Clinic n° 10 du 01/10/2022

 

Dossier

Kods MAHDAOUI*   Marion REGIN**   Jean-Pierre ATTAL***   Charles TOLEDANO****  


*Ancienne AHU en Biomatériaux, Université Paris Cité. Exercice libéral à Paris.
**Exercice libéral au Luxembourg.
***MCU-PH, Université Paris Cité. Directeur de l’URB2i (UR 4462). Hôpital Charles-Foix, Ivry-sur-Seine.
****Ancien AHU, Chargé d’enseignement universitaire
*****Coordinateur du DU Esthétique du sourire, Faculté de Strasbourg
******Cofondateur d’Esthet Practical. Exercice libéral à Strasbourg.

Aujourd’hui, plusieurs options thérapeutiques s’offrent aux praticiens lorsqu’il s’agit de restaurer une dent postérieure dépulpée. Quels types de restaurations ? Quels matériaux ? Quels modes d’assemblage ? Existe-t-il des consensus dans la littérature ? Comment le praticien peut-il intégrer ces principes biomécaniques dans ses choix thérapeutiques ?

L’inlay-core et la couronne ont été considérés durant plusieurs décennies comme le gold standard pour restaurer une dent postérieure dépulpée [1]. Cependant, les préparations périphériques pour couronne engendrent une perte considérable de tissus sains, sur une dent déjà mécaniquement et biologiquement fragilisée par les pathologies carieuses et les traitements endodontiques [2]. Le principe de préservation tissulaire rend cette approche le plus souvent obsolète, et les restaurations partielles collées (directes ou indirectes) sont aujourd’hui une alternative thérapeutique valide [3]. En effet, selon la littérature, limiter le sacrifice de tissu sain en préparant la dent pour une restauration partielle collée plutôt que pour une couronne a un impact déterminant sur le pronostic de la dent [3]. Pourtant, il existe encore quelques indications pour les restaurations périphériques. Que ce soit pour les restaurations partielles ou périphériques, le praticien doit bien connaître les matériaux qu’il demandera à son prothésiste d’utiliser ainsi que les matériaux et les procédures d’assemblage. C’est le but de cet article où une grande partie des informations est synthétisée dans des tableaux.

RESTAURATIONS PARTIELLES

Nous aborderons ici les pertes de substances moyennes à importantes. Ces termes ne visent pas tant le volume de tissu perdu que les structures qui sont affectées et leur importance dans la résistance de la dent. En effet, la perte de résistance d’une dent n’est pas proportionnelle au volume perdu.

Pour rappel, la perte d’une crête marginale correspond à une diminution de 46 % de la rigidité de la dent et la perte de deux crêtes marginales à 63 % [4].

Bien que la longévité des restaurations en technique directe soit maintenant connue pour être équivalente à celle des inlays en composite [5-7], il est fortement recommandé de s’en tenir aux restaurations indirectes pour les dents postérieures dépulpées (restaurations partielles ou périphériques) [8, 9].

Dans le cas des restaurations partielles indirectes, plusieurs matériaux sont possibles. Ils sont regroupés en 3 familles : les résines composites, les vitrocéramiques renforcées et les matériaux hybrides. Pour chaque matériau, le procédé de mise en forme est décrit car il peut influencer certaines caractéristiques cliniques.

Restaurations partielles indirectes en composite

Les restaurations en composite en technique indirecte peuvent être mises en forme de façon artisanale ou être usinées à partir d’un bloc de matériau par CFAO.

Les exemples de matériaux commercialisés et leurs procédés de fabrication qui permettent de réaliser des restaurations en composite en technique indirecte sont résumés dans le tableau 1 (liste non exhaustive). La dernière colonne résume les étapes clés du traitement de surface du substrat en présence ainsi que celui de l’intrados prothétique.

Restaurations partielles en céramique

Les vitrocéramiques les plus utilisées sont celles renforcées au disilicate de lithium (e.max® Press, e.max® CAD, Ivoclar Vivadent). Leur aptitude au collage et leur résistance en flexion (entre 400 et 500 MPa) en font des matériaux de choix pour les restaurations partielles. Par ailleurs, la translucidité des vitrocéramiques leur confère des propriétés optiques intéressantes, permettant un grand mimétisme de la dent naturelle, ce qui est un atout notamment dans le cadre de restaurations partielles. Ces vitrocéramiques peuvent être mises en forme par CFAO ou par une méthode artisanale de pressée de lingotin à chaud.

Restaurations partielles en matériaux hybrides

Une nouvelle famille d’hybrides est apparue ces dernières années. Ce matériau se présente sous la forme d’un réseau de céramique infiltré de polymère (RCIP en français, PICN en anglais), commercialisé par Vita sous le nom de Enamic®. Bien que sa résistance en flexion soit faible (150 et 160 MPa selon les données du fabricant), son avantage majeur semble être son module d’élasticité (33 GPa) qui est une valeur intermédiaire entre celui de l’émail (70 à 85 GPa) et celui de la dentine (18-20 GPa) [10].

Zircone

Traditionnellement la zircone était peu utilisée pour les restaurations partielles collées à cause de son protocole de collage plus complexe (tableau 2). Cependant, des études récentes ont montré une résistance à la fracture et une réduction du stress à l’interface dent/restaurations plus importantes pour les restaurations en zircone que pour celles en disilicate de lithium. Ceci s’explique par la rigidité plus importante de la zircone [11, 12]. Par ailleurs, la zircone tolère des épaisseurs de matériau plus faibles, ce qui permet de réaliser des préparations plus conservatrices. Pour autant, en l’absence de recul clinique suffisant, il n’est pas recommandé de réaliser des restaurations partielles en zircone.

Tous ces matériaux sont décrits dans le tableau 2.

Critères de choix

Espace prothétique

Les paramètres qui influencent le choix du matériau sont nombreux et il n’est pas dans l’objectif de cet article de tous les rappeler. Toutefois, nous souhaitons insister sur un des paramètres : l’espace prothétique.

En effet, le matériau doit être choisi en fonction de l’espace prothétique disponible et des épaisseurs minimales de matériau doivent être respectées pour la pérennité de la restauration. Ces épaisseurs minimales sont résumées dans le tableau 3. On a supposé, pour simplifier, que le collage se fait sur du composite de l’IDS (scellement dentinaire immédiat) ou sur la dentine. Bien entendu, si le collage se fait sur l’émail, les épaisseurs peuvent être un peu diminuées. Bien que certaines études soient prometteuses quant à la possibilité de réduire les épaisseurs pour les composites, en absence de recul clinique, il sera prudent de s’en tenir aux valeurs de ce tableau. Vous pourrez noter la différence entre les recommandations des fabricants et les données de la littérature.

L’usinabilité des composites est meilleure que celle des vitrocéramiques. L’usinage des composites permet de réaliser des restaurations de faible épaisseur avec peu d’écaillage au niveau des limites et peu de détériorations de surface sur les restaurations, par rapport aux restaurations en céramique [14, 15].

Impact du support

Les contraintes mécaniques sont d’autant plus importantes qu’il y a un différentiel de module d’élasticité (E) entre le substrat (émail ou dentine) et le matériau. Ces contraintes liées se concentrent dans l’intrados des pièces prothétiques et doivent être diminuées d’autant plus que l’épaisseur des restaurations est faible. Ainsi, si le substrat est essentiellement dentinaire (18 GPa), les contraintes seront trop importantes sur la céramique (80 GPa). Le composite répond mieux au cahier des charges car il résiste mieux en fatigue. La céramique est possible si une épaisseur de matériau d’environ 1 mm est permise par l’espace prothétique. Si le substrat est amélaire, la céramique répond mieux au cahier des charges grâce à la faible différence de module d’élasticité entre l’émail et la céramique (70 GPa contre 80 GPa) [20].

Impact de la dévitalisation sur le choix du matériau

Quel matériau choisir dans le cas d’une dent dépulpée ?

Cette question reste aujourd’hui controversée et la littérature ne met pas en évidence, à ce jour, un matériau de choix pour les restaurations dépulpées. En effet, il semblerait que la dévitalisation ne joue pas un rôle déterminant sur le pronostic de la restauration [21]. La fracture, qui est l’échec le plus fréquent [3], est davantage imputable à des paramètres cliniques comme l’occlusion, l’axe de la dent ou la forme de la préparation. Il n’y a donc pas d’indications significatives vers un matériau en particulier.

Quelle restauration choisir dans le cas d’une dent dépulpée ?

La restauration d’une dent étant davantage conditionnée par la géométrie cavitaire que par l’état pulpaire, une dent dépulpée peut être restaurée en technique directe ou indirecte [4]. Néanmoins, la perte de substance étant souvent importante sur les dents dépulpées et associée à une perte des crêtes marginales, le recours au recouvrement cuspidien est à privilégier sur les dents dépulpées [22, 23].

L’overlay est alors une restauration de choix parce qu’il permet le sertissage de la dent tout en préservant les tissus de la base de la dent, qui sont précieux pour sa résistance mécanique. Les cas cliniques 1 (dent 17) (figures 1 à 8), 2 (dent 36) (figures 9 à 14) et 3 (dent 36) (figures 15 à 18) illustrent l’utilisation d’overlays en disilicate de lithium sur dents dépulpées.

Dans le cas clinique n° 1, les dents 14 et 15, qui sont vitales, sont également réhabilitées à l’aide de restaurations partielles avec recouvrement cuspidien en disilicate de lithium. Le critère de choix est bien la perte de substance et non la vitalité des dents.

L’endo-couronne semble également répondre au cahier des charges de la restauration de la dent dépulpée, lorsqu’elle est réalisée en vitrocéramique renforcée au disilicate de lithium. Dans une étude rétrospective publiée en 2017, Belleflamme et al. concluaient que les endo-couronnes constituent une approche fiable pour restaurer des molaires et des prémolaires gravement endommagées, même en présence d’une perte tissulaire importante ou de facteurs occlusaux défavorables. Le scellement dentinaire immédiat associé à une endo-couronne en vitrocéramique renforcée au disilicate de lithium donne des résultats très satisfaisants [24].

Choix du composite d’assemblage

Dans les paragraphes précédents, nous avons présenté les traitements de surface des substrats en présence. Au moment d’assembler, il faudra remplir l’espace entre l’intrados de la restauration et la préparation dentaire traitée. Ce remplissage peut se faire avec un composite Dual ou un composite de restauration réchauffé. L’avantage principal de l’assemblage au composite chauffé est d’augmenter le temps de travail du praticien (car il est photopolymérisable) et de faciliter l’élimination des excès (car le changement de phase entre 68 °C et 37 °C est très favorable de ce point de vue). Par ailleurs, réchauffer le composite permet de diminuer la viscosité de celui-ci sans diminuer ses propriétés mécaniques [25], voire en les augmentant, et ainsi de faciliter l’insertion des pièces. Le taux de conversion est augmenté, ce qui se traduit par une meilleure résistance du joint et une toxicité plus faible car il y a moins de monomères libres.

Le chauffage du composite ne permet pas pour autant d’augmenter l’adhérence des restaurations [26].

RESTAURATIONS PÉRIPHÉRIQUES

L’indication des restaurations périphériques ou couronnes se limite aujourd’hui aux pertes de substances terminales ou presque, et au remplacement des couronnes préexistantes.

Les matériaux céramiques qui permettent de réaliser des couronnes monolithiques ou stratifiées sont de deux types :

– les vitrocéramiques renforcées au disilicate de lithium ;

– les zircones traditionnelle (3Y-TZP), dont la phase cristalline majoritaire est tétragonale, et les zircones dites translucides (4Y ou 5Y), dont la phase cristalline majoritaire est cubique.

Dans le cas de couronnes stratifiées, une céramique feldspathique sera appliquée en pâte crue puis frittée afin de réaliser l’émaillage.

Bien que les couronnes à infrastructure métallique restent une option thérapeutique, elles ne sont pas traitées dans le cadre de cet article.

Couronnes en disilicate de lithium

La possibilité d’utiliser une vitrocéramique renforcée au disilicate de lithium pour la confection de couronnes dans le secteur postérieur est aujourd’hui démontrée. La forme monolithique est incontestablement à privilégier.

Cependant, une stratification pourra être utilisée dans des cas mécaniquement très favorables, lorsque l’objectif esthétique prime.

Couronnes en zircone

La zircone 3Y-TZP offre une solution thérapeutique intéressante dans le cas de confection de couronnes postérieures. Ses propriétés mécaniques (résistance en flexion bien supérieure à celle des vitrocéramiques de 900 à 1250 MPa) et la faible épaisseur de préparation dentaire qu’elle requiert en font un matériau de choix pour la réalisation de couronnes monolithiques dans le secteur postérieur. Le cas clinique n° 1 illustre, sur la dent 16, l’utilisation d’une couronne en zircone monolithique scellée sur un inlay-core (figures 1 à 8).

Si l’on souhaite obtenir un résultat plus esthétique, la zircone 3Y-TZP pourra également servir de matériau d’infrastructure à une stratification.

La zircone monolithique translucide sera quant à elle privilégiée dans le cas de supports non colorés. Ses propriétés optiques permettront d’obtenir un résultat esthétique satisfaisant sans avoir à recourir à une stratification qui pourrait affecter les propriétés mécaniques de la couronne.

Critères de choix

Là encore, le choix du matériau dans le cas des restaurations périphériques sera dicté par différents paramètres. Nous en citerons trois.

Espace prothétique

• Un espace prothétique faible (entre 0,5 et 1 mm) n’est restaurable que par une zircone monolithique, seul matériau capable de supporter des contraintes mécaniques importantes avec une faible épaisseur [27].

• Un espace prothétique intermédiaire (entre 1 mm et 1,5 mm) permet d’utiliser :

– la zircone sous sa forme opaque et translucide mais également sous sa forme monolithique et stratifiée ;

– le disilicate de lithium en l’absence de para-fonction et uniquement sous sa forme monolithique.

• Un espace disponible important (> 1,5 mm) offre un plus large choix thérapeutique, aussi bien dans le choix du matériau que dans celui de sa mise en œuvre. Ainsi, à cette épaisseur, seront admis les zircones ainsi que le disilicate de lithium dans leurs formes monolithiques et stratifiées.

Contraintes mécaniques

En présence de contraintes mécaniques importantes, les restaurations monolithiques seront à privilégier. En effet, la stratification divise par deux la résistance à la fracture des couronnes, et ce quel que soit le matériau (disilicate de lithium ou zircone) [28, 29].

Ainsi, la stratification du disilicate de lithium est à proscrire dans le secteur postérieur si le contexte mécanique n’est pas favorable, même si l’épaisseur minimale de 1,5 mm est obtenue [30].

Contraintes esthétiques

Dans le secteur postérieur, même si les contraintes mécaniques priment, les critères esthétiques entrent en ligne de compte quand il s’agit par exemple de restaurer les prémolaires et premières molaires maxillaires dans un sourire large.

En effet, sur un support non dyschromié, une céramique d’une certaine translucidité permet d’obtenir un résultat plus esthétique. On privilégiera alors le disilicate de lithium HT ou LT ou encore une zircone translucide.

En revanche, dans le cas d’un support dyschromié, la propriété recherchée sera le masquage du support. Dans ce cas, notre choix se tournera vers une zircone opaque ou un disilicate de lithium opaque (MO ou HO).

Le masquage sera d’autant plus aisé que l’espace prothétique est important. En effet, aussi bien pour la zircone que pour le disilicate de lithium, une épaisseur minimale de 0,8 mm est nécessaire afin de masquer un support métallique ou très dyschromié. Et ce même pour les matériaux les plus opaques (Zircone 3Y-TZP et e.max HO) [31, 32]. Une céramique cosmétique viendra ensuite recouvrir cette infrastructure masquante pour donner un meilleur rendu esthétique.

Quid des hybrides ? Du fait d’une absence de consensus et d’un manque de recul clinique vis-à-vis de ces matériaux, nous écartons la possibilité de les utiliser pour des restaurations périphériques [33, 34].

Assemblage des restaurations périphériques

Les restaurations périphériques peuvent être scellées ou collées, selon la situation clinique, comme décrit dans le tableau 4. Étant donné que la surface en contact avec la colle est l’intrados de la couronne, les procédures ne changent pas entre une couronne stratifiée et une couronne monolithique.

Pour des raisons mécaniques, l’assemblage des couronnes en disilicate de lithium se fait préférentiellement à l’aide d’un composite de collage ou d’un composite de restauration chauffé. Le collage apporte des avantages sur le plan biomécanique en augmentant la résistance à la fracture de la restauration.

Le scellement des couronnes en zircone à l’aide d’un CVIMAR est possible lorsque la préparation est rétentive. C’est une rétention mécanique par friction.

Les couronnes en zircone peuvent également être collées à l’aide d’une colle avec potentiel adhésif type Panavia (Kuraray). Bien que le collage des zircones n’apporte pas un avantage mécanique majeur comme pour les vitrocéramiques, cette solution d’assemblage peut être pertinente dans des situations où le choix de la zircone est nécessaire mais où la rétention mécanique est faible. La pièce sera alors préalablement sablée à l’oxyde d’aluminium (sablage à 50 µm à une pression réduite de 0,5 bar) [35, 36] avant d’appliquer le protocole préconisé par le fabriquant.

Enfin, une solution plus simple serait d’utiliser une colle auto-adhésive qui pourrait fonctionner autant sur l’e.max que sur la zircone.

CONCLUSION

Les restaurations adhésives partielles ou périphériques en composite ou céramique représentent des options thérapeutiques de plus en plus utilisées dans le cas du traitement des dents postérieures vivantes ou dépulpées. Et ceci à juste titre puisqu’elles assurent une restauration pérenne, très largement validée scientifiquement, et permettent de réduire considérablement la perte tissulaire. La dévitalisation joue finalement un rôle peu important sur le choix du matériau qui sera principalement influencé par l’espace prothétique disponible, la géométrie de préparation, l’occlusion et les critères cliniques. De la même façon, ce n’est pas tant la dévitalisation que l’étendue de la perte tissulaire qui va conditionner le choix du type de restauration (partielle ou recouvrement cuspidien). Enfin, une bonne connaissance des matériaux permettra au clinicien d’orienter son choix en fonction de la situation clinique et d’assurer un assemblage optimal de la restauration à son support.

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Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.