ÉLÉVATION SINUSIENNE PAR VOIE LATÉRALE CHEZ L’ÉDENTÉ COMPLET
Chirurgie
Péri-implantaire
Philippe RUSSE* Patrick LIMBOUR**
*Ancien AHU à Reims, Expert près la Cour d’Appel de Reims. Exercice libéral, Reims.
**MCU-PH, Responsable du service de Chirurgie orale, UFR Odontologie, Rennes.
L’édenté complet maxillaire présente une différence majeure avec les édentés partiels dont les secteurs d’édentement sont le plus souvent postérieurs : la possibilité existe de réaliser une implantation en avant des sinus maxillaires en utilisant 4 implants (All-on-4®) ou une reconstruction sur 6 implants (All-on-6) (figure 1).
Ces solutions évitent le recours à des techniques de reconstruction osseuse si...
L’élévation sinusienne par voie latérale est-elle une option chez l’édenté complet ? Quels sont les avantages et les inconvénients de cette option thérapeutique et quels en sont les écueils médico-légaux ? À quelles différences anatomiques faut-il s’attendre par rapport à l’édenté partiel, plus fréquemment opéré ? Ce sont quelques-unes des questions auxquelles cet article tente de répondre à la lumière d’une bibliographie actualisée.
L’édenté complet maxillaire présente une différence majeure avec les édentés partiels dont les secteurs d’édentement sont le plus souvent postérieurs : la possibilité existe de réaliser une implantation en avant des sinus maxillaires en utilisant 4 implants (All-on-4®) ou une reconstruction sur 6 implants (All-on-6) (figure 1).
Ces solutions évitent le recours à des techniques de reconstruction osseuse si le volume osseux et la position antéro-postérieure de la paroi mésiale du sinus sont favorables. Dans le cas contraire, l’élévation sinusienne par voie latérale permet la mise en place d’implants plus postérieurement, permettant ainsi de remplacer les deuxièmes molaires et autorisant une répartition des contraintes sur un nombre d’implants plus élevé (figure 2).
La sectorisation de la prothèse peut aussi rendre plus aisée la gestion de complications chirurgicales ou prothétiques.
L’édentement prémolaire et molaire sous-sinusien va classiquement s’accompagner d’une résorption osseuse à trois composantes :
– une résorption verticale crestale ;
– une résorption verticale du bas-fond sinusien réalisant une pneumatisation du maxillaire par le sinus ;
– une résorption horizontale centripète.
Ces trois paramètres de la résorption vont augmenter avec le temps et se trouver maximisés chez l’édenté complet. Il en résultera une hauteur osseuse résiduelle (HOR) sous-sinusienne qui peut être très faible.
La revue de littérature de Al-Dajani [1] fixe à 5 mm la HOR à partir de laquelle la voie latérale doit être privilégiée. Dans le cas de l’édenté complet, il s’agira le plus souvent de la seule option chirurgicale possible.
Au niveau de la face jugale du maxillaire, la paroi antérieure du sinus mesure 0,91 ± 0,43 mm, selon l’étude cadavérique de Neiva et al. [2].
Les études reposant sur l’observation d’images de cone beam concluent en revanche à une épaisseur plus élevée, de 1,75 à 2 mm. Cette épaisseur serait indépendante de l’âge et du type d’édentement pour Yang et al. [3].
Une paroi vestibulaire épaisse est considérée comme un risque significatif de perforation de la membrane sinusienne [4, 5].
La littérature n’est pas uniforme quant au devenir de l’anastomose intra-osseuse (ou artère alvéolo-antrale) chez l’édenté complet. Pour certains auteurs, elle est moins présente chez l’édenté alors que, pour d’autres, elle est plus souvent visible sur le cone beam et, voire même, d’un diamètre augmentant avec l’âge [6].
Pour tous, elle se situe plus près de la crête alvéolaire en raison de sa résorption verticale. Son identification est un impératif pré-opératoire soit pour l’éviter par le dessin du volet, soit pour l’individualiser en usant la paroi. Pour Lopes de Oliveira et al. [7], qui ont étudié 205 cone beam d’édentés complets maxillaires, 10 % des cas présentent un risque anatomique de complication hémorragique en cas d’intervention (figure 3).
Une majorité de publications retient une membrane de Schneider fine comme étant un facteur de risque important pour sa perforation [8-10] mais une membrane épaisse (> 2 mm) est aussi considérée comme un facteur négatif pour certains [11].
Un autre facteur de risque de perforation fréquemment rapporté est une hauteur osseuse résiduelle faible [8, 10, 12-14], même si l’étude de Tükel et Tatli [15] vient contredire ces publications.
Le type d’édentement n’étant en général pas précisé, il est difficile d’en tirer une conclusion pour l’édenté complet maxillaire chez lequel la HOR est généralement faible.
L’une des difficultés techniques de la réalisation d’une élévation sinusienne chez l’édenté partiel est la présence de dents bordantes, en particulier de molaires pluri-radiculées, compliquant l’élévation de la membrane de Schneider et augmentant le risque de perforations de celle-ci [14].
Cette difficulté disparaît donc chez l’édenté total.
Les septas de Underwood restent les plus importants facteurs de risque pour les perforations de la membrane sinusienne dans des publications récentes [10, 16]. Dans les études plus anciennes, souvent cadavériques, reprises dans la revue systématique de Maestre-Ferrin et al. [17], il est rapporté un plus grand nombre de septas de Underwood chez l’édenté complet que chez les patients édentés partiels. À l’inverse, d’autres publications comme celle de Schriber et al. [18], effectuée sur des examens cone beam, ne trouvent pas de différence. L’article récent de Toprak [19], portant sur 600 sinus, indique que la prévalence de septas est la plus importante dans le tiers moyen des sinus d’édentés complets.
La gestion du risque de perforation de la membrane en relation avec la présence de septas reste donc une difficulté chirurgicale chez le patient édenté complet (figure 4).
La société française d’ORL est à l’origine d’un important travail sur la chirurgie implantaire sous-sinusienne [20]. De l’argumentaire bibliographique du consensus formalisé d’experts publié, il est possible de conclure que le taux de complications, les suites opératoires et le temps de traitement vont croissants, des implants courts à l’abord crestal puis à l’abord latéral du sinus.
Sur le plan médico-légal, ceci implique, pour le praticien pratiquant l’élévation sinusienne par voie latérale, de pouvoir éventuellement justifier son choix par rapport aux techniques moins invasives.
Pour autant, dans sa méta-analyse de 2019, Raghoebar [21] indique que, chez l’édenté partiel mais aussi chez l’édenté total, l’élévation sinusienne par voie latérale est une technique fiable pour supporter des implants dentaires avec un taux d’échec annuel moyen des implants de 0,43 %.
Les patients édentés sont généralement âgés et bénéficient fréquemment d’un traitement médicamenteux. Les traitements antiagrégants ou anticoagulants doivent être renseignés lors de l’interrogatoire. Si l’arrêt des traitements anti-thrombotiques est généralement évité en chirurgie orale, leur suspension pendant quelques jours ou une stratégie de relais par héparine de bas poids moléculaire prévient le risque hémorragique, plus complexe à gérer dans cette indication chirurgicale. Seul le médecin traitant ou le cardiologue peut modifier ainsi le traitement.
La technique du volet osseux basculé à l’intérieur du sinus est, depuis les années 80, la technique de référence pour l’élévation sinusienne par voie latérale.
Initialement réalisée avec des instruments rotatifs, l’ostéotomie peut être réalisée par piézocision depuis l’apparition des premiers bistouris piézo-électriques. La perforation de la membrane sinusienne, qui constitue une complication opératoire de la technique, a vu sa fréquence réduite avec l’utilisation du bistouri piézo-électrique (tableaux 1 et 2).
La méta-analyse de Jordi et al., en 2018 [22], conclut que le taux de perforation moyen avec les instruments rotatifs est de 24 % contre 8 % pour les instruments piézo et que cette différence est hautement significative (p > 0,005).
Pour Wallace [23], c’est l’effet aspiratif des instruments rotatifs qui est la cause du taux plus élevé de perforations.
La revue de littérature de Stacchi et al., en 2017 [24], relève que c’est l’usure de la paroi terminée au bistouri piézo-électrique qui provoque le moins de perforations de la membrane. Ils donnent les chiffres suivants de taux de perforation :
– 6 % pour l’érosion ;
– 10,9 % pour le bistouri piézo-électrique ;
– 20,1 % pour les instruments rotatifs.
La même publication insiste sur le fait qu’affiner la paroi sinusienne avant de réaliser l’antrostomie semble être un facteur important pour prévenir la perforation de la membrane sinusienne.
À partir de 2010, les auteurs ont fait le choix de remettre en place le volet découpé sur le comblement sinusien. Cette approche a été confortée par plusieurs publications chez l’animal mais aussi chez l’homme.
Rong et al. [25] ont montré chez le beagle que, si les parois osseuses sont ostéogéniques, la membrane de Schneider l’est aussi, même si son rôle est plus faible.
Conserver au maximum les parois osseuses et laisser au contact du comblement la membrane de Schneider semblent donc théoriquement bénéfiques pour le résultat de la greffe.
Cette approche a été successivement validée dans des études animales chez le lapin de Nouvelle-Zélande [26, 27] puis chez le mouton [28].
Ces résultats ont été confirmés chez l’homme en 2014 [29, 30], puis en 2016 par Tawill et al. [31].
Ce sont surtout les histologies humaines réalisées par les mêmes auteurs, publiées en 2018 [32], qui ont démontré que le volet osseux déposé-reposé était intégré, qu’il était ostéo-conducteur au moins et qu’un front de minéralisation centripète partait du volet osseux vers le centre du sinus.
Depuis 2010, plusieurs modifications du protocole initial ont permis d’aboutir à la technique actuelle développée ci-après.
Elle peut être crestale en cas de mise en place des implants ou arciforme vestibulaire, le choix étant alors fait de ne pas poser les implants lors de la greffe sinusienne, la gestion des éventuelles complications s’en trouvant fortement simplifiée. Antérieurement, l’incision arciforme est dirigée vers l’aile du nez, repère présent chez l’édenté complet, en avant de l’émergence du foramen infra-orbitaire et de ses éventuels foramens accessoires.
Avant sa découpe, conformément à la publication de Stacchi et al. [24], la paroi externe est affinée à l’aide d’instruments à usage unique (SafeScraper, Meta™) et les copeaux osseux sont conservés dans du sérum physiologique avant leur utilisation dans la greffe intra-sinusienne (figure 5).
Les premiers volets osseux repositionnés étaient découpés avec un insert piézo-électrique diamanté (Mectron™ OT 5 ou Acteon™ SL 1). Cette solution, très fiable mais chronophage, a fait place à l’utilisation de micro-scies, plus agressives et plus rapides, initialement de 0,55 mm de large. La précision de repositionnement du volet a fait choisir d’utiliser ensuite des micro-scies plus étroites, de 0,35 mm de large comme l’OT 7S4 ou l’OT 7S3 (Mectron™). Ces inserts, utilisés dans le sens du tirage, avec des dents hautes, peu tolérantes par rapport au risque de perforation, ont été remplacés, dès sa mise sur le marché, par l’insert OT 12 (Mectron™) (figure 6).
Le tracé du volet est généralement pentagonal, à pointe antérieure ; il peut suivre le bas-fond sinusien mais l’incision postérieure est toujours strictement verticale. Le volet étant décollé de la membrane sinusienne d’avant en arrière, le tracé postérieur sert initialement d’axe de rotation au volet osseux et doit être rectiligne pour éviter une perforation distale.
Des biseaux externes mésiaux et inférieurs facilitent le repositionnement du volet osseux sur la greffe sinusienne en fin d’intervention. Un biseau interne sur l’incision verticale distale peut favoriser la stabilité du volet repositionné.
Cette technique présente plusieurs avantages :
– elle est utilisable même en cas de sinus étroit empêchant la bascule interne du volet ;
– cette bascule interne peut aussi être impossible en cas de décalage de l’incision, en dehors de la zone la plus fine de la paroi. Dans le cas du volet déposé-reposé, au contraire, une zone d’appui est créée pour le volet repositionné (figures 7 et 8).
L’extrémité arrondie et une hauteur de dents limitée rendent cet insert plus tolérant pour respecter l’intégrité de la membrane ou de l’anastomose intra-osseuse lorsqu’elle est au contact de la face interne du volet osseux (figure 9).
La conservation parfaite du contact osseux pendant toute la phase de décollement de la membrane, d’abord du volet puis des parois internes du sinus, est la clef pour limiter les perforations. Des instruments spécifiques ont donc été dessinés pour faciliter cet impératif technique de la chirurgie (figures 10 et 11). Une déchirure étendue de la muqueuse doit être réparée par l’apposition d’une membrane de gel de fibrine (A-PRF) ou de collagène (figure 12).
Une déchirure complète entraîne l’abandon de la procédure et sa reprise après plusieurs mois de cicatrisation.
Il commence par la mise en place, au contact de la membrane élevée, d’une membrane de A-PRF doublant la membrane sinusienne. Son effet barrière limité dans le temps n’empêche pas le potentiel ostéogénique de la membrane de s’exprimer ensuite (figure 13).
Le comblement est composite. Au fil des années, différents composants sont venus s’ajouter à l’hydroxyapatite bovine (Bio-Oss™, Geistlich) qui maintient à long terme le volume greffé :
– l’os autogène récupéré de la paroi ;
– une hydroxyapatite d’origine porcine résorbable (The Graft, Purgo™) ;
– le S-PRF, issu du sang du patient, qui va faire gélifier l’ensemble du matériau de comblement et ainsi limiter le risque de dissémination du comblement en cas de perforation, non identifiée, de la membrane.
Une fois gélifié, le matériau composite peut être condensé par l’utilisation d’un rouleau (figures 14 à 16).
Le volet osseux, conservé dans du sérum physiologique le temps du décollement de la membrane et du comblement, est reposé. La découpe très fine (0,35 mm) de l’insert OT 12 permet un repositionnement extrêmement précis du volet. Une ou deux membranes de A-PRF viennent stabiliser le volet et améliorer la cinétique de cicatrisation des tissus mous (figures 17 et 18).
Dans la partie centrale de l’incision, en présence de gencive attachée, des points en X sont réalisés. En avant et en arrière, des points simples dans la muqueuse alvéolaire sont réalisés avec un fil résorbable tressé d’acide polylactique 5/0 et 6/0 pour le confort du patient.
Historiquement, une HOR de 5 mm constitue la limite à partir de laquelle les implants peuvent être posés dans le même temps que la chirurgie sinusienne. Cette valeur a évolué avec le temps et des séries de cas rapportés dans la littérature [20, 29] démontrent qu’une HOR plus faible peut permettre de stabiliser des implants.
Néanmoins, en cas de défaut de cicatrisation, de Dome phenomenon de Mahler ou d’infection, la dépose des implants est impérative pour tenter de gérer la complication.
Le choix d’une implantation immédiate ou différée relève donc de l’opérateur. Il est toutefois utile de considérer que, en cas de difficultés lors de l’élévation de la membrane (déchirure, perforation large…), une implantation à distance semble plus sécurisante.
Les implants sont donc le plus souvent mis en place après 6 mois, l’utilisation de trépans pour poser les implants ayant permis de constater que, sur le plan histologique au moins (figure 19), la qualité de la cicatrisation était meilleure qu’après 4 ou 5 mois.
La chirurgie en un temps chirurgical, avec mise en place immédiate de la vis de cicatrisation, se heurte chez l’édenté complet au problème du port de la prothèse complète maxillaire, pouvant potentiellement mobiliser un implant à la stabilité primaire faible. Afin de limiter ce risque, certains auteurs recommandent un enfouissement des implants et la réalisation d’une mise en charge différée. C’est le choix sécuritaire réalisé par les auteurs de ne pas charger immédiatement les implants et de privilégier une phase chirurgicale en 2 temps. Pour autant, la mise en place des vis de cicatrisation ou la mise en charge immédiate de la prothèse complète maxillaire est envisageable.
Les complications chez l’édenté complet ne sont pas différentes de celles de l’édenté partiel : hémorragie, rupture de membrane, infection…
Il n’est pas possible d’affirmer que la multiplication des implants ou la répartition plus homogène des charges soit de nature à prévenir les complications à long terme comme les péri-implantites (figure 20). Celles-ci restent un problème majeur pouvant, à terme, compromettre la conservation de la prothèse initiale. La sectorisation d’une reconstruction prothétique implanto-portée complète permet de traiter un échec implantaire de façon plus simple (figure 21).
Dans le cas de patients bruxomanes, chez qui les complications prothétiques sont très fréquentes, l’élévation sinusienne bilatérale est favorisée. La prothèse maxillaire en céramique est sectorisée sur un nombre important d’implants. La prothèse mandibulaire utilise des dents en résine sur une armature en titane usinée. Les complications prothétiques sont quasi-exclusivement le fait de la prothèse mandibulaire, qui peut s’user rapidement malgré le port d’une gouttière nocturne. Les interventions en urgence sont plus faciles à réaliser sur la prothèse mandibulaire en résine sur titane (figures 22 et 23).
L’élévation sinusienne chez l’édenté complet ne présente pas de risque majoré par rapport à la même chirurgie chez l’édenté partiel. Seule son indication, par rapport à une solution de type All-on-4® ou All-on-6, devra être discutée sur un plan médico-légal.
Le choix du volet osseux déposé-reposé, outre ses avantages biologiques validés par la littérature, permet une cicatrisation initiale beaucoup plus rapide de la voie d’abord sinusienne et, à terme, une cicatrisation ad integrum de la paroi externe du sinus. Celui-ci peut être remis en pression plus rapidement, en particulier lors du mouchage ou de l’éternuement, limitant ainsi le risque d’emphysème gazeux.
La multiplication des implants permet presque systématiquement la conservation de la prothèse sans modification majeure en cas de perte d’un implant, ce qui est impossible dans le cas d’un All-on-4® et variable pour un All-on-6. L’invasivité de la phase chirurgicale ainsi que le coût majoré doivent cependant conduire à réfléchir à l’indication de cette chirurgie d’augmentation.
Le choix thérapeutique de l’élévation sinusienne par voie latérale peut correspondre à des cas où les techniques All-on-4® ou All-on-6 vont présenter des inconvénients :
– biomécaniques en cas de paroi antérieure des sinus très mésialée ;
– chirurgicaux si le volume osseux du pré-maxillaire est déficitaire.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.