RESPONSABILITÉ ET ÉTHIQUE EN HYGIÈNE ET ASEPSIE AU CABINET DENTAIRE
Dossier
Sahar MOUSSA-BADRAN* Marc DUROT** Karine BRÉHAUX*** Céline CLÉMENT****
*MCU-PH, Université Champagne-Ardenne, UFR d’Odontologie de Reims, Département de Santé publique. CHU de Reims, Pôle Médecine bucco-dentaire.
**AHU, Université Champagne-Ardenne, UFR d’Odontologie de Reims, Département de Santé publique. CHU de Reims, Pôle Médecine bucco-dentaire.
***Philosophe de la Santé, Docteur de Sciences Po Paris. HDR Neurosciences, mention Éthique et Progrès médical. Maîtrise de Droit de la santé, Chercheuse, Université de Lorraine.
****MCU-PH, Université de Lorraine, Faculté d’Odontologie, Département de Santé publique. CHRU Nancy, Service d’Odontologie.
Le 11 mars 2020, l’OMS a déclaré l’état de pandémie [1]. En odontologie, des changements se sont opérés sous la forme de recommandations pour les praticiens, validées par l’HAS [2]. Ce choix de forme juridique conduit à divers questionnements : quid de la responsabilité du praticien dans son exercice ? Quid des institutions en charge du contrôle du bon respect des pratiques en hygiène et asepsie ?
Quel que soit son type d’exercice, le chirurgien-dentiste est soumis aux dispositions du code de la santé publique (CSP). Il ne doit pas enfreindre l’article 4127-204 du CSP. Cet article sert de fondement juridique à l’obligation pesant sur le chirurgien-dentiste en matière d’hygiène et conforte de ce fait l’importance et le caractère opposable des recommandations telles que celles de la Direction générale de la santé [3]. Ces recommandations disposent d’un vaste champ d’application allant de la qualité et de la sécurité des soins jusqu’à l’élimination des déchets, dans le respect des normes d’hygiène et d’asepsie, et également jusquà l’obligation vaccinale.
Il s’agit de l’« obligation, pour toute personne, de répondre d’un dommage causé à autrui et d’en assumer les conséquences civiles et/ou pénales (…) » [4], voire administratives, disciplinaires et morales en ce qui concerne les faits reliés au respect des règles d’hygiène et d’asepsie pour un chirurgien-dentiste.
Cela reste une exception en droit puisque, de façon générale, on ne peut être sanctionné pour les mêmes faits devant plusieurs juridictions de façon concomitante.
Le chirurgien-dentiste comme tout citoyen se doit de respecter l’article 1240 du code civil nouveau. Cette obligation dans le domaine de l’hygiène et de l’asepsie va de la formation du chirurgien-dentiste jusqu’aux faits dommageables par manquement à ces règles, que cela soit par négligence et/ou en toute connaissance des recommandations qui y font référence et auxquelles le chirurgien-dentiste a décidé de s’affranchir délibérément (encadré 1). Pour ce qui est du pénal, il s’agirait d’une mise en danger d’autrui en l’exposant à un risque connu et évitable portant atteinte à sa personne. Cette responsabilité est dite personnelle selon l’article L. 121-1 du code pénal (figure 1, encadré 2). Enfin, tout praticien, quel que soit son mode d’exercice, est assujetti à son code de déontologie intégré au CSP depuis 2005. S’il contrevient à l’une ou l’autre des règles édictées par son Ordre, il peut se voir imposer une sanction disciplinaire.
Trois articles dans ce code impliquent son engagement en matière d’hygiène et d’asepsie (tableau 1).
• Le premier (article R. 4127-202) engage la responsabilité du chirurgien-dentiste en tant qu’acteur de santé publique. Cet article prend tout son sens en ces temps de pandémie à double titre : concours en tant qu’acteur en santé publique (fermeture des cabinets libéraux ordonnée par l’Ordre national des chirurgiens-dentistes du 17 mars au 11 mai 2020, dons d’équipements de protection individuelle…) [5] et par sa participation directe (respect des guides et nouvelles recommandations).
• Par conséquent, tout manquement à ces mesures prises par l’Ordre de la profession mais également par les autorités administratives comme les agences régionales de santé pourrait engager la responsabilité aussi bien administrative que disciplinaire du chirurgien-dentiste.
• Le deuxième article (article R. 4127-204) précise ses devoirs en tant que soignant et en tant qu’employeur dans la sécurité des soins. Sachant que cette dernière relève de l’obligation de moyens renforcée (tableau 1) qui ne peut être ignorée par le chirurgien-dentiste. Il est à noter que cet article déresponsabilise le chirurgien-dentiste qui, par exception, participe aux campagnes de vaccination en tant que vaccinateur cette fois-ci (élargissement des compétences) [6]. En ce qui concerne son obligation de sécurité ou de prudence, ses responsabilités civile et disciplinaire peuvent être engagées si la victime d’un dommage peut établir que celui-ci résulte d’un manquement, d’une imprudence, d’une négligence, d’une mauvaise appréciation du risque encouru comme une obligation d’organisation ou de surveillance par lui-même ou toute personne sous sa garde.
• Enfin, le troisième article (article R. 4127-233) précise les obligations en matière de formation et d’information sur les soins qui seront « éclairés et conformes aux données acquises de la science ». Cette responsabilité d’abord fondée sur la perte de chance s’est transformée depuis la jurisprudence de 2010 en faute de conscience à part entière indemnisable de fait [7]. Cet article consacre l’obligation du chirurgien-dentiste de suivre les recommandations des instances spécifiques qui, au vu de l’évolution du contexte pandémique, sont devenues des obligations-sanctions non seulement disciplinaires mais également administratives et pénales.
Le quatrième ordre de responsabilité est d’ordre éthique : répondre devant sa propre conscience, sa propre perception de la bienfaisance lors des soins prodigués au patient comme un alter ego.
Pourquoi autant de responsabilités et d’obligations pèsent-elles sur le chirurgien-dentiste spécifiquement dans ce domaine ?
La réponse est dans la définition même de l’hygiène : discipline médicale qui s’intéresse aux relations entre l’homme et son environnement dans l’objectif de maintenir l’être humain en bonne santé et en le protégeant contre les maladies. Au vu de cette définition très large, il semble naturel que le chirurgien-dentiste ait à répondre de différents types de responsabilités pour les mêmes faits (tableau 2).
Dans le contexte actuel de la Covid-19, la question de l’éthique soulève un conflit potentiel entre la responsabilité du praticien en tant que soignant et son devoir de se conformer aux règles plus générales de sécurité sanitaire, voire d’intérêt général. Ainsi, que faire face à un patient en souffrance mais refusant de présenter son passe-sanitaire à l’entrée d’un service odontologique hospitalier alors que celui-ci n’est pas imposé en pratique libérale ? Le primum non nocere constitue l’un des premiers engagements de tout soignant [8, 9]. Cela ne s’applique pas aux urgences bien entendu. Or, les urgences dentaires ne sont pas forcément considérées comme entrant dans le cadre des urgences engageant le pronostic vital. Pour autant, elles sont parfois sources de complications dramatiques telles que le surdosage antalgique, l’arrêt de prises alimentaires chez la personne âgée… Ne serait-il pas nécessaire de réfléchir à nouveau à cette notion d’urgence en odontologie [10] ? Par ailleurs, les mesures sanitaires actuelles jugées nécessaires comme mesures de prévention collective posent un questionnement autour de la discrimination indirecte avec la création de deux files actives d’accès aux soins : une pour les patients vaccinés ou rétablis et l’autre pour les patients non vaccinés. La question du respect de l’autonomie du patient par son libre choix du professionnel de santé et du lieu de soin (ville ou milieu hospitalier) n’est-elle pas mise à mal du fait de la réglementation ?
Un autre risque serait de sur-considérer le risque sanitaire face au besoin du patient. Ne court-on pas le danger de réduire la personne humaine en objet de soins pour des questions de sécurité en santé publique ?
En général, les assurances responsabilités professionnelles se chargent d’indemniser les victimes à condition que la preuve de la faute soit démontrée avec un lien de causalité direct et certain entre le dommage et le préjudice constaté.
Aucun contrat d’assurance ne peut couvrir les dommages de ce type. Là aussi, il faudrait que le chirurgien-dentiste ait commis des fautes qualifiées par le code pénal (tableau 2).
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.