LES AES AU CABINET DENTAIRE : PRÉVENTION, GESTION, OBLIGATIONS
Dossier
Antoine COUATARMANACH* Gabriel FERNANDEZ DE GRADO** Frédéric DENIS*** Damien OFFNER****
*MCA, Université de Rennes 1, Faculté d’Odontologie, Département de Santé publique. CHU Rennes, Service d’Odontologie.
**MCU-PH, Université de Strasbourg, Faculté d’Odontologie, Département de Santé publique. Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, Pôle de Médecine et Chirurgie bucco-dentaires.
***MCU-PH, Université de Nantes, Faculté d’Odontologie, Département de Santé publique. CHU Tours, Service d’Odontologie.
****MCU-PH, Université de Strasbourg, Faculté d’Odontologie, Département de Santé publique. Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, Pôle de Médecine et Chirurgie bucco-dentaires.
Les accidents exposant au sang (AES) représentent une inquiétude pour les soignants, notamment en termes de sécurité. Ils désorganisent l’activité et sont sources de stress. Comment les prévenir et les gérer ? Quelle attitude adopter en cas de survenue ? Quelles sont nos obligations légales ? Cet article apporte des réponses à ces questions, pour une pratique plus sereine.
« L’activité des chirurgiens-dentistes (…) comprend de très nombreux actes invasifs, elle est particulièrement exposée au sang ainsi qu’aux produits biologiques et elle utilise des instruments complexes dans un milieu naturellement septique » [1]. Le risque d’accident exposant au sang (AES), défini comme « tout contact avec du sang ou un liquide biologique contenant du sang et comportant soit une effraction cutanée (piqûre, coupure) soit une projection sur une muqueuse (œil…) ou sur une peau lésée » [2], est donc très présent pour les chirurgiens-dentistes : il est évalué à 0,9/1 000 actes en France [1]. Ces AES sont à 98 % des accidents percutanés et à 2 % des expositions muqueuses. Les principaux instruments en cause sont les instruments rotatifs, aiguilles d’anesthésie et autres instruments pointus [3] (figure 1).
Il y a eu une prise de conscience du risque de séroconversion lié aux AES avec la montée de l’épidémie de SIDA dans les années 1980 [4]. De manière générale, on estime le taux de séroconversion suite à un accident percutané de 5 à 30 % pour l’hépatite B (VHB) (en sachant que, depuis l’obligation vaccinale pour les soignants, ce taux tend vers 0), de 1,8 % pour l’hépatite C (VHC) et de 0,3 % pour le VIH [5]. Toutefois, le risque de transmission peut varier selon la profondeur de la blessure et la surface de peau lésée [6]. Il existe aussi un risque de contamination à d’autres maladies : dengue, chikungunya, virus zika…
Outre ce risque de séroconversion qui ne doit pas être négligé même s’il apparaît faible, il est important de noter que les AES représentent un poids psychologique et un stress pour la victime. Pour ces raisons, il est essentiel de savoir les prévenir et les gérer mais aussi de connaître les obligations légales qui incombent à l’employeur par rapport aux AES.
La survenue d’AES questionne de nombreux aspects de la pratique odontologique, notamment des éléments d’ordre « organisationnel » et plus directement d’ordre « technique ».
L’ensemble de l’organisation de travail au cabinet dentaire peut avoir un impact sur la survenue d’AES. La fatigue et le stress peuvent notamment être source d’erreurs de manipulation, si bien qu’une organisation favorisant un exercice serein participera à la prévention des AES : planification des rendez-vous privilégiant des séances de soins suffisamment longues, identification de temps dédiés à la prise en charge des urgences, programmation des soins les plus complexes en début de journée…
L’organisation des rapports au sein de l’équipe soignante avec une communication fluide limitera le risque d’AES pour l’assistant (e) comme pour le praticien. L’obligation d’une information et d’une formation adaptées à chaque mission doit aussi être soulignée. Celles-ci portent obligatoirement sur les éléments suivants : risques associés aux AES, bonnes pratiques et mesures de prévention, déclaration et prise en charge, élimination des déchets. La conduite à tenir doit être affichée.
Enfin, une anamnèse approfondie de chaque patient et appuyée sur un questionnaire médical structuré permettra de connaître le risque infectieux déclaré du patient en cas de survenue d’un AES.
La prévention des AES repose de façon majeure sur l’adoption de procédures essentielles lors de l’acte technique de soin. En premier lieu, le respect des précautions standard est à l’évidence incontournable, incluant l’hygiène des mains et le port des équipements de protection individuelle (EPI) (gants, masque et lunettes de protection) qui agissent comme une barrière physique aux projections. Les gants permettent, par un principe d’essuyage, de limiter le potentiel inoculum viral en cas de piqûre.
L’organisation du plateau de soins revêt également une importance cruciale, le risque de survenue d’un AES, pour l’opérateur comme pour son assistant (e), étant majoré avec un plateau de soin mal organisé (figure 2).
Une attention particulière doit enfin être portée aux dispositifs et objets piquants, coupants ou tranchants (OPCT). Les éléments à usage unique doivent être désadaptés à l’aide d’une pince ou d’un système sécurisé adapté et éliminés immédiatement après leur utilisation dans un conteneur adéquat (figure 3). Les aiguilles d’anesthésie, en particulier, ne doivent jamais être recapuchonnées. L’utilisation de seringues avec tube de protection à usage unique peut être une alternative intéressante (figure 4).
• Dans la mesure où la mémoire humaine est faillible en période de stress, nous rappellerons brièvement les points essentiels, pour agir vite et bien !
• Un affichage parfaitement visible sur la conduite à tenir doit être présent dans les zones de soins et de stérilisation. La responsabilité de cet affichage incombe à l’employeur [2].
Le suivi de la check-list issue d’une instruction interministérielle de 2019 résumée ci-dessous [7] (figure 5).
Si piqûre-coupure percutanée :
– ne jamais faire saigner ;
– nettoyer immédiatement à l’eau et au savon doux ;
– rincer abondamment ;
– réaliser l’antisepsie par trempage au moins 5 minutes dans le Dakin ou de l’alcool à 70 °.
Si projection sur les muqueuses (œil) :
– rincer abondamment à l’eau courante ou au sérum physiologique au moins 5 minutes.
Contacter le référent médical AES ou les urgences, dans les plus brefs délais, de préférence dans les 4 heures, pour évaluer le risque infectieux et si nécessaire débuter une éventuelle chimio-prophylaxie. Il faut également demander au patient source, après son accord, de pratiquer les sérologies VIH, VHB et VHC.
• L’employé doit déclarer l’accident de travail dans les 24 heures à la CPAM.
• L’employeur doit déclarer l’accident à la CPAM dans les 48 heures (joindre le certificat médical initial).
• Le praticien libéral doit déclarer l’accident à son assureur aussi dans les 48 heures.
Assurer un suivi clinique et sérologique de la victime.
Analyse des causes de l’accident et mise en place des actions correctives et préventives.
Les obligations légales vis-à-vis des salariés sont décrites dans l’arrêté du 10 juillet 2013 [2]. Cet arrêté étant court et bien présenté, nous invitons les praticiens à le consulter au moins une fois, en particulier les annexes 1 et 2 concernant les précautions standard et les conduites à tenir en cas d’AES.
Ces obligations légales s’appliquent uniquement aux salariés, le praticien libéral exerçant seul étant libre de les appliquer ou non. Cependant, s’agissant de mesures de bon sens dans l’intérêt à la fois du praticien et du patient pour leur sécurité, il paraît impensable de s’en affranchir.
L’obligation d’élimination des déchets d’activité de soins à risques infectieux (DASRI) s’applique à tous les praticiens et est décrite dans les articles R. 1335-1 à R. 1335-8-11 du code de la santé publique [8] et dans l’arrêté du 24 novembre 2003 [9]. Y sont décrits les différents collecteurs adaptés à chaque type de déchet (solide, liquide, perforant) pour limiter le risque infectieux : le conteneur en plastique jaune rigide homologué (NF EN ISO 23907-1:2019) destiné à recevoir les OPCT, les sacs (NF X30-501:2006) ou les caisses en carton avec sac (NF X30-507 : 2018) destinés aux DASRI non perforants (figure 6). Le guide édité par la direction générale de la santé est une aide précieuse pour la mise en place des parcours d’élimination des DASRI [10]. Rappelons enfin que la vaccination contre l’hépatite B est obligatoire pour les professionnels de santé.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.