LE FLUX DE TRAVAIL ENTIÈREMENT NUMÉRIQUE EN PACI : UNE RÉPONSE D’ACTUALITÉ À CE DÉFI CLINIQUE
Prothèse
Complète
Cindy BATISSE-LANCE* Jean BONNET** Noémie DRANCOURT***
*MCU-PH, Odontologie prothétique.
**MCU-PH, Odontologie prothétique.
***AHU, Odontologie prothétique. UFR Odontologie, Service Odontologie, CHU Estaing, Clermont-Ferrand.
Le passage à l’édentement complet est une étape délicate dans la vie d’un individu. Des prothèses amovibles complètes immédiates (PACI) peuvent être réalisées avant l’avulsion des dernières dents et mises en place immédiatement après la chirurgie. Ces prothèses accompagnent le patient dans cette étape difficile d’édentation complète. Elles permettent de guider la cicatrisation muqueuse et de préserver le tissu osseux existant en minimisant les phénomènes de...
Les outils permettant la mise en place d’un flux numérique sont en développement exponentiel dans les activités cliniques quotidiennes (prothèse fixe dentaire ou implantaire, planification implantaire, etc.). Ils permettent une sauvegarde des données (atout médico-légal) et apportent des moyens de progression dans les diverses étapes cliniques de conception ou de fabrication des prothèses. L’utilisation de la conception/fabrication assistée par ordinateur (CFAO) pour fabriquer des prothèses amovibles complètes (PAC) se développe également. De nombreux systèmes permettent de réaliser des PAC selon un flux numérique complet (acquisition, modélisation et fabrication). Cependant, même si ces flux numériques se démocratisent en prothèse amovible, la réalisation de la prothèse amovible complète immédiate (PACI) assistée par un flux numérique demeure peu documentée.
Le passage à l’édentement complet est une étape délicate dans la vie d’un individu. Des prothèses amovibles complètes immédiates (PACI) peuvent être réalisées avant l’avulsion des dernières dents et mises en place immédiatement après la chirurgie. Ces prothèses accompagnent le patient dans cette étape difficile d’édentation complète. Elles permettent de guider la cicatrisation muqueuse et de préserver le tissu osseux existant en minimisant les phénomènes de résorption [1]. Elles assurent la mise en condition neuro-musculo articulaire et participent à la mise en condition tissulaire en aménageant l’espace prothétique disponible. Elles permettent également de rétablir ou de maintenir l’esthétique et les fonctions orales (élocution, mastication, déglutition). Des étapes de réalisation rigoureuses sont indispensables pour que la PACI remplisse ses fonctions [2].
Malgré un protocole bien codifié, la réalisation de PACI peut se révéler techniquement délicate. Il existe également une imprévisibilité des résultats esthétiques en raison de l’impossibilité d’avoir une phase d’essai avant la fabrication des prothèses.
Cet article a pour objectif de présenter l’aide apportée par les outils numériques face aux difficultés de réalisation de PACI en technique classique. Les avantages et les inconvénients du flux numérique seront documentés et illustrés par plusieurs situations cliniques.
Les outils numériques peuvent être mis en œuvre à toutes les étapes cliniques de conception et de fabrication d’une prothèse [3]. Lorsque la réalisation d’une PACI est décidée et que l’utilisation d’un flux numérique est possible, il est indispensable d’anticiper et de segmenter les étapes cliniques de conception et de fabrication pour déterminer à quel moment les outils numériques peuvent être un moyen d’amélioration comparativement à la technique conventionnelle.
Les étapes cruciales pour lesquelles les outils numériques pourraient être utilisés sont :
– la prise d’empreinte ;
– l’enregistrement de la relation inter-arcades ;
– la prévisualisation du montage des dents (aide esthétique et fonctionnelle) ;
– la fabrication des prothèses.
Certaines situations cliniques rendent la réalisation d’empreintes physico-chimiques extrêmement délicates. C’est notamment le cas lorsque les dents résiduelles présentent une mobilité terminale ou en cas de bridge de longue portée avec une atteinte parodontale terminale. En technique conventionnelle, pour prévenir toute avulsion intempestive lors de la désinsertion de l’empreinte, les dents fortement mobiles peuvent être solidarisées à l’aide d’une contention et les embrasures ou intermédiaires de bridge comblés à l’aide de la digue liquide photopolymérisable ou de la cire.
Une empreinte physico-chimique est également difficile à réaliser lorsque les incisives sont très vestibulo-versées. L’épaisseur du porte-empreinte individuel déforme la position de la lèvre. Face à cette difficulté, certains auteurs proposent de réaliser un PEI ouvert dans sa partie antérieure [4]. Cette empreinte reste toutefois difficile à réaliser.
La réalisation d’une empreinte optique à l’aide d’un scanner intra-oral peut être une alternative à ces difficultés. L’utilisation d’un scanner intra-oral peut également se révéler d’une grande aide pour les patients présentant un fort réflexe nauséeux. Cependant, il est important de ne pas oublier que les scanners actuellement disponibles sur le marché ne permettent pas l’enregistrement de la dépressibilité muqueuse ni l’enregistrement fonctionnel des tissus environnants.
Si la situation clinique le permet, il est préférable de réaliser la phase chirurgicale en 2 temps : d’abord les secteurs postérieurs, pour permettre une cicatrisation muqueuse et ainsi favoriser la précision des empreintes réalisées à ce moment-là, puis l’avulsion des secteurs antérieurs résiduels et la pose de la PACI.
• Il est important de sécher les surfaces et tissus à enregistrer.
• Un protocole d’acquisition doit être mené pour minimiser le nombre d’images lors de l’acquisition. La stratégie de scannage diffère en fonction de la technologie des caméras intra-orales. Il est donc important de respecter la stratégie de scannage préconisée par le fabricant du scanner intra-oral utilisé. La méthodologie de prise d’empreinte va permettre d’éviter de saturer le logiciel de reconstruction et de réduire le risque d’erreur de reconstruction par superpositions erronées de différentes images.
• Lors du scannage du vestibule, il est important de faire l’acquisition de la muqueuse buccale, de la zone de réflexion muqueuse et d’une partie de la muqueuse labiale ou jugale en un seul passage. Si une zone déjà scannée vient à être scannée une nouvelle fois, les tissus mous risquent de ne pas être dans la même position, aboutissant à une reconstruction erronée du futur modèle de travail.
• Un écarte-joues et le capteur peuvent aider à refouler les tissus mous lors de l’empreinte.
La réalisation de l’empreinte optique mandibulaire est généralement plus compliquée et longue que celle de l’arcade maxillaire. La présence de la langue, la quantité de salive et des anatomies crestales très résorbées ou très fines peuvent expliquer en partie les difficultés à réaliser une empreinte optique des muqueuses mandibulaires. Un travail à 4 mains est conseillé avec une anticipation du chemin d’acquisition.
La flexibilité des systèmes numériques étant grande, il est également possible d’entrer dans le flux numérique grâce au scannage d’empreintes physico-chimiques anatomo-fonctionnelles via un scanner intra-oral ou un scanner de table.
L’enregistrement de la relation inter-arcades est une des clés de la mise en place d’une occlusion contrôlée et, donc, d’une stabilisation fonctionnelle de la future prothèse. En technique classique, des maquettes d’occlusion sont requises, particulièrement si une avulsion en 2 temps est réalisée. Dans ce cas, une étape clinique pré-chirurgicale supplémentaire est nécessaire. Cette dernière peut s’accompagner en technique conventionnelle d’une étape de validation de cet enregistrement en demandant au laboratoire le montage des dents prothétiques postérieures sur cire. Cette validation permet de sécuriser la phase de pose des PACI en post-chirurgical et de favoriser leur intégration.
L’utilisation d’un scanner intra-oral permet d’enregistrer les rapports inter-arcades dans la même séance que celle des empreintes si l’occlusion d’intercuspidie maximale est stable et reproductible et que la dimension verticale de l’étage inférieur du visage est conservée. Cependant, cet enregistrement peut être une source d’erreur si certaines précautions ne sont pas prises, en particulier chez les patients présentant des mobilités dentaires terminales. Pour ces patients, le praticien devra s’assurer que la position des dents mobiles sur l’arcade est bien la même lors de l’empreinte des arcades et lors de l’enregistrement de la relation inter-arcades sous peine de ne pas réussir à superposer les modèles virtuels dans le logiciel de modélisation (figure 1).
En technique classique, la validation esthétique du montage ne peut être effectuée avant la polymérisation des prothèses. Toute erreur est donc difficilement modifiable. Elle engendre un mécontentement du patient, une altération de la relation de confiance et un défaut d’intégration des PACI [5]. Une modification de la PACI peut être réalisée dans un second temps, engendrant un surcoût pour le praticien et une multiplication des séances cliniques pour le patient. L’outil numérique offre l’opportunité de prévenir ces difficultés. Grâce à la superposition du montage virtuel avec une photographie ou un scan facial du patient, le prothésiste peut évaluer numériquement le résultat esthétique de la future PACI. Le prothésiste n’est plus limité à des cires sur un articulateur et/ou à des photographies sélectionnées par le patient. Il peut apprécier à l’écran l’impact des changements de position, de forme et de couleur des dents sur l’apparence du visage du patient.
L’ensemble des données extra-orales (photographies, vidéos, scan 3D) est importé dans un logiciel qui permet de réaliser le diagnostic esthétique approfondi et de proposer une simulation en image du projet esthétique [6-8]. Il existe de nombreux logiciels de diagnostic esthétique [9], avec plus ou moins d’options : Digital Smile Design, Smile Composer (3Shape), Smile Designer Pro (Tasty Tech)…Quel que soit le logiciel, les données importées sont alignées avec les modèles de travail. Cet alignement est souvent effectué grâce à la sélection de points de correspondance entre les modèles de travail et le fichier importé (figure 2).
C’est une étape clé lors du diagnostic esthétique. Toute erreur d’alignement peut altérer l’orientation du plan d’occlusion et le rendu esthétique final. Il existe également des applications de scan 3D (Scann3D, 3D Live Scanner, par exemple) qui fonctionnent par photogrammétrie. À partir de photographies, un logiciel assemble les images pour générer une numérisation 3D pouvant intégrer la couleur et la texture. Cependant, les reconstructions sont souvent déformées et les données ne sont généralement pas exportables sur les applications gratuites, ce qui limite leur intérêt.
Le diagnostic esthétique obtenu est peu volumineux, ce qui offre la possibilité au prothésiste et au praticien de discuter en temps réel du projet esthétique sur une simulation virtuelle par transfert de fichiers (figure 3).
Cette simulation peut également être transmise au patient afin d’obtenir son accord. La visualisation par le patient d’une estimation de son futur sourire peut faciliter sa préparation psychologique à l’édentation complète et favoriser l’intégration des futures prothèses.
La superposition numérique de l’ancienne denture et du nouveau montage permet aussi un contrôle afin d’atteindre l’objectif défini avec le patient (figure 4).
Des outils d’aide au fauteuil utilisant une application smartphone ou tablette peuvent être employés dès l’étape d’enregistrement de la relation inter-arcades (IvoSmile d’Ivoclar Vivadent ou VITA ToothConfigurator de Vita). Une aide pour choisir la forme des futures dents avec le patient est ainsi apportée et devient un guide supplémentaire pour le prothésiste (figure 5).
Des photographies numériques au repos, avec un sourire discret ou un sourire large de face ou de profil, peuvent être prises. Cependant, la plupart des logiciels permettent d’intégrer uniquement des photographies de face. Le praticien doit fournir au prothésiste au minimum une photographie du patient souriant avec ses dents naturelles ou avec des maquettes d’occlusion préalablement réglées pour assurer la bonne position des tissus mous. Il est essentiel que le patient regarde droit devant lui. Cette photographie de face superposée au montage virtuel guide le prothésiste grâce à des repères esthétiques dans le plan frontal tels que la ligne haute du sourire, la ligne sagittale médiane et la ligne bi-pupillaire (figure 6). La ligne haute du sourire aide à déterminer la hauteur des dents antérieures choisies par rapport à la fausse gencive visible. Pendant le montage, le prothésiste peut apprécier en temps réel l’impact du changement de la taille des dents sur le sourire et le visage du patient en sélectionnant les références des dents prothétiques dans la bibliothèque de dents du logiciel. Il peut travailler pour obtenir une harmonie de la ligne des collets avec la ligne du sourire. Le milieu du visage est mis en évidence par le tracé de la ligne glabella-philtrum qui permet de travailler sur la symétrie du sourire et de situer le milieu inter-incisif. Le tracé de la ligne bi-pupillaire permet de vérifier le parallélisme du plan d’occlusion avec cette dernière.
Pour le choix final des dents prothétiques, le prothésiste peut s’appuyer sur les bibliothèques de dents disponibles dans le logiciel de conception. Il choisit les dents en fonction de la situation clinique et du projet prothétique. Le montage mis à disposition par le logiciel propose une occlusion optimisée (contacts tripodiques) en occlusion bilatéralement équilibrée. Les logiciels permettent également de sélectionner différents schémas occlusaux, notamment anatomiques, lingualés ou à plat.
La configuration virtuelle des dents permet des ajustements rapides et sans faille de la taille/position des dents et des modifications généralisées du schéma occlusal et des courbes de compensation de l’arcade dentaire à appliquer. Sur cire traditionnelle, ces étapes nécessitent beaucoup de travail manuel et de temps. L’outil numérique permet une économie de temps pour les laboratoires de prothèse. De plus, la mise en calque superposable au montage des empreintes anatomo-fonctionnelles permet de vérifier les épaisseurs des bases au niveau des surfaces polies stabilisatrices.
Pour obtenir le modèle de travail, la rectification du modèle secondaire consiste à supprimer les dents résiduelles et à simuler les ostéoplasties. En technique classique, ces rectifications sont réalisées par meulage du plâtre et sont guidées par l’examen clinique des dents résiduelles (sondage parodontal, radiographies) [3]. L’outil numérique offre la possibilité de superposer le modèle à rectifier avec le scanner du patient. Ainsi, les simulations d’ostéoplastie sont effectuées en fonction de la santé parodontale du patient. Une estimation fiable de la cicatrisation à venir peut être faite, garantissant une meilleure adaptation de l’intrados des PACI aux surfaces d’appui muqueuses. Ainsi, la PACI guide la cicatrisation et réduit la résorption post-extractionnelle.
Par ailleurs, une réplique de l’intrados des futures PACI peut être faite pour servir de guide chirurgical d’ostéoplastie dans le but de supprimer juste la quantité d’os nécessaire à la mise en place prothétique.
Un des objectifs de toute réhabilitation prothétique est de rétablir la fonction. Pour cela, l’occlusion et l’anatomie occlusale jouent un rôle clé. L’utilisation d’un dispositif permettant l’enregistrement numérique dynamique de l’occlusion, tel que le système Tech In Motion de Modjaw®, permet de réaliser un montage avec des dents personnalisées où l’anatomie dentaire prothétique est construite en accord avec la cinématique mandibulaire. Les logiciels de modélisation offrent la possibilité d’usiner des dents prothétiques personnalisées (figure 7). Un tel outil peut être utilisé uniquement si la fonction actuelle est cliniquement satisfaisante. Il facilitera l’acceptation des PACI par le patient. Néanmoins, chez le patient déjà édenté complet, la stabilisation du papillon de ce dispositif reste complexe à la mandibule.
La fabrication des PACI peut être réalisée par impression 3D ou par usinage. Dans le cadre de l’usinage, des disques de résine PMMA (polyméthacrylate de méthyle) polymérisée industriellement sous haute pression et haute température sont utilisés. Les dents usinées sont assemblées aux bases prothétiques par collage.
La production par usinage des bases prothétiques ainsi que des arcades dentaires est une aide cruciale dans le maintien de la précision des différentes étapes cliniques et de conception (figure 8). En effet, l’usinage évite les erreurs inhérentes aux procédés classiques de polymérisation. L’absence de variations dimensionnelles liées aux éventuelles erreurs de manipulation lors des étapes de polymérisation classique conserve la précision d’adaptation des bases prothétiques et garantit un gain de précision occlusale [11].
L’usinage des arcades dentaires et donc des reliefs occlusaux permet de respecter l’anatomie occlusale personnalisée modélisée précédemment. Il favorise l’adaptation à la situation clinique. Ceci est encore plus important en PACI uni-arcade où la morphologie occlusale de l’arcade antagoniste devra être prise en compte.
La gestion du nombre de séances en pré-opératoire est parfois un facteur anxiogène pour le patient mais aussi pour le praticien. La nécessité de réalisation d’une PACI fait souvent suite à une dégradation de la situation intra-orale du patient et nécessite donc une prise en charge prothétique rapide.
En technique classique, il est nécessaire d’effectuer au minimum 3 séances cliniques (empreintes primaires, puis empreintes secondaires anatomo-fonctionnelles, puis enregistrement de la relation inter-arcades). Une 4e séance peut être ajoutée pour validation du montage postérieur des dents sur cire.
Grâce aux outils numériques et à l’utilisation d’un scanner intra-oral, les empreintes et l’enregistrement de la relation inter-arcades sont réalisées lors d’une unique séance clinique.
La réussite d’un traitement par PACI est un véritable défi clinique. Les différentes technologies numériques peuvent se révéler d’une grande aide pour répondre aux attentes des patients, futurs porteurs de PACI, aussi bien sur le plan fonctionnel qu’esthétique. Il peut permettre de réaliser des PACI en une unique séance clinique pré-chirurgicale grâce à un flux numérique complet (figure 9). L’utilisation de l’outil numérique peut se faire à chaque étape clinique ou de laboratoire. Cependant, la CFAO ne permet pas de corriger une mauvaise empreinte ou des rapports inter-arcades erronés. Les concepts et les règles de la PACI restent inchangés lorsque l’on utilise un flux numérique. Le respect des concepts de la prothèse amovible complète ainsi que la connaissance des limites des outils numériques permettent la mise en place optimale de cette thérapeutique prothétique. Dans la mesure des possibilités cliniques, et compte tenu des impératifs de la prothèse amovible complète, il reste recommandé de réaliser une empreinte secondaire anatomo-fonctionnelle physico-chimique. Elle pourra être scannée pour intégrer le flux numérique.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.