Clinic n° 04 du 01/04/2022

 

Dentisterie

Restauratrice

Clara RAMEL PUJADAS*   Alix DEVICTOR**  


*Membre de BioTeam Marseille, Exercice libéral, Marseille.
**Ancien assistant des hôpitaux de Marseille,
***Membre de BioTeam Marseille, Exercice libéral, Marseille.

La présence de diastème ou trou noir antérieur peut constituer à la mandibule un motif de consultation pour raison esthétique. Source de gêne occasionnant des bourrages alimentaires récurrents, ces zones sont aussi sources de facteurs de risques parodontaux.

Ce défaut peut se rencontrer aussi bien chez les patients jeunes que chez les patients plus âgés [1]. Parmi les principaux facteurs associés, on retrouve : une microdontie...


Résumé

Diastèmes et triangles noirs en zone antérieure mandibulaire engendrent fréquemment des doléances esthétiques chez nos patients et constituent un motif récurrent de consultation. Dans cette zone parondontalement très sensible, récessions gingivales et migrations dentaires secondaires sont souvent observées. Ces phénomènes sont amplifiés par une morphologie incisale défavorable, étroite et triangulaire. Grâce aux progrès permanents des biomatériaux, les résines composites constituent un matériau de choix pour restaurer durablement l’esthétique de ces zones, avec un coût tissulaire minimal. Dans cet article seront présentés deux cas cliniques de restauration directe, mettant en œuvre des approches différentes mais avec un objectif commun : la réalisation d’un traitement conservateur, simple et reproductible.

La présence de diastème ou trou noir antérieur peut constituer à la mandibule un motif de consultation pour raison esthétique. Source de gêne occasionnant des bourrages alimentaires récurrents, ces zones sont aussi sources de facteurs de risques parodontaux.

Ce défaut peut se rencontrer aussi bien chez les patients jeunes que chez les patients plus âgés [1]. Parmi les principaux facteurs associés, on retrouve : une microdontie ou agénésie, un mauvais positionnement lingual lors de la déglutition, une usure importante avec égression du bloc mandibulaire, un biotype parodontal fin, une mauvaise santé parodontale, la présence de récessions du volume gingival ainsi que la géométrie triangulaire des dents.

Si les diastèmes peuvent être pris en charge de manière ultraconservatrice et efficace à l’aide d’un traitement orthodontique [2], cette solution n’est pas pour autant toujours adaptée aux triangles noirs. En effet, dans ce cas précis, il faudrait au préalable modifier la ligne de plus grand contour de ces dents triangulaires en réalisant des strippings afin de les rendre rectangulaires. Les incisives mandibulaires ayant de nature une forme plus grêle que leurs homologues maxillaires, cette perte tissulaire même guidée pourrait les rendre trop étroites et ainsi perturber l’harmonie du sourire.

Les facettes et chips en céramique constituent une alternative thérapeutique de choix mais elles nécessitent un technicien de laboratoire de qualité. De plus, leur préparation pour que le geste soit minimalement invasif implique un degré d’expertise non négligeable. Enfin, leur coût financier n’est pas forcément accessible à tous nos patients.

Ainsi, les traitements biomimétiques restaurateurs employant les résines composites (RC) en méthode directe (utilisés seuls ou associés à des traitements pluridisciplinaires) constituent une thérapeutique de choix dans le traitement des diastèmes et trous noirs mandibulaires [3] en respectant le principe du gradient thérapeutique [4]. Ceci est possible grâce à l’avancée de la dentisterie restauratrice qui nous offre des systèmes adhésifs, RC et instruments de matriçage de plus en plus perfectionnés [5].

ÉTIOLOGIE

Avant de débuter notre traitement, il est impératif de réaliser une anamnèse précise et détaillée du patient : antécédents orthodontiques, bilan parodontal, facteurs iatrogènes, facteurs locaux. Par la suite, un bilan clinique détaillé comprenant photographies, clichés rétro-alvéolaires et analyse occlusale sera proposé.

À l’issue de cette analyse et après avoir écouté les doléances du patient, un projet numérique (smile design) ou physique (mock-up) peut être envisagé afin de prévisualiser le résultat final et valider la thérapeutique choisie.

INTÉRÊTS DES COMPOSITES INJECTÉS

L’utilisation de RC pour fermer des embrasures ou diastèmes est une technique fiable et éprouvée depuis de nombreuses années. Dans la zone mandibulaire, son intérêt biomécanique est d’autant plus important que cette zone est soumise à de nombreuses contraintes occlusales lors de la fonction (mastication, phonation, facteurs locaux). Ces modifications ou réajustements sont simplifiés avec l’utilisation de résine composite par rapport aux restaurations adhésives céramiques (RAC).

Néanmoins, souvent dite trop chronophage, peu prédictible et avec parfois un résultat final en demi-teinte pour le patient, l’utilisation de RC est souvent délaissée au profit des RAC par le clinicien.

Les techniques restauratrices contemporaines nous permettent de rationnaliser l’utilisation des RC de manière fiable. Parmi ces méthodes, l’injection moulding technique constitue une avancée majeure pour épauler le praticien dans sa quête de thérapeutiques prévisibles et reproductibles.

La paternité de la méthode d’injection revient probablement au Dr Goldstein [6, 7] mais elle trouvera ses lettres de noblesses au travers des protocoles décrits par le Dr Terry [8, 9]. Cette technique réduit une grande partie de l’anxiété liée à l’utilisation des RC en éliminant la phase de sculpture de la morphologie dentaire [10].

Deux principales méthodes d’injection sont à ce jour décrites dans la littérature :

– le moulage de la RC à l’aide de matrices sectorielles anatomiques transparentes. Cette méthode promue par le Dr David Clark peut faire appel à un mélange de RC conventionnelles réchauffées et de résines fluides ou de résines fluides seules ;

– l’injection d’une résine fluide à travers une clé en silicone translucide.

L’utilisation de matrices optimise la réalisation des profils d’émergence et des contacts interproximaux, au détriment de la face vestibulaire ; elle sera donc préférée quand il n’y pas de problèmes de non-alignements dentaires associés.

À l’inverse, les clés translucides permettent de corriger plus aisément les problèmes de légers non-alignements mais avec une gestion plus délicate des surfaces proximales.

MISE EN SITUATION CLINIQUE

Cas clinique n° 1

Pour améliorer l’apparence de ses incisives mandibulaires (figure 1), cette patiente de 48 ans a choisi une solution en RC directe.

Le choix de la couleur est effectué par la méthode du bouton (plusieurs plots de RC sont photopolymérisés in situ sur la dent de manière à orienter le choix de la masse à employer). Une fois la résine la plus intégrée visuellement identifiée (G-ænial injectable A1, GC Europe), les dents sont isolées par une feuille de digue apicalisée par deux crampons dédiés aux incisives étroites (Hygienic B4). L’apicalisation du champ opératoire est ici indispensable pour placer idéalement les matrices et recréer ainsi des profils d’émergence esthétiques et compatibles avec l’accès aux techniques d’hygiène dentaire.

Les surfaces dentaires sont ensuite conditionnées. La séquence débute par un nettoyage soigneux pour éliminer les résidus de tartre, suivi par un sablage à l’oxyde d’alumine 50 microns (AquaCare Velopex) et par un mordançage à l’acide orthophosphorique pendant 30 secondes. Le système adhésif est ensuite appliqué (figure 2).

Deux matrices anatomiques (Bioclear DC - 203, Diastema, Bisico) sont insérées et stabilisées en cervical dans l’invagination du champ opératoire (figure 3).

Une fois les matrices correctement positionnées et stables, l’adhésif est photopolymérisé.

On peut alors injecter la RC (figure 4) qui sera polymérisée au travers des matrices transparentes (figure 5).

Le même procédé est ensuite effectué pour combler l’espace en mésial des dents 31 et 41.

Alors que les surfaces interproximales n’ont besoin que de très peu d’attention, les faces vestibulaires doivent faire l’objet d’une finition soigneuse à l’aide de disque de granulométrie fine (Optidisc, Kerr) puis d’un polissage (Komet KompoLine Spirale) afin de donner des surfaces lisses, garantes de la pérennité du résultat et du confort de nos patients.

Un contrôle est effectué 1 semaine après (figure 6) et, malgré de subtils défauts de surfaces, les restaurations comblent aisément les attentes de la patiente.

Cas clinique n° 2

Il s’agit ici d’une jeune femme de 25 ans insatisfaite de l’esthétique de ses dents. L’examen clinique a révélé une microdontie associée à des agénésies et de légers défauts d’alignement (figure 7).

Cette patiente, soucieuse du devenir de ses dents au fil du temps, souhaite améliorer son sourire de façon conservatrice avec un traitement compatible avec ses revenus financiers limités.

La technique de la RC injectée au travers d’une clé transparente est ici retenue.

Premier rendez-vous

Nous réalisons un bilan photographique associé à une prise d’empreintes numériques des deux arcades.

La prise de notes de l’ensemble des informations nécessaires à l’élaboration d’un projet esthétique est réalisée.

Étapes de laboratoire

Le wax-up en accord avec le projet esthétique est réalisé par le laboratoire et validé par le clinicien (figure 8). Une attention particulière sera apportée à la finition des embrasures et limites cervicales.

Dans un second temps, après isolation du modèle, une clé en silicone transparent (Exaclear, GC) est réalisée sur une épaisseur d’environ 4 mm. Le silicone est lissé le plus uniformément possible.

Puis le modèle est placé dans une machine de dépressurisation sous vide pendant 5 minutes pour éviter l’incorporation de bulles.

Une fois le cycle terminé, l’ensemble est placé dans une thermoformeuse sous vide et une plaque d’acétate de 1 mm (Erkodur, Erkodent) est pressée en couvrant la clé silicone et les dents adjacentes.

Ceci a pour but de faciliter la mise en place de la clé de manière précise et reproductible et d’éviter d’éventuelles déformations du silicone lors de l’injection de la RC fluide [11].

Des fraises rotatives sont utilisées pour réaliser des orifices calibrés selon le diamètre de l’embout d’injection de la RC sélectionnée. L’ensemble est ensuite découpé et soigneusement ajusté en évitant les contre-dépouilles (figure 9).

Deuxième rendez-vous

Nous réalisons la phase « d’injection » à proprement parler.

Pour cette deuxième étape, l’utilisation de RC fluide nouvelle génération est préconisée [11] afin d’obtenir des restaurations esthétiques, solides et réalistes. Ces nouvelles RC, nano-chargées, permettent une meilleure longévité du polissage, une meilleure maniabilité et une résistance élevée [12, 13]. Après essayage de la clé en bouche (figure 10), un sablage humide à l’oxyde d’alumine 50 microns est réalisé afin d’éliminer la plaque dentaire et de préparer les surfaces amélaires au collage (figure 11). Un champ opératoire de type OptraGate est ensuite placé en bouche.

Chaque dent en quinconce est isolée en appliquant une bande de téflon (Isotape, TDV). Il est important de ne pas injecter simultanément sur deux dents adjacentes car cela rendrait impossible la finition des faces proximales et l’individualisation des dents. La principale difficulté de cette technique réside dans l’accès et la qualité de la finition des points ou surfaces de contact. La stratégie adoptée est ici de traiter en premier lieu 33/43 en isolant 32/42, puis de traiter 32/41 en isolant 31/42 et, enfin, 31/42 en isolant 32/41.

Un acide phosphorique à 35 % est déposé sur l’émail pendant 30 secondes (Ultra-Etch, Ultradent) puis les surfaces dentaires sont rincées et séchées à l’air sec (figure 12).

Le système adhésif type MR3 (All-Bond 2, Bisico) est appliqué activement pendant 20 secondes et légèrement séché à l’air pour éliminer les excès. La couche adhésive est ensuite photopolymérisée pendant 20 secondes (figure 13).

Une RC fluide hautement chargée (taux de charge de 69 % en poids) (G-ænial Universal Flow BW, GC) est sélectionnée pour notre patiente.

La clé en silicone transparente est alors placée en bouche pour venir en contact intime des surfaces à restaurer. L’embout de la seringue de RC fluide est ensuite inséré au travers des perforations créées sur la face vestibulaire puis le composite est injecté sous pression jusqu’à combler entièrement le volume des restaurations (figure 14). Cette étape importante est facilement contrôlable visuellement au travers de la clé translucide.

La RC est ensuite polymérisée d’abord en linguale puis en vestibulaire pendant 20 secondes (figure 15). Après désinsertion de la clé en silicone, la photopolymérisation des restaurations est renouvelée 20 secondes par face, sous gel de glycérine.

Un pré-polissage est effectué sur les restaurations, évitant ainsi l’adhérence des RC injectées secondairement sur les autres dents à traiter.

Les excédents de matériaux sont retirés à l’aide d’un scalpel muni de lame 12 et 15c (figure 16) et les surfaces interproximales sont soigneusement finies à d’aide de strips abrasifs de granulométrie fine (Optidisc, Kerr) et de systèmes de polissage (Komet KompoLine Spirale).

Les restaurations fraîchement exécutées sont maintenant isolées par de nouvelles bandes de téflon.

Le repositionnement précis et passif de la gouttière d’injection est vérifié puis la procédure est répétée sur les dents n’ayant pas encore été restaurées (figure 17).

La séance se termine par un ajustement occlusal et un polissage méticuleux (figure 18). Sur les parodontes les plus affaiblis, une contention peut être envisagée pour maintenir dans le temps le résultat obtenu.

CONCLUSION

Pendant longtemps, seules les RAC étaient des options considérées comme appropriées pour solutionner les préjudices esthétiques inhérents aux diastèmes et triangles noirs. De nos jours, le développement des RC et des méthodologies en dentisterie opératoire permet de proposer à nos patients des traitement fiables et moins invasif en technique directe.

La préservation de tissus dentaires sains est ainsi rendue optimale et répond en particulier à la demande de nos jeunes patients.

Cependant, souvent chronophages et difficiles à mener, les restaurations plurales en composite directes sont souvent délaissées par les praticiens. Les méthodes injectées viennent épauler le chirurgien-dentiste avec une réduction substantielle de la sensibilité à la technique et du temps au fauteuil pour des résultats précis et prévisibles.

Concernant la méthode d’injection à travers un guide en silicone, l’élément clé est l’élaboration du projet esthétique et sa réalisation par le laboratoire. La précision de la clé réduira alors a minima les finitions et ajustement occlusaux. Les résultats à long terme de ces méthodes restent à déterminer ; pour autant, les résultats cliniques obtenus au cours des dernières années semblent prometteurs.

Les auteurs tiennent à rappeler que la technique d’injection de RC ne peut pas rivaliser esthétiquement avec les méthodes stratifiées mais qu’elle constitue une alternative intéressante aux avantages de prédictibilité indéniables.

BIBLIOGRAPHIE

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Lien d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.

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