Clinic n° 02 du 01/02/2022

 

Dossier

Marjorie ZANINI*   Cyril VILLAT**   Franck DECUP***  

L’anatomie particulière des dents et la nature hyperminéralisée des tissus qui les composent (émail et dentine) assurent la résistance aux contraintes fonctionnelles masticatrices. Dans leur partie interne, la pulpe ou plutôt le complexe dentino-pulpaire tant il existe d’interaction entre ces deux entités histologiques, joue le rôle de barrière de défense biologique.

En cas d’agressions, les thérapies pulpaires visent à maintenir la vitalité du tissu pour préserver...


L’anatomie particulière des dents et la nature hyperminéralisée des tissus qui les composent (émail et dentine) assurent la résistance aux contraintes fonctionnelles masticatrices. Dans leur partie interne, la pulpe ou plutôt le complexe dentino-pulpaire tant il existe d’interaction entre ces deux entités histologiques, joue le rôle de barrière de défense biologique.

En cas d’agressions, les thérapies pulpaires visent à maintenir la vitalité du tissu pour préserver les fonctions biologiques et biomécaniques de la dent sur le long terme. Par ces traitements, le praticien cherche à la fois à assurer la santé de l’organe dentaire, de la pulpe et du péri-apex (maintien d’une barrière de défense active) et à pérenniser la présence de la dent sur l’arcade (maintien de l’équilibre fonctionnel).

Plusieurs arguments scientifiques nous incitent à préférer les thérapies pulpaires vitales.

Bien que les traitements endodontiques montrent des résultats cliniques acceptables, il a été observé qu’un bien meilleur pronostic de survie de la dent est obtenu pour les dents pulpées par rapport aux dents dépulpées [1].

L’analyse des dents restaurées montre que les taux de succès varient selon les facteurs de risque du patient, les matériaux et le volume de la perte de substance, mais ils sont toujours meilleurs pour les dents pulpées que pour les dents dépulpées [2, 3].

Pour les dents traitées endodontiquement, les études (méta-analyses) montrent des résultats de survie (maintien de la dent en fonction sur l’arcade) allant de 81 à 91 % à 10 ans tandis que les taux de succès (maintien de la dent en fonction sur l’arcade et objectivation radiographique d’une guérison pe´ri-apicale) sont estimés à 75 % [4, 5].

Pour les dents traitées par thérapie pulpaire vitale, les études cliniques montrent que les taux de succès sont de 90 % pour les thérapeutiques avec curetage sélectif, de 85 % pour celles impliquant un coiffage pulpaire direct et de 96 % pour la pulpotomie partielle [6-8].

Cliniquement, les procédures opératoires du traitement endodontique sont beaucoup plus complexes (plateau technique, aides visuelles) et longues (temps d’intervention, nombre de séances) que les procédures de préservation pulpaire. Les traitements par thérapie pulpaire sont moins coûteux, en particulier chez les patients avant 40 ans [9-11].

La dentine et la pulpe réagissent de façon interdépendante aux influences de l’environnement. Tout ce qui affecte la dentine se répercute sur la pulpe. Biologiquement, ces tissus fonctionnent en synergie sous forme d’un complexe pulpo-dentinaire. Son rôle est double : il signale les agressions externes au système nerveux central par l’intermédiaire de réactions inflammatoires et il assure des réactions cicatricielles pour s’en défendre. Ces propriétés spécifiques ont pour but de protéger la pulpe du milieu extérieur et de préserver les fonctions biologiques de la dent.

Il y a un véritable système de défense qui est organisé sous forme de lignes de défense successives vis-à-vis d’une agression.

Une description centripète permet de les exposer (figure 1).

• La première ligne est histologique. Elle est représentée par l’organisation tissulaire normale. L’émail est une barrière semi-perméable très dure. Il recouvre de manière étanche la dentine dont l’épaisseur anatomique initiale est aussi une garantie de protection pulpaire. Du fait de sa nature canaliculaire, la dentine, elle, est perméable mais les fluides intra-canaliculaires assurent une évacuation dynamique des éléments agresseurs.

• Le deuxième plan de défense est biophysique. En effet, la précipitation de minéraux dans les parties externes des canalicules exposés à une agression externe entraîne une oblitération qui isole le complexe pulpo-dentinaire.

• Le troisième niveau s’exprime par les réactions biochimiques. Elles ont lieu par l’intermédiaire des protéines libérées lors des agressions acides qui dissolvent la trame minérale. Elles jouent le rôle de messagers en direction de la pulpe et des odontoblastes.

• Le quatrième niveau défensif est cellulaire. Il se fait par l’intermédiaire des odontoblastes capables d’être réactivés et de produire une couche de dentine réactionnelle aux dépens du volume pulpaire.

• La cinquième ligne de défense est aussi cellulaire mais sollicite les cellules pulpaires progénitrices par différenciation en cellules néo-odontoblastiques ou odontoblast-like sous l’effet des messagers protéiques. Elle produit une dentine de réparation au sein même de la pulpe pour isoler la plaie pulpaire.

L’objectif des articles de ce dossier est d’aider le praticien à comprendre la répercussion biologique des agressions (pathologiques ou iatrogènes) sur les tissus dentino-pulpaires de la dent vitale pour savoir interpréter cliniquement les phénomènes cicatriciels qui les accompagnent et les utiliser en leur faveur. Ces connaissances devraient permettre d’améliorer les gestes thérapeutiques en reliant leur action au besoin biologique spécifique de la dent dans différentes situations cliniques.

Le traitement des séquelles tissulaires résultant d’une pathologie dentaire nécessite un temps de « préparation biologique » des tissus, suivi d’un temps de « protection ou restauration par un biomatériau ». La préparation des tissus atteints prend des formes différentes selon le type d’agression subie. Le matériau est également choisi en fonction de la situation clinique. Il est important de donner sa place réelle à chacun des temps opératoires dans sa capacité à participer à la « guérison » durable de la dent. Il est probable que le geste chirurgical choisi est souvent plus important que le matériau de comblement utilisé ensuite.

La vrai question est de savoir, selon son état, de quoi la pulpe a-t-elle besoin pour cicatriser ? Dans ce but, nous allons exposer des situations cliniques couramment rencontrées selon un gradient thérapeutique [12] et détailler leur corrélation histologique, mettant en jeu :

- une plaie dentinaire récente/sensible ;

- une plaie dentinaire ancienne/insensible/avec réparation ;

- une plaie dentinaire infectée et profonde ;

- une plaie pulpo-dentinaire avec inflammation limitée ;

- une plaie pulpo-dentinaire avec inflammation sévère.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Caplan DJ, Cai J, Yin G, White BA. Root canal filled versus non-root canal filled teeth: A retrospective comparison of survival times. J Public Health Dent 2005;65:90-96.
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  • 3. Lempela E, Lovásza BV, Biharia E, et al. Long-term clinical evaluation of direct resin composite restorations in vital vs. endodontically treated posterior teeth. Retrospective study up to 13 years. Dent Mater 2019;35:1308-1318.
  • 4. Ng YL, Mann V, Rahbaran S, Lewsey J, Gulabivala K. Outcome of primary root canal treatment: Systematic review of the literature. Part 1. Effects of study characteristics on probability of success. Int Endod J 2007;40:921-939.
  • 5. Ng YL, Mann V, Gulabivala K. A prospective study of the factors affecting outcomes of non-surgical root canal treatment. Part 2. Tooth survival. Int Endod J 2011;44:610-625.
  • 6. Maltz M, Garcia R, Jardim JJ, et al. Randomized trial of partial vs. stepwise caries removal: 3 years follow up. J Dent Res 2012;91:1026-1031.
  • 7. Kundzina R, Stangvaltaite L, Eriksen HM, Kerosuo E. Capping carious exposures in adults: A randomized controlled trial investigating mineral trioxide aggregate versus calcium hydroxide. Int Endod J 2017;50:924-932.
  • 8. Kang CM, Sun Y, Song JS, et al. A randomized controlled trial of various MTA materials for partial pulpotomie in permanent teeth. J Dent 2017;60:8-13.
  • 9. Schwendicke F, Stolpe M. Direct pulp capping after a carious exposure versus root canal treatment: A cost-effectiveness analysis. J Endod 2014;40:1764-1770.
  • 10. Brodén J, Davidson T, Fransson H. Cost-effectiveness of pulp capping and root canal treatment of young permanent teeth. Acta Odontol Scand 2019;77:275-281.
  • 11. Wells C, Dulong C, McCormack S. Vital pulp therapy for endodontic treatment of mature teeth: A review of clinical effectiveness, cost-effectiveness, and guidelines. Ottawa: CADTH, 2019.
  • 12. Jouanny G. Le gradient thérapeutique en endodontie. Inf Dent 2015;97:36-46.