UN CHAMPIGNON DANS LA BOUCHE… - Clinic n° 09 du 01/09/2022
 

Clinic n° 09 du 01/09/2022

 

Pathologie

Buccale

Selin GÜNEY*   Bythia LEVY**   Loredana RADOÏ***  


*Interne en Chirurgie orale, Centre hospitalier de Gonesse.
**Interne en Médecine bucco-dentaire, Hôpital Louis-Mourier (AP-HP), Colombes.
***PU-PH, Spécialiste qualifié en Chirurgie orale. UFR d’Odontologie de l’Université Paris Cité. Service de Médecine bucco-dentaire, Hôpital Louis-Mourier (AP-HP), Colombes.

Les champignons vivent à l’état saprophyte sur la peau ou dans les muqueuses chez l’homme, les animaux ou dans l’environnement (sur le sol, dans l’eau ou sur les plantes). L’opportunisme des champignons les rend capables de passer de l’état saprophyte à l’état pathogène dans certaines conditions (changement de leur micro-environnement et/ou diminution des défenses immunitaires de l’hôte) provoquant ainsi des infections mycosiques.

De nombreuses espèces de...


Résumé

Les mycoses orales sont des infections fongiques opportunistes dues à des champignons ubiquitaires, saprophytes, colonisant la peau et le tube digestif de l’homme, des animaux ou de l’environnement. Le passage de l’état saprophyte à l’état pathogène sous l’influence de divers facteurs favorisants locaux et/ou généraux conduit à l’apparition de différents tableaux cliniques. Les mycoses orales peuvent représenter la première manifestation clinique de pathologies générales (infectieuses, cancéreuses, endocriniennes, carentielles…) ou sont révélatrices d’une immunodépression et doivent alerter le praticien. La langue peut être concernée par ces pathologies de façon isolée ou en même temps que les autres muqueuses orales. Le chirurgien-dentiste doit savoir les diagnostiquer et les prendre en charge. Devant une mycose récurrente ou résistante aux traitements bien conduits, le chirurgien-dentiste devra suspecter une maladie générale méconnue et orienter le patient vers le médecin généraliste ou spécialiste pour diagnostic et prise en charge médicale adaptée.

Les champignons vivent à l’état saprophyte sur la peau ou dans les muqueuses chez l’homme, les animaux ou dans l’environnement (sur le sol, dans l’eau ou sur les plantes). L’opportunisme des champignons les rend capables de passer de l’état saprophyte à l’état pathogène dans certaines conditions (changement de leur micro-environnement et/ou diminution des défenses immunitaires de l’hôte) provoquant ainsi des infections mycosiques.

De nombreuses espèces de champignons microscopiques sont potentiellement pathogènes pour l’homme et certaines peuvent entraîner des mycoses oro-faciales. L’agent pathogène reste localisé à la surface, dans la couche cornée de la peau ou granuleuse de la muqueuse (mycoses oro-faciales superficielles) et ne dissémine qu’exceptionnellement en profondeur (mycoses profondes) ou par voie hématogène (mycoses systémiques avec manifestations orales). Les mycoses profondes ou systémiques sont des infections rares qui surviennent dans un contexte d’immunodépression qui doit être systématiquement recherché.

MYCOSES SUPERFICIELLES

Agents pathogènes

Les mycoses orales superficielles sont des infections fongiques causées par l’une des espèces de Candida, le plus souvent le Candida albicans, champignon endo-saprophyte du tube digestif. Le pourcentage de porteurs varie considérablement dans différentes études en fonction des régions géographiques et des populations étudiées, des méthodes d’échantillonnage et des techniques d’identification. Il est considéré que 30 à 50 % des individus en bonne santé hébergent des espèces de Candida dans leur microbiote oral et il est probable que Candida joue un rôle dans le maintien de l’équilibre entre les micro-organismes et l’hôte [1]. La prévalence des candidoses orales varie de 30 à 94 % chez les patients atteints d’hémopathies malignes ; elle est d’environ 60 % chez les patients VIH positifs et 80 % au stade SIDA.

Candida est un organisme unicellulaire qui se présente sous forme de levure (blastopore) à l’état non pathogène. À l’état pathogène, il émet des filaments (pseudo-hyphes). Il peut rarement disséminer et produire une candidose systémique. Candida albicans est l’agent étiologique retrouvé dans 80 % des candidoses orales ; Candida tropicalis, glabrata, parapsilosis, stellatoidea, kruseï, kefyr et dubliniensis sont isolés moins fréquemment, notamment chez les sujets immunodéprimés [2].

Facteurs favorisants

Il existe plusieurs facteurs responsables du passage de Candida de l’état saprophyte à l’état pathogène : soit par un déséquilibre du microbiote oral, soit par une diminution des défenses immunitaires de l’hôte, soit par les deux anomalies à la fois. Les facteurs favorisants sont intrinsèques (liés à l’hôte) et extrinsèques (iatrogènes) [3]. Les facteurs intrinsèques peuvent être liés à un état physiologique (âges extrêmes, grossesse) ou pathologique (terrain particulier du patient) (figure 1).

Les facteurs favorisants peuvent également être classés en facteurs locaux ou généraux [3, 4].

Facteurs locaux

• Utilisation des corticoïdes locaux (exemple corticoïdes inhalés chez les patients asthmatiques).

• Hyposialie dont l’origine peut être intrinsèque (maladies générales comme le syndrome de Gougerot-Sjögren) ou extrinsèque (médicaments sialoprives, irradiation cervico-faciale).

• Hygiène bucco-dentaire insuffisante.

• Diminution de la dimension verticale de l’occlusion (DVO) en lien avec un édentement non compensé.

• Port de prothèse (s) dentaire (s) amovible (s) ancienne (s).

• Intoxication éthylique par :

- effet direct sur les muqueuses : altérations épithéliales favorisant l’inflammation, l’augmentation de la perméabilité et l’adhésion de Candida ;

- effet général avec des conséquences indirectes sur les muqueuses orales : effet toxique sur le tube digestif responsable de malabsorptions, d’hypovitaminoses et de pathologies hépatiques.

• Intoxication tabagique par un effet direct sur les muqueuses :

- modification du flux salivaire et altérations épithéliales favorisant l’adhésion de Candida ;

- modification des types et des fonctions des cellules présentatrices d’antigènes (en particulier les cellules dendritiques) dans la muqueuse qui augmente la susceptibilité aux infections [5, 6].

Facteurs généraux

• Âges extrêmes de la vie, car le système immunitaire n’est pas mature dans l’enfance et il est altéré chez la personne âgée.

• Déficits immunitaires congénitaux ou acquis : hypogammaglobulinémie (IgA), anomalies qualitatives ou quantitatives des polynucléaires, des lymphocytes, infection avec le VIH…

• Traitements médicamenteux : antibiothérapie, corticothérapie, immunosuppresseurs, médications sialoprives (antidépresseurs, neuroleptiques, psychotropes, anticholinergiques, antihypertenseurs…).

• Traitements anti-cancéreux : chimiothérapies/biothérapies/radiothérapie cervico-faciale pour les cancers des voies aéro-digestives supérieures ou chimiothérapies/biothérapies pour d’autres types de cancer.

• Maladies générales : endocriniennes non équilibrées (diabète sucré, hypothyroïdie, hypoparathyroïdie, maladie de Cushing), syndrome de Gougerot-Sjögren, poly-endocrinopathies auto-immunes associant une candidose chronique cutanéo-muqueuse, une hypoparathyroïdie, une insuffisance surrénalienne et d’autres atteintes auto-immunes…

• Dénutrition et carences en fer, vitamines A, B9, B12 et/ou C.

Les observations selon lesquelles la candidose orale est fréquente chez les personnes immunodéprimées, où l’activité des lymphocytes T est absente ou compromise, suggèrent fortement un rôle de l’immunité cellulaire dans la prévention d’une infection ou dans la transition de la levure commensale aux formes hyphales pathogènes [7, 8].

Formes cliniques

Selon la durée d’évolution, il existe des formes aiguës ou chroniques [3, 4, 9]. Selon l’étendue des lésions, on parle de formes localisées ou diffuses. Les lésions sont généralement bilatérales, plus ou moins symétriques.

Formes aiguës

Les signes cliniques à rechercher sont la douleur, la sensation de « cuisson » ou de « brûlure », la dysgueusie (goût métallique), la sècheresse buccale, la gêne à l’alimentation (après ingestion d’épices ou d’aliments chauds ou acides) et la dysphagie (signe d’atteinte du pharynx).

Localisées au niveau de la langue

• Dans la forme érythémateuse (rouge), on retrouve des zones dépapillées, pseudo-érosives sur la face dorsale de la langue qui est douloureuse (figure 2).

• Dans la forme érythémato-pultacée ou blanche, on retrouve un enduit blanchâtre ou blanc jaunâtre épais, sur la face dorsale de la langue, qui recouvre une plage érythémateuse. L’enduit part au grattage. Elle peut survenir suite à une antibiothérapie (figure 3) ou dans un contexte d’immunodépression (figures 4 et 5).

• Ces formes linguales peuvent s’accompagner d’une ouranite (candidose à localisation palatine, en miroir) (figures 6 et 7).

Diffuses

• Érythémateuse ou érythémato-érosive pure. Elle se caractérise par une stomatite érythémateuse diffuse de toutes les muqueuses orales, dont celle de la langue, qui fait généralement suite à une antibiothérapie ou à une corticothérapie. Un érythème (diffus ou localisé) et des zones pseudo-érosives en macules ou plages érythémateuses isolées ou confluentes sont observés. Il n’y a pas d’enduit blanchâtre détachable.

• Pseudomembraneuse ou muguet. Cette forme concerne le plus souvent les âges extrêmes (nouveau-né, personne âgée) ou les patients immunodéprimées (figures 8 à 11). Toutes les muqueuses orales sont atteintes (notamment les joues, la langue et le palais). Sur le fond de la stomatite érythémateuse apparaissent des granulations blanchâtres ou des enduits d’aspect crémeux qui confluent pour former des plaques blanchâtres ou jaunâtres évoquant le lait caillé (figures 12 et 13). Ces plaques se détachent facilement au grattage pour faire apparaître une muqueuse sous-jacente érythémateuse. Dans les formes sévères, des pseudomembranes constituées de matériel nécrotique, de cellules épithéliales desquamées, de fibrine et d’hyphes fongiques peuvent se former.

Formes chroniques

Localisées ou en foyers au niveau de la langue

• Glossite losangique médiane. Située sur la partie médiane postérieure de la face dorsale de la langue, en avant du V lingual formé par les papilles caliciformes, la lésion a une forme plus ou moins losangique ou ovalaire, allongée d’avant en arrière, mesurant environ 1 à 3 cm de long. Elle se présente comme une plage érythémateuse lisse, légèrement déprimée, qui tranche par son aspect rouge avec le reste de la langue (figure 14). La lésion correspond à une atrophie des papilles filiformes et fongiformes. Il faut toujours rechercher une lésion candidosique « en miroir » au niveau du palais dur, appelée ouranite médiane palatine en décalque, qui se présente comme une plage érythémateuse mal délimitée. L’ouranite survient du fait de la translocation intersites du champignon (figures 15 et 16).

• Forme hyperplasique. Elle est caractérisée par une plaque blanche d’aspect inhomogène qui ne s’enlève pas au grattage, localisée sur le versant muqueux des commissures labiales et sur la face dorsale de la langue, sur une zone érosive. À la palpation, la muqueuse peut être ferme mais non indurée. Certains cliniciens considèrent ces formes comme des leucoplasies associées à une infection par Candida. Une biopsie est indiquée pour la réalisation d’une analyse histologique, surtout chez un patient fumeur.

Diffuses

• Mycose chronique érythémateuse. Il s’agit d’une stomatite chronique fongique avec des macules rouges (palatines, linguales…), peu symptomatique, dans un contexte de prise chronique de médicaments ou d’hyposialie.

• Muguet. Il peut se chroniciser et évoluer par poussées symptomatiques (picotements, brûlures, xérostomie, dysgueusie). La muqueuse est soit d’apparence saine, soit discrètement érythémateuse ; elle se modifie progressivement et prend un aspect plus ou moins atrophique. Les plaques blanches sont adhérentes et ne se détachent pas au grattage. Cette forme concerne les adultes, le plus souvent fumeurs et/ou diabétiques non équilibrés ou les patients immunodéprimés (figures 17 et 18). En cas de doute, un prélèvement pour examen mycologique et une biopsie pour examen histologique peuvent être utiles au diagnostic.

MYCOSES PROFONDES

Des champignons exotiques (importés des régions chaudes et humides) sont responsables des mycoses profondes [3, 9, 10]. Ils pénètrent dans le derme (peau) ou le chorion (muqueuses), à travers une lésion ou une blessure, et induisent des lésions qui peuvent s’étendre aux tissus sous-jacents ou disséminer par voie hématogène ou lymphatique. En présence d’une mycose profonde, une cause d’immunodépression (notamment une infection avec le VIH) doit être systématiquement recherchée.

Agents pathogènes

L’histoplasmose (infection à Histoplasma capsulatum species : H. capsulatum duboisii, H. capsulatum capsulatum…), la coccidioïdomycose (infection à Coccidioides immitis), la paracoccidioïdomycose (infection à Paracoccidioides brasiliensis) et la cryptococcose (infection à Cryptococcus neoformans) sont les mycoses profondes les plus connues. Il s’agit de champignons cosmopolites ubiquitaires vivant dans le sol et les déjections d’oiseaux, des chauves-souris et des rongeurs.

Facteurs favorisants

La porte d’entrée est généralement broncho-pulmonaire ou digestive. Chez les sujets immunocompétents, les infections sont aiguës et auto-limitantes, sans traitement. En revanche, les sujets immunodéprimés présentent des formes chroniques progressives sévères et/ou disséminées qui peuvent revêtir un caractère agressif et être mortelles. Elles touchent :

- les sujets infectés par le VIH (ces infections représentent un des critères définissant le stade SIDA) ;

- les patients sous corticothérapie au long cours ou sous immuno-suppresseurs, les patients ayant des hémopathies malignes ou une insuffisance rénale ou hépatique chronique.

Formes cliniques

Des lésions cutanéo-muqueuses secondaires chroniques font partie du tableau clinique des mycoses profondes (tableau qui comporte des atteintes multiples, pulmonaires, hépatiques, rénales, ostéo-articulaires…). Les lésions revêtent des formes variées (plaques, papules, pustules, végétations, gommes) et évoluent vers des ulcérations buccales douloureuses, irrégulières et cratériformes. Elles siègent sur la langue mais également sur d’autres sites (lèvres, gencives, tonsilles palatines…). L’extension des lésions peut être superficielle, vers la peau du visage, ou profonde, avec une atteinte des ganglions lymphatiques cervico-faciaux et une destruction des tissus sous-jacents qui ressemble à un carcinome épidermoïde. Une dissémination par voie hématogène avec des lésions viscérales survient par la suite.

DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE

Le diagnostic des mycoses orales repose généralement sur l’interrogatoire médical et l’examen clinique [3, 4, 9].

Entretien clinique

La première information à rechercher est le motif de consultation (douleurs, brûlures, dysgueusie, dysphagie, dépôts au niveau des muqueuses…).

L’anamnèse doit recueillir les informations suivantes :

- âge, grossesse éventuelle en cours ;

- antécédents médicaux (diabète sucré, pathologies chroniques rénales et hépatiques, cancers et traitements, maladies auto-immunes, infection avec le VIH, transplantation d’organe…) ;

- prise de médicaments (corticothérapie par voie locale ou générale, antibiothérapie, bains de bouche prolongés, neuroleptiques, psychotropes, antihypertenseurs…) ;

- intoxication alcoolo-tabagique, autres addictions ;

- habitudes d’hygiène bucco-dentaire et, le cas échéant, port de prothèses amovibles.

L’histoire de la maladie doit faire ressortir les éléments suivants :

- date de début et nature des symptômes (gêne, douleurs, brûlures, goût métallique, xérostomie…) ;

- présence éventuelle d’autres lésions (peau, phanères, muqueuse génitale) ;

- facteur (s) déclenchant (s) (antibiothérapie, bains de bouche intempestifs, prise d’un nouveau médicament…) ;

- évolution des symptômes au cours du temps ;

- consultation médicale éventuelle et traitements entrepris.

Examen clinique

Il comprend l’examen exo-buccal (recherche de perlèches commissurales, lésions de la peau et des ongles) et endobuccal de toutes les muqueuses orales.

Un patient ayant une mycose orale superficielle ne présente pas d’altération de l’état général du fait de cette pathologie ni d’adénopathies cervico-faciales. Les candidoses profondes peuvent s’accompagner d’un état général altéré et d’adénopathies.

Dans l’examen clinique endobuccal on précisera la localisation, la taille, la forme, la délimitation, la couleur, l’aspect uni ou multifocal de la lésion, la présence ou non d’un érythème sous-jacent et également si la lésion se décolle au grattage ou non. Il n’existe pas d’induration à la palpation d’une lésion mycosique.

Examens paracliniques orientés

Dans le cas où les éléments cliniques (histoire de la maladie, interrogatoire médical et examen clinique) ne suffisent pas à poser le diagnostic, dans des cas réfractaires au traitement antifongique de première intention ou des cas récidivants après un traitement bien conduit, des examens paracliniques orientés peuvent être envisagés.

• Prélèvement mycologique : deux écouvillons stériles frottés fortement au niveau de la langue ou de la face interne des joues doivent être réalisés, un pour l’examen direct et l’autre pour la culture sur milieu de Sabouraud. L’examen direct permet une orientation rapide du diagnostic. Il retrouve de nombreux filaments pseudo-mycéliens (pseudo-hyphes) ou mycéliens (hyphes). La culture sur milieu de Sabouraud à 37 °C pendant 48 heures permet l’isolement et le typage de l’agent pathogène avec un chiffrage du nombre de colonies (diagnostic de mycose buccale qu’il faut traiter si plus de 30 colonies, sauf chez le sujet immunodéprimé chez lequel le traitement antifongique s’impose quel que soit le nombre de colonies).

• Une biopsie avec colorations spéciales (PAS : Periodic Acid Schiff ou Grocott-Gomori) est indiquée dans les formes chroniques hyperplasiques où la recherche de dysplasie ou de carcinome doit être systématique. Elle peut mettre en évidence les spores et les pseudo-hyphes au sein d’un épithélium hyperplasique et parakératosique. Cependant, cette méthode ne donne aucune information sur l’espèce de champignon. La différenciation entre les souches de Candida ou les autres champignons peut être nécessaire dans les lésions réfractaires au traitement, récidivantes ou chez les personnes immunodéprimées. Elle nécessite des techniques d’immunohistochimie.

• En plus de l’identification de l’agent pathogène, un antifongigramme peut être utile pour orienter la prescription d’un traitement antifongique adapté.

• Des tests sanguins doivent être réalisés devant la suspicion d’une immunodépression ou d’une pathologie méconnue (NFS avec formule leucocytaire, glycémie à jeun, sérologies VIH et VHC, bilan hépatique et rénal…).

Diagnostics différentiels

Mycoses superficielles

Devant une lésion suspecte de candidose orale, plusieurs diagnostics différentiels doivent être évoqués (figure 19).

La langue villeuse - souvent confondue avec une candidose de la langue - se caractérise par une coloration anormale du dos de la langue, allant du blanc-jaunâtre au noir soutenu. Elle correspond à une hypertrophie et à un allongement des papilles linguales dans lesquelles sont emprisonnés les pigments produits par des bactéries chromatophores. Elle est aggravée par la mauvaise hygiène bucco-dentaire et la consommation de tabac. Le diagnostic est clinique. Le renforcement de l’hygiène bucco-dentaire (brossage des dents et de la langue) et l’arrêt de la consommation de tabac permettent de traiter cette pathologie.

Mycoses profondes

Parmi les diagnostics différentiels des mycoses profondes il faut évoquer principalement :

- les ulcérations traumatiques ;

- les carcinomes épidermoïdes ;

- les ulcérations tuberculeuses ;

- la syphilis primaire (chancre) ou tertiaire (gomme ulcérée).

DÉMARCHE THÉRAPEUTIQUE

La prescription d’antifongiques doit être justifiée et ne sera délivrée qu’en présence de lésions constatées cliniquement [3, 4, 10]. Outre le traitement antifongique, les soins locaux et la correction des facteurs favorisants sont indispensables.

Traitements antifongiques

Mycoses superficielles

Les antifongiques topiques sont préférés aux antifongiques systémiques en première intention. Le choix du médicament dépend des antécédents du patient, des symptômes ressentis et de sa compliance au mode d’administration.

Dans le cadre de la prescription d’un antifongique local, il faut :

- privilégier un topique non absorbable ;

- laisser au contact des muqueuses 2-3 minutes, gargariser et avaler si suspicion de mycose digestive ou cracher ;

- réaliser au moins 3 applications quotidiennes, après les repas (ne pas boire ni manger dans les 1-2 heures qui suivent).

Familles des polyènes

Ces médicaments agissent par contact direct (action topique). Leurs inconvénients sont la nécessité d’une durée longue de traitement (21 jours) et leur goût désagréable.

- Amphotéricine B (Fungizone®) : suspension buvable 10 %, 1 cuillère à café 4 fois par jour, à utiliser en bain de bouche. Cet antifongique est peu ou non absorbé par la muqueuse intestinale. Son spectre antifongique est large.

- Nystatine (Mycostatine®) : suspension buvable 100 000 UI/ml (1 à 6 ml de suspension buvable 4 fois par jour) ou comprimés 500 000 UI (6 à 8 comprimés à sucer par jour, en 3-4 prises). Cet antifongique est peu ou non absorbé par la muqueuse intestinale. Il est dénué de toute toxicité.

Famille des dérivés azolés

Relativement bien tolérés, ils sont prescrits pour des durées plus courtes (7 à 14 jours). Ils ont une action locale ou générale.

• Miconazole : Daktarin® gel buccal 2 % (2 cuillères-mesure de 5 ml 4 fois par jour) ou Loramyc® en comprimé muco-adhésif de 50 mg (1 comprimé par jour). Cet antifongique est faiblement absorbé au niveau du tractus digestif. Il ne doit pas être associé aux anticoagulants oraux (risque d’hémorragie grave), ni aux sulfamides hypoglycémiants (risque d’hypoglycémie), ni aux dérivés de l’ergotamine ou de la dihydroergotamine (risque d’ergotisme).

• Fluconazole : Triflucan® en comprimés 50 mg (1 comprimé par jour) ou poudre pour suspension buvable (1 cuillère-mesure de 50 mg par jour en bain de bouche). Chez un patient VIH+, la dose quotidienne est de 100 à 200 mg. Il présente de nombreuses interactions médicamenteuses dont certaines graves (par exemple, avec l’érythromycine : risque de torsades de pointe).

• Itraconazole (Sporanox®) en solution buvable de 10 mg/ml (2 doses de 10 ml par jour) est réservé aux mycoses résistantes aux autres antifongiques.

• Des préparations magistrales peuvent être utilisées en bains de bouche (à ne pas avaler) : mélange d’un flacon de Fungizone et d’un flacon de 500 ml de solution alcaline de bicarbonate de soude à 14 ‰.

Mycoses profondes

Étant donné l’agressivité des mycoses profondes chez le patient immunodéprimé, le traitement est administré par voie intraveineuse (amphotéricine B en première intention ; itraconazole ou fluconazole en deuxième intention).

Soins locaux

L’hygiène bucco-dentaire et le nettoyage des prothèses amovibles (brossage avec une brosse adaptée aux prothèses, désinfection hebdomadaire, suppression des prothèses la nuit avec leur conservation à sec). Les prothèses inadaptées et anciennes doivent être réadaptées ou refaites.

En cas d’édentement et de perte de la dimension verticale de l’occlusion, des soins restaurateurs et une réhabilitation prothétique doivent être entrepris.

Les formes hyperplasiques doivent être biopsiées afin de s’assurer histologiquement de l’absence de dysplasie ou de malignité, surtout chez le patient fumeur.

Prise en charge des facteurs favorisants

Le patient doit être orienté vers son médecin traitant/spécialiste pour, selon le cas, le diagnostic ou la prise en charge des pathologies générales favorisant les candidoses (diabète, immunodépression, infection avec le VIH, carences en fer, folates, vitamines B12 ou C…).

Les médicaments favorisant les mycoses doivent être supprimés si possible ou substitués.

Le cas échéant, le sevrage tabagique, alcoolique et d’autres toxiques (cannabis…) doit être réalisé ; la consommation d’aliments sucrés doit être diminuée.

Le cas échéant, l’hyposialie doit être prise en charge : conseils alimentaires, prescription de substituts salivaires (Hydral®, Artisial®) et de sialagogues (chlorhydrate de pilocarpine/Salagen® ou anétholtrithione/Sulfarlem®).

Dans le cas où la prise en charge correctement conduite et complète se solde par une récidive ou un échec thérapeutique, il est conseillé de revenir à l’interrogatoire et à l’examen initial.

CONCLUSION

Les mycoses orales sont des affections fréquentes de la cavité buccale et présentent des formes cliniques multiples. La langue peut être touchée de façon isolée ou avec les autres muqueuses orales. Ce sont des lésions bénignes qui sont généralement diagnostiquées par un simple examen clinique mais, dans certains cas, elles peuvent nécessiter un frottis et/ou une mise en culture pour confirmer le diagnostic. Au moindre doute sur la nature de la lésion, une biopsie doit être réalisée.

Le traitement dépend de la forme clinique, de la sévérité et de la chronicité des lésions. Afin d’éviter la récidive, il faudra agir sur les facteurs favorisants. En tant que spécialiste de la cavité orale, le chirurgien-dentiste se doit de savoir diagnostiquer et prendre en charge ces pathologies en concertation avec le médecin traitant du patient.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.

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