L’AÉROBIOCONTAMINATION EN ODONTOLOGIE : AIR ET GOUTTELETTES
Dossier
Kazutoyo YASUKAWA* Arnaud FLORENTIN** Alexandre BAUDET***
*MCU-PH, Université de Lorraine, Faculté d’Odontologie, Département de Biologie orale. Service d’Odontologie, CHRU, Nancy.
**MCU-PH, Université de Lorraine, Faculté de Médecine, Département d’Hygiène, des Risques environnementaux et associés aux soins. Département territorial d’Hygiène et de Prévention du risque infectieux, CHRU, Nancy.
***MCA, Université de Lorraine, Faculté d’Odontologie, Département de Santé publique. Praticien attaché, Service d’Odontologie, CHRU, Nancy.
La maîtrise de l’aérobiocontamination constitue un défi dans notre exercice quotidien. Elle a été au cœur des préoccupations, dans le contexte de pandémie de Covid-19, par la proximité étroite avec la région oropharyngée de nos patients et la réalisation d’actes générant des aérosols. Cet article présente une synthèse des connaissances actuelles sur l’aérobiocontamination en odontologie.
Certaines maladies infectieuses, qu’elles soient d’origine bactérienne, virale ou fongique, peuvent se transmettre directement ou indirectement entre les individus. La transmission de micro-organismes pathogènes peut se faire par différentes voies. Dans cet article, nous traitons du risque de transmission [1, 2] :
– par gouttelettes émises lors de la parole, de la toux, de la respiration… Elles sédimentent rapidement dans l’environnement immédiat de la personne jusqu’à une distance d’environ 1 à 2 mètres. Ces gouttelettes peuvent contaminer les personnes exposées soit directement par projection au niveau des muqueuses faciales (œil, nez, bouche), soit indirectement par contact des surfaces sur lesquelles elles se sont déposées ;
– par voie aérienne lorsque des micro-organismes se retrouvent en suspension dans l’air. C’est notamment le cas des gouttelettes fragmentées en aérosols lors de certains actes de soins ou des petites gouttelettes qui se déshydratent pour former des droplet nuclei. Ces aérosols peuvent alors être directement inhalés par les individus ou venir se déposer sur les surfaces et contaminer par contact.
En odontologie, nous sommes largement exposés aux micro-organismes issus de la cavité buccale de nos patients (figure 1). Les gouttelettes et bioaérosols générés lors des soins dentaires comprennent des micro-organismes dont certains peuvent être pathogènes et rester en suspension dans l’air de quelques secondes à plusieurs heures selon leur taille (figure 2), puis se déposer sur les surfaces à proximité de la tête du patient mais aussi à plus de 1,5 mètre de lui [3, 4].
Certaines maladies, telles que la tuberculose, la varicelle et la rougeole ont la capacité de se propager directement par voie aérienne depuis un individu infecté. Cependant, de nombreuses maladies se transmettraient plutôt par voie des gouttelettes ; c’est par exemple le cas de la grippe et de la Covid-19 [2, 5]. Mais elles pourraient en plus se transmettre par voie aérienne dans certaines conditions. C’est notamment le cas dans notre pratique professionnelle où les actes générant des aérosols sont à l’origine d’une aérobiocontamination [3, 5, 6]. Il s’agit des actes mettant en œuvre les porte-instruments dynamiques – turbines, contre-angles, pièces à main rotatives et à ultrasons (détartreurs) –, la seringue air-eau et l’aéropolisseur (figure 3) [3, 7].
Les bioaérosols générés lors des soins dentaires sont un ensemble de particules et droplet nuclei associés à des gouttelettes. Ils sont composés notamment d’eau, de salive et de micro-organismes. Près de 40 espèces bactériennes et fongiques – dont plusieurs micro-organismes pathogènes – ont été identifiées dans l’air des salles de soins des cabinets dentaires. Elles proviendraient principalement de l’eau de l’unit dentaire [6] et potentiellement de la sphère oro-faciale des patients [3]. On pourrait y retrouver des virus tels que le SARS-Cov-2 [5].
Les bioaérosols peuvent être projetés sur les muqueuses faciales (œil, nez, bouche) du soignant mais aussi pénétrer profondément l’arbre respiratoire jusqu’aux alvéoles pulmonaires par inhalation. Le risque de colonisation et d’infection dépend de plusieurs facteurs dont la charge, la virulence et la pathogénicité du micro-organisme, ainsi que des défenses immunitaires de l’hôte. La réalisation d’actes générant des aérosols augmente le risque de contamination par voie aérienne par des bactéries (telle que Legionella pneumophila issue de l’eau de l’unit dentaire) et des virus (tels que SARS-CoV et les Herpes simplex virus issus d’un patient infecté) [3]. Le risque de contamination par voie aérienne lors des actes d’odontologie nécessite d’être plus amplement étudié. Mais notre proximité avec la bouche de nos patients lors des soins aérosolisants nous place comme profession à risque.
Elle s’inscrit dans une démarche de prévention des risques qui doit, par ordre de priorité, agir sur la source, l’exposition et les personnes exposées [8].
Concernant les micro-organismes issus de l’eau de l’unit dentaire, il est recommandé de maîtriser la qualité microbiologique de l’eau par des moyens physiques et chimiques [9] (cf. 1er article de ce dossier Prévention du risque infectieux relatif à l’unit dentaire).
Concernant les micro-organismes issus de la cavité buccale du patient, plusieurs moyens complémentaires les uns des autres peuvent être mis en œuvre pour limiter la production de bioaérosols :
– faire réaliser un rinçage buccal antiseptique avant les actes générant des aérosols afin de réduire la charge microbienne ;
– réaliser les soins sous digue dès que possible ;
– utiliser un contre-angle bague rouge plutôt qu’une turbine ;
– diminuer la quantité d’eau des porte-instruments dynamiques [7] (figure 4).
Il faut essayer de capter au maximum les gouttelettes et les aérosols dès leur production en utilisant une aspiration à haute vélocité (aspiration chirurgicale) et, si possible, une double aspiration en travaillant à quatre mains [6, 7] (figure 5).
Il faut aussi éviter de créer des courants d’air pouvant propager les aérosols sur de plus grandes distances au sein du cabinet dentaire et remettre en suspension les particules déposées au sol ou sur les surfaces [10]. L’utilisation d’un ventilateur devra, par exemple, être évitée.
Les aspirateurs et balais classiques sont proscrits dans le cabinet dentaire pour ne pas remettre en suspension les poussières et particules déposées au sol : la réalisation d’un balayage humide quotidien avant le nettoyage avec un détergent-désinfectant est indiquée. Un bionettoyage des surfaces hautes et des équipements de la salle de soins avec des lingettes ou lavettes imbibées de détergent-désinfectant est indispensable entre chaque patient [7].
Un renouvellement de l’air permet de diluer les aérosols en suspension dans l’air en apportant de l’air extérieur non vicié par ventilation naturelle (ouverture des fenêtres) ou mécanisée. Il est aussi possible de compléter cette dilution par un traitement de l’air, par exemple avec un dispositif de filtration de l’air. Nous vous invitons à consulter le document intitulé Covid-19 et traitement de l’air en cabinet de chirurgie dentaire diffusé en ligne par le RéPIAS et la SF2H [11] ; il apporte de plus amples informations sur ce point.
L’accès aux locaux contaminés est réservé aux professionnels indispensables [8] : chirurgien-dentiste et assistant (e) dentaire. Les accompagnants non indispensables à la réalisation des soins doivent rester hors de la salle de soins.
Lorsque des précautions complémentaires de type air sont indiquées en plus des précautions standard (patient atteint de tuberculose, réalisation d’actes générant des aérosols dans le contexte de la Covid-19, par exemple), le personnel soignant devra notamment utiliser un appareil de protection respiratoire FFP2 [2, 7, 12] (figure 6).
Une revue Cochrane de 2020 conclut sur le manque de connaissances et la nécessité d’études complémentaires afin de mieux caractériser les bioaérosols et d’évaluer le risque de transmission d’infections pour les maladies respiratoires telles que la Covid-19 chez les patients et le personnel dentaire [13]. Dans l’attente de données plus probantes, les moyens de maîtrise de l’aérobiocontamination doivent être mis en œuvre.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.