THÉRAPIE PULPAIRE ET PLAIE PULPO-DENTINAIRE PROFONDE AVEC INFLAMMATION LIMITÉE LA LÉSION CARIEUSE EXTRÊMEMENT PROFONDE
Dossier
Marjorie ZANINI* Cyril VILLAT** Franck DECUP***
*MCU-PH, Université de Paris, GH Pitié Salpêtrière, AP-HP.
**PU-PH, Université Lyon 1, Hospices Civils de Lyon.
***MCU-PH, Université de Paris, Hôpital Charles Foix, AP-HP.
La lésion carieuse extrêmement profonde est une lésion où le front bactérien est proche de la pulpe (distance inférieure à 0,5 mm) (figure 1). Contrairement à la situation clinique précédente, l’épaisseur de dentine résiduelle n’est plus assez suffisante pour limiter/empêcher le passage des acides bactériens, des bactéries et...
La lésion carieuse extrêmement profonde est une lésion où le front bactérien est proche de la pulpe (distance inférieure à 0,5 mm) (figure 1). Contrairement à la situation clinique précédente, l’épaisseur de dentine résiduelle n’est plus assez suffisante pour limiter/empêcher le passage des acides bactériens, des bactéries et de leurs toxines. Il en résulte donc des dommages tissulaires plus sévères via les bactéries et leurs protéases, notamment la destruction des odontoblastes en regard de la lésion carieuse [1]. L’étude de Cooper et al. révèle également que la réaction inflammatoire au sein de la pulpe est significativement amplifiée (augmentation du nombre de cellules de défense et des médiateurs inflammatoires au sein du tissu pulpaire) [2] (figure 2). Lorsque le processus inflammatoire persiste et s’intensifie, ce moyen de défense va entraîner des dommages collatéraux au sein du tissu pulpaire. En effet, la migration des cellules immunitaires et l’activité antimicrobienne non spécifique des cel lules phagocytaires (macrophages, cellules dendritiques, polymorphonucléaires neutrophiles) impliquent la libération d’enzymes (notamment les métalloprotéinases ou MMP) et de substances dérivées de l’oxygène. De plus, la durée de vie des polymorphonucléaires neutrophiles (PMN) est limitée : les neutrophiles meurent par apoptose et sont éliminés par les macrophages par phagocytose. Les cellules apoptiques contribuent également à la réponse pro-inflammatoire. Enfin, l’augmentation de la pression pulpaire associée à une fuite de liquide dans les espaces tissulaires, normalement éliminé par le système de drainage lymphatique, implique un oedème persistant. L’oedème persistant et la destruction tissulaire aboutissent à la formation de micro-abcès. Cependant, les images histologiques de Heyeraas et al. montrent que l’inflammation, malgré sa sévérité, est généralement localisée en regard de la lésion carieuse [3]. On parle alors de phénomène de compartimentalisation.
La réaction pulpaire en regard d’une lésion carieuse extrêmement profonde déclenche l’essentiel du processus inflammatoire dans un espace initialement limité à la zone sous-jacente. En l’absence de thérapeutique, elle s’étendra à l’ensemble du tissu par phénomène de nécrose graduelle [3]. Cependant, si cette zone inflammatoire est supprimée à temps par un curetage chirurgical localisé et dans des conditions cliniques favorables (absence de contamination bactérienne, apposition d’un matériau bioactif), la pulpe exposée peut cicatriser par stimulation du processus de dentinogenèse tertiaire. C’est la dernière ligne de défense cellulaire, impliquant les cellules pulpaires progénitrices, qui est mise en jeu.
Les objectifs thérapeutiques seront donc d’éliminer complètement les tissus dentinaires cariés, infectés et affectés. Puis, il faudra réaliser une détersion de la plaie pulpaire pour obtenir l’élimination du tissu pulpaire inflammatoire de façon localisée afin de préserver l’essentiel du reste de la pulpe (amputation pulpaire limitée ou pulpotomie partielle) (figure 3). Ensuite, un coiffage pulpaire avec un matériau bioactif aura pour but de recréer l’étanchéité de l’espace pulpaire et de stimuler le mécanisme de cicatrisation pulpo-dentinaire.
Le traitement d’une lésion extrêmement profonde nécessite au préalable d’évaluer au mieux le statut pulpaire associé. Nos méthodes de diagnostic pulpaire étant limitées, elles doivent être compilées pour obtenir l’information la plus précise possible (figure 4).
L’interprétation des symptômes doit mettre en évidence une pulpe vitale enflammée de manière réversible. Celle-ci sera caractérisée grâce à une anamnèse détaillée (absence de douleur spontanée ou douleur provoquée non rémanente), un examen clinique avec l’utilisation de tests pulpaires thermiques (une réponse positive au froid avec, au maximum, une réaction douloureuse de courte durée) et si possible un test électrique (réponse positive comparée à une dent de référence à proximité) [4, 5]. Une radiographie doit confirmer l’absence d’image pe´ri-apicale (figure 5). Ce diagnostic pré-opératoire permet de recommander la possibilité d’une pulpotomie partielle (si les conditions ne sont pas réunies, une pulpotomie ou une pulpectomie doit être envisagée - cf. article suivant). Cliniquement, une réévaluation de l’état macroscopique pulpo-dentinaire pourra être faite en cours d’intervention.
La procédure opératoire doit être réalisée de manière aseptique avec des instruments stériles et la mise en place d’un champ opératoire étanche (digue). L’utilisation d’aides optiques est recommandée.
Le curetage complet de la lésion consiste en l’élimination de la dentine infectée ou nécrotique molle (soft dentin) et de la dentine affectée ferme (leathery ou firm dentin) [6] (figure 3 et 6). L’action instrumentale est effectuée de la périphérie vers la zone cavitaire la plus proche de la pulpe pour que tout le tissu infecté soit éliminé au moment de l’effraction pulpaire (figure 7). Si les conditions d’asepsie ne sont pas réunies - contamination salivaire, effraction dans le tissu infecté -, il faut préférer une pulpectomie dans les conditions aseptiques.
L’effraction pulpaire doit donc avoir lieu au sein d’un tissu avec des berges saines, avec une nouvelle fraise boule stérile à grande vitesse sous irrigation. La zone d’effraction doit être nette et régulière. L’action de la fraise se prolonge ensuite au sein de la pulpe par pénétration d’environ 1 mm de profondeur pour supprimer le tissu inflammatoire. Ensuite, la plaie pulpaire est décontaminée avec une boulette de coton imbibée d’hypochlorite de sodium (0,5 à 5 %) ou de chlorhexidine (0,2 à 2 %) [7-9] (figure 8). L’hémostase est effectuée par compression constante d’au moins 3 minutes.
L’exposition de la pulpe donne l’occasion de réévaluer l’état pulpaire (figure 9). Si l’hémostase ne peut pas être obtenue après 5 minutes, l’élimination de tissus pulpaires supplémentaires est nécessaire (pulpotomie partielle ou complète) et la surface de la plaie doit être rincée comme précédemment.
Une fois l’hémostase obtenue, un biomatériau au silicate de calcium est déposé délicatement, directement sur la pulpe et la dentine environnante, pour obtenir un scellement étanche immédiat de la plaie [9, 10] (figure 10). Après la prise du matériau, soit la dent est définitivement restaurée, soit un matériau substitut dentinaire est ajouté en épaisseur (et ne sera plus déposé) en vue d’une restauration indirecte future (figure 11).
Un suivi est programmé après traitement de la pulpe vitale :
- un examen clinique et radiographique ainsi que des tests de sensibilité pulpaire sont effectués à 6 mois, puis à 1 an (figure 12) ;
- si des symptômes persistent après 2 semaines, il y a incertitude quant à la guérison et la dent doit être évaluée à intervalles réguliers (examen clinique, tests de sensibilité pulpaire, radiographie). Dans le cas où les signes évoluent vers une pulpite irréversible ou une nécrose, une pulpectomie ou un traitement endodontique doit être prescrit.
Les ciments aux silicates tricalciques sont une famille de matériaux dérivés du ciment de Portland purifié - ProRoot MTA (Dentsply) ou MM-MTA (Micromega) -, mais aussi de ciments de synthèse - Biodentine® (Septodont) ou Total Fill (FKG). Si ces matériaux ont des modes de manipulation et des temps de prise différents inhérents à leur composition (ratio poudre/liquide, présence d’accélérateurs de prise, taille des particules…), leur chimie repose sur la même base : l’hydratation des silicates de calcium qui aboutit à la formation d’un gel de silicate de calcium hydraté et d’hydroxyde de calcium.
Les différents composés ainsi libérés entraînent :
- une stimulation de la minéralisation (ion silicium Si4+) ;
- la formation d’hydroxyapatite (combinaison de l’hydroxyde de calcium avec les phosphates de calcium) ;
- la différenciation des cellules pulpaires en cellules néo odontoblastiques et la formation du pont dentinaire (ions Ca2+ et hydroxyapatite) ;
- l’alcalinisation du milieu et donc un effet antibactérien (ions OH-).
Ces différentes propriétés physico-chimiques et biologiques permettent de qualifier ces matériaux de bioactifs, ce qui les rend particulièrement intéressants dans les procédures de coiffage direct [11, 12].
Les processus biologiques pulpaires de dentinogenèse tertiaire faisant suite à une pulpotomie avec l’utilisation d’un silicate de calcium ne sont pas encore tout à fait connus. Par corrélation avec des observations histologiques lors de pulpotomies avec de l’hydroxyde de calcium, plusieures phases peuvent être décrites : l’hémostase et la formation d’un caillot sanguin, l’inflammation, la prolifération cellulaire (et/ou recrutement) et le remodelage tissulaire. Un exsudat riche en fibrinogène peut être ob servé pendant 4 jours après coiffage pulpaire (hémostase) (figures 13 et 14). Entre 3 et 6 jours post-opératoires, l’infiltrat inflammatoire est remplacé par un tissu de granulation dont l’origine provient du tissu pulpaire cen tral. Celui-ci contient des fibroblastes et une néovascularisation est alors objectivable dans les tissus endommagés (prolifération) (figure 15). Les couches de fibroblastes augmentent en épaisseur autour de la lésion et sont à l’origine de la synthèse des fibres de collagène (remodelage). Celles-ci formeront la matrice du tissu cicatriciel. Les cellules progénitrices migrent autour de la plaie pulpaire coiffée (figure 16). Elles se différencieront en cellules néo-odontoblastiques (odontoblast-like) ou odontoblastes secondaires objectivables dès le 11e jour. Des cellules néo-odontoblastiques ou odontoblastes secondaires ou odontoblast-like peuvent être observées ; elles vont s’organiser en palissade dès le 14e jour [13].
Ces cellules viennent remplacer les odontoblastes primaires (figure 17). À 1 mois, un pont dentinaire ou dentine réparatrice est formé, véritable barrière physique entre matériau et pulpe sous-jacente (figure 18).
La méta-analyse d’Elmsmari et al. concernant le résultat de la pulpotomie partielle dans l’indication de la lésion carieuse profonde rapporte un taux de succès de 98 % (inter valle de confiance ou IC : 0,94-1,00) à 6 mois, de 96 % (IC : 0,92-0,99) à 1 an et de 92 % (IC : 0,83-0,97) à 2 ans, quelle que soit la maturité apicale [14]. D’après la méta-analyse, seul le diagnostic pré-opératoire est un facteur pronostique : les résultats des pulpotomies partielles sur dents avec un diagnostic de pulpite aiguë réversible sont significativement meilleurs qu’en cas de diagnostic de pulpite aiguë irréversible (p = 0,001). La solution de désinfection de la plaie pulpaire, le matériau de coiffage, la maturité apicale et l’âge du patient ne semblent pas influencer le pronostic (p > 0,05).
La lésion carieuse engendre un processus inflammatoire qui va s’intensifier à mesure que la lésion progresse en direction pulpaire. Quand la lésion a détruit tout le tissu jusqu’au contact de la pulpe, elle entraîne des dommages irréversibles pour les odontoblastes. À ce stade, l’organe dentaire met en jeu une cinquième ligne de défense, fondée sur les cellules pulpaires qui permettront de remplacer les odontoblastes perdus. Leur capacité de différenciation en cellules réparatrices est conditionnée par la mise en place d’un environnement biologique favorable au moyen d’une procédure clinique aseptique : élimination du tissu pulpaire inflammatoire et nécrotique (pulpotomie partielle) et recours à un matériau bioactif judicieux (silicate de calcium).
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.