Clinic n° 04 du 01/04/2022

 

Chirurgie

Joel BASTOS SOUSA*   Marla PINTO**   Inês FERNANDES***   Ana SILVA****  


*DDs. Exercice libéral à Juvisy-sur-Orge.
**DDs. Exercice libéral à Paris.
***DDs. Exercice libéral à Paris.
****DDs. Exercice libéral à Paris.

La demande croissante des patients comme l’exigence des praticiens conduisent à l’augmentation des traitements de recouvrement des récessions à visée esthétique. Cependant, les incisives inférieures font l’objet d’une évaluation plus objective, où les indications pour traiter les récessions sont majoritairement liées à des raisons médicales et non esthétiques. Les critères de succès du traitement doivent inclure des critères autres que l’esthétique, tel que...


Résumé

Les techniques de chirurgie plastique parodontale contemporaines sont aujourd’hui parfaitement connues et leurs principes initiaux clairement énoncés. De nombreuses options de traitement semblent possibles sur les réseaux sociaux et les forums ; cependant, certaines de ces options sont peu soutenues par une approche scientifique claire. Pourtant, la notion de prévisibilité signifie avoir une compréhension biologique claire, guidant l’acte chirurgical. Nous devrions utiliser et promouvoir des concepts ou des techniques avec ce seul objectif à l’esprit. Le traitement des récessions gingivales représente aujourd’hui un objectif important en dentisterie esthétique. Si le traitement des récessions au maxillaire est souvent guidé par des raisons esthétiques, les incisives mandibulaires doivent être diagnostiquées et traitées pour des raisons majoritairement fonctionnelles. La technique de tunnelisation est devenue très populaire. Comme le lambeau d’avancée coronaire, le tunnel a subi de nombreuses évolutions et améliorations au cours des années devenant une technique très complète et détaillée, connue sous le nom de Papillae free incision concept. Cette approche est à considérer comme particulièrement adaptée aux incisives mandibulaires.

La demande croissante des patients comme l’exigence des praticiens conduisent à l’augmentation des traitements de recouvrement des récessions à visée esthétique. Cependant, les incisives inférieures font l’objet d’une évaluation plus objective, où les indications pour traiter les récessions sont majoritairement liées à des raisons médicales et non esthétiques. Les critères de succès du traitement doivent inclure des critères autres que l’esthétique, tel que l’accessibilité aux mesures d’hygiène buccodentaire, la modification du phénotype ou encore la stabilisation de la situation.

Cette zone doit être abordée avec la même exigence mais en prenant en considération les spécificités anatomiques. La présence d’un phénotype fin associé aux spécificités anatomiques impose une manipulation rigoureuse du lambeau. Celui-ci doit faire l’objet d’une attention particulière concernant son élévation.

TUNNELISATION DANS LES ZONES MANDIBULAIRES, ÉVOLUTION ET CONCEPT

La technique de tunnelisation est une évolution des approches d’enveloppe qui a débuté en 1985, se définissant alors comme une chirurgie sans incisions verticales. La qualité des tissus mous et de l’esthétique a amené ces groupes à commencer à développer une approche où nous pouvons augmenter/corriger les déficiences des tissus mous et fournir des résultats esthétiques.

Décrite pour la première fois par Raetzke en 1985 [1], l’approche évitant les incisions papillaires était une approche esthétique. Celle-ci était associée à une vision biologique, avec la préparation du lambeau en épaisseur partielle privilégiant la vascularisation de la greffe. En effet, la greffe provenant du palais profond devait être en contact des deux côtés, avec le périoste et le tissu conjonctif, afin d’optimiser l’apport vasculaire.

Plus tard, en 1994, cette technique d’enveloppe a été améliorée par Allen [2] afin de traiter les récessions multiples.

Le terme « tunnel » a été introduit pour la première fois par Zabalegui et al. en 1999 [3], décrivant un tunnel continu reliant ces récessions. Ils proposent également une nouvelle technique de suture pour introduire le greffon dans cette préparation du tunnel buccal permettant de positionner la greffe dans la position souhaitée. Depuis lors, de nombreuses modifications ont été apportées.

Aziz et al. [4] en 2001 et Wachtel et al. [5] en 2006 ont développé des techniques de sutures qui ont commencé à être utilisées dans les tunnelisations à cette époque.

En 2007, Zuhr et al. [6] décrivent la technique microchirurgicale de tunnelisation modifiée qui consiste en la réalisation d’un lambeau muqueux vestibulaire d’épaisseur partielle.

Ce développement très important est permis par la création et l’utilisation d’instruments de microchirurgie comme les décolleurs à tunnel, les micro-instruments et les micro-lames. Grace à l’utilisation d’aides optiques et de ces outils, les résultats sont améliorés : diminution du trauma, facilité d’obtenir de la laxité et positionnement coronaire des tissus.

Zuhr et al. [7] décrivent alors la double-crossed suture, permettant d’atteindre plusieurs objectifs :

– avancement coronaire de l’ensemble du complexe (lambeau, greffe de tissu conjonctif et papille) ;

– établissement d’une relation d’intimité et de stabilité entre la greffe et le lit receveur, ce qui favorise une meilleure vascularisation et donc un apport sanguin amélioré de la greffe.

Cette publication a eu un impact clair sur le recouvrement de la récession radiculaire, favorisant une cicatrisation accélérée, une stabilisation plus prévisible de la greffe et une relation intime entre la greffe et le lit receveur, ce qui diminue l’espace du caillot.

À cette époque, la tunnelisation est combinée systématiquement à une greffe de tissu conjonctif sous-épithélial avec un prélèvement mono-incision comme publié par Hürzeler et Weng [8]. Différentes publications concernant le lambeau d’avancée coronaire ont montré que l’augmentation de l’épaisseur du lambeau augmenterait les chances de survie et que les tissus plus épais présenteraient de meilleurs résultats cliniques [9]. Cette hypothèse avait comme référence le fait que des lambeaux plus épais étaient associés à un réseau vasculaire plus stable.

Cortellini et Pini Prato [10] remarquent que la préparation du lambeau, l’épaisseur du lambeau, sa mobilité, la relation entre l’apport sanguin et la fermeture du site chirurgical ainsi que l’importance de ne pas avoir de tension sur le lambeau sont des facteurs essentiels pour assurer la circulation plasmatique et la prolifération capillaire, mais qu’il est nécessaire d’envisager une nouvelle conception de lambeau.

Plus important encore, nous devons comprendre que la conception du lambeau doit être planifiée et adaptée à chaque cas spécifique (figure 1).

Zucchelli et De Sanctis [11] introduisent une approche de préparation split-full-split (épaisseur partielle-pleine épaisseur-épaisseur partielle). Cette approche contemporaine en chirurgie plastique parodontale a été appliquée et adaptée à la technique de tunnelisation.

Ces procédures de lambeaux de tunnelisation représentent une des dernières modifications en matière d’approche chirurgicale.

Le développement des lames microchirurgicales pliables a permis une préparation moins traumatique, plus précise et rapide des tissus.

L’évolution a commencé avec la microlame qui a assuré une incision sulculaire propre, impossible à réaliser par la lame normale 15c. Puis les décolleurs à tunnel ont fait leur apparition. Ensuite, les décolleurs à tunnel ont évolué en lames flexibles comme la lame Spoon et, plus tard, la lame Viper (celle que nous choisissons le plus souvent pour les incisives inférieures).

Le dernier développement a été la lame à « spin 360° », la plus fine et la plus petite disponible sur le marché, qui nous assure aujourd’hui la possibilité de résoudre tous les cas dans la zone de l’incisive inférieure, quelle que soit l’épaisseur du tissu (figure 2).

Le bloc incisif mandibulaire est la zone la plus indiquée pour la technique de tunnelisation. En effet, en évitant la section de papille, on s’affranchit du risque de la perte de cicatrisation par intention primaire qui peut compromettre le résultat final [12].

La zone du col des papilles ne présente pas d’anastomoses ni avec la papille linguale ni avec la papille vestibulaire [13, 14]. Cette zone n’est vascularisée qu’à partir des vaisseaux capillaires du ligament parodontal et cela peut être la raison de ce faible apport sanguin. Cela plaide donc pour la procédure de tunnel dans cette zone étroite qu’est le bloc inférieur incisives-canines.

ÉPAISSEUR, RÉCESSIONS ET GREFFON

Dans la zone du bloc incisif mandibulaire, l’augmentation de hauteur mais surtout d’épaisseur du tissu kératinisé permet un meilleur pronostic à long terme de la dent.

Actuellement, avec la compréhension des différents types de tissu conjonctif disponibles dans le palais (palais antérieur, palais postérieur, tubérosité, palais antérieur profond, palais postérieur profond), le potentiel de prédisposition des greffes à différencier l’expression morphogénique est un facteur clé que nous pouvons utiliser en notre faveur.

Nous savons que la kératinisation de l’épithélium masticateur semble être génétiquement déterminée et contrôlée par des stimuli morphogénétiques inhérents du tissu conjonctif sous-jacent. Cela nous donne la possibilité de jouer avec la position et l’orientation des greffes et d’obtenir d’une façon prévisible une certaine expression morphogénique dans les tissus mous après la cicatrisation et en fonction de notre objectif pour chaque cas spécifique.

Préparation chirurgicale

Les deux facteurs principaux de l’apparition de récessions gingivales mandibulaires sont le trauma dans le brossage et l’inflammation gingivale induite principalement par l’accumulation de plaque.

Compte tenu de ces facteurs, avant l’intervention chirurgicale plastique parodontale, chaque patient reçoit des instructions sur la technique de Bass modifiée.

La mise en place de la technique de tunnelisation implique certaines étapes préalables. Le jour de l’intervention chirurgicale, avant l’anesthésie, le nettoyage professionnel est fait très soigneusement en utilisant simplement des coupelles en silicone et de la pâte à polir. Au niveau radiculaire, les éventuelles modifications et la préparation de la racine exposée s’effectuent avec des curettes de Gracey ou des fraises avant l’ouverture ou le décollement du lambeau.

L’utilisation du composite dans les espaces interdentaires comme ancrage doit être réalisée avant la chirurgie.

Cas clinique n° 1

Ce patient âgé de 20 ans, en bonne santé et avec une bonne hygiène dentaire, se présente au cabinet avec des récessions gingivales au niveau des incisives inférieures (figures 3 et 4). Ces récessions sont dues au trauma de brossage. L’adoption d’une nouvelle technique de brossage est souvent suivie d’un changement dans la topographie de la marge gingivale de ces récessions.

La préparation du tunnel s’effectue en épaisseur partielle (figures 5 et 6). Cela est rendu possible du fait de l’épaisseur des tissus.

La demande esthétique nous a conduit à relever le greffon dans la zone antérieure profonde du palais (figure 7) : on voit la greffe déjà en place attendant les sutures de compression à fixation coronaire (figure 8).

L’image (figure 9) montre les double-crossed suture avec une suture de traction coronaire fixée à la face vestibulaire des incisives.

Le résultat de cicatrisation à 15 jours (figure 10) montre l’impact direct de l’option « préparation en épaisseur partielle ».

Le contrôle est effectué à 3 mois (figure 11).

Discussion

Dans ce cas, le fait d’utiliser une approche en épaisseur partielle dans toute la préparation du tunnel est risquée, comme nous montre le résultat après 15 jours. Une option plus contemporaine de préparation mixte (partiel-total-partiel) aurait été plus prévisible (figure 12).

Le problème de vascularisation de la papille fait que les préparations en épaisseur partielle deviennent très risquées dans cette zone.

On observe, après 15 jours, une perte verticale de la papille qui se régénère à 3 mois. Grâce à un biotype gingival favorable, notre mauvaise décision clinique initiale n’a pas eu d’impact sur le résultat final.

L’option d’associer le double-crossed suture avec les sutures à la face vestibulaire des incisives a permis d’accroître le déplacement coronaire et de réduire la quantité de greffon exposée. Néanmoins, cette option n’est pas prévisible à cause de l’augmentation de l’espace entre le lambeau, le greffon et le lit receveur qui peut compromettre le résultat final.

Cas clinique n° 2

Ce patient de 46 ans rencontre des difficultés à maintenir un contrôle de plaque correct du fait des sensibilités présentes surtout au niveau de la dent 43 qui présente une récession gingivale après traitement orthodontique.

À partir des photos initiales, le tracé du lambeau est réalisé virtuellement. Il y a des zones où la préparation est partielle-totale-partielle et des zones où elle est uniquement totale-partielle (figures 13 et 14).

La lame spin 360° est utilisée pour l’incision intra-sulculaire (figure 15) ; elle est suivie de l’utilisation d’élévateur de papilles afin d’élever en épaisseur totale (figure 16). La finesse des tissus nécessite une grande prudence et une maîtrise chirurgicale (figure 17).

Au-delà de la ligne de réflexion muqueuse, la préparation en épaisseur partielle est très superficielle grâce à la lame de tunnel Viper (figure 18).

On prolonge toujours notre préparation sur une dent en plus de chaque côté au minimum. La dernière étape passe par l’élévation prudente de la base de la papille en épaisseur totale, afin de permettre l’élévation de la papille en direction coronaire. Ici, nous savons qu’une partie de la greffe restera exposée.

Nous avons positionné la partie plus profonde du palais en face du lambeau et la plus proche du raphé médian dans la partie plus coronaire (figure 19).

La figure 20 montre la fixation de la greffe avec les double-crossed suture.

La figure 21 présente le résultat à 1 mois.

Discussion

Un design du lambeau plus contemporain est utilisé dans ce cas clinique (figure 14).

Comme mentionné avant, la préparation du lambeau est bien définie avant la chirurgie. Nous devons prendre en considération la zone de la 43 : le lambeau est préparé avec au minimum 5 mm en épaisseur totale pour garder la vitalité de ce lambeau et augmenter ainsi la chance de survie de la partie de greffon exposée.

Laisser le greffon exposé est toujours une situation de compromis, sa capacité de survie dépendant notamment du potentiel de cicatrisation intrinsèque du patient.

Le résultat à 1 mois montre la bonne intégration du greffon et de la partie exposée du greffon.

CONCLUSION

La chirurgie plastique parodontale et plus précisement la correction des récessions gingivales ont connu d’énormes développements ces dernières années.

Les patients attendent des résultats esthétiques de plus en plus prévisibles avec le moins de trauma possible. Il faut donc connaître les concepts qui respectent la biologie et sont centrés sur les besoins du patient.

Le tunnel est une technique qui demande une compréhension biologique solide et nous recommandons absolument son utilisation. Il convient d’apporter du tissu conjonctif afin de modifier le phénotype [15].

Avec le développement des techniques de tunnelisation, différentes voies de préparation, de types de prélèvement ou de sutures sont apparues.

Il apparaît essentiel de noter que chacune possède ses indications et ses limites propres. Le chirurgien éclairé doit avoir conscience qu’aucun concept ne peut utiliser l’expression one size fits all.

Nous devons garder notre esprit critique et nous reposer sur les approches biologiques sans céder à la mode. Une connaissance approfondie des concepts validés doit appuyer notre choix au bénéfice des patients.

De nombreuses recherches concernant la chirurgie plastique parodontale sont encore nécessaires afin d’améliorer la prévisibilité et la reproductibilité de nos interventions.

BIBLIOGRAPHIE

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Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.