Clinic n° 09 du 01/09/2022

 

Pathologie

Buccale

Juliette ROCHEFORT*   Scarlette AGBO-GODEAU**  


*MCU-PH Chirurgie orale, DDS, PhD, UFR d’Odontologie, Université Paris Cité. Service de Médecine bucco-dentaire, Hôpital Pitié Salpêtrière. Laboratoire Centre d’Immunologie et Maladies Infectieuses (CIMI-PARIS).
**PH, Service de Stomatologie et Chirurgie maxillo-faciale, Hôpital Pitié-Salpêtrière.

Le lichen plan est une pathologie inflammatoire cutanéo-muqueuse chronique, fréquente, évoluant par poussées, pouvant concerner la peau et les muqueuses orales et/ou génitales, et dont la symptomatologie peut aller de l’absence totale de douleur à des algies invalidantes. Au niveau de la cavité orale, toutes les localisations peuvent être concernées. Si certaines généralités sont applicables à l’ensemble des lichens oraux, l’atteinte linguale peut présenter quelques...


Résumé

Pathologie inflammatoire cutanéo-muqueuse chronique évoluant par poussées, pouvant atteindre la peau, les muqueuses buccales et génitales, symptomatique ou non, le lichen oral peut se présenter sous différentes formes cliniques. La langue est le second site buccal le plus fréquemment atteint, après la muqueuse jugale postéro-inférieure, et on peut y noter certaines particularités cliniques concernant l’aspect des lésions, les diagnostics différentiels à évoquer ou encore certains syndromes pouvant y être associés. Bien que les lichens oraux présentent un faible risque de transformation maligne, il est admis que les lésions lichénoïdes, les formes érosives et les atteintes linguales présentent le plus de risque. La prise en charge des lichens de la langue peut nécessiter, selon leur sévérité, une information plus précise sur ces risques de transformation maligne par rapport aux autres localisations buccales avec une surveillance plus rapprochée. L’objectif principal du traitement est de réduire les poussées d’activité inflammatoire, de diminuer les lésions notamment dans leur aspect érosif, d’améliorer la qualité de vie et de retarder l’évolution atrophique ou scléreuse. La prise en charge et le suivi doivent inclure un monitoring par des scores spécifiques, des photographies des lésions ; une biopsie doit être réalisée au moindre doute en cas de modification de l’aspect clinique.

Le lichen plan est une pathologie inflammatoire cutanéo-muqueuse chronique, fréquente, évoluant par poussées, pouvant concerner la peau et les muqueuses orales et/ou génitales, et dont la symptomatologie peut aller de l’absence totale de douleur à des algies invalidantes. Au niveau de la cavité orale, toutes les localisations peuvent être concernées. Si certaines généralités sont applicables à l’ensemble des lichens oraux, l’atteinte linguale peut présenter quelques particularités.

GÉNÉRALITÉS SUR LE LICHEN ORAL

Définition

Le lichen plan (LP) est une dermatose inflammatoire chronique évoluant par poussées, affectant la peau, les muqueuses orales et génitales, les ongles et le cuir chevelu. Au niveau de la cavité orale, il peut se présenter sous de nombreuses formes cliniques. La forme « classique » communément considérée comme typique, majoritaire, se présente sous la forme de papules dessinant des réseaux blanchâtres (figure 1a) localisés de manière bilatérale et symétrique. Il existe aussi des lichens en plaques (figure 1b) ou des lichens atrophiques (figures 1c et 1d), pigmentés (figure 1e), bulleux (figures 1f et 1g), érosifs (figure 1h) et des lésions dites « lichénoïdes » (LLO) (figure 2a) qui présentent seulement une partie des caractéristiques cliniques et/ou histologiques du lichen oral (LO) [1].

Ces formes de LO peuvent chacune présenter trois phases de développement : une phase initiale, une phase d’état, caractérisée par des périodes de quiescence alternant avec des poussées d’activité, et une phase tardive ou post-lichénienne [1].

Épidémiologie

La prévalence du LO dans la population générale varie en fonction des différentes études. Elle est de 0,5 % dans la population japonaise, 1,9 % dans la population suédoise et 2,6 % dans la population indienne [1]. Le LO survient majoritairement chez des sujets de 30 à 50 ans, plus fréquemment chez les femmes ; les enfants sont moins touchés [2].

Classification

Au fil du temps, la définition du LO n’a cessé d’évoluer. Une première classification a été proposée par Andreasen [3] en 1968 décrivant six formes : réticulée, en plaque, papulaire, érosive, bulleuse et atrophique. Puis, Eisen [4] les a assemblées en trois types de lésions : réticulaire, érosif et atrophique. Ces critères ont été ensuite modifiés en 2003 par Van der Meij et Van Der Waal distinguant alors cliniquement et histologiquement les LO des lésions lichénoïdes orales (LLO) [5] : toute lésion qui ne remplit pas strictement les critères du LO est considérée comme une LLO. Cette classification a été retenue par l’OMS en 2003 mais elle présente également des limites : elle ne prend pas en compte les possibles étiologies des lésions comme dans le cas des lésions lichénoïdes de contact ou des lésions lichénoïdes induites par des médicaments. Plus récemment, en 2020, le Groupe d’étude de la muqueuse buccale (GEMUB) (tableau 1) s’est accordé sur une définition du LO [6], le considérant alors comme un terme général se divisant en trois groupes différents : le lichen plan oral (LPO), les lésions lichénoïdes orales (LLO) et les lésions lichénoïdes orales induites (LLOI). Ainsi, le LPO était défini à partir de critères cliniques et histologiques stricts établis par l’OMS et modifiés en 2003 par Van Der Meij. Les LLO ressemblent cliniquement et/ou histologiquement au LPO mais ne remplissent pas l’ensemble des critères cliniques et/ou histologiques du LPO ; les LLOI sont des lésions qui évoluent en fonction d’un facteur inducteur, c’est-à-dire qu’elles s’améliorent si le facteur en cause disparaît. Elles peuvent être médicamenteuses (LLOIM), de contact (LLOIC) (figure 2b), et systémiques - dans un contexte de maladie générale comme la maladie du greffon contre l’hôte (figure 2c), le lupus, le syndrome de Good (figure 2d) ou les autres maladies du système immunitaire [6].

Localisation

Lichen oral ou lichen plan général ? Le LP peut présenter des localisations extra-orales. L’anamnèse et l’examen clinique doivent rechercher des lésions cutanées (figure 3), phanériennes, anales, œsophagiennes, pharyngées, ophtalmiques. Il est recommandé de réaliser systématiquement un examen génital chez les femmes atteintes de LO et de le conseiller également aux hommes [6].

Environ 30 à 50 % des patients souffrant de LO présentent simultanément des lésions cutanées et seulement 25 % de tous les patients atteints de LP présentent en fait un LO isolé [4].

Concernant le LO, toutes les régions de la cavité orale peuvent être affectées. La langue est le second site le plus fréquemment atteint, juste après la muqueuse jugale postéro-inférieure. La gencive, le palais, la demi-muqueuse labiale et le plancher buccal sont des sites moins souvent atteints [7].

Diagnostic

L’établissement du diagnostic de LO dépend de son aspect clinique.

LO, LLO ou LLOI ?

Il est nécessaire, en premier lieu, de caractériser l’aspect clinique des lésions (réticulations, plaques, érosions, bulles). Ensuite, il faut rechercher d’éventuels facteurs inducteurs : médicaments (anti-inflammatoires non stéroïdiens, inhibiteurs de points de contrôle immunitaires, imatinib, anti-TNF alpha, interféron, méthyl-dopa, D-pénicillamine [8]), facteur local (ce qui implique la réalisation d’un bilan local parodontal et dentaire) ou pathologie générale (maladie du greffon contre l’hôte, lupus, syndrome de Good…). Si l’atteinte s’améliore ou disparaît après suppression d’un facteur inducteur, cela permet de retenir le diagnostic de LLOI [8].

Biopsie ou pas biopsie ?

Si le LO est en réseau typique, bilatéral, symétrique, le diagnostic est clinique : LPO et la biopsie n’est pas utile. Si, au contraire, les lésions ne sont pas typiques, il est conseillé de réaliser une biopsie en vue d’une histologie standard mais également d’une immunofluorescence directe (IFD) dans les formes érosives, bulleuses ou gingivales érythémateuses et érosives chroniques. Elle doit être effectuée, en dehors d’une zone érosive ou ulcérée, ou incluant tout (si possible) ou une partie d’une bulle en présence d’un LO bulleux [8].

Anatomopathologie du lichen plan

C’est une pathologie auto-immune dont l’étiopathogénie reste encore méconnue mais semble impliquer une réaction au niveau des kératinocytes basaux, sécrétant des chimiokines attractives pour les lymphocytes et entraînant un infiltrat inflammatoire et immunitaire majoritairement composé de lymphocytes T CD4+ et CD8+ dont l’activité provoquerait en retour l’apoptose des kératinocytes basaux [9].

Les critères histologiques du LPO comportent une hyperkératose ortho ou para-kératosique, une hyper-acanthose, un infiltrat en bande principalement lymphocytaire localisé dans la lamina propria et l’interface avec l’épithélium, avec exocytose lymphocytaire et ballonisation ou liquéfaction des cellules basales (corps colloïdes ou corps de Civatte). Il n’y a pas de dysplasie de l’épithélium [10]. Quand les lésions ne remplissent pas strictement l’ensemble de ces critères, on parle alors de lésions lichénoïdes orales.

PARTICULARITÉS DE LA LOCALISATION LINGUALE

Aspects cliniques

Tous les aspects cliniques de LO peuvent se rencontrer sur la langue mais cette localisation peut présenter certaines particularités. Deux formes sont à souligner et s’observent moins sur les autres sites de la cavité buccale : les plaques nacrées et l’atrophie.

La présentation en réseau, typique du LPO, n’est pas fréquente sur la langue mais son aspect caractéristique permet un diagnostic clinique (figure 1a). La présentation en plaques blanc nacré plus ou moins épaisses (figure 1b) réalise l’aspect typique et particulier dit en « taches de bougie » sur le dos de la langue. L’atteinte érosive du LO (LPO ou LLO) sur la langue, quant à elle, peut être bilatérale et symétrique siégeant sur les bords, sur le dos ou sur les sillons pelvi-linguaux.

Le LO verruqueux se présente sous la forme de plaques épaisses verruqueuses (et hyperkératosiques), plus ou moins étendues. Dans plusieurs publications [1], cette forme présenterait un possible risque de transformation en carcinome verruqueux.

La forme pigmentée linguale (figure 1e) se manifeste par l’apparition progressive de pigmentations brunâtres, mal limitées [9].

L’évolution tardive du LO sur la langue peut se faire vers l’atrophie de la muqueuse avec effacement du relief des papilles de la face dorsale (figure 1c), deuxième site de localisation de formes atrophiques, après les gencives, s’accompagnant alors de dépapillation parfois irréversible [11].

Les lésions lichénoïdes sont aussi fréquentes au niveau des bords latéraux de la langue, notamment dans le cadre de frottements traumatiques ou de contacts avec des restaurations dentaires (LLOIC) (figure 2b). En revanche, les LLOIM ne semblent présenter aucune spécificité clinique ou histologique, mais la langue reste un des sites les plus communément retrouvés avec les joues, les lèvres et les gencives [12].

Dans une étude rétrospective portant sur le LO lingual [7], les auteurs ne retrouvaient pas de différence de présentation clinique des LO linguaux selon le sexe des patients. Ils ont également montré que les formes blanches et réticulaires étaient prédominantes (représentant respectivement 50,4 % et 39,8 %) et que la proportion des formes érosives était de 4 %. Les lésions concernaient majoritairement le dos de la langue, suivis des bords puis du ventre [7]. Les lésions réticulaires au niveau de la face dorsale de la langue semblent être la présentation clinique la plus fréquente des LO linguaux.

Symptômes

Le LO évolue par poussées inflammatoires souvent symptomatiques alternant avec des périodes de quiescence pouvant être asymptomatiques. Les localisations linguales, notamment au niveau des bords latéraux, peuvent être particulièrement douloureuses, surtout lors de l’alimentation, mais il est possible d’avoir une absence de corrélation entre l’aspect clinique des lésions, notamment érosives, et la symptomatologie.

Dans sa phase tardive, le LO peut évoluer vers une atrophie tissulaire, voire une sclérose, pouvant entraîner une limitation de la protraction linguale [9]. Enfin, la localisation linguale pourrait s’accompagner d’une atteinte du goût. Des travaux ont mis en évidence une différence statistiquement significative dans la perception globale du goût entre des patients présentant un LO avec atteinte linguale et des sujets témoins (p = 0,027). D’après leurs données, la sensation « aigre » est le gout le plus souvent altéré chez les patients atteints de LO lingual [13].

Diagnostics différentiels du LO lingual

Le LO érosif lingual, surtout dans sa forme chronique, pose le problème du diagnostic différentiel avec une néoplasie intra-épithéliale [6], voire avec un carcinome épidermoïde. L’analyse anatomopathologique d’une biopsie est alors indispensable [14].

Quand le LO lingual comporte plusieurs lésions en plaques épaisses ou s’il est associé à d’autres lésions blanches buccales prolifératives et verruqueuses, le diagnostic différentiel doit se faire avec une leucoplasie verruqueuse proliférative [10] (figure 4a). Là encore, la biopsie permettra de distinguer le diagnostic de LO.

Les dermatoses bulleuses auto-immunes (DBAI), pemphigoïde cicatricielle ou pemphigus, sont à écarter si l’atteinte est à prédominance érosive ou bulleuse surtout si elle est associée à une atteinte gingivale (figure 4b). Dans ces cas, la biopsie pour examen anatomo-pathologique et immunofluorescence directe (IFD) est alors indispensable au diagnostic.

Pour certains auteurs, la langue géographique constitue un diagnostic différentiel du LO dans sa forme réticulée. La distinction se fait par l’absence de zones dépapillées et, surtout, par la migration des zones concernées dans la langue géographique (figure 4c).

La forme pigmentée du LO lingual, lorsqu’elle est asymptomatique et isolée, peut être confondue avec des pigmentations ethniques. La biopsie permet alors de confirmer le diagnostic.

Syndromes associés

La GVH est une complication fréquente, voire spécifique, de la greffe de moelle osseuse allogénique lors de laquelle la prévalence de l’atteinte buccale est élevée (60 à 70 %). Les manifestations orales de cette pathologie incluent de l’érythème, des érosions/ulcérations, de l’atrophie et un syndrome sec. À ces atteintes orales s’ajoutent des lésions lichénoïdes, fréquentes au niveau des joues, des lèvres et de la langue, d’aspect réticulaire, en plaque, érythémateuses, ulcérées ou atrophiques. Ces lésions présentent des similitudes cliniques et histologiques avec le LO mais elles seraient plus agressives et plus extensives [15].

Le LO, plus particulièrement dans sa forme érosive, peut être associé à certains syndromes. Cependant, la plupart de ces situations cliniques n’impliquent pas spécifiquement une localisation linguale.

Une manifestation de LO a été associée à certaines pathologies bulleuses auto-immunes, notamment la pemphigoïde cicatricielle ou le pemphigus [16]. Toutefois, cette association doit être nuancée car certains traitements utilisés pour ces pathologies, comme le rituximab dans le cadre du pemphigus, sont connus pour entraîner des LLOIM. De plus, il existe un LO pemphigoïde, pathologie associant des lésions de LO avec un décollement jonctionnel [17]. Il faut donc savoir distinguer ces différentes situations cliniques.

Par ailleurs, le syndrome vulvo-vagino-gingival est une pathologie se présentant sous la forme d’un LO érosif pluri-muqueux comportant une vulvite érythroplasique, une vaginite desquamative érosive et une gingivite érythémateuse diffuse, isolée ou associée à d’autres localisations de LO érosif ou non [18]. Cependant, les aspects cliniques décrits impliquent plus volontiers des atteintes gingivales et moins fréquemment linguales.

De plus, une étude récente a répertorié les pathologies incluant une association avec un LO et a mis en évidence l’existence d’une association fréquente significative avec certaines maladies auto-immunes, comme les pathologies thyroïdiennes et le diabète de type 2 [19], comme dans le syndrome de Grinspan [9].

Une association avec l’hépatite C a été retrouvée mais n’est pas observée dans tous les pays et présente une grande variabilité géographique. Ainsi, le dépistage de cette maladie dépend de la prévalence locale du VHC. Les dernières recommandations du GEMUB ont proposé d’effectuer une sérologie en cas de facteur de risque individuel (établies selon les Recommandations de la Haute Autorité de santé [20]) et lorsque la présentation clinique du LO est sous forme érosive ou résistante au traitement [8].

Certains cas ont également été associés à des syndromes paranéoplasiques [21]. Bien que certaines de ces études notent une prédominance linguale, ces associations ne sont pas spécifiquement en lien avec cette localisation.

Le LO est largement retrouvé dans le syndrome de Good (syndrome associant un thymome avec une myasthénie et une atteinte orale de LO) mais les études et travaux portant sur cette pathologie semblent montrer que, dans ce contexte, les LO sont plus volontiers d’aspect érosif et impliquent majoritairement la localisation linguale [22-24].

Enfin, plus récemment, quelques rapports de cas cliniques semblent mettre en évidence un lien entre le Covid-19 et le développement de LO a posteriori de l’infection [25-28]. Si ce sujet reste encore à explorer, il est important de noter que de nombreux travaux rapportent un lien entre le développement de pathologies auto-immunes et une antériorité de Covid-19, ce qui conforterait la possibilité de lien entre LO et Covid-19 [29-32]. Cependant, là encore, bien que la langue semble concernée par les lésions d’après les cas cliniques rapportés, aucune spécificité de localisation n’a pour l’instant été retrouvée.

RISQUES D’UNE TRANSFORMATION MALIGNE D’UN LO LINGUAL

Des carcinomes épidermoïdes oraux se développant chez des patients présentant des LO ont été rapportés dans la littérature et plusieurs auteurs ont tenté d’estimer le taux de transformation maligne de cette pathologie. Cependant, les résultats de ces études varient de manière significative avec des pourcentages de transformation maligne allant de 0,4 à 12,5 %.

Les auteurs décrivent peu les formes cliniques [33] et ne distinguent pas toujours les aspects cliniques initiaux. Aucun consensus n’a été établi par la communauté scientifique concernant ce risque et le potentiel malin du LO fait toujours l’objet de nombreuses controverses [34]. L’écart entre les valeurs du taux de transformation maligne estimées dans la littérature peut être expliqué par une variation inter et intra-observateurs significative dans l’interprétation des critères pour établir le diagnostic de LO. Par exemple, certains auteurs ne font pas la distinction entre LLO et LPO.

Dans un récent travail d’analyse de la littérature [35], nous avons pu répertorier quelques données concernant cette question. Sur 14 625 patients atteints de LO, 265 patients présentaient une transformation maligne à partir d’un LO tous types confondus, soit un taux de transformation de 2,93 %. Dans cet échantillon de patients, 65 % étaient des femmes dans la tranche d’âge de 60-69 ans (35,14 %) ; de plus, les LLO présentaient statistiquement plus de transformations que les LPO stricts (p = 0,0286). Enfin, sur un total de 252 patients atteints de LO et ayant développé un carcinome épidermoïde, la langue était le site le plus fréquemment concerné (p < 0,001) et concernait 39,4 % de l’échantillon. Plusieurs auteurs ont des résultats similaires et montrent que la langue est le site le plus souvent atteint [36, 37]. Toutefois, il est important de souligner que la langue est également le site fréquent des carcinomes épidermoïdes de la cavité orale, quels que soient l’âge des patients et/ou l’exposition aux facteurs de risque que sont le tabac et l’alcool [38].

Ces résultats sont en accord avec l’état actuel de la littérature puisque, d’après certains auteurs, seuls les LO anciens dégénèrent, surtout chez les personnes âgées entre 50 et 60 ans, et la transformation concerne plus volontiers les femmes que les hommes. Certaines études affirment également que les LO érosifs ou atrophiques ont plus de risque de transformation en carcinome épidermoïde. Enfin, le délai moyen de transformation est également controversé et n’est pas souvent précisé [9].

Le risque de transformation maligne semble donc être faible mais non négligeable pour des LO linguaux (figure 5), notamment atrophiques ou scléreux anciens. Les transformations malignes peuvent se faire aux alentours des lésions de LO.

PRISE EN CHARGE

Informer le patient

Les dernières recommandations du GEMUB ont déterminé un ensemble d’informations à fournir au patient en cas d’atteinte de LO dont les fiches sont accessibles en ligne [39].

Quelles que soient la forme et la localisation, il est nécessaire d’informer le patient que cette pathologie est non transmissible, que les poussées sont influencées par certains facteurs (événements de vie stressants, aliments ou facteurs mécaniques) et qu’elle nécessite que le patient sache faire régulièrement un auto-examen de la cavité orale afin d’évaluer l’apparition de nouvelles lésions et/ou de modification de l’aspect clinique. Il est également important de lui préciser que le LO présente un faible risque de transformation maligne. Cependant, la langue étant le site le plus souvent retrouvé dans les cas de transformation, cette information pourrait être à modérer lorsque l’atteinte est linguale, a fortiori ancienne et si l’aspect clinique est érosif, ou atrophique.

Prévenir les crises

Des modalités de prévention ont été établies afin de prévenir la survenue de poussées. Il est conseillé de rechercher et d’éliminer les facteurs favorisants et traumatiques locaux. Tous les matériaux de restauration dentaire peuvent être concernés bien que les amalgames semblent être le plus souvent responsables de LLOIC et doivent donc être recherchés et éliminés en priorité. Les dernières recommandations du GEMUB suggèrent la réalisation de tests épicutanés pour une recherche de réactivité aux matériaux utilisés en chirurgie dentaire. Ces mêmes recommandations suggèrent de proposer le remplacement des restaurations dentaires lorsqu’elles ont un contact partiel ou total avec la lésion [8].

Il est également indiqué d’effectuer une surveillance régulière de l’aspect clinique et de la symptomatologie : tous les ans pour les formes réticulées asymptomatiques et tous les 2 à 6 mois pour les formes symptomatiques (selon l’algie rapportée). Dans le cas du LO lingual, il est également nécessaire de faire un bilan des restaurations dentaires, notamment mandibulaires, et d’évaluer l’adaptation adéquate des prothèses adjointes au niveau pelvi-lingual.

Traiter les crises

Il n’existe actuellement aucun traitement curatif pour guérir le LO. Les formes symptomatiques nécessitent la mise en place de traitements afin d’améliorer la qualité de vie des patients. Les traitements de première intention sont locaux : bains de bouches de corticoïdes, applications de dermocorticoïdes (crèmes ou pommades) et, parfois, injections sous-lésionnelles de corticostéroïdes, rétinoïdes topiques. La corticothérapie locale bien conduite permet souvent de cicatriser les érosions linguales et de diminuer l’étendue des lésions buccales (figure 6). En cas d’échec de cet arsenal thérapeutique, certains auteurs suggèrent l’utilisation de traitements systémiques, comme les corticostéroïdes par voie orale, la réalisation de photothérapie ou encore l’utilisation de tacrolimus [8].

Certains LO linguaux érosifs et chroniques sont résistants à de nombreux traitements. L’utilisation de la photothérapie extracorporelle peut alors être bénéfique, avec amélioration des lésions ; mais elle ne permet pas toujours la résolution complète des lésions et nécessite souvent des séances d’entretien espacées dans le temps.

PRISE EN CHARGE DES LLOIM ET DES LLOIC

Concernant la prise en charge des LLOIM et des LLOIC asymptomatiques, l’arrêt du médicament inducteur ou le remplacement de la restauration en cause n’est pas nécessaire [6]. En revanche, pour les lésions symptomatiques, la suspension du médicament inducteur de LLOIM est à discuter avec le prescripteur et un traitement local est recommandé en cas de douleurs [6]. L’élimination du facteur traumatique inducteur de LLOIC entraîne une diminution de la lésion et de la symptomatologie associée [8].

SUIVI

Quelle que soit la localisation du LO, s’il est classique sous forme réticulée et asymptomatique, le GEMUB recommande un suivi annuel [8]. Concernant les formes, symptomatiques, érosives, bulleuses, en plaques, atrophiques ou autres, elles doivent bénéficier d’une surveillance adaptée à la sévérité de l’atteinte [6]. Ce suivi clinique permet d’évaluer le résultat du traitement sur la douleur et les lésions buccales et d’adapter un traitement d’entretien parfois nécessaire. Il est également indispensable dans le but de dépister précocement une transformation maligne [9] et doit être vigilant pour les atteintes linguales du LO. Toute modification suspecte de l’aspect clinique d’une lésion ou dès qu’une lésion semble évoluer de manière douteuse, une biopsie doit être réalisée [6]. Des outils de suivi peuvent être utiles pour l’évaluation et la surveillance de cette pathologie : schémas, photographies, scores et échelles de la douleur et de la qualité de vie [40].

CONCLUSION

L’atteinte linguale peut présenter certaines particularités cliniques et évolutives par rapport aux autres localisations du LO. Par ailleurs, le risque de transformation maligne semble y être plus prépondérant et nécessite une surveillance accrue de l’aspect des lésions, notamment en présence d’une forme chronique érosive ou atrophique.

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Remerciements à Laura Layani.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.