Clinic n° 04 du 01/04/2022

 

Chirurgie

Parodontale

Matthieu RIMBERT*   Ronan BARRÉ**  


*Ancien AHU, attaché au département de Parodontologie, Université Paul Sabatier, Toulouse. Exercice libéral, Toulouse.
**Attaché au département de Parodontologie, Université Paul Sabatier, Toulouse. Exercice libéral, Vic Fezensac.

La migration des tissus mous marginaux vers un point apical à la jonction amélo-cémentaire, appelée récession gingivale, favorise l’hypersensibilité dentaire et peut entraîner des altérations radiculaires dans la région cervicale. De plus, elle favorise l’inflammation locale en compliquant le brossage des dents et peut représenter un problème esthétique pour le patient [1].

La prévalence des récessions est plus élevée...


Résumé

La couverture radiculaire des récessions gingivales dans le secteur antérieur mandibulaire a une prévisibilité limitée. Les incisives mandibulaires offrent souvent un phénotype fin, un manque de tissu kératinisé et, de surcroît, un vestibule peu profond avec une attache haute du frein labial. Ces conditions induisent des tensions sur le site chirurgical dans les procédures conventionnelles de lambeau d’avancée coronaire (CAF) et peuvent compromettre la couverture radiculaire complète. Le but de ce rapport de cas est de présenter une nouvelle technique chirurgicale pour les récessions labiales profondes sur les incisives mandibulaires, fondée sur une technique de tunnel modifiée avec greffe de tissu conjonctif (CTG) en combinaison avec une frénuloplastie simultanée.

La frénuloplastie est une technique chirurgicale consistant en la réalisation d’une incision perpendiculaire au frein et horizontale. Cette incision se prolonge de part et d’autre du frein d’au moins 1 ou 2 dents. L’intérêt est de sectionner les fibres superficielles du frein. L’insertion profonde est réséquée de l’os lors de la réalisation du tunnel. Afin d’augmenter la profondeur du vestibule, cette incision est suturée verticalement. Le traitement des récessions antérieures mandibulaires profondes simples avec une approche CTG tunnelisée combinée à la frénuloplastie semble conduire à une couverture radiculaire complète à long terme en une seule chirurgie avec des résultats esthétiques durables.

La migration des tissus mous marginaux vers un point apical à la jonction amélo-cémentaire, appelée récession gingivale, favorise l’hypersensibilité dentaire et peut entraîner des altérations radiculaires dans la région cervicale. De plus, elle favorise l’inflammation locale en compliquant le brossage des dents et peut représenter un problème esthétique pour le patient [1].

La prévalence des récessions est plus élevée pour les incisives mandibulaires. Cela peut s’expliquer par la présence d’éléments iatrogènes, des traumatismes mécaniques mais aussi des facteurs anatomiques prédisposants qui sont souvent présents dans la région mandibulaire antérieure [2]. Ainsi, un phénotype parodontal mince avec un manque de tissu kératinisé ou un frein labial haut avec un vestibule peu profond ont été suggérés comme facteurs aggravants [3].

Dans le large éventail de possibilités chirurgicales pour traiter les récessions gingivales isolées, le lambeau d’avancée coronaire (CAF) associé à la greffe de tissu conjonctif sous-épithélial (CTG) est soutenu par la littérature comme la meilleure option pour obtenir une couverture radiculaire complète [4]. Mais la situation est souvent plus compliquée dans la région mandibulaire antérieure à cause d’une profondeur vestibulaire limitée et d’un manque de tissu kératinisé au niveau du site chirurgical.

Cela entraîne une augmentation de la tension sur le site par la traction des structures sous-jacentes après la traction du tissu coronal [5]. Cela peut expliquer un résultat de recouvrement complet inférieur pour les incisives mandibulaires par rapport aux autres dents [6].

Dans les cas de vestibule peu profond, l’option la plus sûre pour obtenir une couverture radiculaire complète est classiquement de procéder en deux temps chirurgicaux. D’abord une greffe gingivale libre suivie, après une cicatrisation complète du site, d’un second temps chirurgical avec un CAF [7]. Ce protocole présente deux inconvénients majeurs, une morbidité accrue pour le patient du fait du second temps chirurgical et des résultats esthétiques douteux du fait de la différence d’aspect du greffon gingival provenant du site de prélèvement palatin [8] (figure 1).

Afin de limiter la morbidité des patients et dans le but d’obtenir les résultats les plus esthétiques, cet article présente une nouvelle technique chirurgicale combinée pour les récessions gingivales labiales profondes sur les incisives mandibulaires, en particulier en présence d’un vestibule peu profond et d’un frein haut. Cette technique repose sur une CTG tunnelisée complétée par une frénuloplastie locale en un seul temps opératoire.

PRÉSENTATION CLINIQUE

La présentation de ce cas clinique a été faite en respectant les recommandations CARE. En 2014, une femme de 20 ans en bonne santé a été référée à notre cabinet dentaire avec une récession buccale isolée RT1 (dans la classification de Cairo [9]) sur la dent 31. Les facteurs aggravants locaux comprenaient une inflammation marginale, un vestibule peu profond et une insertion élevée du frein labial. Aucun signe d’altération cervicale n’a été observé. Cette jeune patiente ne fumait pas et n’avait aucun antécédent de maladie parodontale. Elle se plaignait d’une hypersensibilité de la dent et s’inquiétait des résultats esthétiques. La profondeur de la récession de la jonction cémento-émail au bord gingival était de 4 mm, tandis que la largeur de la récession était de 2,5 mm (figure 2). Le sondage parodontal a confirmé l’absence de perte d’attache interproximale. La stratégie thérapeutique comportait une séance de prophylaxie dentaire avec des consignes spécifiques d’hygiène bucco-dentaire 1 mois avant l’intervention. Les options de traitement ont été discutées et la patiente a signé le formulaire de consentement.

PROTOCOLE CHIRURGICAL

Après infiltration d’anesthésie locale (articaïne adrénaline 1:100 000), une goutte de résine composite a été déposée et photopolymérisée sur chaque point de contact de la dent 31 pour permettre l’ancrage coronaire des sutures suspendues. Un surfaçage radiculaire a ensuite été réalisé à l’aide d’un appareil à ultrasons avant de préparer un lambeau tunnelisé de pleine épaisseur à l’aide d’une lame microchirurgicale spécifique (Lame Viper SB004, MJK instruments) et de couteaux à tunneliser (TKN1X, TKN2X, Hu-Friedy). La préparation du lit receveur s’étendait latéralement de chaque côté de la récession jusqu’aux dents adjacentes sur une distance au moins supérieure à la largeur de la récession, 4 mm en l’occurrence. La préparation a ensuite progressé coronairement et lingualement entre les dents adjacentes pour permettre l’élévation des papilles. Enfin, la préparation a été complétée jusque 2 mm au-delà du rebord osseux alvéolaire au niveau de la limite inférieure du tunnel (figure 3).

Un CTG sous-épithélial a ensuite été prélevé du palais en utilisant une technique d’incision unique [10]. Le CTG doit être plus grand et au moins 3 fois plus large que la récession. Une greffe de 1 mm d’épaisseur, 4 mm de hauteur et 10 mm de largeur a été obtenue et laissée dans du sérum physiologique pendant l’hémostase du site donneur (figure 4).

Le site de prélèvement a été stabilisé avec des sutures en matelassier croisé externes (monofilament non résorbable 6-0 Seralene, Serag & Wissner) et une plaque palatine thermoplastique a été placée au maxillaire pour protéger le site de prélèvement au moins 48 heures. Ensuite, le greffon a été inséré sous le tunnel et fixé avec des sutures en matelassier internes (monofilament non résorbable 6-0 Seralene) de chaque côté du lit receveur. Une suture verticale double croisée (monofilament non résorbable 6-0 Seralene) a été réalisée sur chaque papille de la dent 31 pour faire avancer le lambeau coronairement sur la jonction amélo-cémentaire [11]. Comme la traction coronaire du lambeau a encore diminué la profondeur du vestibule, nous avons complété la chirurgie avec une frénuloplastie concomitante pour réduire les tensions au niveau du site opératoire. Une seule incision a été soigneusement pratiquée avec une lame chirurgicale 15C profondément le long du milieu du vestibule restant en respectant le tunnel suturé (figure 5).

Sous le niveau du tunnel, les fibres d’insertion du frein ont ensuite été coupées pour libérer toute tension persistante (figure 6). Après dissection, la plaie du frein a été suturée de labial en lingual avec des points simples en O (figure 7).

Pendant 2 semaines, le patient avait pour consigne d’effectuer un balayage doux avec une brosse à dents extra-souple (post-opératoire 6,5/100 Inava, Pierre Fabre Oral Care) sur les points de suture après chaque repas et d’appliquer un gel de chlorhexidine (Elugel, Pierre Fabre Oral Care) juste après. Les sutures ont été enlevées après 2 semaines.

RÉSULTATS CLINIQUES

Pendant 2 semaines jusqu’au retrait des points de suture, aucune douleur ni inconfort n’a été signalé. La patiente a été rappelée pour un examen clinique à 6 mois, 1 an et 5 ans après l’intervention.

La couverture radiculaire s’est avérée complète et stable sur cette période de 5 ans et l’aspect esthétique a entièrement satisfait la patiente (figure 8). Une gencive attachée stable de 4 mm de large sans traction du frein a été obtenue et la patiente n’était plus hypersensible.

DISCUSSION

Les conditions locales spécifiques dans la région antérieure de la mandibule rendent le recouvrement complet des récessions gingivales profondes très difficile [5, 12]. Les paramètres locaux défavorables incluent l’insertion élevée du frein et l’absence de gencive kératinisée stable associée à un vestibule peu profond [8]. Dans le CAF conventionnel avec greffe conjonctive, obtenir une bonne stabilité du lambeau sans tension tissulaire est très difficile lorsque ces facteurs sont présents. Par conséquent, la couverture complète des racines dans ces situations est difficile à prévoir. Différentes propositions chirurgicales sont discutées dans la littérature pour résoudre ce problème, la technique la plus reproductible étant une procédure en deux étapes avec d’abord une greffe gingivale libre suivie d’un CAF après la cicatrisation de la greffe [4, 8]. Cette solution satisfait l’aspect fonctionnel du problème avec un gain de tissu kératinisé stable et une couverture prévisible mais elle n’est pas idéale esthétiquement en raison de l’aspect de surface du greffon palatin [8]. De plus, cette procédure nécessite deux interventions chirurgicales et une seule étape réduirait la morbidité pour les patients.

Depuis quelques années, une nouvelle technique chirurgicale est apparue, le tunnel fermé latéralement avec CTG sous-épithélial [13, 14]. Les résultats obtenus répondent aux exigences fonctionnelles et esthétiques dans la grande majorité des cas. Néanmoins, en cas de vestibule peu profond, la chirurgie ne modifie pas son anatomie, ce qui entraîne souvent des tensions importantes sur le lambeau et rend difficile le recouvrement complet de la récession [14]. L’exposition d’une partie marginale du CTG peut être une solution mais cela affecterait négativement l’apport vasculaire dans cette zone et les études montrent un gain de tissu kératinisé mais moins de recouvrement dans de telles situations [12]. Plus récemment, la combinaison d’un lambeau pédiculé avec une technique de tunnel a été décrite mais le déplacement latéral de la gencive pédiculée, en plus d’être techniquement difficile, nécessite d’avoir une quantité de gencive latérale à la récession, ce qui est rarement le cas lorsque le vestibule est peu profond [15].

La technique chirurgicale du tunnel combiné présentée dans cet article permet une couverture complète du CTG et assure ainsi une vascularisation optimale, même avec des phénotypes parodontaux fins et un vestibule peu profond. La frénuloplastie concomitante permet une cicatrisation sans tension mais agit également comme un approfondissement du vestibule en isolant le site de greffe du tissu sous-muqueux labial. Zucchelli et al. ont montré en 2014 que l’ablation du tissu sous-muqueux lors de la chirurgie CAF avec CTG permet une meilleure couverture radiculaire et des résultats plus esthétiques dans le traitement des récessions gingivales affectant les incisives inférieures [12]. Notre nouvelle technique permet une modification anatomique similaire avec modification des tissus sous-muqueux et apicalisation du frein, ce qui favorise la stabilité du site chirurgical. Cette technique permet donc d’envisager des résultats similaires.

CONCLUSION

Dans les limites de ce seul rapport de cas, la nouvelle technique présentée permet une couverture radiculaire complète et stable à long terme en une seule chirurgie pour le traitement d’une seule récession profonde de la mandibule antérieure, même avec un vestibule peu profond. D’autres recherches et études comparatives seront nécessaires pour étayer les résultats cliniques.

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Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt.