Clinic n° 07 du 01/07/2022

 

Dossier

Jean-Marie CHEYLAN  

MCU-PH, Université Paris Cité. Hôpital Bretonneau, AP-HP, Paris. Exercice libéral, Paris.

La prothèse amovible partielle (PAP) est une thérapeutique largement répandue et éprouvée pour le traitement des édentements. Peu invasive et d’un coût modéré, elle présente toutefois des inconvénients majeurs, tels que la visibilité d’éléments métalliques ou son amovibilité, qui la déconsidèrent aux yeux des patients. À cet égard, il est parfois judicieux d’associer un ou plusieurs implants supports d’attachements ou de couronnes à la PAP. Ils interviennent de façon stratégique lorsque des édentements latéraux ou postérieurs imposent un crochet sur une dent visible lors du sourire (canine ou prémolaire) ou en présence d’édentements en extension, asymétriques ou de grande étendue. L’implant vient au service de la PAP dont la conception tient compte de critères d’équilibre relatifs aux mouvements de translation et de rotation possibles des selles de la PAP.

Le traitement des édentements associant les implants à la prothèse amovible partielle (PAP) est relativement récent, comparé aux données de la littérature et au recul clinique relatifs aux réhabilitations amovibles complètes stabilisées sur implants. Le peu de données antérieures aux deux dernières décennies s’explique vraisemblablement par la difficulté à évaluer, sur le moyen et le long terme, la pérennité d’une association alliant des implants isolés ou en nombre réduit à une prothèse amovible dont l’équilibre demeure difficile à appréhender compte tenu de paramètres biomécaniques complexes inhérents aux multiples configurations possibles d’édentements. Néanmoins, de plus en plus de publications concernent et avalisent la contribution d’implants qui, associés en nombre réduit à la PAP, procurent des modalités de traitement simples, économiques et peu invasives en améliorant l’esthétique, la stabilité et le confort des patients [1-9].

DOLÉANCES LIÉES AU PORT DE LA PAP

Il convient en préambule de rappeler les principales doléances pressenties ou exprimées par les patients candidats à une réhabilitation prothétique amovible partielle, qui se manifestent sous trois formes. La première est d’ordre psychologique et a trait au caractère d’amovibilité, associé au vieillissement, qui fait généralement déconsidérer la PAP en comparaison aux thérapeutiques fixées, dento ou implanto-portées [10, 11]. La deuxième est liée à l’effet de la qualité de l’appui et de la stabilité prothétique, conditionnée par la dualité tissulaire qui en est responsable. Rappelons que la différence de compressibilité entre le ligament dentaire et la fibromuqueuse est de l’ordre du millimètre, ce qui, pour certaines configurations d’édentements, peut générer des composantes de rotation difficiles à maîtriser. La troisième concerne les compromis esthétiques parfois difficiles puisque la rigidité nécessaire à la prothèse impose la présence d’une armature métallique dont certains éléments peuvent être visibles, plus particulièrement les crochets métalliques lorsqu’ils sont situés sur des dents exposées lors du sourire. Pourquoi, dès lors, associer des implants aux thérapeutiques amovibles partielles ? La réponse apparaît presque comme une évidence puisque leur contribution permet de s’affranchir de la plupart des contraintes précédemment évoquées, au prix d’un modeste investissement (un à deux implants), tant d’un point de vue pécuniaire qu’en termes de coût biologique. Autrement dit, cette association peut s’envisager comme une solution de compromis lorsque, pour des raisons multiples, une thérapeutique fixée – plus mutilante pour les tissus dentaires – ou totalement implanto-portée – plus coûteuse ou contre-indiquée par des impératifs biologiques ou psychiques – est écartée lors de la décision thérapeutique. Ainsi, c’est la prise en compte du compromis coût/bénéfice/sécurité qui constitue in fine la justification de ce choix de traitement [12].

APPORT DES IMPLANTS À LA STABILISATION PROTHÉTIQUE

D’un point de vue fonctionnel, il convient de distinguer deux catégories d’édentements qui conditionnent pour une grande part la perception de stabilité de la prothèse amovible [13]. Les édentements encastrés permettent aux selles prothétiques d’être en appui sur les dents bordantes, par l’intermédiaire d’appuis occlusaux. De ce fait, et grâce au châssis métallique rigide, les forces occlusales s’exerçant sur la selle sont transmises aux dents. La prothèse est essentiellement dento-portée. En outre, les seuls mouvements autorisés à la selle sont les déplacements verticaux tributaires des axes d’insertion/désinsertion. En revanche, les édentements terminaux ne permettent pas de s’affranchir des conséquences de la différence de compressibilité des dents, d’une part, et de la muqueuse alvéolaire, d’autre part. Il existe donc un phénomène de rotation des selles prothétiques autour d’un axe passant par les dents d’appui les plus distales qui peut être ressenti avec désagrément par le patient. Ce phénomène existe également en présence d’édentements unilatéraux terminaux ou antérieurs de grande étendue.

La contribution implantaire s’avère pertinente dans ces configurations en fournissant un ou plusieurs appuis qui vont conférer un caractère « encastré » aux selles, ce qui limite les phénomènes de rotation. Ainsi, la mise en place de deux implants postérieurs sous des selles en extension transforme, d’un point de vue biomécanique, une classe I de Kennedy en une classe III, dont la problématique de stabilisation est nettement plus favorable (figure 1). Les édentements antérieurs de grande étendue peuvent également bénéficier de ce traitement qui a pour effets d’élargir le « polygone de sustentation » de la prothèse amovible et d’annuler l’effet de bascule antéro-postérieure dû aux effets de la compressibilité muqueuse (figures 2a à 2d). À la fonction de sustentation, assurée le plus souvent par un simple pilier de cicatrisation sur l’implant, peut s’ajouter une fonction de rétention, grâce à des systèmes d’attachement comparables à ceux employés en prothèse fixée conventionnelle, de type Dalbo® (Cendres et Métaux) ou Locator® (Zest Anchor), qui sont les plus représentatifs des dispositifs actuellement disponibles sur le marché. Ils associent une partie vissée dans l’implant et une partie solidaire de la prothèse amovible qui viennent se clipper l’une sur l’autre [14] (figures 2e, 2f, 3 et 4). Dans tous les cas, les contraintes délivrées aux implants doivent s’orienter le plus possible selon leur axe afin de restreindre les composantes des forces transversales qui pourraient être très élevées par des effets de leviers dus aux mouvements, mêmes minimes, des selles. Ainsi, les contacts sur les implants sont punctiformes et la hauteur des attachements ou des piliers d’appui est minimale. En outre, si des attachements axiaux semblent indiqués, il faut s’assurer de la compatibilité de l’axe d’insertion de ces derniers avec celui de la PAP. En présence d’édentements asymétriques ou unilatéraux, la mise en place d’un ou de deux implants, judicieusement placés, procure un équilibre favorable à la PAP. Ceci permet, en supprimant les composantes de rotation, de garantir la pérennité des dents restantes dont le pronostic eût été défavorable sans l’apport implantaire. De manière plus générale, tout élargissement du polygone de sustentation par un ou plusieurs appuis implantaires procure un gain de stabilité et de confort pour le patient (figure 5). Pour de nombreux auteurs, il est aujourd’hui établi que la mise en place d’implants associés à la PAP est un gage d’amélioration de la fonction masticatrice et de satisfaction des patients en termes de qualité de vie [15, 16]. De plus, il ressort que le pronostic des dents restantes ainsi que la pérennité des traitements à long terme sont fortement augmentés puisque la maîtrise des sollicitations occlusales par le biais d’une meilleure répartition des contraintes est mieux appréhendée [17-19].

APPORT DES IMPLANTS À LA PRÉSERVATION DE L’ESTHÉTIQUE

Sur le plan esthétique, l’emploi d’attachements supra-implantaires permet d’assurer une composante de rétention qui se substitue à celle procurée par des crochets métalliques disgracieux [20]. Cet avantage est patent en présence d’édentements postérieurs lorsque les dernières dents bordant les édentements sont visibles lors du sourire. Naguère, les doléances esthétiques concernant les dents supports de crochet se traitaient par prothèse fixée, entraînant des préparations dentaires sur des dents parfois indemnes de tout délabrement (figure 6). Le coût biologique de tels traitements devait être évalué avec circonspection. Aujourd’hui, la réalisation de grandes restaurations fixées antérieures, comportant des fraisages et supportant des systèmes d’attachements intra ou extra-coronaires, trouve beaucoup moins d’indications et confère à l’alternative d’une PAP implanto-retenue un intérêt sur les plans de l’économie tissulaire, pécuniaire et du pronostic global de la réhabilitation prothétique. À ces avantages s’ajoute la satisfaction du praticien exonéré désormais des légitimes scrupules liés à la nécessité de préparations dentaires invasives.

Le principal site d’intérêt pour l’implantation concerne la région de la bosse canine en raison du volume osseux favorable et de l’emplacement stratégique de cette dent. Deux situations peuvent conduire à sa mise en place dans cette région : soit la dent bordant l’édentement ne peut servir de rétention pour des raisons de résistance mécanique (support parodontal affaibli) ou d’impossibilité de réintervention (prothèse fixée existante), soit la présence d’un crochet se trouve contre-indiquée pour des raisons esthétiques. On choisira alors d’exploiter un implant au moyen d’un attachement sous-prothétique, comme évoqué précédemment (figures 7 et 8), ou de réaliser des couronnes fraisées, à l’instar de la prothèse composite conventionnelle, dont l’architecture et la morphologie sont comparables à celles prescrites pour les couronnes dento-portées : logements pour appuis cingulaires, logements de taquets occlusaux, surfaces de guidage (figure 9). Le choix de réaliser des couronnes ou un simple attachement sera influencé par le contexte osseux, l’espace prothétique et la demande esthétique. La réalisation de couronnes permet en outre de distaler la position de la fausse gencive, tout en favorisant le décolletage des dents restantes [21].

ÉVOLUTIONS ET COMPLICATIONS

Évolution d’un traitement initial par PAP vers un traitement par prothèse fixée

L’indication d’une prothèse amovible peut s’avérer temporaire. Le caractère réversible d’un traitement par PAP autorise l’anticipation d’une évolution vers un traitement par prothèse fixée, lorsque des circonstances liées au contexte du patient l’imposent.

Cas clinique de M. B, 60 ans [22]. Ce patient, traité au long cours pour une pathologie d’arythmie cardiaque par Flécaïne®, se présente initialement pour compenser des édentements postérieurs consécutifs aux suites d’une maladie parodontale non contrôlée. Des antécédents d’hémorragies, liées à un contexte de perturbation de certains facteurs de la coagulation, contre-indiquent toute chirurgie invasive, notamment au niveau sinusien. L’option de traitement par prothèse fixe implanto-portée, qui aurait nécessité une chirurgie d’augmentation de hauteur sous-sinusienne, a donc été écartée. Néanmoins, la pose d’un implant en situation de 24 est rendue possible par le volume osseux disponible en ce site (figures 10a à 10c). Une prothèse composite, associant une PAP à châssis métallique à un attachement axial implanto-porté (Dalbo®) en 24 et à deux couronnes fraisées solidarisées munies d’un attachement de précision (Mini SG®) en 14-15, est réalisée (figures 10d à 10f). Neuf ans plus tard, le contexte médical et biologique du patient ayant évolué, une intervention d’augmentation osseuse sous-sinusienne permet la pose de quatre implants supplémentaires et la réalisation de restaurations fixées. L’implant support de l’attachement axial initial participe à la nouvelle reconstruction fixée comportant trois couronnes céramo-métalliques transvissées sur des piliers anatomiques usinés (figures 10g à 10i).

Traitement d’une complication par implanto-plastie

Cas clinique de Mme R, 64 ans [23]. Cette patiente présente un édentement bilatéral postérieur et des couronnes céramo-métalliques de 12 à 23 bien adaptées. Elle reçoit trois implants en situation de 13, 14 et 24 (figures 11a à 11c). Quatre couronnes fraisées, solidarisées deux à deux, sont réalisées en 13-14 et en 23-24. Une PAP à châssis métallique compense les édentements postérieurs (figures 11d à 11f). Le choix de réaliser des couronnes plutôt que des attachements axiaux sous les selles de la PAP confère au traitement deux avantages : d’une part, la préservation de l’esthétique antérieure lorsque la patiente ôte sa PAP et, d’autre part, la réduction du volume de la prothèse et la majoration du décolletage du châssis. Dix ans après ce traitement initial, suivi par une maintenance ayant indiqué une réfection de base la septième année, une péri-implantite s’est développée sur l’implant en 24 (figure 11g). Un traitement conservateur a été réalisé en associant une ostéoplastie pour remodeler l’environnement osseux à une technique d’implanto-plastie consistant à usiner, par fraisage, la surface de l’implant afin de supprimer les spires exposées et de polir sa surface [24, 25] (figures 11h et 11i). Un pilier de cicatrisation est vissé sur l’implant et la PAP est modifiée par l’adjonction d’une dent. Trois mois plus tard, un attachement axial de type Locator® est placé sous la PAP sur laquelle une dent a été ajoutée. Un contrôle à 2 ans montre la stabilisation de la lésion implantaire et la qualité des tissus gingivaux autour du pilier de l’attachement (figures 11j à 11l).

Traitement d’une complication sur une PAP conventionnelle

Cas clinique de M. G, 52 ans [26]. Une prothèse composite associant une PAP à deux couronnes fraisées sur 14 et 24 dépulpées est réalisée chez ce patient, fumeur sans pathologies générales (figures 12a à 12c). Cinq ans plus tard, une fracture cervicale de la 14 conduit à l’extraction de la dent (figure 12d). Un implant sera posé quelques mois plus tard en utilisant la prothèse comme un guide chirurgical afin d’orienter favorablement son axe et son point d’émergence (figure 12e). Quatre mois plus tard, un pilier Locator® est vissé sur l’implant (figure 12f). Un nouveau châssis, de conception identique au précédent, est réalisé (figures 12g et 12h).

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Liens d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.

Remerciements

au Dr Marcel Begin pour les cas cliniques des figures 1 et 2 et au Dr Mathias Rzeznik pour la chirurgie des figures 11h et 11i. Implantologie : Dr Marcel Begin, Dr Jean-Luc Charrier, Dr Philippe Doucet, Dr Frédéric Philippart.