Clinic n° 07 du 01/07/2022

 

Odontologie

Pédiatrique

Hélène JAMKOTCHIAN*   Marianne LAGARDE**   Frédéric COURSON***   Nathan MOREAU****  


*Département d’Odontologie Pédiatrique, Service de Médecine bucco-dentaire, Hôpital Bretonneau, AP-HP, Paris. Exercice libéral, Paris.
**AHU, Département d’Odontologie Pédiatrique, Service de Médecine bucco-dentaire, Hôpital Henri Mondor, AP-HP, Créteil.
***MCU-PH, Département d’Odontologie Pédiatrique, Service de Médecine bucco-dentaire, Hôpital Bretonneau, AP-HP, Paris.
****MCU-PH, Département de Chirurgie orale, Service de Médecine bucco-dentaire, Hôpital Bretonneau, AP-HP, Paris.

CAS CLINIQUE

Un jeune patient de 7 ans en bonne santé générale, accompagné de sa mère, se présente au service de Médecine bucco-dentaire de l’hôpital Bretonneau à Paris pour avis et prise en charge de lésions douloureuses de la langue, évoluant de façon intermittente depuis 3-4 mois. D’après la mère, les lésions « apparaissent et disparaissent » de façon cyclique environ 1 fois par mois sans fièvre. L’enfant décrit des douleurs légères (EVA 4). La...


CAS CLINIQUE

Un jeune patient de 7 ans en bonne santé générale, accompagné de sa mère, se présente au service de Médecine bucco-dentaire de l’hôpital Bretonneau à Paris pour avis et prise en charge de lésions douloureuses de la langue, évoluant de façon intermittente depuis 3-4 mois. D’après la mère, les lésions « apparaissent et disparaissent » de façon cyclique environ 1 fois par mois sans fièvre. L’enfant décrit des douleurs légères (EVA 4). La maman ne rapporte pas d’épisodes d’anxiété, ni de tics de succion ou d’introduction d’éléments dans la cavité buccale.

L’examen clinique objective une ulcération irrégulière à fond jaunâtre au niveau de la face dorsale de la langue de 7 mm de grand axe à proximité d’une discrète kératose, associée à une autre ulcération à bords kératosiques en arrière de la première (figure 1) sans induration. Ce patient en phase d’évolution de la denture mixte ne présente pas d’anomalie d’occlusion (figure 2) ni d’adénopathies.

Le reste de l’examen clinique est sans particularité. En outre, l’examen dermatologique des bras, des jambes et du tronc ne révèle aucune anomalie notable.

DIAGNOSTIC ET DÉCISION THÉRAPEUTIQUE

Cette présentation clinique n’est pas en faveur d’une aphtose.

Devant ce tableau d’ulcérations récidivantes, il a été émis l’hypothèse d’une neutropénie cyclique ou d’ulcérations d’origine carentielle. Un bilan biologique a été prescrit en ce sens, permettant d’objectiver une carence en vitamine B9 (4,1 ng/mL) et un dosage en vitamine B12 légèrement au-dessus du seuil biologique sans anémie ni autre anomalie biologique de la NFS (tableau 1). Ces résultats excluent donc la neutropénie.

Interrogée, la mère rapporte que son enfant a une alimentation très sélective, composée presque exclusivement de couscous « fait maison », plat connu pour son équilibre entre les apports de fibres (légumes), de protéines (légumineuses et viande) et de féculents (semoule). Toutefois, selon la préparation des différents composants, la teneur en vitamine B9 peut beaucoup différer (tableau 2), l’apport recommandé aujourd’hui étant de 150 µg à 250 µg/j selon l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentaire).

Au vu de l’examen biologique et du faible apport en vitamine B9 apporté par la sélectivité de l’enfant, une supplémentation en vitamine B9 a été prescrite (acide folique 0,4 mg, 1 comprimé par jour pendant 3 mois) associée à des conseils diététiques oraux (incitation à une diversification alimentaire et sources d’aliments riches en vitamine B9).

SUIVI

Une cicatrisation progressive des ulcérations a été observée entre J + 7 (figure 3a) et J + 17 (figure 3b). Interrogé, l’enfant a rapporté une disparition des douleurs et la mère, après plusieurs essais, a réussi à introduire des aliments riches en vitamine B9 (pois chiches) tout en respectant les sélections alimentaires de son enfant. Un bilan biologique de contrôle ne retrouvait aucune anomalie notable, en particulier aucune neutropénie (écartant l’hypothèse d’une neutropénie cyclique). Au contrôle à 10 semaines (figure 4), les ulcérations avaient complètement cicatrisé. À 6 mois, aucune récidive n’était notée.

DISCUSSION

La carence en vitamine B9 est la plus fréquente des carences, principalement due à un déficit en apports alimentaires mais pouvant être également due à un syndrome malabsorptif (ex. : maladie de Crohn), à certains médicaments (phénytoïne, méthotrexate, cotrimoxazole…), à une grossesse ou à un alcoolisme chronique. Chez l’enfant, l’étiologie principale est un déficit d’apport, lié à une néophobie alimentaire ou à une alimentation hypersélective, comme dans le cas présent.

Les aliments naturellement riches en vitamine B9 sont les foies, la levure alimentaire, le jaune d’œuf, l’échalote, les légumes à feuilles vertes et les escalopes végétales à base de soja.

La vitamine B9 étant impliquée dans la synthèse de l’ADN et des acides aminés, sa carence affecte de fait les tissus à renouvellement cellulaire important comme la peau et les muqueuses. Sur le plan systémique, la carence en vitamine B9 peut se traduire par une anémie sévère, des neuropathies périphériques, voire une dépression pharmacorésistante.

Le tableau clinique oro-facial est variable, comportant stomatite, gingivite, glossite atrophique, chéilite angulaire, aphtose récurrente ainsi que des érosions et/ou ulcérations chroniques. Ces dernières sont vraisemblablement dues à un défaut de cicatrisation des microtraumatismes répétés que subissent les muqueuses orales au cours de la manducation.

La supplémentation en vitamine B9 permet le plus souvent une guérison sans séquelles, si la carence est diagnostiquée précocement. Une carence en vitamine B12, de symptomatologie très similaire, doit systématiquement être recherchée et prise en charge en parallèle de la carence en vitamine B9 ; en effet, la supplémentation en B9 peut masquer les signes de la carence en B12 aux conséquences parfois sévères (ex. : neuropathies douloureuses définitives des jambes).

À RETENIR

Bien que rares chez l’enfant, les carences vitaminiques, notamment en vitamine B9, sont une étiologie possible d’ulcérations récidivantes, en particulier chez les enfants ayant une néophobie alimentaire ou une alimentation hypersélective qu’il conviendra de rechercher systématiquement.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Vitamine B9. 2012 [www.anses.fr/fr/content/vitamine-b9-ou-acide-folique]
  • 2. Cagetti M, Wolf T, Tennert C, Camoni N, Lingström P, Campus G. The role of vitamins in oral health. A systematic review and meta-analysis. Int J Environ Res Public Health 2020;17:938.
  • 3. Scrivener Y. Dermatoses carentielles. EMC – Dermatologie 2003 [98-870-A-10].

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.