L’USURE DENTAIRE ÉROSIVE EST-ELLE LA NOUVELLE MALADIE DENTAIRE ?
Prévalence
Charlène LESIEUR* Brigitte GROSGOGEAT** Franck DECUP*** Anne-Margaux COLLIGNON****
*AHU, Hôpital Louis-Mourier, AP-HP, Colombes. Exercice libéral à Levallois-Perret
**PU-PH, Université Lyon 1 et Hospices Civils de Lyon, LMI UMR CNRS 5615, Lyon. Membre du réseau ReCOL
***MCU-PH, Université de Paris Cité et AP-HP, UR 2496, Montrouge. Membre du réseau ReCOL
****MCU-PH, Université de Paris Cité et AP-HP, UR 2496, Montrouge
L’usure dentaire érosive peut se définir comme une perte progressive et irréversible des tissus durs de la dent (émail puis dentine) (figure 1). Elle est causée par un procédé à dominante chimique entraînant une dissolution acide n’impliquant pas les bactéries de la plaque dentaire [1]. Ces acides peuvent être extrinsèques (aliments, boissons,...
L’usure dentaire érosive peut se définir comme une perte progressive et irréversible des tissus durs de la dent (émail puis dentine) (figure 1). Elle est causée par un procédé à dominante chimique entraînant une dissolution acide n’impliquant pas les bactéries de la plaque dentaire [1]. Ces acides peuvent être extrinsèques (aliments, boissons, compléments alimentaires…) ou intrinsèques (reflux gastro œsophagien, vomissement dans le cas d’anorexie/boulimie). Ce type de lésions (non carieuses) est de plus en plus fréquent dans la bouche des patients et cela se voit autant cliniquement que dans l’évolution de la littérature scientifique sur le sujet. Le nombre d’articles retrouvés dans la base de données Pubmed en associant les mots clés dental erosion et prevalence n’est pas encore très conséquent si on le compare à celui obtenu avec la même recherche sur la lésion carieuse : 727 versus 17 000. Mais les parutions sont assez récentes et la moitié des articles ont moins de 10 ans. La terminologie des lésions d’usure varie en fonction des cultures ou bien encore des phénomènes à l’origine de ces lésions. En Europe, l’accent est mis sur le rôle clé des acides dans le processus d’érosion. Dans d’autres régions du monde les lésions érosives sont associées aux autres processus d’usure (attrition et abrasion) ce qui pourrait expliquer les différences importantes de prévalence (proportion de personnes malades à un moment donné) d’un pays à l’autre. Une autre explication possible pourrait concerner les méthodes utilisées pour mesurer l’usure dentaire (souvent complexes et peu reproductibles) (cf page 6 : Reitzer F, Kérourédan O) ainsi que certaines habitudes locales. C’est pour ces raisons que les résultats des études de prévalence doivent être traités avec circonspection.
Il est intéressant de s’interroger sur quelques chiffres. Tout d’abord cette pathologie est rencontrée dès le plus jeune âge. Selon une revue systématique, la prévalence estimée de l’usure érosive des dents permanentes des enfants et des adolescents est de 30 % [2]. On note aussi que les hommes seraient plus sujets aux lésions d’usure érosive que les femmes [3, 4].
Comme souligné précédemment, la prévalence de l’érosion dentaire est très variable d’une étude à l’autre, entre 4 et 82 % chez les patients âgés de 18 à 88 ans [3]. Plus précisément, elle est de 26 % au Japon [5] et proche de 80 % en Suède [4]. Concernant des tranches d’âge plus restrictives, la prévalence est de 29 % chez les jeunes adultes européens (de 18 à 35 ans) [6], alors qu’elle est de 60 % au Nigéria [7], pour atteindre 98 % au Chili [8].
En France, aucune étude de prévalence de l’usure dentaire par érosion n’avait été conduite depuis longtemps. L’étude clinique observationnelle, Resto Data [9], en proposant une mise à jour des données de santé orale chez les français, apporte quelques informations récentes concernant cette pathologie dans la population. Les investigateurs ont ainsi relevé que 38 % des patients adultes présentaient au moins une dent atteinte d’usure dentaire (sans distinction de cause) soit une prévalence qui se rapproche de celle de la lésion carieuse (43 %) (figure 2). Mais bien qu’il s’agisse d’une pathologie contemporaine qui semble augmenter avec le mode de vie et les habitudes alimentaires actuels, les données sur l’incidence (nombre de cas apparus pendant une année au sein d’une population) sont encore plus rares. À notre connaissance nous ne disposons que d’une seule étude qui a mis en évidence une incidence de 5 à 18 % [3]. Chez l’adulte, comme rapporté dans l’étude Resto Data [9], les lésions d’usure érosive sont les pathologies dentaires les plus couramment rencontrées après les lésions carieuses et l’abrasion. Elles concernent 20 % de la population adulte globale avec une augmentation selon l’âge (respectivement 11 % chez les 18-29 ans, 21 % chez les 39-59 ans, 31 % chez les 60 ans et plus). Ces résultats sont en accord avec ceux de la littérature puisqu’il a été montré que l’usure dentaire est corrélée au vieillissement [10].
Ces taux de prévalence montrent l’importance actuelle qu’il faut donner au dépistage systématique de cette pathologie. Les signes cliniques sont à rechercher autant que les facteurs de risque susceptibles de les déclencher ou de les aggraver.
Malgré la fréquence élevée des phénomènes d’érosion, seules les formes sévères (moins fréquentes) nécessitent un traitement invasif (figure 3). Elles correspondent aux valeurs 2 et 3 de l’indice BEWE (Basic Erosive Wear Examination) : système d’évaluation simple qui permet d’évaluer la gravité de l’érosion et de guider le praticien dans sa prise en charge (cf page 6 : Reitzer F, Kérourédan O). À ce stade, les lésions exposent la dentine et des restaurations anatomiques, protectrices et fonctionnelles de la dent sont nécessaires. Elles sont principalement retrouvées chez les patients plus âgés puisque la perte de substance s’accentue avec le temps et le vieillissement physiologique des tissus.
L’étude Resto Data a montré une prévalence d’environ 8 % des phénomènes d’usure dentaire érosive débutante (figure 4) chez les patients âgés de plus de 18 ans (figure 5) et ce chiffre est stable en fonction des tranches d’âge. Par contre, au niveau européen des modifications visibles de la surface des dents ont été observées chez 30 % des adultes [11].
Ce que nous pouvons retenir de ces données est que pour ces 8 % de patients, les principes de prophylaxie (détection et gestion des facteurs de risques, conseils applicables quotidiennement, prévention et la prescription de moyens protecteurs : brosse à dent, bain de bouche et dentifrices adaptés…) permettront de limiter les interventions chirurgicales ultérieures. La mise en place de ces mesures est donc à réaliser le plus tôt possible, dès l’identification des premiers signes.
L’observation clinique attentive doit permettre de détecter les lésions érosives dès le stade précoce (figure 5). Ce diagnostic peut s’avérer complexe lorsque la perte de substance est légère et que l’œil du praticien n’est pas exercé. L’érosion reste, pour ces raisons, mal diagnostiquée et sans doute insuffisamment traitée. Il ne faut pas non plus sous-estimer l’impact qu’elle peut avoir sur le confort de vie. L’écoute des patients et la prise en charge de leurs symptômes précocement avec des moyens adaptés doit rester la priorité du praticien. Le rôle du professionnel de santé est alors d’identifier les facteurs de risque (souvent multiples) à l’origine de la pathologie érosive afin de les lui expliquer. Par la suite il sera possible d’adapter les traitements nécessaires en tenant compte de la préservation tissulaire et de la pérennité des traitements. On distingue trois niveaux de prévention [12], qu’il est possible de définir comme suit :
- prévention primaire : conseils généraux sur les facteurs de risque ;
- prévention secondaire : à la suite du diagnostic, conseils personnalisés : gestion des facteurs de risques identifiés et prescription de moyens protecteurs, soins restaurateurs non invasifs ;
- prévention tertiaire : en complément de la prévention secondaire, soins restaurateurs.
La gestion réussie [13] de l’usure dentaire érosive dans une population vieillissante repose donc sur une triade : un diagnostic efficace, une intervention préventive et des soins restaurateurs raisonnés.
La perte pathologique de tissu dentaire, dues à l’usure, est en augmentation et toutes les données montrent que ces atteintes touchent une part importante de la population et qu’une prise en charge adaptée est nécessaire.