Clinic n° 02 du 01/02/2022

 

Dossier

Marjorie ZANINI*   Cyril VILLAT**   Franck DECUP***  


*MCU-PH, Université de Paris. GH Pitié Salpêtrière, AP-HP.
**PU-PH, Université Lyon 1. Hospices Civils de Lyon.
***MCU-PH, Université de Paris, Hôpital Charles Foix, AP-HP.

Les fractures amélo-dentinaires et certaines manoeuvres iatrogènes ou parafonctions peuvent avoir comme conséquence une exposition dentinaire de tissus sains (figures 1 et 2). La dentine soudainement exposée est un tissu perméable riche en canalicules dentinaires et, comme tel, peut être le siège de phénomènes hydrodynamiques algogènes et de contamination bactérienne. Par...


Les fractures amélo-dentinaires et certaines manoeuvres iatrogènes ou parafonctions peuvent avoir comme conséquence une exposition dentinaire de tissus sains (figures 1 et 2). La dentine soudainement exposée est un tissu perméable riche en canalicules dentinaires et, comme tel, peut être le siège de phénomènes hydrodynamiques algogènes et de contamination bactérienne. Par conséquent, l’exposition dentinaire peut avoir une répercussion sur l’inflammation et l’état de santé pulpaire.

POURQUOI UNE PLAIE DENTINAIRE EST-ELLE SENSIBLE ?

La préparation d’une dentine saine ou la fracture coronaire non compliquée aboutit à la formation d’une plaie dentinaire chirurgicale ou traumatique qui rompt en partie la barrière physique anatomique naturelle de la dent (émail) (figure 3). Cette plaie a pour conséquence un phénomène de diffusion moléculaire et une sensibilité perçue par le patient. Elles s’expliquent par la nature perméable du tissu dentinaire.

En effet, la dentine est un tissu hybride traversé de canalicules dentinaires. Ces canalicules sont des cônes dont le sommet se trouve au niveau de la jonction amélo-dentinaire et dont le diamètre augmente en direction pulpaire (diamètre équivalent à 0,6-0,8 µm à la jonction amélo-dentinaire et à 3 µm à la surface pulpaire) [1, 2]. Leur densité varie de 40 000 à 70 000 canalicules/mm2 [2] et la surface occupée par les canalicules est de 1 % à la jonction amélo-dentinaire et de 45 % au niveau de la chambre pulpaire.

Ces canalicules représentent donc des voies de passage direct entre l’environnement oral et la pulpe.

La perméabilité est d’autant plus importante que la surface exposée est grande et directement proportionnelle au diamètre et au nombre des canalicules. Elle est donc plus importante lorsque la plaie dentinaire est proche de la pulpe et que l’épaisseur de dentine résiduelle (épaisseur de dentine entre environnement oral et pulpe) est faible [3, 4]. Elle varie également en fonction de la localisation puisque la littérature rapporte que la dentine radiculaire est moins perméable que la dentine coronaire (étant donné que la densité canaliculaire est de 42 000/mm2 versus 8 000/mm2 au niveau radiculaire) [5].

Cette perméabilité donne lieu au phénomène de diffusion ayant pour conséquence un passage potentiel de molécules exogènes (chimiques ou bactériennes) de l’environnement oral en direction pulpaire (figure 4). La diffusion dépend de la concentration, de la nature chimique et de la taille de la molécule qui diffuse. Plus l’épaisseur de dentine résiduelle est fine, plus la perméabilité augmente et plus la diffusion est rapide. Selon Pashley et al., la mesure de la conductibilité hydraulique est de 0,12 Lp (µL.cm-2.min-1.cmH2O-1) lorsque l’épaisseur de dentine est de 0,9 mm. Elle est de 1,50 Lp lorsque l’épaisseur est de 0,1 mm [5].

Cependant, ce phénomène de diffusion est limité par une organisation biologique efficace qui constitue la première ligne de défense du complexe dentino-pulpaire :

- l’effet tampon de la dentine ;

- le phénomène de surpression (la pression pulpaire est supérieure à la pression externe à la dent) ;

- la présence d’obstacles intra-canaliculaires.

L’effet tampon de la dentine limite le passage d’ions acides ou alcalins [6]. La pression pulpaire étant supérieure à la pression extérieure, celle-ci implique alors un mouvement sortant du fluide dentinaire en cas de plaie dentinaire [7, 8] (figure 5). D’autre part, bien que sa composition ne soit pas clairement et totalement connue, il semblerait qu’elle soit proche de celle du liquide extracellulaire et qu’elle contienne des immunoglobulines [9, 10].

Ces arguments expliquent donc pourquoi, lorsque des surfaces dentinaires d’une dent vitale et d’autres d’une dent non vitale sont exposées à l’environnement oral, l’invasion bactérienne est plus rapide pour la dent non vitale [11, 12]. Le fluide dentinaire assure à la fois un rôle de barrière physique dynamique et de défense immunitaire limitant ainsi la contamination bactérienne.

Enfin, la présence intra-canaliculaire de fibrilles de collagène peut agir comme des « pièges » à bactéries [13] ; de même, la présence intra-canaliculaire de cristaux d’hydroxyapatite, de fibrinogène et d’alumine peut diminuer l’ouverture des canalicules et donc la perméabilité du tissu.

Les canalicules renferment des fibres nerveuses Aδ qui peuvent s’étendre jusqu’à 200 µm à l’intérieur des canalicules (74 % des canalicules au niveau des cornes pulpaires contiennent des fibres nerveuses). Selon la théorie hydrodynamique de Brännström, en cas de plaie dentinaire, des mouvements de fluide dentinaire vont être déclenchés par des stimuli thermiques ou hypertoniques (sucre) [14]. Ces mouvements de fluide entraînent la stimulation mécanique des fibres nerveuses localisées au sein des canalicules [15, 16]. Il en résulte une douleur aiguë, fugace, bien localisée, caractéristique de l’activation des fibres nerveuses Aδ.

ÉTANCHÉIFIER LES CANALICULES DENTINAIRES

Objectifs thérapeutiques

Dans le cas d’une fracture simple ou d’une préparation sur dentine saine, la perméabilité induite donne lieu à une sensibilité dentinaire et à une contamination bactérienne potentielle pulpaire. L’objectif thérapeutique est alors d’étanchéifier la plaie dentinaire et donc de sceller les canalicules dentinaires, à la manière d’un « fond de cavité » recouvrant toute la surface, pour recréer une barrière physique protectrice au plus proche des conditions naturelles.

Bien qu’une préparation par instrument rotatif génère une boue dentinaire résiduelle protégeant partiellement les canalicules, cet amas fragile et peu stable n’offre pas la meilleure qualité d’adhésion pour la restauration associée [17].

La recherche d’une étanchéification mieux contrôlée à l’aide de systèmes adhésifs est développée depuis longtemps et donne des résultats satisfaisants [18, 19] (figure 6). Les systèmes adhésifs utilisés sont de deux types : mordançage rinçage (MR) ou système automordançant (SAM). Les systèmes adhésifs peuvent être classés selon leur mode de mise en oeuvre. Ainsi, il existe :

- les systèmes MR en 3 étapes distinctes : mordançage, primer puis agent adhésif (techniquement les plus complexes et opérateurs-dépendants, ce sont ceux qui obtiennent les meilleurs résultats en termes d’adhésion et de pérennité) ;

- les systèmes MR en 2 étapes : mordançage puis primer/agent adhésif combinés ;

- le SAM en 2 étapes : primer automordançant puis agent adhésif ;

- le SAM en 1 étape : combinaison d’un primer automordançant et de l’agent adhésif.

Le mordançage des systèmes MR est assuré par l’acide orthophosphorique à 35-37 %. Le primer est un monomère hydrophile associé à un solvant (eau, éthanol ou acétone) permettant l’imprégnation du tissu déminéralisé par l’agent adhésif. Pour les systèmes automordançants, un monomère acide assure la déminéralisation et la fonction de primer [20].

C’est au cours de la mise en place du système adhésif que sont créées les TAGs de résine (brides de résines intra-tubulaires). Les fibres de collagène exposées lors de la procédure d’adhésion sont infiltrées par la résine. Toutefois, la résine n’imprègne pas l’intégralité des fibres de collagène. Cette imprégnation incomplète associée à la présence d’eau entraîne une dégradation hydrolytique des fibres ainsi exposées, en particulier par les enzymes MMP (Matrix Metalloproteinases) et les cystéine-cathepsines.

Ces enzymes, capables de dégrader les composants de la matrice extracellulaire, sont présentes in situ sous une forme inactive et sont activées par le processus de déminéralisation, qu’il soit d’origine bactérienne ou chimique [21-24]. Cependant, la présence d’inhibiteurs des enzymes métalloprotéases au sein de certains adhésifs permet la création d’une couche hybride plus résistante à l’attaque acide appelée super-dentine. Cette couche existe aussi au niveau de l’émail [25-27].

Depuis 2011, des systèmes adhésifs universels sont commercialisés. Ils présentent la particularité de pouvoir être utilisés à la fois selon une procédure mordançage-rinçage (étape de mordançage à l’acide orthophosphorique puis mise en place du primer/adhésif en une seule et même étape) ou selon une procédure automordançante (pas de mordançage à l’acide orthophosphorique). On constate une quasi-absence de TAGs de résine lors d’une procédure automordançante [28]. Les forces d’adhésion obtenues avec les systèmes adhésifs universels montrent des valeurs supérieures à 35 MPa sur émail et dentine [28, 29]. La revue de littérature conduite par Nagarkar montre que les forces d’adhésion sont plus importantes sur l’émail lors d’une procédure MR mais qu’il n’a pas d’incidence significative sur la dentine, que la procédure soit MR ou SAM [29]. Les mêmes auteurs soulignent toutefois le manque d’essais cliniques concernant ces matériaux [29].

Le scellement dentinaire immédiat réalisé sur la dentine venant d’être préparée est un protocole efficace pour empêcher la perméabilité dentinaire et permettre aux phénomènes de cicatrisation pulpaire de s’effectuer ensuite à l’abri des agressions externes. La dernière revue de littérature sur le scellement dentinaire immédiat indique que les matériaux recommandés sont les adhésifs MR3 chargés (ScotchBond Multipurpose, 3M et Optibond FL, Kerr) et les adhésifs SAM2 (Unifil Bond, GC et Clearfil SE Bond, Kuraray). Si un adhésif non chargé est utilisé, il est possible de le recouvrir avec un composite fluide en très fine couche. De plus, il est nécessaire de réaliser une polymérisation secondaire à l’abri de l’extérieur, sous un gel de glycérine, pour obtenir une réticulation complète de la surface inhibée par l’oxygène [19].

Cette procédure laisse ensuite le choix de la restauration directe ou indirecte dans les meilleures conditions pour la dent et pour le patient [30] (figure 7).

D’autres matériaux permettent d’obtenir l’étanchéification dentinaire. Le CVI-MAR, grâce à la nature chimique des liaisons formées avec le tissu dentaire, à sa faible rétraction de prise et à sa tolérance à l’humidité, permet un scellement étanche de la dentine [31]. Néanmoins, celui-ci se fait sur la boue dentinaire fragile et nécessite une épaisseur importante de matériau pour offrir une résistance mécanique. Cet espace est rarement disponible dans les situations d’exposition de dentine saine, généralement superficielle.

Procédures cliniques

Traitement d’une plaie dentinaire sensible après préparation en vue d’un onlay sur dent pulpée (figures 8 à 16).

CONCLUSION ET POINTS À RETENIR

Le fluide dentinaire contient des éléments immunitaires nécessaires au processus de défense. Via les mouvements de fluide, il agit comme une barrière physique à la diffusion d’éléments étrangers en direction pulpaire et comme un véritable transducteur, signalant les stimuli extérieurs.

Il s’agit par conséquent du premier niveau de défense de l’organe dentaire après perte de la barrière amélaire. Le traitement consiste à recréer artificiellement une étanchéité par la mise en place de matériaux adhésifs ou de ciments verre-ionomères.

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Lien d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.