UNE ULCÉRATION PERSISTANTE : ATTENTION !
Dermatologie
Buccale
Manon DOMART* Agathe LOUISY** Emilie HASCOËT*** Alexandra CLOITRE**** Elisabeth CASSAGNAU*****
*Interne en Chirurgie orale.
**Interne en Chirurgie orale.
***AHU. Philippe LESCLOUS PU-PH.
****MCU-PH. Unité Fonctionnelle de Chirurgie orale, Service d’Odontologie restauratrice et chirurgicale, CHU Hôtel Dieu, Nantes.
*****Chef du Service d’Anatomie et Cytologie pathologiques, CHU Hôtel Dieu, Nantes
Une femme de 36 ans consulte pour des douleurs chroniques palatines droites qu’elle associe à une lésion en regard de la 15, évoluant depuis quelques mois.
La patiente présente un antécédent de trouble anxieux généralisé traité par antidépresseurs (escitalopram = Seroplex® 15 mg/jour). Elle ne présente aucun autre antécédent médico-chirurgical. Elle ne rapporte aucune consommation tabagique et une consommation d’alcool très...
Une femme de 36 ans consulte pour des douleurs chroniques palatines droites qu’elle associe à une lésion en regard de la 15, évoluant depuis quelques mois.
La patiente présente un antécédent de trouble anxieux généralisé traité par antidépresseurs (escitalopram = Seroplex® 15 mg/jour). Elle ne présente aucun autre antécédent médico-chirurgical. Elle ne rapporte aucune consommation tabagique et une consommation d’alcool très occasionnelle.
À l’examen endobuccal, on constate une hygiène bucco-dentaire tout à fait correcte. Il existe une lésion de la muqueuse palatine ulcérée, fissuraire d’environ 1 cm de long sur 2 à 3 mm de large, profonde, et bien visible en regard de la 15. Elle est bordée en son sommet d’une muqueuse très érythémateuse (figure 1). Cette lésion d’aspect inhomogène est douloureuse à la palpation. Le panoramique dentaire réalisé au préalable de la consultation ne montrait aucun signe de lyse osseuse.
L’absence de consommation alcoolo-tabagique et le jeune âge de la patiente nous incitent à ne pas privilégier d’emblée une étiologie cancéreuse.
Plusieurs autres étiologies peuvent provoquer des lésions ulcérées de la muqueuse buccale parmi lesquelles, en première intention, un aphte (mais ici la forme fissuraire et la chronicité des douleurs ne sont guère des signes évocateurs), un traumatisme (non retrouvé lors de l’entretien) ou un traitement médicamenteux connu pour engendrer ce type d’effet indésirable (ce qui n’est pas le cas du traitement antidépresseur en cours).
En seconde intention, on pourra éventuellement évoquer une atteinte virale (HPV, VIH), des anomalies hématologiques (anémie, neutropénie), voire des atteintes bactériennes particulières (syphilis, tuberculose) nécessitant des investigations biologiques et sérologiques appropriées.
La symptomatologie de la lésion, sa persistance et l’absence de facteur étiologique évident interpellent et incitent à faire appel à une argumentation histologique. En effet, devant toute lésion muqueuse persistante sans étiologie clairement retrouvée, le risque d’une lésion maligne ne peut être écarté même en l’absence de facteurs carcinogènes « classiques » étylo-tabagiques, comme c’est le cas avec cette patiente. Une exérèse, c’est-à-dire le prélèvement total, de cette lésion de faible étendue est donc réalisée sous anesthésie locale. Une taille plus importante aurait indiqué une biopsie, c’est-à-dire un prélèvement partiel à cheval entre la lésion et de la muqueuse environnante apparemment saine, qui peut tout à fait être pratiquée par un omnipraticien.
Cet examen objective une prolifération tumorale maligne à double composante, épithéliale et myoépithéliale d’aspect basocellulaire, contenant des structures canalaires salivaires. La nature maligne de la lésion est bien soulignée par la présence d’engainements péri-nerveux (figure 2) et d’un index mitotique assez élevé souligné par la coloration immunohistologique de type MIB1 (figure 3).
Ainsi, les caractères malins et salivaires de la lésion ont permis de poser le diagnostic de carcinome adéno-kystique.
Une consultation d’annonce a été réalisée, afin de lui communiquer ce diagnostic de carcinome adénoïde kystique. La patiente a été informée qu’un suivi était déjà planifié avec nos collègues de chirurgie maxillo-faciale afin d’entreprendre les investigations nécessaires à un bilan d’extension (panendoscopie, scanner facial et cervico-thoracique) et qu’une décision serait alors prise en réunion de concertation pluridisciplinaire afin de déterminer l’option thérapeutique optimale.
Dans le cas présent, la lésion s’étendait dans une partie du maxillaire sus-jacent et a été classée T3 (entre 5 et 7 cm), N0 (absence de ganglion), M0 (absence de métastase). Le traitement a été chirurgical (hémi-maxillectomie) et une reconstruction osseuse par greffon fibulaire et muqueuse par lambeau cutané a été réalisée en un seul temps opératoire. De plus, même si l’exérèse de la tumeur a été complète (sur argumentation histolgique retrouvant des marges d’exérèse saines), un traitement adjuvant par radiothérapie a débuté à 2 mois post-opératoires. Une surveillance très régulière a également été organisée, tous les 3 mois pendant la première année, puis tous les 6 mois par la suite.
Une lésion ulcérée se définit comme une perte de substance profonde atteignant la partie superficielle du chorion (tissu conjonctif sous-épithélial). Il ne faut pas la confondre avec une érosion, se définissant par une perte de substance plus superficielle et n’atteignant pas le chorion.
Le carcinome adéno-kystique est une pathologie cancéreuse des glandes salivaires (ici à partir de glandes salivaires accessoires palatines). Elle se présente comme une masse sous-épithéliale d’évolution lente, ferme, mal définie et associée parfois à des douleurs ou une paresthésie liée à l’invasion péri-neurale. Le carcinome adénoïde kystique ne présente pas de signe pathognomonique pouvant le différencier cliniquement d’un autre type de tumeur maligne de la muqueuse buccale, un carcinome épidermoïde, par exemple. Ce sont plutôt les personne âgées de 50 ans et plus qui sont atteintes, ce qui peut apparaître trompeur dans le cas de cette patiente.
Les lésions palatines de ce type de cancer peuvent présenter une invasion et la destruction du tissu osseux environant. Le pronostic à court terme (5 ans) est favorable (70 % de taux de survie), mais le pronostic de survie à long terme (jusqu’à 20 ans) est sombre (20 à 30 %), ce qui témoigne du potentiel de récidive de ce type de tumeur.
Toute lésion ulcérée persistante de la muqueuse buccale doit faire penser à une pathologie maligne. Il convient systématiquement, devant une lésion ulcérée sans évolution positive une semaine après prise en charge et sans étiologie évidente, de réaliser une biopsie ou une exérèse en fonction de sa taille ou d’orienter le patient vers une consultation plus spécialisée.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.