CBCT ET ENDODONTIE : DU FONCTIONNEMENT AUX INDICATIONS, DES RECOMMANDATIONS AUX OBLIGATIONS MÉDICO-LÉGALES
Endodontie
Ancien attaché de l’Université de Paris, Postgraduate en Endodontie à ACTA, Amsterdam, Exercice limité à l’Endodontie, Paris et Amsterdam.
Depuis son apparition sur le marché européen il y a déjà bientôt 24 ans, la tomographie volumique à faisceau conique, plus communément désignée par CBCT (Cone Beam Computed Tomography), est devenue un outil incontournable de la dentisterie moderne, quelle que soit la discipline. En endodontie, son utilisation s’est progressivement répandue et a fait l’objet de recommandations. Dépassant certaines limitations de la radiographie conventionnelle, la radiographie en trois...
Cet article s’intéresse aux spécificités de l’utilisation du CBCT en endodontie ainsi qu’aux éléments cliniques, législatifs et administratifs. Les paramètres ne pouvant être calqués sur les CBCT réalisés en implantologie, une irradiation ciblée et de plus haute résolution est de mise en endodontie. À l’heure où la réglementation et la technologie sont en constante évolution, il incombe au chirurgien-dentiste prescripteur et réalisateur d’imagerie de maîtriser les indications cliniques, les modalités de remboursements et ses obligations médico-légales. Les principaux points à retenir : primauté du principe ALARA (la plus petite dose possible d’irradiation), préférence pour le plus petit champ possible (par exemple : 4 cm × 4 cm), augmentation de la résolution, réalisation obligatoire d’un compte-rendu par le réalisateur du CBCT, respect du RGPD lors de l’envoi du CBCT par voie numérique, augmentation prévue des contrôles par l’Assurance maladie.
Depuis son apparition sur le marché européen il y a déjà bientôt 24 ans, la tomographie volumique à faisceau conique, plus communément désignée par CBCT (Cone Beam Computed Tomography), est devenue un outil incontournable de la dentisterie moderne, quelle que soit la discipline. En endodontie, son utilisation s’est progressivement répandue et a fait l’objet de recommandations. Dépassant certaines limitations de la radiographie conventionnelle, la radiographie en trois dimensions permet d’affiner les éléments diagnostiques et anatomiques dans le but d’optimiser la prise en charge en thérapeutique. Son usage est toutefois réglementé et les chirurgiens-dentistes doivent savoir poser les bonnes indications et connaître les obligations médico-légales qui en découlent. Face à une volonté accrue de l’Assurance maladie de contrôler son usage [1], il est aujourd’hui nécessaire d’en connaître autant le fonctionnement que les indications ainsi que les réglementations.
Le CBCT implique une rotation unique d’une source de rayons X à faisceau conique et de son capteur autour du patient. Pendant l’exposition, des centaines d’images sont acquises sur un champ de vue (petit, moyen ou grand). Les données enregistrées par le capteur sont alors analysées et reconstruites grâce à un algorithme permettant la création d’un volume de données, dont l’unité est le voxel, qui peut être visualisé dans les 3 plans de l’espace (axial, coronal et sagittal) [2]. La qualité de l’image obtenue par ces volumes dépend donc en grande partie de la qualité du capteur et de l’intensité des rayons X. En endodontie, ces paramètres prennent toute leur importance afin de pouvoir correctement visualiser l’anatomie canalaire. Le rayonnement doit être relativement intense afin d’augmenter la résolution spatiale (capacité d’un système à discerner deux petites structures proches) et en contraste (capacité de distinguer des densités proches) de l’image. Le capteur doit être bien calibré, de résolution haute (environ 75 microns) [3] avec une chaîne de transmission permettant de traiter les artefacts.
L’usage du CBCT est en nette augmentation ces dernières années [1]. Cela se manifeste par une augmentation des publications et des recommandations de différentes autorités et sociétés scientifiques à travers le monde autour de son usage (HAS [4], Association américaine d’endodontie, Académie américaine de radiologie orale et maxillofaciale [5], Société européenne d’endodontologie [6]).
Le CBCT ne peut être envisagé en endodontie qu’après un examen clinique et radiographique conventionnel. Le consentement doit être obtenu auprès des patients et l’évaluation coût/bénéfice/risque doit avoir lieu notamment pour les enfants et les adolescents qui sont plus susceptibles aux risques liés à l’irradiation [7]. Si les informations obtenues avec une radiographie conventionnelle (rétro-alvéolaire avec angulateur et incidence décalée) ne sont pas suffisantes pour obtenir un diagnostic, le CBCT peut alors être envisagé. Il est important de noter que l’Assurance maladie ne considère pas la facturation d’un CBCT justifiable sans consultation et radiographie conventionnelle préalable [4].
Les indications recommandées pour un CBCT en endodontie sont [6] :
– la détection de lésions péri-apicales non visibles en radiographie conventionnelles quand les signes et symptômes sont présents ;
– l’évaluation et la gestion d’un traumatisme dento-alvéolaire (notamment pour les fractures alvéolaires osseuses) qui ne peuvent être évaluées avec une radio conventionnelle ;
– l’appréciation d’une anatomie canalaire complexe avant traitement endodontique (ex. : dens invaginatus, anatomie anormale…) (figure 1) ;
– le retraitement canalaire de dents avec des racines non traitées et/ou des complications (ex. : perforation, stripping, fausse route…) (figures 2 et 3) ;
– l’évaluation et la gestion de résorptions externes ou interne qui semblent traitables cliniquement (figures 4 à 6) ;
– l’évaluation pré-chirurgicale pour une microchirurgie endodontique (figures 7 et 8) ;
– la détection de canaux oblitérés avec ou sans guide endodontique (figure 9) ;
– la détection de changement osseux péri-apical ou d’autres changements indicatifs de fractures radiculaires.
Bien que cette liste ne soit pas exhaustive, on note l’absence des fractures radiculaires verticales. Elles ne constituent pas une indication en raison de la difficulté à les observer radiographiquement, notamment sur les dents déjà traitées au niveau endodontique [8]. La présence de gutta-percha et/ou de tenons cause des artéfacts trop importants pouvant empêcher une lecture correcte. Dans le cas de dents non traitées ou si la gutta et/ou le tenon ont été déposés, la détection devient plus simple. Mais, à nouveau, la facilité de lecture peut également dépendre du type de machine (figure 10). D’autres éléments nous orientent vers la probabilité de diagnostic de fractures radiculaires : sondage parodontal profond ponctuel, ostium fistulaire, racines mésiales de molaires mandibulaires, premières prémolaires maxillaires, image radio-claire péri-radiculaire en doigt de gant remontant le long des racines…
La présence de gutta-percha et/ou de tenon dans la dent à analyser constitue une limitation majeure à correctement évaluer avant la pose d’une indication de CBCT.
Un CBCT doit être justifié et doit pouvoir améliorer ou modifier le traitement. Les études montrent que le diagnostic après lecture du CBCT change dans 40 % des cas [9] et le traitement dans 50 % des cas [10]. On ne pourrait justifier un CBCT dans le cas d’une dent que l’on sait déjà condamnée à être extraite. Le CBCT nous apportera toujours plus d’information mais cette information doit avoir sa pertinence pour notre diagnostic et notre thérapeutique. Bien qu’une certaine efficacité diagnostique semble évidente, celle-ci n’est pas encore parfaitement scientifiquement établie en endodontie [11].
Un principe fondateur en radiologie est le principe ALARA (As Low As Reasonably Achievable), se traduisant par « aussi bas que raisonnablement possible ». Il s’agit d’un principe d’optimisation de l’image radiographique : il convient au praticien d’évaluer quelle est la dose la plus faible permettant d’avoir l’image nécessaire pour son diagnostic [7].
Réaliser le même type de CBCT en endodontie, implantologie, chirurgie orale ou orthodontie n’est pas envisageable. En effet, distinguer un plancher sinusien, une canine incluse ou le nerf alvéolaire inférieur ne demande pas les mêmes précision et résolution que la visualisation d’un canal oblitéré.
Trois paramètres sont à considérer : le champ de vue, la résolution et le dosage [2].
• Le champ de vue (ou d’irradiation) du CBCT se définit comme le volume traversé par les rayons X et analysé lors de la détection. Celui-ci doit être le plus petit possible en endodontie (inférieur à 5 cm × 5 cm). La diminution du champ entraîne la baisse de la dose de radiations reçue par le patient et augmente aussi la résolution de l’image obtenue. Par exemple, il est inutile de pouvoir visualiser le plancher sinusien sur un CBCT si l’élément à analyser est une molaire mandibulaire. Le praticien réalisateur du CBCT est responsable de la détection de toute anomalie visible sur la totalité du CBCT. La diminution du champ permet ainsi de diminuer le champ d’analyse à réaliser et le risque de passer à côté d’une quelconque anomalie.
• La résolution spatiale se définit comme la qualité de l’image que l’on souhaite obtenir. Ce paramètre est directement dépendant de l’intensité des rayons X. Il doit être optimisé également en utilisant la taille de voxel la plus petite possible. Idéalement, celle-ci ne doit pas dépasser 200 µm (0,2 mm), ce qui correspond à la taille du ligament parodontal, afin de distinguer des modifications pathologiques.
• La dose d’irradiation inhérente à la réalisation d’un CBCT reste faible comparativement à d’autres examens médicaux mais dépasse significativement les doses de radiographie dentaire conventionnelle [12] (tableau 1). Le dosage est dépendant du temps d’exposition, du champ de vue et de la résolution souhaitée par l’opérateur. Le réglage de la résolution et du champ de vue permet de limiter la dose d’irradiation reçue par le patient afin de répondre au principe ALARA. Un champ inadapté et une résolution trop faible irradient inutilement le patient. Il en résulte alors un examen inexploitable à des fins endodontiques et une irradiation injustifiable pour le patient.
Malheureusement, ces paramètres sont très souvent dépendants de la machine utilisée. Certaines machines hybrides (qui servent simultanément pour la radio panoramique et le CBCT) n’ont pas de capteur ou de source d’assez bonne qualité pour les examens à visée endodontique. Il est donc primordial de s’en informer avant prescription (par le chirurgien-dentiste ou le radiologue), au risque d’irradier le patient pour des données non exploitables. Les machines où le patient est en position assise offrent souvent des images de meilleure qualité en raison de l’immobilité du patient diminuant ainsi les flous [14].
Un rapport publié en juillet 2020 par l’Assurance maladie prévoit une plus forte régulation du recours au CBCT à partir de 2021 (en raison de la cotation sous les conditions de la CCAM) : 760 000 cotations CBCT à l’assurance maladie (LAQK027) ont été comptabilisées en 2018 pour un total de 55 millions d’euros dont près de 60 % réalisées par des chirurgiens-dentistes [1]. Le rapport note que le poids économique de l’acte a doublé entre 2015 et 2019. Les régulateurs prévoient donc de mieux contrôler la cotation de cet acte. Il convient donc à chacun et chacune de bien connaître ses obligations et conditions à la cotation du CBCT :
– obligation d’une formation spécifique à la réalisation du CBCT ;
– obligation d’un examen clinique préalable et d’une justification écrite de la réalisation du CBCT ;
– obligation de rédaction d’un compte rendu de l’analyse du CBCT (par le réalisateur du CBCT) contenant tous les éléments en rapport avec l’examen radiographique. Ce compte rendu a une valeur médico-légale.
Les apports du CBCT sont aujourd’hui incontournables, à l’ère d’une dentisterie contemporaine précise, prédictible et micro-invasive. La maîtrise de cet outil requiert des compétences et des connaissances cliniques, médico-légales et numériques. La numérisation et le partage des données entre chirurgiens-dentistes (et radiologues) doit se faire conformément aux réglementations du RGPD (Règlement général de protection des données personnelles). Cette législation européenne, visant à sécuriser les données personnelles des patients (dont les examens radiographiques), est entrée en vigueur en 2018 [15]. De nouvelles plateformes devraient voir le jour permettant l’échange sécurisé entre professionnels de santé et avec les patients. De nombreux groupes travaillent également sur l’intelligence artificielle, dans le but de fournir une analyse plus rapide en temps réel de nombreux volumes de CBCT et d’assister les praticiens à l’établissement d’un diagnostic.
La technologie et la qualité des radiographies évoluent, les recommandations et les obligations aussi. Un traitement moins irradiant, plus net et précis n’est pas une raison valable pour une prescription plus fréquente. D’où la nécessité de connaître les règles en vigueur aux niveaux scientifique et médico-légal.
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.