BIOPSIE DES LÉSIONS DE LA MUQUEUSE LINGUALE EN PRATIQUE QUOTIDIENNE
Chirurgie
Orale
Abdelillah RACHDI* Sophie-Myriam DRIDI** Frédérick GAULTIER***
*Interne en Médecine bucco-dentaire, Hôpital Henri-Mondor, AP-HP, Créteil.
**PU-PH, Département de Parodontologie, Université Nice Côte d’Azur. CHU Saint-Roch, Nice.
***MCU-PH, Université Paris Cité. Département de Chirurgie orale/Médecine orale, Hôpital Henri-Mondor, AP-HP, Créteil.
En présence d’une lésion muqueuse linguale suspecte dépistée en pratique quotidienne, chaque praticien doit savoir indiquer, voire réaliser une biopsie. Nous envisageons dans cet article la démarche à suivre jusqu’à l’annonce du résultat.
La biopsie est un examen complémentaire dont l’indication est posée après l’anamnèse et la réalisation de l’examen clinique. Cet acte chirurgical consiste à prélever un échantillon de tissu, présumé pathologique, afin...
Les lésions des muqueuses linguales sont multiples et prennent des formes variées dont le diagnostic clinique est rarement aisé. L’odontologiste positionné en première ligne dans le dépistage de ces lésions doit savoir poser l’indication d’une biopsie et en maîtriser la réalisation selon ses compétences. La biopsie de la langue est un acte relativement simple à condition d’en connaître le cahier des charges. Notre objectif principal est de démystifier cet acte en établissant un cheminement, de la pose de l’indication à l’annonce du résultat, en passant par le protocole chirurgical.
En présence d’une lésion muqueuse linguale suspecte dépistée en pratique quotidienne, chaque praticien doit savoir indiquer, voire réaliser une biopsie. Nous envisageons dans cet article la démarche à suivre jusqu’à l’annonce du résultat.
La biopsie est un examen complémentaire dont l’indication est posée après l’anamnèse et la réalisation de l’examen clinique. Cet acte chirurgical consiste à prélever un échantillon de tissu, présumé pathologique, afin qu’il puisse être analysé sur le plan histologique, cytologique, immunohistochimique et/ou microbiologique. La biopsie prend le nom d’exérèse lorsque le prélèvement, réalisé avec ou sans marge de sécurité, concerne la totalité, au niveau macroscopique, de la lésion élémentaire.
L’indication de cet examen est quotidienne et sa réalisation relativement aisée. Le choix du site de prélèvement est essentiel. L’exérèse peut être incomplète, le milieu de transport inadapté, le laboratoire d’anatomopathologie non pourvu de la technicité pour réaliser l’examen complémentaire demandé, autant de situations qui montrent que la difficulté de la biopsie réside moins dans sa réalisation technique que dans les choix connexes que nous venons d’évoquer.
Des lésions linguales imposent une anamnèse bien conduite ainsi qu’une fine connaissance de la sémiologie des lésions élémentaires permettant d’établir une hypothèse diagnostique dont la confrontation avec les résultats de l’examen anatomopathologique nécessite de fait la réalisation d’une biopsie. En fonction de son niveau de compétence et du tableau clinique, l’odontologiste pourra décider soit d’adresser le patient vers un collègue spécialiste, soit de réaliser lui-même la biopsie. Le praticien qui réalise la biopsie devra annoncer le diagnostic au patient et lui assurer une prise en charge dédiée et/ou l’adresser vers un praticien spécialiste, voire un service hospitalier compétent.
Nous souhaitons sensibiliser l’odontologiste et souligner l’intérêt d’indiquer et de réaliser une biopsie linguale en pratique quotidienne. Nous présenterons donc les principes fondamentaux de la biopsie pour faciliter la démarche diagnostique et le processus décisionnel.
La biopsie linguale est indiquée lorsque l’entretien médical et l’examen clinique n’ont pas permis d’établir un diagnostic de certitude, notamment en présence d’une lésion muqueuse atypique ou lorsque plusieurs hypothèses diagnostiques sont posées. En outre, cet examen peut être utile en cas de transformation et/ou d’évolution rapide d’une lésion ou en l’absence de cicatrisation d’une ulcération sans qu’une étiologie puisse être retrouvée. Ainsi, l’examen anatomopathologique, immunologique et/ou microbiologique, qui est rendu possible grâce au prélèvement tissulaire, permettra le plus souvent de poser le diagnostic.
In fine, dans le cadre des pathologies linguales, la biopsie présente un intérêt diagnostique, souvent pronostique. Elle est également indispensable pour définir la bonne prise en charge et elle constitue une obligation médico-légale [1].
Cet examen est indiqué pour toutes les pathologies dont l’expression clinique est peu ou prou révélatrice ou laisse suspecter un caractère malin du processus pathologique (liste non exhaustive) :
- les maladies infectieuses telles que la candidose chronique sous la forme d’une plaque blanche, la tuberculose sous la forme d’une ulcération ;
- les maladies granulomateuses telles que la maladie de Crohn ou la sarcoïdose, qui se caractérisent par des infiltrats inflammatoires spécifiques disséminés ;
- les maladies d’origine immunologique telles que le lichen lingual qui peut présenter plusieurs aspects cliniques (plaque blanche plus ou moins homogène, forme érosive), les maladies bulleuses auto-immunes dont il existe plusieurs formes cliniques érosives d’aspect similaire ;
- les lésions à risque de transformation comme le lichen lingual atrophique ;
- les épulis et les tumeurs bénignes dont l’origine cellulaire est variée ;
- les tumeurs malignes.
Concernant les cancers de la langue mobile et du plancher buccal, ils représentent la localisation la plus fréquente des cancers de la cavité buccale, qui constituent à leur tour environ 20 à 25 % des cancers des voies aéro-digestives supérieures. Or, à ce jour, 70 % des cancers de la cavité buccale sont diagnostiqués à un stade avancé. Le dépistage précoce de ces pathologies, mettant en jeu le pronostic vital, constitue donc un enjeu majeur de santé publique au centre duquel l’odontologiste joue un rôle clé [2].
En pratique quotidienne, les contre-indications de la biopsie sont limitées. Elles peuvent être absolues ou relatives.
• Lésions vasculaires sur lesquelles une biopsie peut entraîner une hémorragie grave et difficilement jugulable en dehors du milieu hospitalier (par exemple, angiome, malformation artérioveineuse…).
• Lésions pigmentées s’il existe un doute concernant un diagnostic différentiel et une étiologie vasculaire de la lésion.
• Manque de compétence : la biopsie doit être d’emblée contributive afin d’éviter la répétition des prélèvements et la morbidité associée, source de stress ou d’angoisse pour le patient, mais également afin de favoriser une prise en charge médicale la plus précoce possible pour éviter toute perte de chance.
• Plateau technique incomplet : bien que l’acte opératoire soit considéré comme techniquement simple à réaliser, l’instrumentation doit être adaptée car il est impératif de ne pas léser le prélèvement (figure 1).
• Lésion maligne cliniquement évidente : dans ce cas, la notion de perte de chance est fréquemment évoquée si la biopsie est effectuée en ville. Effectivement, afin de raccourcir le délai de la prise en charge médicale, il est recommandé d’adresser en urgence le patient dans un service spécialisé où la biopsie sera réalisée dans le cadre d’un bilan global.
• Risques infectieux et/ou hémorragiques à prendre en charge après avis préalable du médecin traitant et avec mise en place d’un protocole précis en fonction de la sévérité des risques.
Le choix du site de prélèvement et la manière dont la biopsie est réalisée sont deux facteurs déterminants pour la qualité histologique du prélèvement tissulaire.
La biopsie doit contourner les éléments anatomiques (vaisseaux, nerfs, canaux salivaires).
L’échantillon doit être représentatif de la lésion, laquelle ne devra pas être modifiée ni altérée par un traitement local. Ainsi, il est recommandé de prélever dans la partie la plus épaisse, la plus pigmentée ou la plus hétérogène d’une lésion élémentaire, en évitant les zones hémorragiques ou nécrosées sans intérêt diagnostique. Sa profondeur doit être adaptée au type de lésion suspectée : peu étendue dans le tissu conjonctif si l’hypothèse diagnostique est celle d’une lésion d’origine épithéliale, étendue sur plusieurs millimètres de profondeur dans le cas contraire. Idéalement, un volume de 10 × 5 × 5 mm est suffisant pour garantir l’obtention d’un minimum d’informations.
La biopsie doit être réalisée au sein du tissu d’aspect pathologique. L’extension du prélèvement au niveau de muqueuse saine est, de fait, réalisée en cas d’exérèse pour confirmer si le prélèvement a été effectué dans sa totalité. Les marges saines devront être de 3 mm au moins lorsqu’il s’agira d’une lésion supposée maligne.
Le nombre de biopsies est fonction de la situation clinique. Un seul prélèvement est suffisant lorsque la lésion élémentaire est homogène (par exemple, papillome, diapneusie, lipome, épulis). L’exérèse est indiquée d’emblée si la lésion fait moins de 3 cm dans son plus grand axe, a fortiori si celle-ci semble potentiellement maligne.
En revanche, deux ou trois prélèvements sont nécessaires en présence d’une lésion étendue (plus de 3 cm) et inhomogène ou de plusieurs foyers lésionnels. En cas d’aspect inhomogène, il est essentiel que les biopsies concernent différents sites de la lésion [3].
Le protocole chirurgical est peu complexe mais impose d’être précis.
La désinfection de la plaie est assurée à l’aide d’une compresse imbibée d’un antiseptique (polyvidone iodée ou solution de chlorhexidine à 0,12 %), sans compression pour éviter de modifier la structure de l’échantillon tissulaire.
Le produit anesthésique utilisé doit contenir un vasoconstricteur sauf contre-indication formelle (phéochromocytome, arythmie sévère, os irradié) et l’anesthésie doit être réalisée à distance de la zone à prélever pour éviter de dilacérer le tissu.
Ensuite, l’acte opératoire peut être effectué, à la lame froide, au bistouri punch, au laser CO2 ou au laser erbium (air + eau) à condition d’envisager des limites d’exérèse à distance de la lésion macroscopique [4].
• Biopsie à la lame froide (figure 2) :
- incisions avec une lame de bistouri n° 15, traçant un quartier d’orange (forme elliptique à privilégier) ou un triangle. L’incision elliptique permet une fermeture linéaire et donc favorise la cicatrisation. Une simple excision peut également être réalisée, en utilisant la même lame de bistouri, en cas de lésion exophytique bien circonscrite et peu étendue (moins de 3 cm) ;
- dissection du prélèvement qui est récupéré délicatement à l’aide d’une précelle avec ou sans griffes en fonction de la difficulté opératoire et de la taille du prélèvement. L’échantillon doit être orienté à l’aide d’un fil de suture, par exemple en mésial, qui servira de point de repère pour l’anatomopathologiste si une reprise chirurgicale est envisagée ;
- compression de la plaie et sutures éventuelles afin d’assurer l’hémostase, de préférence à l’aide d’un fil de suture mono-filament (évite l’effet mèche) et résorbable (évite l’étape de l’ablation) ;
- prescription d’un antalgique de palier 1, d’un gel anesthésique et antalgique (par exemple, Dynexan®, Elugel®) et éventuellement d’un bain de bouche à base d’acide tranexamique en cas de risque hémorragique ;
- conseils post-opératoires écrits et oraux ;
- suivi post-opératoire.
• Biopsie au punch : la biopsie au punch est un procédé opératoire qui permet d’obtenir un échantillon cylindrique comprenant plusieurs couches cellulaires situées en profondeur. Ce type de prélèvement est réalisé avec une pince emporte-pièce appelée punch. Une dissection complémentaire à la lame n° 15 de la partie apicale du prélèvement permet de le libérer du plan profond.
• Biopsie au laser CO2 (figures 3 et 4) [5].
Une fois prélevée, la biopsie doit être immédiatement conditionnée pour être acheminée vers le laboratoire d’anatomopathologie.
Lorsqu’un examen histologique standard est indiqué, l’échantillon est déposé dans un flacon contenant un liquide fixateur (formaldéhyde CH2O dont le volume doit être au moins égal à 10-20 fois le volume de la pièce opératoire) (figure 5).
Lorsqu’une analyse immunohistochimique est nécessaire, le liquide de survie devra être spécifique ou bien le prélèvement devra être congelé dans de l’azote liquide (se référer aux recommandations du laboratoire).
Cette étape de conditionnement permet de maintenir les tissus et leurs composants dans un état stable et donc d’éviter les déformations et altérations pouvant être générées par les moyens de transport et le temps de l’acheminement.
Chaque flacon doit être parfaitement identifié (date, nom et prénom du patient) et numéroté si plusieurs prélèvements ont été réalisés (1 prélèvement = 1 flacon).
Le ou les flacons sont ensuite placés dans un emballage adapté fourni par le laboratoire. Chaque envoi doit obligatoirement être accompagné d’une fiche de renseignements sur laquelle doit être mentionné :
- l’identité du clinicien prescripteur et préleveur ;
- l’identité du patient, ses antécédents médicaux/chirurgicaux et traitements médicamenteux ;
- le caractère urgent ou non de l’examen anatomopathologique ;
- les informations relatives au prélèvement : date et heure du prélèvement, type de prélèvement (biopsie, exérèse, énucléation kystique…), description de la lésion (siège, taille, forme, contours, schéma, photos), historique (date d’apparition, évolutivité…), hypothèses diagnostiques par ordre de probabilité, fixateur ou autre conditionnement utilisé.
Pour chaque prélèvement, un compte rendu est rédigé par le médecin anatomopathologiste [6].
Ce document doit être analysé par le clinicien qui a réalisé ou prescrit la biopsie et confronté aux données cliniques afin de parfaire la démarche diagnostique.
Il comprend :
• Une partie précisant l’identité du patient, la nature du prélèvement et la morphologie de la pièce opératoire.
• La description histologique :
- de la couche épithéliale ;
- de la membrane basale ;
- du tissu conjonctif ;
- des types cellulaires présents ;
- des atteintes cellulaires (par exemple, atypie, dysplasie, atteinte lichénoïde…) ;
- des micro-organismes présents.
• Le type histologique. Exemple pour un carcinome : in situ, épidermoïde, verruqueux, adéno-squameux du plancher lingual, à cellules fusiformes…
• Le grade histologique : bien, moyennement ou peu différencié pour le carcinome.
• L’extension tumorale en fonction des limites chirurgicales du prélèvement :
- marges saines ou envahies ;
- marges coagulées ou impossibles à déterminer.
• Les autres facteurs pronostiques :
- infiltration péri-nerveuse ;
- emboles vasculaires…
• Les difficultés d’interprétation éventuelles.
• En conclusion, l’hypothèse diagnostique la plus probable par rapport aux données cliniques révélées.
L’annonce du résultat de l’examen anatomopathologique incombe généralement au clinicien qui a réalisé ou prescrit la biopsie. Il s’agit d’une obligation médico-légale.
En effet, en tant que professionnel de santé, l’odontologiste est tenu de respecter l’article L. 111-2 du Code de la santé publique et l’article 35 du Code de déontologie médicale qui disposent que tout patient a le droit de recevoir des informations loyales, claires et appropriées sur son état de santé sauf s’il manifeste expressément une volonté contraire.
Cependant, selon les compétences du praticien, l’annonce pourra être réalisée par le médecin en charge du traitement, vers lequel le patient doit obligatoirement être adressé à l’issue de la consultation.
L’annonce est une étape clé de la prise en charge de la pathologie dont le succès est corrélé au respect de la personne. Il n’existe pas d’archétype de l’annonce, il s’agit de s’adapter à la psychologie du patient, son histoire, ses angoisses… Certaines personnes cancérophobes attendent avec anxiété l’information d’absence de cancer mais il ne faut pas sous-estimer cette phobie qui sommeille en chacun de nous. Selon le diagnostic, l’annonce sera faite de façon progressive pour accompagner le patient avec compréhension et empathie vers une prise en charge médicale et/ou chirurgicale dédiée.
Par conséquent, les conditions de l’entretien doivent permettre un échange serein. Une annonce par téléphone, message écrit ou par mail est cependant possible, mais uniquement si le diagnostic établi est celui d’une lésion bénigne, cela avec l’accord préalable du patient qui souhaite être rassuré rapidement. Concernant toutes les autres situations, l’entretien doit se dérouler en présentiel, dans un espace professionnel calme garantissant la confidentialité et en prenant soin de ne pas être interrompu (portable éteint, organisation du cabinet par les assistantes…). Selon le diagnostic posé et l’anxiété de la personne, il est possible de demander au patient d’être accompagné [7].
Les patients présentant des lésions qui font suspecter un cancer sont généralement adressés vers des spécialistes ou des services spécialisés. Ainsi, l’omnipraticien n’annonce que très rarement le diagnostic de cancer hormis dans de rares situations où la biopsie a été réalisée sur des lésions débutantes non caractéristiques ne laissant pas supposer qu’il s’agissait d’un processus malin. L’annonce est alors le fruit de la balance subtile entre le respect de l’autonomie « ce que le patient doit savoir exactement » et la bienveillance « ce qu’il ne faut pas dire afin de ne pas inquiéter inutilement la personne » [8]. Nous recommandons une annonce progressive qui mentionne la suspicion d’un cancer dont le diagnostic sera confirmé par une équipe spécialisée avec laquelle vous prendrez soin de fixer un rendez-vous.
L’annonce du diagnostic d’une maladie générale n’est chose plus aisée. Prenons l’exemple des granulomatoses ou des maladies auto-immunes dont l’expression exclusivement buccale conduit l’odontologiste à être à l’origine du diagnostic précoce de ces pathologies. Il faut user de la même approche et d’une psychologie fine pour annoncer la suspicion diagnostique au patient en laissant le soin à l’équipe médicale spécialisée d’affiner les examens complémentaires, d’annoncer le diagnostic de certitude et d’établir la prise en charge médicale.
Une biopsie d’une lésion muqueuse linguale est un acte complémentaire qui ne peut pas s’envisager sans une recherche anamnestique et une analyse sémiologique préalable.
Ses indications sont orientées par la synthèse des données cliniques. Ses finalités sont avant tout diagnostiques mais peuvent également être pronostiques et thérapeutiques.
Le choix du site opératoire et la technique de prélèvement déterminent la qualité de la biopsie et au bout du compte les examens histologique, cytologique, immunohistochimique et/ou microbiologique attendus.
L’odontologiste qui a réalisé la biopsie doit pouvoir interpréter le compte rendu du médecin anatomopathologiste et annoncer au patient les résultats de ce dernier en respectant les principes de bonnes conduites.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.