosité (L*) et de chromaticité (a* : vert-rouge ; b* : bleu-jaune) [10, 11]. Ce système va nous permettre d’avoir un suivi reproductible et de comparer avec exactitude les modifications optiques sur les dents des patients. Ce protocole a également été décrit et utilisé pour la réalisation de thérapeutiques esthétiques telles que des composites ou des prothèses en céramique [12].

PROTOCOLE E-LAB ET APPLICATION À L’ÉCLAIRCISSEMENT

Explication du protocole

Ce protocole consiste à prendre pour référence colorimétrique une carte de balance des blancs dont les valeurs CIELab sont fixes : L*79, a*0, b*0.

PHOTOGRAPHIES PRÉ-OPÉRATOIRES AVEC LA CARTE

Le praticien réalise des photographies intrabuccales avec le positionnement de la carte centré sur le sujet (généralement les incisives centrales).

Afin d’obtenir une photographie nette avec un éclairage de qualité de canine à canine, la photographie est réalisée en se mettant à environ 25 centimètres du sujet avec un angle de 90° par rapport au grand axe du sujet [13] (figure 1).

Sans filtres

Les photographies d’analyse de la macro et de la micro-géographie sont réalisées sans filtre polarisant. Elles ont peu d’importance dans l’analyse objective de l’éclaircissement mais permettent un dialogue plus aisé avec le patient, lui permettant de retrouver une visualisation plus commune de ses dents.

Les réglages sont les suivants (figure 2) :

– 1/125 de seconde ;

– ISO 100 à 300 ;

– f/22 ;

– flash en utilisation manuelle à 1/4 ;

– rapport de grandissement 1:2 (APS-c) ou 1:1.8 (Full Frame) ;

– format de fichier : Raw.

Avec filtres

Les photographies permettant l’étude objective de la thérapeutique d’éclaircissement sont réalisées avec des filtres polarisants qui permettent d’éliminer toute réflexion lumineuse des surfaces dentaires afin d’avoir une analyse colorimétrique fiable [14, 15].

Les réglages sont les suivants (figure 3) :

– 1/125 de seconde ;

– ISO 100 à 300 ;

– f/22 ;

– flash en utilisation manuelle à 1/1 ;

– rapport de grandissement 1:2 (APS-c) ou 1:1.8 (Full Frame) ;

– format de fichier : Raw.

Traitement de l’image

Les images réalisées sont ouvertes dans un logiciel de traitement d’image (Lightroom, Adobe®) au format Raw afin d’opérer au développement de celles-ci. La balance des blancs et la luminosité sont réglées en utilisant la carte comme référence colorimétrique puis en changeant l’exposition du cliché jusqu’à obtenir L*79.

Collecte des données

Les points de référence colorimétrique (collet, centre et bord libre) ont leurs valeurs Lab mesurées grâce au logiciel Classic Color Meter® et inscrites dans un tableur (Excel, Windows®).

Ce tableur permet le référencement des données CIELab relevées aux différents points sur les dents avant et après éclaircissement ; il est ainsi possible de comparer les différences.

La comparaison des couleurs est réalisée dans l’espace de couleur CIELab théorisée par la Convention internationale de l’éclairage en 1976. L’axe « L » correspond à l’axe des gris (0 = noir ; 100 = blanc), l’axe « a » correspond à l’axe vert-rouge (256 niveaux : - 128 = vert ; + 127 = rouge) et l’axe « b » correspond à l’axe bleu-jaune (256 niveaux : - 128 = bleu ; + 127 = jaune) (figure 4).

La différence entre deux couleurs dans cet espace colorimétrique est calculée sous la forme d’un ΔE.

Le ΔE peut également être étudié pour chaque axe de l’espace de couleur, soit ΔEL, ΔEa, ΔEb.

Lors des traitements d’éclaircissements, il est recherché une augmentation de la valeur L (augmentation de la luminosité de la dent) et une diminution des valeurs a et b (diminution des valeurs rouges et jaunes et donc de la saturation) [16, 17].

Il est intéressant de se pencher sur ce que notre œil voit réellement.

En réalité, la perception humaine d’une différence de couleur se caractérise selon les valeurs suivantes :

– 0 < ΔE < 1 : les observateurs ne voient pas de différence ;

– 1 < ΔE < 2 : seuls les observateurs expérimentés perçoivent une différence ;

– 2 < ΔE < 3,5 : tous les observateurs perçoivent une différence ;

– 3,5 < ΔE < 5 : une différence nette est notée entre les deux couleurs ;

– 5 < ΔE : les observateurs vont distinguer deux couleurs totalement différentes.

Pour satisfaire l’œil inexpérimenté du patient, il faudrait donc obtenir un ΔE > 2 pour garantir une réussite du traitement.

Matériel

Le matériel photographique utilisé est le suivant : boîtier Nikon D90 sur lequel est monté l’objectif Nikon AF-S VR Micro-Nikkor 105 mm f/2.8G IF-ED, kit de flash Nikon R1-C1, support de flash Axis by Spectrolab de la marque Bio-Emulation™ ainsi que les filtres polarisants Polar-Eyes de la marque Bio-Emulation™.

La carte grise utilisée est la carte White_Balance® Gray Reference Card de la marque Bio-Emulation™. La même carte a été utilisée pour toutes les étapes de suivi du cas.

Le logiciel de traitement d’image utilisé est le logiciel Lightroom Classic CC.

CAS CLINIQUE

Doléances du patient

La patiente se présente avec l’envie d’éclaircir son sourire qu’elle trouve disgracieux du fait de la couleur de ses dents.

Situation initiale

À l’examen initial, des photographies sont réalisées (figures 56 à 7).

La photographie avec la carte et les filtres permet de calibrer la prise de vue. Les réglages sont ensuite dupliqués sur les photographies sans la carte.

Analyse des données

L’analyse du fichier se fait en important la photo au format Raw dans le logiciel dédié (ici Lightroom Adobe®) à l’aide du logiciel d’analyse colorimétrique numérique Classic Color Meter® (figures 8 et 9).

Objectif thérapeutique

L’objectif principal du traitement correspond à un éclaircissement global des dents de la patiente. Cela passe par une augmentation du « L » et une diminution du « a » et du « b ».

Situation finale (figures 10 à 13)

Comparaison des données initiales et finales (figures 14 et 15). Les données recueillies sur la 11 nous permettent de valider une augmentation de la luminosité et une désaturation des dents (diminution de « a » et de « b »). Nous pouvons donc valider un éclaircissement des dents de manière factuelle (tableaux 1 et 2).

CONCLUSION

Ce protocole de suivi d’éclaircissement par le biais de photographies normées nous permet de valider la réussite des traitements. Cela permet également une mise en confiance du praticien qui se réfère à des données tangibles qu’il peut expliquer au patient. Il est intéressant de pouvoir décider de la fin d’un traitement à partir du moment où la limite du ΔE obtenue est comprise entre 2,5 et 3.

BIBLIOGRAPHIE

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  • 17. Attal JP, Gnanguenon K. Apports de la spectrophotométrie pendant l’éclaircissement dentaire. Inf Dent 2020;41:55-66.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.

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