Clinic n° 11 du 01/11/2022

 

Orthodontie

Jean-Michel FOUCART*   Nicolas PAPELARD**   Jérôme BOURRIAU***  


*MCU-PH, Spécialiste qualifié en Orthopédie dento-faciale. Expert près la Cour d’appel de Versailles. Attaché hospitalier en Imagerie, Hôtel-Dieu, AP-HP, Paris. Exercice libéral exclusif en orthodontie à Eaubonne.
**Exercice libéral exclusif en orthodontie à Eaubonne.
***Spécialiste qualifié en Orthopédie dento-faciale. Exercice libéral exclusif en orthodontie à Eaubonne.

Selon la Commission internationale de protection radiologique (CIPR-ICRP), « any exposure to ionizing radiation carries the possibility of causing damage and malignant change ». Retenant une relation linéaire sans seuil entre la dose d’irradiation et le risque d’effet carcinogène, toute irradiation, aussi minime soit-elle, est donc, selon ce modèle, susceptible d’induire un effet malin [1].

Afin de guider utilement le...


Résumé

En orthodontie, afin de préciser le diagnostic et de définir le plan de traitement, l’examen clinique est souvent complété par des examens radiologiques. Jusqu’à un passé récent, cette analyse était réalisée à l’aide de radiographies 2D (radiographies rétro-alvéolaire ou rétro-coronaire, panoramique dentaire, téléradiographies latérale et frontale) et plus rarement, au regard de la dose d’irradiation induite, à l’aide de radiographies 3D (tomodensitométrie).

En raison des limites inhérentes aux modalités d’imagerie 2D, telles que la superposition et la distorsion anatomique, l’apparition du cone beam (1999 en Europe, 2001 aux États-Unis) a conduit à une augmentation exponentielle du recours à cette technique d’imagerie tridimensionnelle.

Aujourd’hui, si l’utilisation systématique du cone beam pour tous les patients n’est pas étayée par des preuves solides, un débat intense se retrouve dans toute la littérature scientifique. Certains praticiens préconisent son utilisation pour tous les patients orthodontiques, tandis que d’autres sont plus réticents, au regard de la sensibilité aux rayonnements ionisants des patients, particulièrement des enfants.

In fine, l’utilisation des différentes techniques d’imagerie en orthodontie dépend de la connaissance des différents guides de recommandations mais aussi, si l’on considère les nouvelles séquences d’acquisition du cone beam low-dose, d’une stricte application par les praticiens du principe ALADA.

Selon la Commission internationale de protection radiologique (CIPR-ICRP), « any exposure to ionizing radiation carries the possibility of causing damage and malignant change ». Retenant une relation linéaire sans seuil entre la dose d’irradiation et le risque d’effet carcinogène, toute irradiation, aussi minime soit-elle, est donc, selon ce modèle, susceptible d’induire un effet malin [1].

Afin de guider utilement le praticien, de nombreuses sociétés scientifiques orthodontiques ont tenté de passer en revue la littérature disponible et de proposer des recommandations pour une utilisation judicieuse du cone beam dans ce domaine.

Néanmoins, ainsi que le précise la European Academy of Paediatric Dentistry (EAPD), il existe « un manque significatif d’études cliniques sur l’utilisation, l’efficacité et le rapport bénéfice-risque des radiographies dentaires habituellement utilisées chez les enfants et les adolescents ». La plupart des publications reposent sur des études présentant un faible niveau de preuve et les recommandations sont habituellement fondées sur des avis d’experts qui sont parfois en décalage avec les évolutions technologiques [2].

Dès lors, la radioprotection en orthopédie dento-faciale doit reposer sur ses principes fondamentaux : justification et optimisation en application du principe général « ALADA », pour chaque indication, pour chaque technique disponible (notamment cone beam low-dose, selon les possibilités du système d’imagerie disponible) et pour chaque patient.

ALADA ET CONE BEAM EN ORTHOPÉDIE DENTO-FACIALE

En 1954, la Commission internationale de protection radiologique (ICRP) a énoncé pour la première fois les prémisses de ce qui allait devenir le principe ALARA en précisant que « l’exposition aux radiations du patient doit être réduite tant qu’elle demeure compatible avec le succès d’un examen diagnostique ou d’un traitement thérapeutique ».

Après de nombreuses évolutions, le principe ALARA (As Low As Reasonnably Achievable) s’est imposé en 1977 et a été précisé dans les recommandations de l’ICRP en 2007 qui indiquent que « toutes les expositions doivent être aussi basses qu’il soit raisonnablement possible d’atteindre, compte tenu des facteurs économiques et sociaux » [1]. L’utilisation du terme « raisonnable » permettait d’éviter de bannir toute utilisation des radiations à usage médical, tout en prenant en compte le coût sociétal.

Découlaient de ce principe la justification et l’optimisation des examens médicaux qui répondaient à deux préoccupations principales présentes depuis de nombreuses années dans le milieu médical. En effet, il était rapidement apparu que les patients, et plus particulièrement les enfants, pouvaient bénéficier d’une diminution de leur exposition aux radiations en ajustant les indications et les protocoles des appareils d’imagerie médicale. Pour autant, la réduction de l’exposition aux radiations diminuait également la qualité des images acquises. La question était donc de savoir jusqu’à quel point peut-on « raisonnablement » diminuer cette qualité sans compromettre l’interprétation des images ?

La solution à ce dilemme a été proposée en 2014 par le Professeur Bushberg à travers le principe ALADA (As Low As Diagnostically Acceptable). Cette variation de l’acronyme ALARA souligne l’importance d’optimiser, plutôt que de simplement minimiser, l’exposition aux radiations en imagerie médicale. Le risque potentiel d’obtenir une image insuffisamment informative et/ou la nécessité de devoir réaliser un deuxième examen complémentaire doivent donc être pris en compte lors de l’analyse bénéfice/risque, au regard d’une réduction initiale trop modeste de la dose.

Ainsi, le risque varie notamment selon le type de rayonnement, les modalités d’exposition, le genre (les femmes étant légèrement plus sensibles que les hommes) et l’âge. Les enfants et les adolescents ont un risque supérieur à celui des adultes car ils présentent une sensibilité cellulaire et tissulaire aux rayonnements plus élevée et une espérance de vie plus longue, durant laquelle un processus malin pourra se révéler.

En médecine bucco-dentaire, les doses effectives (qui permettent secondairement d’estimer les risques liés à une irradiation) liées au cone beam sont 4 à 100 fois inférieures (20-500 µSv versus 300-6 000 µSv) à celles liées à la tomodensitométrie, technique qui est la source majeure de risque en imagerie médicale. La technique du cone beam génère habituellement une irradiation supérieure à celle des techniques 2D classiques (panoramique : 14-24 µSv). Mais il existe une grande variabilité dans les doses induites, variabilité qui dépend du champ d’exposition, des réglages utilisés mais aussi du type de machine. En effet, les nouvelles séquences d’acquisition low-dose permettent à certains constructeurs de proposer des modalités d’acquisition des images qui génèrent une irradiation inférieure à celle des techniques 2D [3].

Aujourd’hui, en orthodontie, la stratégie n’est plus imagerie 2D puis 3D. Elle s’appuye sur le principe ALADA, lui-même précisé parfois en principe ALADAIP (As Low As Diagnostically Achievable being Indication-oriented and Patient-specific). Dans un premier temps, une stricte justification fondée sur les signes cliniques, en prenant en compte les possibilités des techniques alternatives non irradiantes, doit conduire à sélectionner la technique la moins irradiante en fonction de l’information recherchée. Dans un deuxième temps, une démarche d’optimisation reposant sur un contrôle optimal des paramètres d’exposition et sur la parfaite connaissance de la qualité image, qui permet l’élaboration d’un diagnostic, doit être mise en œuvre. Ainsi que le montre le tableau 1, certaines techniques 3D permettent d’obtenir des images moins irradiantes que les techniques 2D classiques et sont donc susceptibles d’être indiquées en première intention.

INDICATION DES DIFFÉRENTES TECHNIQUES D’IMAGERIE EN ORTHOPÉDIE DENTO-FACIALE

Outre les techniques classiques d’imagerie 2D, en orthodontie, le cone beam peut trouver un intérêt spécifique dans :

– l’analyse des anomalies dentaires (dent incluse, dent surnuméraire, résorption radiculaire…) ;

– l’analyse des dysmorphoses transversales lors des thérapeutiques d’expansion maxillaire rapide (EMR) ;

– l’analyse céphalométrique des dysmorphoses et des anomalies squelettiques ;

– l’évaluation pré-opératoire des sites anatomiques destinés à la pose d’un ancrage osseux temporaire ;

– l’analyse des voies aériennes supérieures pour les patients présentant un syndrome d’apnées/hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS) ;

– l’analyse des pathologies des articulations temporo-mandibulaires (ATM).

Les indications concernant l’utilisation des séquences « standard » d’acquisition du cone beam sont résumées dans le tableau 2.

En application du principe ALADA, considérant le cone beam low-dose, il est désormais envisageable de substituer cet examen 3D plus informatif à un examen 2D classique notamment pour :

– l’analyse des anomalies du chemin d’éruption ;

– la recherche d’une dent surnuméraire ;

– la localisation d’une dent incluse ;

– l’examen de contrôle des axes dentaires pendant un traitement ou au cours d’une désinclusion canine ;

– l’analyse du sens transversal, avant et après une expansion maxillaire ;

– l’analyse d’une dysmorphose tridimensionnelle complexe en complément d’une téléradiographie de profil.

La figure 1 propose un arbre décisionnel permettant au praticien d’aborder la technique radiographique la moins irradiante pour une efficacité diagnostique optimale [3].

CONE BEAM ET ORTHODONTIE

Dents incluses et résorptions radiculaires

Les examens 2D présentent de nombreux inconvénients : visualisation 2D de structures anatomiques tridimensionnelles, superposition, grandissement et déformation. Le cone beam présente une supériorité diagnostique par rapport aux examens 2D habituels pour localiser les dents incluses et pour analyser les résorptions des dents adjacentes. Il améliore la précision et permet de planifier la prise en charge thérapeutique, notamment la désinclusion chirurgicale. Il est réalisé à l’aide d’un petit champ, en haute définition. Si le cone beam low-dose ne permet pas une analyse fine de l’intégrité de la structure radiculaire, il peut dans un premier temps permettre une approche 3D de dépistage puis de surveillance de la désinclusion [3] (figures 2 et 3).

Dents surnuméraires et anomalies dentaires congénitales

Comme pour une dent incluse, la localisation d’un ou de plusieurs éléments surnuméraires ou, plus largement, l’identification d’une anomalie dentaire congénitale (anatomie atypique) est parfois nécessaire pour optimiser l’approche diagnostique et thérapeutique. Le cone beam permet de préciser l’anatomie dentaire dans les trois plans de l’espace [15] (figures 4 à 6).

Dysmorphoses transversales et expansion maxillaire rapide (EMR)

La supériorité diagnostique du cone beam par rapport à une téléradiographie frontale n’est pas encore établie. Mais les recommandations de la FFO indiquent que, si le cone beam n’est pas recommandé en routine, il peut néanmoins être utile afin de pallier les limitations de la téléradiographie frontale conventionnelle afin de mieux orienter la décision thérapeutique, de planifier l’EMR ou l’expansion chirurgicale et, dans certains cas, d’en évaluer les effets [15]. Le cone beam low-dose peut ici trouver une indication (figure 7).

Anomalies squelettiques dento-maxillo-faciales

Les performances du cone beam pour la réalisation d’analyses céphalométriques 3D sont largement discutées dans la littérature et de nombreuses études ont montré sa fiabilité dans l’identification des points de référence. Ainsi que le rappellent les recommandations de la FFO, « l’efficacité technique pour l’analyse céphalométrique 3D est comparable à celle obtenue avec la radiographie 2D » [15] (figures 8 à 11).

Néanmoins, en l’absence d’une méthode standardisée valide (paramètres d’acquisition, logiciel approuvé, méthode de visualisation, analyse 3D valide…), des données supplémentaires sont requises pour évaluer l’apport diagnostique et thérapeutique de cette technique. Avec une exception : l’analyse des dysmorphoses nécessitant un traitement ortho-chirurgical telles les fentes alvéolo-palatines. Le cone beam low-dose peut également trouver ici une indication, notamment lors des examens de contrôle.

Ancrages osseux temporaires

Le cone beam est depuis son origine utile pour évaluer le volume osseux et pour localiser les structures anatomiques dites « sensibles ».

Le cone beam ne doit pas être réalisé en première intention mais il permet, particulièrement lorsque les conditions anatomiques sont défavorables, d’optimiser le geste chirurgical en diminuant le taux d’échec (diminution par 10 du taux de perforations radiculaires) [16].

Syndrome d’apnées/hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS)

Nombreux sont les articles qui ont essayé d’analyser l’apport du cone beam dans l’exploration des voies aériennes supérieures. La plupart présentent un faible niveau de preuve. Néanmoins, il existe un lien statistique entre le SAHOS et certaines anomalies cranio-faciales (diminution de l’espace pharyngien, abaissement de l’os hyoïde et augmentation de la hauteur faciale antérieure). Il est ainsi possible d’observer une diminution de l’aire de section transversale des voies aériennes supérieures. Dans ces conditions, l’analyse sur un cone beam des voies aériennes est recommandée lors des prises en charge ortho-chirurgicales [15] (figure 12).

Articulations temporo-mandibulaires (ATM)

L’intérêt du cone beam dans l’exploration des pathologies osseuses des articulations temporo-mandibulaires, en substitution du scanner plus irradiant, n’est plus à démontrer même si la fiabilité de la précision diagnostique appelle à la réalisation d’études complémentaires.

Un cone beam peut donc être réalisé uniquement s’il est susceptible de modifier la prise en charge thérapeutique, avec la séquence d’acquisition appropriée (figure 9).

CONCLUSION

Jusqu’à présent, au regard de l’irradiation induite, le cone beam, de manière analogue à l’imagerie tomodensitométrique, était considéré comme un examen de seconde intention en orthopédie dento-faciale, réalisé en complément d’un examen 2D traditionnel insuffisamment informatif. Avec l’apparition des techniques dites low dose, qui autorisent des acquisitions 3D moins irradiantes que les acquisitions 2D conventionnelles, le cone beam est désormais un examen radiologique à part entière. Dans ce cadre, une parfaite connaissance du principe ALADA, mais aussi des différentes techniques d’imagerie, est nécessaire aux praticiens afin d’obtenir le diagnostic recherché avec la modalité d’acquisition la moins irradiante.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.

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