LA LANGUE GÉOGRAPHIQUE : UNE PATHOLOGIE PEU CONNUE
Pathologie
Buccale
Charlotte PANTCHENKO* Sophie-Myriam DRIDI** Léa BONTEMPS***
*Exercice libéral, Parodontie exclusive, Paris.
**PU-PH, Département de Parodontologie, Université Nice Côte d’Azur. CHU Saint-Roch, Nice.
***AHU, Département de Parodontologie, Université Paris Cité. GH Henri-Mondor, Créteil.
****Exercice libéral, Parodontie exclusive, Paris.
La langue géographique ou exfoliatio area linguae (glossite exfoliatrice marginée, anulus migrans, érythème lingual migrant) est une pathologie inflammatoire bénigne qui se déclare généralement pendant l’enfance et persiste tout au long de la vie. Sa prévalence varie de 1 à 2 % selon les populations, sans distinction de genre, et concerne habituellement la face dorsale de la langue [1-
Les patients atteints de langue géographique sont rarement conscients de leur affection puisqu’il s’agit d’une pathologie bégnine, le plus souvent asymptomatique. Cette pathologie, qui concerne autant les enfants que les adultes, se caractérise par une exfoliation sélective des papilles filiformes donnant à la face dorsale de la langue un aspect particulier avec des lésions érythémateuses entourées d’un halo blanchâtre.
Son étiologie reste à déterminer bien que plusieurs facteurs de risque soient évoqués (prédisposition génétique, psoriasis, diabète…), expliquant par ailleurs les variations de son incidence au sein des populations.
Le diagnostic différentiel est relativement aisé. L’abstention thérapeutique est souvent de mise, sauf pour les patients qui ressentent un inconfort ou une douleur. Cependant, le rôle de l’odontologiste est essentiel car il convient de rassurer ceux qui sont anxieux, voire cancérophobes, afin d’éviter une errance médicale néfaste.
La langue géographique ou exfoliatio area linguae (glossite exfoliatrice marginée, anulus migrans, érythème lingual migrant) est une pathologie inflammatoire bénigne qui se déclare généralement pendant l’enfance et persiste tout au long de la vie. Sa prévalence varie de 1 à 2 % selon les populations, sans distinction de genre, et concerne habituellement la face dorsale de la langue [1-3]. Les expressions cliniques sont variables, souvent associées à une langue plicaturée ou fissuraire. Elles sont plus ou moins étendues, avec atteinte éventuelle du plancher lingual, des muqueuses labiales, palatines et/ou jugales réalisant alors un tableau clinique de stomatite géographique, autrement nommé langue géographique ectopique (figure 1) [4].
D’une manière générale, le diagnostic différentiel est aisé mais certaines formes cliniques sont trompeuses et peuvent être à l’origine d’erreurs diagnostiques et thérapeutiques. C’est la raison pour laquelle nous proposons dans un premier temps de préciser les caractéristiques cliniques et histologiques de la langue géographique avant de faire le point sur son étiopathogénie et les principales pistes thérapeutiques.
L’aspect typique d’une langue géographique se présente sous la forme de plages érythémateuses bien délimitées sur sa face dorsale, ovalaires ou arrondies, entourées d’une bordure blanche, circinée et légèrement saillante. Cet aspect est lié à une desquamation sélective des papilles filiformes qui crée des zones de muqueuse amincies, rouges ou rose foncé, laissant transparaître la vascularisation du chorion sous-jacent (figure 2). De fait, les papilles fongiformes, qui ne sont pas atteintes par le processus pathologique, apparaissent plus nettement, surtout chez les individus jeunes (figure 3).
Les formes cliniques sont variables, limitées à une ou deux lésions ou multifocales, et leur apparence est plus ou moins inflammatoire (figure 4).
Les lésions sont dynamiques et changent d’aspect au fil du temps, créant un schéma migratoire quasi pathognomonique, bien que des formes fixes existent. Les plages érythémateuses peuvent s’étendre et confluer. Les papilles se reforment progressivement et les zones desquamées reprennent alors une teinte plus claire. À proximité, d’autres zones desquament à leur tour et deviennent rouge vif, expliquant l’aspect d’une « carte de géographie » qui est fréquemment observé. L’évolution se fait par périodes de poussées, de plusieurs semaines, alternant avec des phases de rémission d’intervalles de temps variables [5, 6].
La langue géographique est le plus souvent asymptomatique. Sa découverte est donc fréquemment fortuite, au cours d’un examen clinique de routine. Parfois, le motif de consultation des patients est relatif à l’aspect inhabituel de leur langue. Cependant, lors des phases d’exacerbation, certains d’entre eux rapportent une douleur, une brûlure, une dysgueusie ou encore une sensibilité aux aliments chauds, épicés ou acides. Ces symptômes se manifestent souvent au niveau des zones érythémateuses [7]. Par ailleurs, les patients particulièrement anxieux peuvent ressentir une paresthésie linguale, neuropsychogène dans ce contexte [8].
Les plages rouges correspondent aÌ un amincissement de l’épithélium et les bordures blanches aÌ un épithélium acanthosique hyperkératinisé contenant des micro-abceÌs non septiques aÌ polynucléaires. Le chorion sous-jacent est le siège d’une réaction inflammatoire non spécifique. Ces changements histologiques évoquent ceux observés dans les lésions du psoriasis [9].
Le diagnostic de la langue géographique est clinique et repose sur l’aspect lingual particulier et l’histoire de la pathologie. L’établissement d’un diagnostic différentiel est rarement utile sauf en présence de signes fonctionnels inhabituels ou en cas de tableau clinique atypique. Dans ces situations, des examens complémentaires peuvent être indiqués.
Le diagnostic différentiel s’envisage essentiellement avec les pathologies linguales suivantes (tableau 1) (figure 5) [4, 8].
• La candidose, notamment dans sa forme chronique et atrophique caractérisée par des plages de dépapillation qui restent fixes et ne se modifient pas dans le temps. Cette maladie infectieuse se développe en présence de facteurs prédisposants et d’autres foyers sont généralement retrouvés en bouche : c’est le cas pour la glossite losangique médiane à laquelle s’associe souvent une ouranite en miroir. Un prélèvement fongique peut être envisagé pour écarter ce diagnostic (voir l’article de Güney et al. p. 633).
• La kératose tabagique inhomogène, surtout en cas de lésion linguale isolée, associant une plaque blanche fixe à une zone érythémateuse. La biopsie en vue d’un examen anatomopathologique permet d’obtenir un diagnostic de certitude en cas de doute.
• Le lichen plan réticulé ou atrophique. En cas de lichen plan réticulé, les zones dépapillées ne sont pas présentes. En revanche, en cas de lichen atrophique, les lésions linguales peuvent apparaître sous la forme d’un réseau discret kératosique associé à une zone de muqueuse dépapillée dont les périodes d’activité sont associées à l’apparition d’un érythème. Mais, ces lésions linguales sont fixes et d’autres localisations orales sont fréquemment retrouvées (voir l’article de Rochefort et al. p. 651).
- La langue syphilitique au cours de la syphilis secondaire. Elle présente plusieurs zones dépapillées en aire, d’où l’appellation « de prairies fauchées » pour désigner cet aspect. Ces lésions n’ont pas de caractère migratoire contrairement à la langue géographique et le contexte général oriente le diagnostic. Une sérologie permet d’écarter cette infection virale en recrudescence (tests tréponémiques et non tréponémiques).
Bien que l’étiologie de la langue géographique ne soit pas encore clairement élucidée, l’hérédité semble participer au développement de cette pathologie dont la transmission s’effectuerait selon un mode autosomique dominant avec une possible agrégation familiale [10, 11]. De surcroit, de nombreux facteurs de risque sont suspectés, déclenchants ou aggravants, parmi lesquels nous pouvons citer le diabète, le psoriasis, la grossesse et certaines médications [6]. A contrario, la consommation de substances addictives, telles que le tabac ou l’alcool, n’aurait pas d’influence sur le processus pathologique.
La langue géographique est souvent diagnostiquée chez les patients souffrant de diabète et de psoriasis. En effet, d’une manière générale, les patients diabétiques sont plus sujets aux affections de la muqueuse buccale comme les parodontites, les mycoses buccales ou la langue géographique ; la prévalence et la sévérité de ces affections sont corrélées au contrôle de la glycémie [12]. Le psoriasis est une dermatose inflammatoire chronique qui touche tous les individus, quel que soit leur âge, avec un pic après 50 ans. Les patients souffrant de psoriasis auraient 3 fois plus de risque de présenter une langue géographique que les patients indemnes de maladie cutanée ;de plus, la langue géographique pourrait même représenter un indicateur de sévérité du psoriasis. La corrélation entre ces deux pathologies s’expliquerait par leurs similitudes histologiques et génétiques [9, 13]. En cas de psoriasis, les poussées inflammatoires des lésions cutanées et linguales sont concomitantes.
La grossesse a également été incriminée comme facteur influençant le développement de la langue géographique. Pour Bett et al. [14], la prévalence de cette pathologie chez la femme enceinte serait statistiquement supérieure à celle de la population générale mais cette valeur ne dépasserait pas 2,8 %. Par conséquent, à ce jour, aucun auteur n’a pu véritablement associer les variations hormonales de la grossesse à la langue géographique [15].
Le développement de la langue géographique pourrait aussi être lié à une toxidermie médicamenteuse. En effet, les traitements immunosuppresseurs semblent augmenter sa prévalence puisqu’elle atteint 5,8 % chez les patients sous immunothérapie au long cours (par exemple, prednisone, acide mycophénolique, cyclosporine ou tacrolimus) (figure 6) [16]. De la même manière, le bévacizumab et les inhibiteurs multicibles de la tyrosine kinase, utilisés en oncothérapie pour inhiber l’angiogenèse, seraient incriminés dans l’apparition de cette pathologie linguale qui régresserait à la fin du traitement. Ces langues géographiques liées à une médication seraient plus symptomatiques que les formes physiologiques [17].
Par ailleurs, de nouvelles pistes sont explorées. Selon Cigic et al. [18], la langue géographique pourrait correspondre à une expression buccale de la maladie cœliaque. Dans leur étude cas/contrôles, menée en 2016 sur 120 patients dont 60 atteints de langue géographique, ces auteurs ont ainsi montré l’existence d’une association positive entre la langue géographique et la maladie cœliaque : dans le groupe langue géographique, 15 % des patients présentaient la maladie cœliaque alors, que dans le groupe contrôle, aucun patient ne présentait cette pathologie digestive. Ce signe clinique lingual pourrait même être considéré comme un indicateur diagnostique précoce, notamment dans les formes de maladies cœliaques asymptomatiques.
Enfin, plus récemment, Dafar et al. [19] révèlent l’existence d’une dysbiose au sein du microbiote lingual chez les patients atteints de langue géographique avec une diminution et une augmentation significative, respectivement, du phylum Fusobacteria et du phylum Spirochaetes. Deux hypothèses sont avancées par les auteurs. La dysbiose linguale, à l’instar de la dysbiose parodontale liée aux maladies parodontales, provoquerait une réponse immunitaire de l’hôte capable d’induire des lésions linguales chez des patients prédisposés. D’un autre côté, l’exfoliation des papilles filiformes modifierait les niches environnementales des micro-organismes, ce qui perturberait l’équilibre microbiologique. Par conséquent, la relation de cause à effet entre la langue géographique et une dysbiose du microbiote lingual reste à définir.
Cependant, cette hypothèse est séduisante eu égard aux études qui établissent une corrélation entre une dysbiose intestinale et le degré de sévérité de la maladie cœliaque [20], qui serait elle-même associée à la langue géographique si les données de Cigic et al. [18] se confirment !
Assurément, d’autres études observationnelles sont nécessaires pour relier ces pathologies inflammatoires à un terrain de dysbiose.
La langue géographique est une pathologie bénigne, inflammatoire, sans risque de transformation maligne. À ce jour, aucun expert des pathologies des muqueuses buccales ne recommande un traitement spécifique en l’absence d’altération fonctionnelle. Ces informations sont essentielles à transmettre au patient inquiet par l’aspect de sa langue, voire cancérophobe (fiche d’information réalisée par le GEMUB [21]).
En revanche, si la langue géographique provoque des brûlures ou d’autres sensations désagréables, le patient doit limiter la consommation de boissons et d’aliments chauds, épicés ou acides. De même, les produits d’hygiène buccale réputés caustiques (bain de bouche à l’eau oxygénée par exemple) ou provoquant des inconforts doivent être évités.
De nombreux traitements médicamenteux ont été proposés pour réduire la symptomatologie de la langue géographique : compléments alimentaires, antihistaminiques, anxiolytiques, corticostéroïdes, immunosuppresseurs et anesthésiques topiques. D’après les conclusions d’une revue systématique récente, seules trois substances actives ont montré des effets positifs bien que non significatifs : le tacrolimus et la cyclosporine, qui sont deux immunosuppresseurs, et le diphénhydramine, qui est un antihistaminique. Mais in fine, cette analyse de la littérature ne permet pas encore de proposer un traitement de référence ou la mise en place d’un protocole thérapeutique validé scientifiquement [22].
Dans notre pratique, nous prescrivons volontiers pendant quelques jours des bains de bouche à base de prednisolone, en prenant soin de vérifier au préalable l’absence d’une infection fongique concomitante.
Par ailleurs, Picciani et al. [23] ont proposé en 2020 un indice permettant de suivre l’évolution de la langue géographique : le Geographic Tongue Area and Severity Index. Cet indice est fondé sur le Psoriasis Area and Severity Index, utilisé depuis longtemps par les dermatologues pour évaluer les lésions psoriasiques. Il repose sur l’analyse de la surface des zones atteintes (zones érythémateuses, halos blanchâtres) ainsi que sur l’association de la langue géographique avec une langue fissuraire. Les scores obtenus permettent de classer la langue géographique en 3 groupes : atteinte légère, modérée et sévère (tableau 2) [23]. Bien que la pertinence clinique de cet indice ne soit pas encore démontrée, il peut être utile pour évaluer ponctuellement l’effet clinique d’un traitement ou rassurer un patient sur le caractère réversible des lésions linguales. Cependant, son utilisation au quotidien ne nous semble pas aisée.
• La langue géographique est une affection inflammatoire bénigne, rarement symptomatique, qui reste à ce jour énigmatique.
• L’aspect clinique typique associe des plages érythémateuses dépapillées, situées sur la face dorsale de la langue, entourées d’un liseré blanc légèrement saillant et présentant un caractère migratoire.
• L’évolution est favorable avec alternance de phases inflammatoires (coïncidant avec la présence des zones dépapillées) et de phases de cicatrisation spontanée.
• Le diagnostic est clinique.
• L’abstention thérapeutique est la règle, à l’exception des situations particulièrement symptomatiques (conseils alimentaires et prescription de bain de bouche à base d’anti-inflammatoires).
• Les données épidémiologiques récentes sont en faveur de la recherche de facteurs de risque tels que le diabète, le psoriasis et la maladie cœliaque.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.