Clinic n° 02 du 01/02/2022

 

Prothèse

Fixée

Florent TREVELO*   Martin BRIENT**   Josselin LETHUILLIER***  


*Exercice libéral à Paris.
**Exercice libéral à Paris.
***Ancien AHU, PH, Service de chirurgie maxillo-faciale, CHU de Montpellier.

La transition numérique dans la pratique clinique commence généralement par la réalisation d’empreintes optiques au cabinet puisque cette étape s’avère être le premier maillon de la chaîne prothétique numérique. La place de l’empreinte optique prend ainsi aujourd’hui de plus en plus d’ampleur avec l’amélioration de la technologie, la fiabilité croissante des procédés et l’augmentation des possibilités thérapeutiques qu’elle offre. Nous en exposons ici les...


Résumé

La transition numérique, c’est-à-dire l’intégration des technologies numériques afin d’améliorer notre activité, n’est pas un processus nouveau. Depuis une vingtaine d’années, les cabinets dentaires ont dans leur quasi-totalité intégré l’usage de la radiographie numérique, des logiciels de gestion des dossiers ou encore de la communication par courriers électroniques. Les progrès réalisés plus récemment (empreintes optiques en couleurs, superposition de fichiers DICOM et STL, planification implantaire…) permettent aujourd’hui d’intégrer ces technologies numériques à de nombreuses étapes cliniques de notre activité : diagnostic, décision, planification ou encore mise en œuvre de traitements restaurateurs. C’est donc en particulier pour l’intégration de l’outil numérique dans la chaîne prothétique que les praticiens sont de plus en plus régulièrement sollicités par différents acteurs du secteur pour faire l’acquisition d’un scanner intra-oral (SIO), souvent improprement appelé caméra d’empreinte optique. Cette étape, fréquemment présentée comme étant le premier pas à faire pour réussir sa transition numérique, représente néanmoins un investissement important, tant du point de vue financier que du temps à consacrer à l’apprentissage et à l’acquisition de nouvelles habitudes.

La transition numérique dans la pratique clinique commence généralement par la réalisation d’empreintes optiques au cabinet puisque cette étape s’avère être le premier maillon de la chaîne prothétique numérique. La place de l’empreinte optique prend ainsi aujourd’hui de plus en plus d’ampleur avec l’amélioration de la technologie, la fiabilité croissante des procédés et l’augmentation des possibilités thérapeutiques qu’elle offre. Nous en exposons ici les principes élémentaires, en précisant ses avantages et limites, avant d’évoquer les indications actuelles.

PRINCIPE DE L’EMPREINTE OPTIQUE

Le scanner intra-oral (SIO) permet la réalisation de ce que l’on nomme communément l’empreinte optique, qui est en réalité l’acquisition des surfaces bucco-dentaires que l’on souhaite enregistrer [1]. Il s’agit de la première phase de la chaîne de CFAO qui en comporte quatre : acquisition par numérisation et traitement d’image, conception assistée par ordinateur (CAO), fabrication assistée par ordinateur (FAO) et machine-outil à commande numérique (MOCN).

L’empreinte optique, ou donc plutôt l’acquisition, consiste d’abord en la numérisation de la surface des tissus afin d’obtenir un nuage de points correspondant à la topographie enregistrée. Pour ce faire, le SIO est équipé d’un émetteur (une source lumineuse) et d’un récepteur (un capteur d’enregistrement constitué d’une matrice de cellules photosensibles). La technique d’acquisition optique résulte d’une réflexion passive ou active de la lumière. Une fois le fichier informatique ainsi créé, ce nuage de points est ensuite traité par un logiciel qui permettra d’obtenir un modèle de travail virtuel en 3D représentant l’ensemble des surfaces numérisées. Celui-ci est appelé modèle 3D surfacique ou fichier STL (pour Standard Tessellation Language) [2] (figure 1). L’exactitude et l’efficacité d’un SIO correspondent à la somme de la technologie de numérisation utilisée, du traitement informatique des données brutes mais aussi du respect des préconisations d’utilisation du SIO [3]. Ainsi, la stratégie d’acquisition, c’est-à-dire le parcours optimal du SIO dans la cavité buccale, sera un élément central dans la réussite de l’acquisition et pourra être différente d’un SIO à l’autre. Il a été montré que des fabricants de SIO à technique d’acquisition identique pouvaient préconiser des trajets de balayage très différents [4]. La formation et le temps d’apprentissage du praticien sont donc un élément central d’une transition numérique réussie.

AVANTAGES DE L’EMPREINTE OPTIQUE

Dans notre pratique quotidienne, l’acquisition numérique consiste en un changement en profondeur de certaines habitudes de travail. Mais il est évident qu’elle présente assurément un certain nombre d’avantages que l’on peut classer en quatre catégories.

Contrôle et validation des préparations

L’obtention immédiate d’un modèle virtuel ainsi que les outils numériques intégrés aux logiciels de plus en plus efficaces donnent accès à de nouvelles fonctionnalités.

• Contrôle immédiat du modèle virtuel et possibilité d’effectuer une nouvelle acquisition très ciblée sur la zone imparfaite si nécessaire.

• Mise en die virtuel et tracé des limites (permettant éventuellement d’aider le laboratoire) (figure 2).

• Mesure de l’espace prothétique et validation des épaisseurs du futur matériau prothétique (figure 3).

• Contrôle des angles de dépouille (figure 4).

• Contrôle aisé des points d’occlusion.

• Aide éventuelle au choix de la couleur.

Facilitation de la séquence clinique

• Absence complète de risque de déformation et/ou de déchirement du matériau d’empreinte.

• Absence également complète de risque de descellement ou de traction sur des éléments prothétiques présents. Il est en effet toujours délicat de réaliser des empreintes à l’aide d’élastomères sur des patients porteurs de restaurations fixes plurales de type bridges ou encore chez des patients en cours de traitement orthodontique (figure 5). Dans ces situations cliniques, le recours à des procédés de blocage de toutes les contre-dépouilles présentes se révèle souvent fastidieux et chronophage.

• L’emploi d’un SIO facilite généralement le travail sans assistante.

Organisation et communication avec le laboratoire de prothèse

• Envoi d’empreintes beaucoup plus rapide au laboratoire.

• Échanges plus riches et communication renforcée (construction et validation en direct de morphologies ou de projets prothétiques).

• Moins de recours à des coursiers ou transporteurs.

Confort du patient

• L’absence de porte-empreinte garni d’un matériau envahissant pendant plusieurs minutes participe évidemment à un meilleur confort du patient. Plusieurs études ont d’ailleurs montré une amélioration significative du ressenti du patient avec l’empreinte optique [5].

• L’absence de matériau d’empreinte permet également de s’affranchir de tout risque d’allergies qui, même si elles sont rares, peuvent arriver, notamment avec les polyéthers [6].

DIFFICULTÉS DE L’EMPREINTE OPTIQUE

La première difficulté est liée à la maîtrise de la technique d’acquisition. Le praticien devra montrer sa capacité non seulement d’apprentissage d’une nouvelle technique d’empreinte mais aussi de changement d’un certain nombre d’habitudes cliniques et organisationnelles. Il faudra également se former à l’utilisation du logiciel et des diverses fonctions de ce dernier. Cette phase peut prendre généralement quelques semaines à quelques mois en fonction des praticiens et il est clairement montré que, comme pour de nombreuses autres procédures, l’expérience clinique et la répétition ont une influence positive sur l’exactitude des images scannées [7].

D’un point de vue plus clinique, la principale difficulté vient de la gestion et de l’évitement des divers obstacles (langue, joue, gants, miroirs ou écarteurs…) ou de l’interposition des différents fluides (salive, sang, fluides gingivaux) pouvant être présents à la surface des tissus à numériser. Ces éléments contribuent évidemment à altérer ou fausser l’acquisition [8]. Il faut néanmoins préciser que, de ce point de vue, les SIO les plus modernes intègrent des logiciels de traitement d’image dont l’intelligence artificielle permet d’effacer automatiquement la majeure partie de ces obstacles, rendant l’acquisition bien plus rapide et aisée qu’il y a quelques années.

Il faut cependant bien garder à l’esprit que le meilleur SIO ne pourra jamais numériser une zone dans laquelle la lumière ne peut accéder. Ainsi, certaines surfaces peuvent rester inaccessibles et il sera donc toujours nécessaire de rendre des limites juxta ou infra-gingivales bien visibles à l’aide de méthodes d’éviction gingivale classiques (cordonnets rétracteurs par exemple).

Enfin, en théorie, la chaîne prothétique numérique ne prévoit pas la réalisation d’un modèle physique. Ainsi, lors de la séance d’essayage clinique d’une pièce prothétique, la vérification de la bonne adaptation, de l’axe d’insertion ou des contacts proximaux sur un modèle physique n’est pas possible. Il faudra recourir à l’impression d’un modèle si l’on veut s’affranchir de ce manque.

INDICATIONS ET PERSPECTIVES ACTUELLES

Comme nous venons de l’évoquer, un modèle physique n’étant pas réalisé dans le cadre de la chaîne numérique classique, le recours à l’empreinte optique est particulièrement pertinent pour toutes les réalisations prothétiques monolithiques (et donc sans technique de stratification). Ainsi les premières indications sont :

– les inlays/onlays ou les facettes maquillées (composite, céramique, matériaux hybrides) ;

– les couronnes monolithiques dento ou implanto-portées (composite, céramique, matériaux hybrides) ;

– les bridges de faible étendue dento ou implanto-portés (composite, céramique, matériaux hybrides) ;

– les couronnes ou bridges transitoires (résine polymère, composite) ;

– les piliers implantaires (alliages métalliques, titane, céramique).

Il est également possible de réaliser des restaurations faisant appel à des techniques de stratification sur armature, mais à condition d’avoir recours à l’impression d’un modèle physique. Ces indications sont donc a priori moins évidentes.

Toutefois, le développement et la démocratisation des imprimantes 3D dans les laboratoires permettent de plus en plus d’inclure ces restaurations dans la liste des possibilités thérapeutiques offertes par l’empreinte optique. Le champ des possibilités offert par ces technologies est d’ailleurs aujourd’hui de plus en plus vaste, notamment en implantologie. Par exemple, la possibilité de superposer les données d’un fichier DICOM (issu d’un cone beam) avec les données d’un fichier STL (issu d’une empreinte optique) permet la conception d’un projet prothétique et implantaire virtuel et aboutit à la fabrication de guides chirurgicaux optimisant et fiabilisant le positionnement des implants. Et certains des SIO les plus récents sont ensuite capables de réaliser la numérisation d’arcades complètes partiellement ou totalement édentées, et comportant plusieurs implants, avec une précision tout à fait satisfaisante [9] (figure 6).

CONCLUSION

La transition numérique, en particulier le recours à un SIO pour réaliser des empreintes, semble aujourd’hui inéluctable. L’amélioration constante des dispositifs, de la technologie d’acquisition optique et des logiciels de traitement d’image rend ces outils de plus en plus performants et adaptés à une pratique clinique de qualité. Mais cette transition doit se faire de manière raisonnée, en prenant le temps de choisir minutieusement son matériel et de se former consciencieusement à cette nouvelle technologie.

Cette transition doit également se faire en harmonie avec son technicien de laboratoire car il devient alors et plus que jamais un partenaire essentiel à la chaîne d’élaboration prothétique.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Duret F. Le fonctionnement des caméras endobuccales. Technol Dent 2011;295/296:45-50.
  • 2. Boitelle P, Pacquet W, Tapie L. Historique et principes de fonctionnement du scanner intra-oral. CLINIC 2021;42:103-110.
  • 3. Casas T. Caractéristiques techniques des différents types de scanners intra-oraux. CLINIC 2021;42:112-119.
  • 4. Richert R, Goujat A, Venet L, et al. Intraoral scanner technologies: A review to make a successfull impression. J Healthc Eng 2017;2017:8427595.
  • 5. Gallardo YR, Bohner L, Tortamano P, Pigozzo MN, Lagana DC, Sesma N. Patient outcomes and procedure working time for digital versus conventional impressions: A systematic review. J Prosthet Dent 2018;119:214-219.
  • 6. Rafael CF, Liebermann A. Clinical characteristics on an allergic reaction to a polyether dental impression material. J Prosthet Dent 2017;117:470-472.
  • 7. Lim JH, Park JM, Kim M, Heo SJ, Myungn JY. Comparison of digital intra-oral scanner reproducibility and image trueness considering repetitive experience. J Prosthet Dent 2018;119:225-232.
  • 8. Kurz M, Attin T, Mehl A. Influence of material surface on the scanning error of a powder-free 3D measuring system. Clin Oral Investig 2015;19:2035-2043.
  • 9. Nulty AB. A comparison of full arch trueness and precision of nine intra-oral digital scanners and four lab digital scanners. Dent J (Basel) 2021;9:75.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.