Clinic n° 06 du 01/06/2022

 

Prothèse

Implantaire

Jérémie PERRIN*   Hervé PLARD**  


*Ancien AHU. Exercice libéral, Planguenoual.
**Ancien AHU, PH CHU de Rennes, Exercice libéral, Laval.

Malgré les progrès très importants dans la prévention et les traitements dentaires, le vieillissement de la population dans les pays occidentaux s’accompagne de la persistance de patients totalement édentés ou en passe de le devenir [1]. Les prothèses amovibles complètes (PAC) mises en œuvre pour réhabiliter de manière conventionnelle ces patients posent souvent problème, notamment en termes de rétention à la mandibule. Les...


Résumé

Les prothèses amovibles complètes sont difficilement acceptées par les patients édentés, notamment en raison des problèmes de rétention. À la mandibule notamment, la mise en place d’implants dentaires et d’attachements axiaux associés permet un gain de rétention et une meilleure adaptation des patients. Les délais et les différentes techniques (directe et indirecte) de connexion de ces attachements sont détaillés dans cet article.

Malgré les progrès très importants dans la prévention et les traitements dentaires, le vieillissement de la population dans les pays occidentaux s’accompagne de la persistance de patients totalement édentés ou en passe de le devenir [1]. Les prothèses amovibles complètes (PAC) mises en œuvre pour réhabiliter de manière conventionnelle ces patients posent souvent problème, notamment en termes de rétention à la mandibule. Les implants dentaires ostéo-intégrés ont été développés au début dans l’objectif de traiter ces situations. Le Pr Per-Ingvar Brånemark, considéré comme le père de l’implantologie moderne, expliquait que « personne ne devrait mourir avec ses dents dans un verre d’eau ».

La mise en place d’implants associés à des attachements permet d’améliorer nettement le confort et les capacités masticatoires des patients totalement édentés. Les délais de mise en charge et les moyens de connecter les implants et les PAC seront décrits dans cet article.

ÉDENTEMENT COMPLET

De nos jours, la perte de l’ensemble des organes dentaires est encore une réalité pour bon nombre de patients. Environ 1 personne sur 3 entre 65 et 74 ans est édentée sur au moins une des arcades [2].

Le retrait de l’ensemble des dents est un traumatisme pour les patients quelle que soit la période de la vie où il intervient. Il en résulte un triple handicap: esthétique, fonctionnel et psychologique.

Pour Pompignoli et al. [3], l’édenté complet est un handicapé à réhabiliter. Pour ce faire, la réalisation de deux prothèses amovibles complètes (PAC), immédiates ou non [4-7], est un premier traitement à envisager. Cependant, même en conduisant avec rigueur les étapes cliniques et de laboratoire de leur élaboration, ces prothèses ne sont pas toujours bien tolérées et acceptées par les patients. Les doléances [3, 8] sont nombreuses et les séances de réglage se multiplient parfois pour faciliter l’acceptation. Les principales doléances sont les suivantes [3] :

– instabilité des bases prothétiques ;

– nécessité de séances de réglage, des surextensions notamment (figure 1) ;

– problèmes esthétiques, surtout au niveau du soutien de lèvres ;

– encombrement ;

– inconfort ;

– sensation de nausées ;

– modification de la phonation ;

– hypersalivation ;

– altération de la gustation ;

– problèmes digestifs, en raison d’une moindre efficacité masticatoire.

Afin de limiter ces problèmes, le recours à des implants dentaires en complément de rétention est le premier choix de traitement [9, 10], permettant ainsi de « transformer » une PAC en prothèse amovible complète implanto retenue (PACIR) [11].

Depuis la conférence de consensus de McGill en 2002 [12], le traitement minimal à proposer en cas d’édentement complet maxillo-mandibulaire se compose de deux PAC associées à 2 implants para-symphysaires pour améliorer la rétention. Sur ces implants, des attachements axiaux ou sphériques permettront la connexion à la base prothétique [13]. Parmi la multitude de systèmes disponibles, le système Locator® (Straumann) est l’un des plus utilisés [14-16], de même que les systèmes Valoc® [17] et Novaloc® [18] qui sont compatibles (figure 2). Ces systèmes sont les moins encombrants du marché [14], permettant ainsi leur utilisation dans de nombreux cas cliniques. Ils sont choisis selon les préférences du praticien et offrent une large gamme de capsules rétentives de forces différentes [18]. Le choix de la force de rétention des capsules tiendra compte des attentes du patient et de sa capacité à retirer les prothèses. Le nombre d’implants présents intervient également dans le choix ; en présence d’un nombre important d’implants sur l’arcade, une rétention plus faible est suffisante.

Le Locator R-Tx™, qui appartient aussi aux attachements les moins encombrants, est également disponible maintenant.

Chaque système nécessitera des instruments spécifiques pour manipuler les inserts rétentifs [18].

Le choix de la hauteur des piliers en bouche est fonction de la hauteur transgingivale : le pilier doit dépasser de 1,5 à 2 mm au-dessus de la crête gingivale [14]. Il convient de mesurer avec une sonde parodontale ou une jauge (par exemple, jauge Altus de Valoc®).

Des barres de conjonction reliant les implants (figure 3) et associées à des rétentions (cavalier par exemple) ou des piliers télescopiques sont aussi envisageables en complément de rétention.

PROJET IMPLANTO-PROTHÉTIQUE

Le complément de rétention au moyen d’implants s’adresse à des prothèses qui répondent au cahier des charges de la PAC. Elles doivent valider la « triade de Housset » (rétention, stabilisation et sustentation) permettant ainsi une bonne intégration fonctionnelle et esthétique. L’usure des bases et des dents prothétiques est idéalement limitée. Des prothèses non conformes sont à revoir avant de les connecter à des implants, les implants seuls ne pouvant résoudre une mauvaise conception prothétique (figure 4).

La réalisation et la conception de PACIR nécessitent, comme pour toute prothèse supra-implantaire, un projet prothétique préalable. Les implants sont placés en fonction des futures bases prothétiques afin d’optimiser la rétention. Ils doivent être parallèles entre eux et leur axe perpendiculaire au plan d’occlusion (il existe toutefois des piliers angulés pour palier un défaut de parallélisme mais ils ne répondent pas à toutes les situations cliniques).

Le projet prothétique est la simulation de la future prothèse. Pour l’édenté complet, cela correspond au montage des dents du commerce sur cire de la PAC (également appelé montage directeur) [19-21]. Une fois validée, la maquette peut être dupliquée en guide radiologique puis chirurgical afin de placer les implants dans le couloir prothétique et de s’assurer du parallélisme.

En cas de mauvais placement implantaire, la réalisation des PACIR est plus complexe. Leur maintenance est aussi plus importante (fractures de la base si les attachements ne sont pas dans le couloir prothétique, usure excessive des systèmes rétentifs si les implants sont divergents [22] (figure 5).

Cette simulation peut également être numérique mais cela ne change en rien la prise en charge du patient.

Si la rétention implantaire se fait au moyen d’une barre de conjonction implantaire, celle-ci est parfaitement incluse dans la base prothétique ; si c’est au moyen d’attachement axiaux, ils seront répartis sur l’arcade et positionnés pour une efficacité maximale. Dans le cas de prothèse retenue par des piliers télescopes, ceux-ci doivent avoir un grand axe perpendiculaire au plan occlusal pour optimiser l’insertion-désinsertion de la prothèse [23, 24] (figure 6).

Ces différentes stratégies sont reprises dans la figure 7, sous forme d’arbre décisionnel.

QUAND CONNECTER ? MISE EN CHARGE IMMÉDIATE (MCI) OU CONVENTIONNELLE (MCC) ?

La réalisation de PACIR nécessite la mise en place de 4 implants au minimum au maxillaire (généralement dans le prémaxillaire) et de 2 implants à la mandibule (généralement dans la symphyse) [25]. Dans cet article, seule la connexion des attachements axiaux aux implants pour transformer une PAC en PACIR est décrite. Elle peut se faire soit en même temps que la chirurgie ou dans un délai court (MCI), soit une fois l’ostéo-intégration obtenue (MCC).

La MCI dans le cadre de PACIR est validée par des méta-analyses [26, 27]. Le seul prérequis est un couple d’insertion de l’implant dans l’os élevé de 35 N.cm, soit un Implant Stability Quotient (ISQ) de 60.

Pour les maxillaires atrophiés ou les crêtes fines, il existe dorénavant des mini-implants (implants de diamètre inférieur à 3 mm) qui sont monoblocs : le système d’attachement (Locator®, Novaloc® boule ou autre) fait corps avec l’implant [23, 28].

Lors de cette mise en charge, le patient est amené en occlusion pendant la polymérisation de la résine de connexion à la base.

Pour ces mini-implants, la mise en charge est immédiate (figure 8). Cette technique est également validée par des études bibliographiques [29-31]. L’autre solution serait de priver le patient de sa ou ses prothèses le temps de l’ostéo-intégration. L’écueil avec les mini-implants est la prédictibilité de la cicatrisation gingivale, afin que le système rétentif soit accessible à la connexion sans être trop supra-gingival.

La MCI va avoir comme avantage de répondre de façon instantanée à la demande des patients mais peut présenter des inconvénients à la connexion (présence de sang, éventuellement de fils de suture, anesthésie encore présente). Les deux techniques de connexion (au fauteuil ou au laboratoire) sont possibles. Les délais sont courts pour rester dans le temps chirurgical de la MCI (moins de 48 heures après la chirurgie [32]) impliquant une coordination avec le prothésiste pour la connexion au laboratoire.

Comme nous venons de le voir, la MCI est possible avec les implants et les mini-implants ; la MCC quant à elle s’adresse plutôt aux implants : les mini implants étant monoblocs, la mise en charge est forcément immédiate ou il faut retirer les prothèses le temps de l’ostéo-intégration (figure 9).

COMMENT CONNECTER ? TECHNIQUE DIRECTE AU FAUTEUIL OU INDIRECTE AU LABORATOIRE ?

Comme évoqué précédemment, la connexion peut s’effectuer soit au fauteuil, soit au laboratoire [14, 33]. Ces deux options n’intéressent que les attachements axiaux, la connexion des PACIR avec des barres ou des piliers télescopes s’effectuant préférentiellement au laboratoire.

S’il s’agit de l’amélioration d’une PAC existante mais ne présentant pas de rétention suffisante, il conviendra d’effectuer le plus souvent la connexion au fauteuil (à condition que la PAC soit conforme dans sa conception). C’est aussi le cas des réinterventions, quand il faut modifier le système d’attachement sans renouveler les prothèses. La création d’évents est possible pour laisser échapper la résine excédentaire.

En revanche, si c’est une nouvelle prothèse, il est plus simple de connecter les attachements au laboratoire. Le laboratoire peut aussi être sollicité lors d’une amélioration, en se servant de la PAC comme d’un PEI, mais le transfert d’empreinte est relativement encombrant et doit pouvoir s’intégrer dans la base prothétique (figure 10).

Technique directe au fauteuil

Le cas clinique suivant illustre une réintervention sur 4 implants (figures 11 et 12) et la connexion est réalisée avec le kit Quick Up® (Voco) dédié à ce travail (la réfection des prothèses n’est pas indispensable) [34] :

– vérification de la qualité de la prothèse complète ;

– dépose des anciens piliers et des parties femelles ;

– mise en place des nouveaux piliers (ici Locator®), en respectant le couple de serrage recommandé (35 N.cm) (figure 13) ;

– aménagement des espaces pour recevoir les boîtiers dans la base et vérification avec un élastomère du volume disponible ;

– mise en place des anneaux de protection et des boîtiers (ce sont les inserts de travail noirs qui sont utilisés à cette étape) (figure 14) ;

– application de l’adhésif et de la résine de liaison (figures 15 et 16) ;

– désinsertion ;

– comblement éventuellement des manques en résine, retrait des excès de résine ;

– mise en place des inserts d’usage (figure 17) ;

– contrôle et vérification occlusale ;

– démonstration et explication au patient : manipulation (insertion/désinsertion) et maintenance de la prothèse et des attachements.

Technique indirecte au laboratoire

Les étapes sont très semblables à celles de la technique directe ; seule l’étape d’empreinte secondaire anatomo-fonctionnelle diffère. Avant cette étape, les attachements axiaux sont choisis (hauteur transgingivale notamment) et mis en place. Un porte-empreinte individuel (PEI) est réalisé avec un espacement en regard des attachements. Lors de l’empreinte secondaire, les transferts d’empreinte spécifiques des attachements sont emportés (empreinte à ciel fermé). Il convient de choisir des matériaux d’empreinte assez résistants aux déchirements (polyéthers par exemple) (figures 18 et 19).

Un modèle de travail (figure 20) de prothèse complète est réalisé avec les analogues des attachements. L’enregistrement des rapports maxillo-mandibulaires est conduit avec une base d’occlusion rigide elle-même retenue par les attachements, la base ne bougeant pas (figure 21). Après montage des dents sur cire au laboratoire et essayages cliniques, la polymérisation est faite en un temps (que ce soit par mise en moufle ou par injection de résine) (figures 22 et 23).

Cette unicité de résine va limiter les désinsertions dans le temps des boîtiers et permettre d’avoir une même teinte et un même vieillissement de la résine. Le polissage et la finition seront meilleurs que lors de l’adjonction au fauteuil. Cette option est illustrée par le second cas clinique

La comparaison de ces deux techniques est résumée dans le tableau 1.

MAINTENANCE

Le suivi de ces patients est évidemment nécessaire et va servir à gérer principalement deux types de complications : prophylactiques et prothétiques.

La maintenance prothétique consistera à remplacer les inserts usés (figure 24) dans les boîtiers des attachements axiaux ou les cavaliers en regard des barres de conjonction. Cette maintenance est prévisible [35], attendue, et les patients doivent en être informés dès le début de la prise en charge. Pour les inserts du système Locator®, la durée de vie est de 21 mois [36]. Une autre forme de maintenance, sur le même modèle, peut être la réactivation du système d’attachement avec la clé adaptée (attachement Dalbo®, Cendres+Métaux, par exemple).

L’usure peut aussi toucher les parties mâles, piliers Locator® par exemple (figure 25), ce qui est plus gênant et impose de repenser la PACIR ou de choisir un système plus résistant [18], l’usure témoignant d’une inadéquation entre l’axe d’insertion de la prothèse et l’axe implantaire.

Malheureusement il existe des interventions non programmées dans la maintenance : une désolidarisation d’un des boîtiers de la base (figure 26) par exemple ou une fracture de cette même base (figure 27). La désolidarisation intervient souvent quand la connexion s’est faite en bouche et témoigne d’un non-respect des étapes cliniques ou atteste la moins bonne liaison que lors de la technique indirecte. Les boîtiers peuvent être sablés afin d’améliorer la rétention. La fracture appuie sur la nécessité de placer des châssis ou des renforts métalliques en fonction de l’encombrement du système d’attachement (volume des barres par exemple). La réparation des fractures se fait au laboratoire ; la reconnexion quant à elle est possible au laboratoire ou au fauteuil, tout comme la connexion initiale.

La maintenance prophylactique va consister à enseigner et à contrôler l’hygiène personnelle des patients. En l’absence d’hygiène, le risque de péri-implantite augmente [37] mais, surtout, le système (quel qu’il soit) est inopérant si les parties mâles et femelles sont recouvertes de tartre ou de débris alimentaires [18] (figure 28).

Aussi le suivi régulier des patients est-il primordial pour prendre en charge les complications mécaniques, compenser l’usure des pièces et contrôler le bon entretien des réhabilitations implanto-prothétiques.

CONCLUSION

Le recours aux implants pour améliorer la rétention et diminuer le volume des PAC est une thérapeutique répandue dans nos pratiques quotidiennes. La mise en place des implants doit intervenir en présence de prothèses bien réalisées ou s’intégrer dans un nouveau projet prothétique. La connexion de ces implants aux prothèses pourra s’effectuer :

– sur le plan biologique, en suivant les protocoles de mise en charge conventionnelle ou immédiate ;

– sur le plan prothétique, de façon directe (au fauteuil) ou indirecte (au laboratoire de prothèse).

Bien entendu un suivi régulier des patients sera essentiel à la pérennité de la réhabilitation. Une maintenance professionnelle et à domicile sera tout aussi indispensable.

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Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.