LES ÉCLAIRCISSEMENTS DENTAIRES : GESTION DES SENSIBILITÉS
Dentisterie
Esthétique
*Ancien AHU, chargé d’enseignement, faculté de Chirurgie dentaire de Toulouse.
**Fondateur de Stu’Dent Formation. Exercice libéral à Portet-sur-Garonne.
***Ancien AHU à la faculté de Chirurgie dentaire de Lyon.Exercice libéral à Limonest.
Nos patients sont bercés dans une société où l’apparence a de plus en plus d’importance.
Les études montrent qu’une grande partie de la demande esthétique de nos patients au cabinet dentaire concerne la couleur des dents [1]. Même si les éclaircissements font partie des approches les moins invasives et solutionnant souvent la plupart des attentes de nos patients, trop de praticiens hésitent encore à les proposer, souvent de...
Plus de la moitié des patients développent des sensibilités pendant un traitement d’éclaircissement dentaire. Ces sensibilités apparaissent suite à une stimulation de nocicepteurs par des médiateurs de l’inflammation libérés lors d’un stress inflammatoire induit par le peroxyde d’hydrogène. Le chirurgien-dentiste aura la possibilité d’intervenir sur chaque maillon de cette chaîne pour diminuer, voire supprimer ces douleurs. L’objectif de cet article est d’essayer de donner une stratégie clinique simple et applicable au cabinet dentaire pour réaliser un éclaircissement chez les patients présentant des sensibilités préexistantes ou induites.
Nos patients sont bercés dans une société où l’apparence a de plus en plus d’importance.
Les études montrent qu’une grande partie de la demande esthétique de nos patients au cabinet dentaire concerne la couleur des dents [1]. Même si les éclaircissements font partie des approches les moins invasives et solutionnant souvent la plupart des attentes de nos patients, trop de praticiens hésitent encore à les proposer, souvent de peur de créer des sensibilités.
Les sensibilités dentaires pendant un éclaircissement représentent les effets secondaires les plus fréquemment rencontrés, pouvant toucher plus de la moitié des patients [2]. Bien que principale cause d’inconfort ou d’interruption de traitement [3], les sensibilités ne constituent en aucun cas une contre-indication aux éclaircissements. Une stratégie adaptée permet de gérer un traitement éclaircissant face à des sensibilités préexistantes ou induites.
Le principe actif d’un éclaircissement dentaire est le peroxyde d’hydrogène, obtenu directement ou indirectement par dissociation du peroxyde de carbamide.
Les sensibilités dentaires lors d’un éclaircissement sont dues à un stress oxydatif. La libération de médiateurs, tels que l’adénosine triphosphate et les prostaglandines [4], génère un processus inflammatoire des tissus pulpaires, donc des sensibilités [5].
Une atteinte de la vitalité dentaire peut être observée avec de fortes concentrations en peroxyde d’hydrogène [6]. Cependant, ces cellules sont capables de proliférer et de se régénérer en 3 ou 4 jours [7, 8]. Ainsi, quelle que soit leur intensité, les sensibilités induites par un éclaircissement sont réversibles.
Le risque de sensibilités est en rapport direct avec la capacité de diffusion du peroxyde d’hydrogène à travers l’ensemble des structures dentaires. Elles sont directement liées au temps de contact entre le peroxyde d’hydrogène et la surface de la dent [9] et diffèrent en fonction de chaque patient, de son âge et de la constitution des tissus dentaires.
En outre, elles sont majorées en cas d’exposition dentinaire comme dans les lésions carieuses, les usures ou les récessions.
La couleur de la dentine exposée nous apporte des informations importantes permettant de pronostiquer le résultat esthétique et le risque de sensibilités (figures 1 à 3). Une dentine sclérotique présente des tubulis obturés. Elle est souvent recouverte d’une couche hyperminéralisée sur plusieurs microns [10], dense et riche en pigments. Cette configuration histologique constitue un frein à la diffusion du peroxyde d’hydrogène. Le pronostic de l’éclaircissement est alors réservé mais le risque de sensibilité est plus limité que dans le cadre de lésions actives avec une dentine érodée.
Ainsi, la présence ou le risque de sensibilités induites ne doit pas être une contre-indication à un éclaircissement dentaire.
Par exemple, dans le cadre d’usures importantes, l’opacification de l’émail permet souvent d’obtenir des résultats satisfaisants mais une stratégie de gestion des sensibilités est indispensable à mettre en place [11] (figure 4).
Les patients souffrant d’hypominéralisation molaires incisives (MIH) ont un émail riche en protéines mais aussi plus poreux (figure 5). Cette diffusion augmentée explique les colorations importantes mais aussi, en partie, les hypersensibilités ressenties.
Une alternative à l’éclaircissement traditionnel consiste en un mordançage à l’acide orthophosphorique pendant 60 secondes suivi d’un apport d’hypochlorite à 5 % [12]. Cette approche permet de réaliser un éclaircissement chez un mineur en diminuant les risques de sensibilité. L’action protéolytique de l’hypochlorite couplée à une reminéralisation en fin de traitement diminue les porosités et permet d’augmenter la micro-dureté de l’émail, les sensibilités et le risque de récidive de la dyschromie.
La diminution des sensibilités permettra ainsi au patient de retrouver une bonne hygiène buccodentaire.
Face à une sensibilité, plusieurs stratégies s’offrent à nous :
- diminuer la sécrétion de médiateurs de l’inflammation ;
- diminuer la stimulation des nocicepteurs ;
- diminuer l’arrivée massive de peroxyde d’hydrogène en direction du tissu pulpaire.
L’utilisation d’une lampe, en plus de n’apporter aucun bénéfice sur le résultat esthétique de l’éclaircissement [13], serait à l’origine d’une augmentation des sensibilités [14-16].
En effet, l’activation du gel d’éclaircissement par une lampe, la chaleur ou l’utilisation d’un laser est à l’origine de libération de manière significativement plus importante de neuropeptides (notamment la substance P) dans la pulpe. Ces médiateurs de l’inflammation seraient à l’origine de plus fortes douleurs [17]. Les sensibilités rencontrées lors de l’utilisation d’une lampe sont donc plus intenses [18].
Les techniques au fauteuil entraîneraient des dommages pulpaires, non rencontrés avec les protocoles ambulatoires [19, 20].
Contrairement au peroxyde d’hydrogène pur, le peroxyde de carbamide ne provoque pas d’augmentation de la rugosité à la surface de l’émail [21]. Il génère aussi moins de sensibilité que le peroxyde d’hydrogène. Plus sa concentration est faible, moins il y a des risques de sensibilités.
Le stress inflammatoire est directement lié à la concentration du gel d’éclaircissement [8, 22].
Dans la mesure où il n’y a pas de différences significatives dans le résultat esthétique entre du peroxyde de carbamide à 10 % ou à 16 %, il est donc préférable de s’orienter initialement vers la concentration la plus faible [22-24].
Les anti-inflammatoires pris 1 heure avant une technique au fauteuil, à des concentrations fortes, diminuent de manière significative les sensibilités [25]. Leur prescription n’a pas d’intérêt avec les concentrations actuellement utilisées en Europe et dans les techniques ambulatoires. L’ibuprofène ou les antalgiques sont sans effets [26].
Les ions potassium réduisent l’activation des nocicepteurs, empêchant la dépolarisation de la fibre nerveuse [27]. Leur utilisation ne diminue pas le résultat esthétique d’un éclaircissement dentaire [20, 28].
Bien que les résultats des études soient contradictoires [29-31], il semble que l’application d’agents désensibilisants associés au gel d’éclaircissement ne réduise pas les sensibilités [28]. En effet, avec un poids moléculaire plus faible, le peroxyde d’hydrogène atteindra plus rapidement les nocicepteurs que le nitrate de potassium, ne diminuant donc pas le risque de sensibilité [32].
La stratégie la plus efficace consisterait en une application de désensibilisant avant le traitement d’éclaircissement [20, 33]. L’utilisation de nitrate de potassium peut se faire à l’aide de pâte dentifrice ou de gel à appliquer directement dans la gouttière utilisée pour le traitement d’éclaircissement.
Les patients qui se brossent les dents avec des pates dentifrice au nitrate de potassium, 15 jours avant et pendant l’éclaircissement, semblent présenter moins de sensibilité induite [34].
Recourir à une technique au fauteuil pour protéger les expositions dentinaires, comme les récessions, par l’utilisation d’une digue liquide ne constitue pas une stratégie satisfaisante si l’objectif est d’éclaircir ces zones (figure 6).
En reminéralisant la surface d’émail et en bouchant les tubulis dentinaires, le fluor diminue les sensibilités. Cette diminution de la diffusion au travers de la dent freine aussi la pénétration du peroxyde d’hydrogène, handicapant aussi notre traitement d’éclaircissement. La médication de fluor topique fortement dosé n’est donc pas une solution de choix face aux potentielles sensibilités.
L’importance du stress inflammatoire est aussi directement liée au temps d’application du gel éclaircissant en nombre d’heures au quotidien et en jours de traitements [8, 22].
Le seuil de déclenchement des sensibilités est variable en fonction des personnes. Ainsi, face à des sensibilités préexistantes ou apparaissant lors d’un traitement, la stratégie consiste à trouver ce seuil et à ajuster le timing de port de la gouttière en se plaçant juste au-dessous du moment de l’apparition des premières sensibilités. Ce protocole permet de poursuivre l’éclaircissement en minimisant les sensibilités.
• En fonction du nombre de jours. Les sensibilités commencent à apparaître généralement le 3e ou le 4e jour après le début du traitement. Mais des gênes peuvent arriver plus rapidement chez certains patients. Une possibilité de gestion de l’éclaircissement consiste à faire un jour de pause au moment où les sensibilités auraient dû apparaître. Cette journée sans éclaircissement peut aussi être l’occasion d’appliquer un désensibilisant dans la gouttière.
• En fonction du nombre d’heures [35]. La recherche du seuil de sensibilité du patient se réalise en augmentant progressivement le temps de port de la gouttière jusqu’à l’apparition des premiers signes (figure 7).
Ce seuil déterminé, le traitement pourra se poursuivre avec un temps inférieur pour minimiser le ressenti du patient.
Pendant un éclaircissement dentaire et face à des sensibilités, la stratégie peut donc s’orienter selon deux axes (figure 8) :
- réduire le stress oxydatif en diminuant la concentration de peroxyde d’hydrogène, le temps de stress (monitoring du port de la gouttière, donc du temps de contact du produit d’éclaircissement avec la dent) et la diffusion dans la dent ;
- réduire la stimulation des récepteurs de la douleur à l’aide d’agents désensibilisants.
Pour un patient ne présentant pas de sensibilités ou de risques de sensibilité, le traitement ambulatoire utilisant du peroxyde de carbamide avec des concentrations faibles est le gold standard des éclaircissements. Cette approche permet d’obtenir un résultat esthétique optimal à un coût financier moins important pour le patient, minimisant les risques et les sensibilités [36].
Si des sensibilités commencent à apparaître pendant un traitement traditionnel, la stratégie à adopter dépendra du type et de l’intensité des gênes décrites par le patient. Un dentifrice riche en nitrate de potassium permettra d’atténuer les faibles sensibilités. Face à des sensibilités un peu plus fortes, un apport topique plus concentré en nitrate de potassium sous forme de gel dans la gouttière 1 heure avant le traitement éclaircissant sera nécessaire.
Si les sensibilités commencent à apparaître au bout de quelques jours, généralement 3 à 4 jours après le début du traitement, le patient pourra, dans un premier temps, faire une pause dans son traitement de manière récurrente : le port de la gouttière un jour sur deux permet souvent de diminuer les sensibilités de manière significative. Ce jour d’arrêt de traitement peut aussi être l’occasion d’apport de nitrate de potassium sous forme de gel dans la gouttière. Face à des sensibilités beaucoup plus fortes, il est conseillé d’arrêter le traitement quelques jours et de calmer les douleurs avec des solutions désensibilisantes. Puis, il sera possible de reprendre le traitement en augmentant progressivement le temps de port de la gouttière jusqu’à trouver le seuil de sensibilité du patient. L’éclaircissement pourra se poursuivre en demandant au patient de porter la gouttière avec un nombre d’heures au-dessous de la limite d’apparition des premières gênes.
Si le patient présente des sensibilités préexistantes à un éclaircissement, un pré-traitement associant l’application de nitrate de potassium en dentifrice et en gel à appliquer dans la gouttière pendant 15 jours diminuera de manière significative la gêne des patients. Cette stratégie placera le patient dans des conditions plus favorables à un éclaircissement.
Le traitement débutera ainsi de manière progressive en augmentant jour après jour le temps de port des gouttières jusqu’à trouver le seuil individuel du patient des premiers ressentis désagréables. Un dentifrice désensibilisant ainsi que l’application de gel dans la gouttière en amont du traitement peuvent aussi être conseillés (figure 9).
Si les sensibilités lors des traitements d’éclaircissements dentaires sont des éléments bien connus, il n’en reste pas moins qu’elles ne doivent pas être considérées comme une contre-indication à ce type de traitement ou un motif d’arrêt.
Une stratégie adaptée à chaque patient en amont du traitement ou en per-opératoire permettra la gestion de ce type de traitement tout en minimisant les « gênes » de nos patients.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.