ÉROSION : TOUTES LES CLÉS POUR UNE INTERCEPTION PRÉCOCE ET ADAPTÉE - Clinic n° 10 du 01/10/2022
 

Clinic_Hors série n° 10 du 01/10/2022

 

Diagnostic

François REITZER*   Olivia KÉROURÉDAN**  


*Faculté de Chirurgie dentaire Robert Franck, Université de Strasbourg. Pôle de Médecine et Chirurgie bucco-dentaire, CHU de Strasbourg. Unité INSERM UMR-S 1121 Biomatériaux et Bio-ingénierie, Strasbourg
**UFR des Sciences odontologiques, Université de Bordeaux. Service de Médecine bucco-dentaire, Pôle de Médecine et Chirurgie bucco-dentaire, CHU de Bordeaux. UMR 1026 BioTis (Bio-ingénierie Tissulaire), INSERM/Université de Bordeaux

Le diagnostic de l’érosion dentaire peut s’avérer complexe pour le chirurgien-dentiste du fait de l’association concomitante de différentes formes d’usure. Un examen clinique minutieux, une identification des facteurs étiopathogéniques et une évaluation de la progression des lésions sont les trois éléments essentiels permettant d’assurer une prise en charge précoce et adaptée de l’érosion dentaire.

SIGNES D’ALERTE ET DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE

Pourquoi...


Le diagnostic de l’érosion dentaire peut s’avérer complexe pour le chirurgien-dentiste du fait de l’association concomitante de différentes formes d’usure. Un examen clinique minutieux, une identification des facteurs étiopathogéniques et une évaluation de la progression des lésions sont les trois éléments essentiels permettant d’assurer une prise en charge précoce et adaptée de l’érosion dentaire.

SIGNES D’ALERTE ET DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE

Pourquoi insister sur le diagnostic précoce ?

Le dépistage précoce des lésions érosives est complexe. En effet, les lésions initiales, à l’exception de celles situées au niveau des zones cervicales, sont le plus souvent asymptomatiques car elles ne concernent que l’émail [1]. De plus, aucun outil diagnostique spécifique des lésions érosives n’existe à ce jour. Seule une inspection visuelle permet ce dépistage mais il reste limité par la subjectivité et l’expérience du praticien [2].

La reconnaissance des lésions érosives à leur stade initial est pourtant essentielle pour pouvoir intercepter, mettre en place des mesures préventives et proposer des thérapeutiques adaptées [3]. La localisation et l’aspect des lésions différant selon l’étiologie, le dépistage des lésions érosives implique à la fois un examen clinique minutieux et une recherche approfondie des facteurs étiopathogéniques.

ASPECT CLINIQUE DES LÉSIONS ÉROSIVES

Aux stades initiaux, l’érosion entraîne une déminéralisation de surface de l’émail avec perte de la morphologie naturelle de la surface dentaire et de son contour.

Au niveau vestibulaire, les atteintes se présentent sous la forme d’une surface lisse et satinée ou mate, évoluant pour former des concavités plus larges que profondes (figure 1a).

Au niveau occlusal, l’érosion entraîne un arrondissement des cuspides et sillons, voire la présence de lésions en cupule au niveau des pointes cuspidiennes (figure 1b). La perte tissulaire engendrée par l’érosion peut également faire apparaître les restaurations en sur-contour par rapport aux surfaces dentaires.

À des stades avancés, une disparition complète de la morphologie occlusale peut être relevée et la dentine peut être exposée. Des atteintes pulpaires sont rarement observées du fait des remaniements dentinaires occasionnés par les cycles répétés d’attaque acide.

Les premières atteintes seront visualisées au niveau des pointes cuspidiennes des prémolaires et molaires des deux arcades ainsi que sur les faces linguales du secteur incisivo-canin.

DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS

Le diagnostic différentiel entre une lésion érosive et une autre lésion d’usure peut s’avérer complexe. Les atteintes liées à l’attrition se distinguent par leur aspect brillant, poli, bien délimité avec une correspondance des lésions sur les dents antagonistes (figure 2a). L’abrasion, quant à elle, est liée à l’action d’un élément extérieur traumatique (par exemple, brossage traumatique) et peut conduire à des lésions de forme concave, aux limites de contour arrondies, avec un aspect de surface émoussé, satiné (figure 2b). Enfin, l’abfraction, en rapport avec des contraintes occlusales excessives, serait à l’origine de pertes de substance cunéiformes localisées au niveau cervical vestibulaire, plus profondes que larges, avec des bords anguleux (figure 2c). Seule l’anamnèse permettra véritablement l’établissement du diagnostic grâce à l’évaluation des facteurs comportementaux [4].

ÉVALUATION DU RISQUE ÉROSIF

Identification des facteurs étiopathogéniques

La recherche des facteurs étiopathogéniques est une étape clé dans la prise en charge des patients présentant des lésions érosives.

L’étiologie des érosions dentaires est multifactorielle. Elle peut être d’origine :

- extrinsèque : potentiel érosif des aliments consommés (type d’acides, pH, pouvoir tampon, contenu en calcium/phosphate/fluorures), habitudes alimentaires (quantité ingérée, manière de les consommer, fréquence et durée d’exposition aux acides), médicaments et compléments alimentaires (vitamine C), environnement professionnel (industrie chimique, industrie vinicole), pratiques sportives (natation) ;

- intrinsèque : reflux gastro-œsophagiens, troubles du comportement alimentaire (anorexie-boulimie), modification du flux salivaire liée à des pathologies (Gougerot-Sjögren) ou médications (anti-dépresseurs).

La topographie des lésions va permettre de guider vers l’étiologie principale. Une atteinte des faces palatines et occlusales orientera le diagnostic étiologique vers une origine endogène (par exemple, vomissements). Une atteinte asymétrique sera plutôt évocatrice de la présence de reflux gastro-œsophagiens (stagnation de l’acidité gastrique sur le côté préférentiel durant la nuit). A contrario, des lésions au niveau des faces vestibulaires et occlusales sont liées à des acides exogènes.

Anamnèse

Une anamnèse complète, médicale, dentaire, alimentaire et comportementale devra être réalisée afin de déterminer, à l’aide de questions ciblées et systématisées, les facteurs de risque éventuels.

En particulier, les différents éléments suivants devront être abordés :

- fréquence de consommation d’aliments et de boissons acides (agrumes, jus de fruits, sodas…) ;

- présence de problèmes gastriques (reflux gastro-œsophagiens) ou de troubles de l’alimentation (anorexie, boulimie) ;

- prise de médicaments (tranquillisants, vitamines, cachets effervescents…) ;

- sensation de bouche sèche (antécédents de radiothérapie, maladie systémique, respiration buccale…).

INDICE BEWE, OUTIL D’ÉVALUATION DE LA PROGRESSION DES LÉSIONS

Si des érosions sont mises en évidence cliniquement ou si un risque augmenté est présent, un monitoring des lésions est nécessaire.

La classification BEWE (Basic Erosive Wear Examination : système visuel pour la détection des lésions érosives) est un outil permettant de détecter et d’évaluer rapidement les pertes tissulaires dues aux acides [5].

Le score BEWE est compris entre 0 (aucune atteinte érosive) et 3 (perte de substance atteignant plus de 50 % de la surface concernée) [6] (tableau 1). L’examen dentaire s’effectue par sextant. Toutes les dents vont être évaluées une à une (excepté les troisièmes molaires) pour évaluer les dommages acides au niveau des faces vestibulaires, occlusales et palatines ou linguales (figure 3). Les scores par sextant sont ensuite additionnés et permettent de définir le degré de sévérité de l’atteinte érosive et de guider vers la thérapeutique appropriée. Le score maximum pouvant être atteint chez un patient s’élève à 18.

Ce score BEWE peut être calculé grâce à l’examen clinique du patient mais aussi à partir de modèles conventionnels et de photographies. Plus récemment, il a été également montré l’intérêt des modèles numériques en 3D pour l’objectivation des lésions mais aussi pour le suivi de leur évolution [7].

Selon la sévérité des lésions et les facteurs de risque identifiés, l’intervalle recommandé entre deux mesures du score BEWE pourra aller de 6 mois (pour une érosion moyenne ou élevée) à 2 ans (pour une érosion faible) (tableau 2). Lors de la consultation de suivi, seule la face présentant le score le plus élevé au sein d’un sextant sera réévaluée. Une fois que tous les sextants auront été évalués, la somme des scores sera calculée.

CONCLUSION

Une importance particulière doit être accordée au dépistage précoce et au suivi de la progression de ces lésions érosives afin d’adopter une démarche préventive permettant une limitation des pertes tissulaires. La classification BEWE est un outil simple, adapté à la pratique clinique, permettant de standardiser le diagnostic des érosions dentaires.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Carvalho TS, Colon P, Ganss C, et al. Consensus Report of the European Federation of Conservative Dentistry. Erosive tooth wear: Diagnosis and management. Swiss Den J 2016;126:342-346.
  • 2. Carvalho JC, Scaramucci T, Aimée NR, Mestrinho H D, Hara AT. Early diagnosis and daily practice management of erosive tooth wear lesions. Br Dent J 2018;224:311-318.
  • 3. Donovan T, Nguyen-Ngoc C, Abd Alraheam I, Irusa K. Contemporary diagnosis and management of dental erosion. J Esthet Restor Dent 2021;33:78-87.
  • 4. Hattab FN, Yassin OM. Etiology and diagnosis of tooth wear: A literature review and presentation of selected cases. Int J Prosthodont 2000;13:101-107.
  • 5. Bartlett D, Ganss C, Lussi A. Basic Erosive Wear Examination (BEWE): A new scoring system for scientific and clinical needs. Clin Oral Investig 2008;12 (suppl.1):S65-S68.
  • 6. Aránguiz V, Lara JS, Marro ML, O’Toole S, Ramirez V, Bartlett D. Recommendations and guidelines for dentists using the basic erosive wear examination index (BEWE). Br Dent J 2020;228:153-157.
  • 7. Alaraudanjoki V, Saarela H, Pesonen R, et al. Is a Basic Erosive Wear Examination (BEWE) reliable for recording erosive tooth wear on 3D models? J Dent 2017;59:26-32.

Vous trouverez en flashant ces QR code une vidéo sur le diagnostic précoce et une autre sur l’évaluation des lésions.