THÉRAPIE PULPAIRE ET PLAIE PULPO-DENTINAIRE PROFONDE AVEC INFLAMMATION SÉVÈRE LA LÉSION CARIEUSE PROFONDE AVEC SYMPTÔMES PULPAIRES IRRÉVERSIBLES
Dossier
Marjorie ZANINI* Cyril VILLAT** Franck DECUP***
*MCU-PH, Université de Paris, GH Pitié Salpêtrière, AP-HP.
**PU-PH, Université Lyon 1, Hospices Civils de Lyon.
***MCU-PH, Université de Paris, Hôpital Charles Foix, AP-HP.
Les réactions inflammatoires qui accompagnent une lésion carieuse ou une souffrance pulpaire augmentent progressivement au fur et à mesure de son développement. Au stade le plus avancé, le parenchyme pulpaire est envahi par ce processus. C’est la pulpite aiguë irréversible qui est associée à une douleur spontanée, insomniante, irradiante et aggravée par la position de décubitus (
Les réactions inflammatoires qui accompagnent une lésion carieuse ou une souffrance pulpaire augmentent progressivement au fur et à mesure de son développement. Au stade le plus avancé, le parenchyme pulpaire est envahi par ce processus. C’est la pulpite aiguë irréversible qui est associée à une douleur spontanée, insomniante, irradiante et aggravée par la position de décubitus (figure 1). Les réponses aux tests de sensibilité pulpaire sont exacerbées et rémanentes.
Ici, la douleur provient de l’activation des fibres nerveuses C profondes au tissu pulpaire. Leur réaction est liée au processus de sensibilisation périphérique, lui-même consécutif à l’inflammation pulpaire. La sensibilisation périphérique des fibres nerveuses est corrélée à la présence intra-pulpaire d’un cocktail de médiateurs inflammatoires (prostaglandines, bradykinines, cytokines).
Ces molécules sont capables d’activer et de sensibiliser les nocicepteurs des fibres C ; c’est-à-dire qu’elles peuvent induire un changement de phénotype neuronal. Les fibres nerveuses vont davantage exprimer des canaux impliqués dans la transmission du message douloureux et/ou renfermer de neurotransmetteurs pro-inflammatoires (CGRP-SP). Il en résulte un message douloureux altéré : une diminution des seuils d’activation (allodynie), une réponse augmentée aux stimulations (hyperalgésie), des décharges spontanées de potentiels d’action (douleur spontanée).
La classification actuellement recommandée pour les pathologies pulpaires est une classification clinique reposant sur des critères douloureux (caractère spontané/provoqué de la douleur ainsi que sa rémanence).
Cependant, une étude histologique et une revue systématique de la littérature ont montré que ces critères de douleur ainsi que la réponse aux tests cliniques (notamment pulpaires) étaient peu corrélés au véritable statut pulpaire [1, 2].
Comme explicité précédemment, l’inflammation pulpaire est d’abord très localisée à une zone sous-jacente à l’agression. En l’absence de thérapeutique, le processus s’intensifie localement et aboutit à la formation de micro-abcès. Progressivement, la destruction tissulaire liée au processus d’inflammation et à l’action directe des bactéries s’étend à l’ensemble de la pulpe camérale. Les observations histologiques de Ricucci et al. tendent à montrer que la pulpe radiculaire est souvent épargnée [3].
Le mécanisme est identique à celui du processus de cicatrisation de la situation précédente mais localisé aux orifices canalaires (cf. figures 2, 3, 13 à 18 de l’article précédent). Ici aussi, le traitement s’appuie sur la dernière ligne de défense cellulaire, impliquant les cellules pulpaires progénitrices.
L’objectif est d’éliminer tout le tissu inflammatoire caméral afin de ne laisser, aux orifices canalaires, que le tissu sain capable de cicatriser. En effet, l’inflammation est un prérequis au processus de cicatrisation pulpaire. Cependant, elle doit être contrôlée pour permettre au phénomène de cicatrisation pulpaire de se mettre en place [4]. Une des explications pouvant être avancée est la dualité de certaines des molécules bioactives libérées au moment du processus inflammatoire. En effet, en fonction de la concentration dans les tissus ou de la durée d’exposition, ces molécules peuvent avoir un effet bénéfique ou délétère pour les tissus pulpaires. Le rôle du TNF-α, par exemple, est « concentration-dépendant » : à faible concentration, le TNF-α promeut la minéralisation par les cellules souches de la pulpe dentaire alors que, à forte concentration, il inhibe la différenciation ostéogénique de ces cellules [5].
Lorsque le statut pulpaire associé à une lésion carieuse profonde relève d’une pulpite sévère ou conventionnellement dénommée « pulpite irréversible », on retrouve une symptomatologie de douleur spontanée d’intensité sévère et une réponse positive au test de percussion axiale (figure 1). Une pulpotomie partielle (conditions vues au chapitre précédent) ou complète est alors indiquée.
Le champ opératoire est impératif pour isoler parfaitement le site d’intervention afin d’intervenir de manière aseptique.
L’utilisation d’aides optiques est aussi un facteur de succès [6].
Le curetage complet des dentines atteintes, molles et fermes, doit laisser une dentine environnante saine pour éviter une surcontamination bactérienne de la pulpe [7].
Ensuite, la décision de traitement est guidée par l’évaluation de l’aspect macroscopique du tissu pulpaire en cours d’intervention (figure 2). Si l’hémostase ne peut pas être obtenue au bout de 5 minutes après une pulpotomie limitée, l’élimination de tissus pulpaires supplémentaires est nécessaire jusqu’à la pulpotomie totale au niveau des orifices canalaires (figures 3 et 4). L’élimination de la pulpe enflammée peut également être intra-radiculaire sur une profondeur de 2 à 3 mm. L’utilisation de forets de Gates est conseillée. Si la présence de tissu nécrotique est constatée dans la chambre pulpaire, c’est une pulpectomie qui doit être programmée.
L’hémostase est obtenue à l’aide d’un coton imbibé d’hypochlorite de sodium (0,5 à 5 %) ou de chlorhexidine (0,2 à 2 %) [8-10] (figure 5). Elle est effectuée par compression constante d’au moins 3 minutes. Si l’hémostase n’est pas obtenue au bout de 5 minutes, une pulpectomie doit être envisagée.
Ensuite, un biomatériau au silicate de calcium est déposé aux entrées canalaires, directement sur la pulpe, et la cavité d’accès est également obturée pour obtenir une isolation étanche immédiate des canaux (figure 6). Après la prise du matériau, la cavité est comblée par un matériau substitut dentinaire ajouté en épaisseur (qui ne sera plus déposé) en vue d’une restauration directe (figure 7).
Un suivi régulier est alors programmé [11] :
- ici, la santé de la pulpe ne peut être évaluée de manière directe par les tests de sensibilité pulpaire ;
- des tests diagnostiques (percussion, palpation) et des examens radiographiques sont effectués à 6 mois puis à 1 an afin de mettre en évidence l’apparition d’un pont dentinaire (pulpe vivante) ou d’une lésion apicale radioclaire (nécrose pulpaire) ;
- l’absence de symptômes doit être considérée comme une stabilité du traitement ;
- dans le cas où les signes évoluent vers une nécrose pulpaire avec ou sans complications périapicales, un traitement endodontique doit être prescrit.
Les études cliniques qui évaluent les résultats de la pulpotomie totale sur dent matures permanentes sont de plus en plus nombreuses et sont encourageantes. En effet, Taha et al. rapportent un taux de succès de 98,4 % à 1 an avec la Biodentine comme matériau de coiffage et en cas de symptomatologie de pulpite aiguë irréversible [12].
La revue systématique de Zafar et al. rapporte un taux de succès de 78 % en considérant seulement les études de haut niveau de preuve (essais cliniques randomisés) [13].
Suite à une lésion carieuse profonde, une inflammation pulpaire sévère et irréversible peut envahir l’ensemble du parenchyme pulpaire. Cependant, le phénomène ne se répercute pas immédiatement au niveau de la pulpe radiculaire. La ligne de défense possible au niveau des cellules pulpaires fonctionne aussi pour la pulpe radiculaire. Un traitement chirurgical d’élimination des tissus enflammés, de décontamination des tissus et d’étanchéification grâce à un matériau silicate tricalcique répond aussi à une thérapie pulpaire conservatrice efficace et recommandée pour éviter la pulpectomie ou le traitement canalaire.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.