LES COMPLICATIONS PROTHÉTIQUES EN IMPLANTOLOGIE RÉFLEXIONS AUTOUR D’UN CAS DE FRACTURE DE VERROU « INLINK »
Prothèse
Implantaire
Adrien SÉNIORIS* Stéphane LE GOFF** Olivier FROMENTIN***
*DUCICP, Université de Paris, Hôpital Rothschild (AP-HP).
**Laboratoire URB2I, Université de Paris.
***PU-PH,
****Responsable du DUCICP, Labo URB2i, Université de Paris, Hôpital Rothschild (AP-HP).
D’après Jemt et al. en 1991 [1], 26 % des vis de prothèse fixée unitaire ont nécessité un resserrage durant l’année qui a suivi la mise en place prothétique.
En 2004, Cho et al. [2] rapportent un taux de dévissage de 14,5 % concernant des vis serrées avec un tournevis manuel durant une période d’observation comprise entre 3 et 7 années.
D’après Jung...
En prothèse supra-implantaire, la rationalisation des protocoles de vissage ainsi que les progrès en termes de conception des vis ont permis de réduire leur taux de dévissage et de fracture. Néanmoins, quand elles surviennent, ces complications peuvent entraîner des conséquences cliniques souvent délicates à traiter pour le praticien. Au travers d’un cas clinique décrivant la prise en charge d’une fracture d’une vis de prothèse plurale et son remplacement, il est discuté différentes hypothèses ayant pu conduire à cet événement.
D’après Jemt et al. en 1991 [1], 26 % des vis de prothèse fixée unitaire ont nécessité un resserrage durant l’année qui a suivi la mise en place prothétique.
En 2004, Cho et al. [2] rapportent un taux de dévissage de 14,5 % concernant des vis serrées avec un tournevis manuel durant une période d’observation comprise entre 3 et 7 années.
D’après Jung et al. en 2008 [3], à 5 ans, environ 13 % des vis de prothèse fixée se sont avérées dévissées et 0,35 % de celles-ci ont présenté une fracture. Dans une revue de la littérature de 2012 concernant les prothèses fixées supra-implantaires, Pjetursson et al. rapportent un taux de complications à 5 ans d’environ 34 %. En dehors de problèmes d’ordre biologique (mucosite ou péri-implantite) qui représentent de 6 à 13 % de ces complications, des problèmes mécaniques peuvent survenir à type de fracture du matériau cosmétique, de descellement, de dévissage ou de fracture de vis et la fréquence de ces deux dernières complications serait de 5,3 % pour les dévissages et de 1,3 % pour les fractures [4].
Enfin, la revue de la littérature de Katsavochristov et Koumoulis, publiée en 2019, montre des taux de dévissage compris entre 7 et 11 % sur des prothèses suivies sur une durée maximale de 7 années. Le taux de fracture de vis est évalué à environ 1 % sur cette même période de suivi [5].
Par ailleurs, ces auteurs, en accord avec Pjetursson et al., soulignent l’absence de consensus concernant les modalités techniques ou cliniques visant à limiter ces complications mécaniques [4, 5].
La diminution de la fréquence des dévissages constatée dans ces publications au cours du temps reflète les évolutions réalisées en termes de conception des vis et de compréhension des mécanismes mis en jeu lors du vissage tels que la précontrainte de serrage ou l’ajustage progressif (settling effect).
Malgré ce constat et bien que les fréquences de fracture de vis rapportées dans la littérature soient relativement faibles, le dévissage demeure une complication potentielle. L’évolution du dévissage vers la fracture de la vis contraint à une gestion délicate et chronophage de la situation, l’issue favorable du retrait du segment fracturé intra-implantaire étant toujours incertain [6].
Le but de cet article est de présenter une situation clinique de fracture d’une vis prothétique et d’envisager les différentes étiologie potentielles ayant entraîne cet événement indésirable.
Monsieur X. se présente à la consultation en février 2021 pour un problème de mobilité d’une prothèse fixée supra-implantaire maxillaire. Le patient rapporte un craquement survenu à la mastication lors d’un repas le jour de la consultation. Depuis cet événement, une mobilité de sa prothèse est apparue.
L’examen clinique confirme l’instabilité d’un bridge supra-implantaire transvissé 24-25-26 mis en place en octobre 2019, soit 17 mois auparavant, sur 2 implants Anthogyr (diamètre 3,4 mm, longueur 12 mm). L’ancrage mésial du bridge n’est plus efficace et la prothèse présente une mobilité par rotation sur le pilier distal qui présente un jeu discernable cliniquement.
L’examen radiologique montre une absence de perte osseuse péri-implantaire et confirme un dévissage des vis solidaires des piliers prothétiques spécifiques de la marque implantaire utilisée.
Le patient ne rapporte aucun événement particulier antérieur en rapport avec ces dévissages. Les étapes thérapeutiques se sont déroulées classiquement sans écueils. Par ailleurs, le patient est suivi régulièrement dans un programme semestriel de maintenance parodontale et implantaire.
L’accès aux vis de transfixation est réalisé par fraisage du matériau obturant les puits de vissage suivi de la dépose du bouchon en téflon compacté qui protégeait la tête des vis. Un tournevis à extrémité hémisphérique spécifique du système permet le dévissage sans effort de la vis distale. La prothèse est alors déposée, exposant une vis fracturée en mésial de la restauration. La tête de cette vis est restée dans l’armature prothétique tandis que la partie filetée est retenue dans le pilier prothétique antérieur (figure 1).
Dans ce système prothétique, les prothèses plurales sont transvissées par l’intermédiaire de dispositifs désignés sous le terme de verrous qui sont solidaires de l’intrados prothétique. Deux types de vis d’architectures différentes, appelées vis standard de verrou et vis de guidage, sont prisonnières de ces dispositifs. Si la prothèse est réalisée sur plus de 2 implants, 2 verrous avec vis de guidage sont nécessaires en complément des verrous équipés de vis standard. Dans les deux cas, ces vis sont utilisées dans des piliers prothétiques (piliers InLink) supportés par des implants à plateforme juxta-osseuse (Axiom BL Bone Level) ou directement dans les implants à plateforme juxta-muqueuse (Axiom TL Tissue Level). Ces deux plateformes, implantaire ou au niveau du pilier, sont identiques en termes d’architecture et présentent une surface plane sur laquelle est réalisée l’assemblage avec la suprastructure.
L’avantage de cette assemblage implanto-prothétique original permet de compenser les divergences implantaires en transvissant l’armature prothétique sur des plateformes plates, sans engagement.
Par ailleurs, malgré un axe de transvissage parfois défavorable, la conception par CFAO (Système SIMEDA) de l’armature permet de situer correctement le puits de transvissage tout en limitant son diamètre à l’extrémité du tournevis hémisphérique nécessaire à un vissage excentré des vis captives dans le verrou.
Lors de l’assemblage, un verrou comportant une vis de guidage (figure 2) est positionné dans un des piliers permettant l’insertion et le positionnement correct de la prothèse avant serrage. Un autre verrou comportant une vis standard présentant une partie travaillante limitée à 3 filets assure également la rétention dans un autre pilier prothétique (figure 3).
Le verrou avec vis de guidage a été placé ici en mésial de la prothèse et c’est la vis de ce composant qui s’avère fracturée.
La dépose du fragment de vis resté solidaire du pilier est réalisée à l’aide d’une fraise diamantée montée sur un instrument rotatif utilisé à l’arrêt, en exerçant une action de dévissage manuel afin de pouvoir simuler l’action d’un tourne-à-gauche [6].
Des vis de couverture sont placées sur les 2 piliers le temps de la réparation de la prothèse (figure 4).
La prothèse démontée et le modèle de travail (conservé depuis la fin des étapes prothétiques du traitement initial) sont envoyés au laboratoire afin qu’il soit procédé au remplacement des 2 dispositifs de verrous (figure 5).
Cette étape est réalisée grâce à un outil spécifique qui permet la dépose des verrous de l’intrados prothétique et leur remplacement sans autre modification de l’architecture prothétique (figure 6).
Une semaine plus tard, la prothèse réparée (figure 7a) est assemblée en bouche (figure 7b) et les vis de verrous sont revissées dans les piliers et serrées à 25 N.cm à l’aide d’une clé dynamométrique. Un contrôle radiographique est effectué afin de vérifier l’adaptation de la prothèse réparée (figure 8). L’occlusion et la désocclusion sont ensuite minutieusement vérifiées à l’aide de papiers marqueurs de points de contact de 40 µm d’épaisseur (figure 9).
Les causes du dévissage évoquées dans la littérature sont nombreuses. Elles sont étayées par quelques études par modélisations mathématiques ou d’expérimentations in vitro ou simplement par l’analyse rétrospective de situations cliniques conduisant à des recommandations empiriques.
Globalement, elles peuvent être réparties en 4 catégories.
• La présence d’1 degré de liberté en rotation et l’existence d’un système anti-rotationnel [7, 8]. Kourtis et al. rapportent qu’1 degré de liberté en rotation supérieur à 5° du pilier après assemblage réduit grandement le couple de dévissage. Ils précisent que l’hexagone externe présente une plus grande liberté en rotation que l’hexagone interne. Ils évoquent aussi l’imprécision ou l’inexactitude de l’ajustage implant/pilier entraînée par l’utilisation de marque « générique » [9]. Alsubaiy [10] et Kofron et al. [8] signalent que l’ajout de fonctionnalités anti-rotationnelles, telles que des encoches ou des micro-butées, empêche la rotation du pilier et réduit le desserrage des vis.
• Le système de connexion implant/pilier ainsi que la qualité de l’engagement des deux contreparties de l’assemblage. Ainsi, les connexions coniques résisteraient mieux au dévissage que les systèmes à hexagones internes qui eux-mêmes sont plus efficaces que les connexions à hexagones externes [9-12]. Neumann et al. complètent ce constat en soulignant que, dans les connexions coniques, 100 % des fractures de vis se produisent au niveau du col de la vis de transfixation, ce qui constitue la partie la plus fragile du dispositif [13].
• Une conception prothétique à risque sur le plan biomécanique en termes de différences importantes entre le grand axe implantaire et les contraintes fonctionnelles, qu’il s’agisse d’un implant excentré par rapport à la surface occlusale ou de cantilevers exagérés en prothèse plurale [9-11].
• L’utilisation de piliers génériques compatibles qui ne présentent pas les qualités de fabrication propres au système implantaire de référence, entraînant un défaut d’ajustage préjudiciable à la pérennité de l’assemblage [9, 10].
• Le type de restauration et le rapport entre le nombre de dents remplacées par rapport au nombre de piliers implantaires [9-11].
• L’architecture et le matériau de la vis du pilier [10-12].
• L’architecture du pilier implantaire. Les piliers angulés auraient une meilleure résistance au dévissage que les piliers droits [10, 11, 14].
• La largeur vestibulo-linguale de la table occlusale [10, 15].
• L’absence de prise en compte de la perte de précontrainte liée à l’adaptation progressive, au niveau microscopique, des pièces assemblées ou settling effect. Cet effet se traduit par la perte de 2 à 10 % de la précontrainte initiale lorsque la vis d’assemblage est serrée au couple de serrage préconisé [16].
• Le manque d’ajustage de la prothèse ainsi que le type de matériau prothétique [10].
• La réutilisation de la vis lors des étapes cliniques et de laboratoire [10].
• L’invagination gingivale dans la prothèse ou « piégeage du tissu péri-implantaire » [10, 17].
• La valeur du couple de serrage [10]. Lee et al. rapportent que la valeur du couple de serrage a un effet significatif sur la fréquence des dévissages et recommandent que la valeur de ce couple soit supérieure à 10 N.cm pour les vis en or [18]. Siamos et al. préconisent d’augmenter la valeur du couple au-dessus de 30 N.cm pour réduire le desserrage des vis intra-implantaires [19].
• Un contexte clinique peu favorable sur le plan biomécanique entraînant des surcharges ou des interférences en occlusion statique et dynamique [9, 10].
• La présence de para-fonctions à type de bruxisme ou de serrage excessif, non contrôlées par le port d’une orthèse [9, 11].
D’autres facteurs ont également été étudiés mais différents auteurs ont émis des réserves quant à leur rôle dans le dévissage. Ainsi, il a été évoqué la longueur et le traitement de surface de ces vis [10, 11], le diamètre de l’implant [10, 20] ou la technique utilisée pour serrer la vis à la valeur de torque recommandée.
Pour Bacchi et al., le matériau de la vis jouerait un plus grand rôle dans la résistance au dévissage que la technique de contrôle du couple de serrage utilisée [21].
Même si, au cours du temps, une meilleure connaissance des mécanismes en rapport avec le vissage ainsi que l’amélioration des états de surface des vis utilisées ont contribué à réduire considérablement les taux de dévissage, la littérature récente rapporte encore une fréquence non négligeable de cette complication.
De même, une problématique récurrente évoquée par de nombreux auteurs réside dans l’absence de consensus quant au protocole de prévention et de gestion de ces dévissages [9, 10, 22].
Ainsi, l’utilisation de vis prothétiques neuves au moment de la mise en place finale de la prothèse a été proposée afin de garantir un comportement mécanique optimal de celles-ci [23]. Pour Butkevica et al. [24] et Weiss et al. [25], les cycles de vissage/dévissage favoriseraient une augmentation de la précontrainte après serrage contrôlé. Xiao et al. soulignent que réutiliser les vis après la réalisation des étapes de laboratoire serait une manœuvre cliniquement acceptable sans risque d’un comportement mécanique dégradé [26].
Inversement, lors des étapes de maintenance nécessitant un désassemblage, Kourtis et al. recommandent de remplacer systématiquement les vis de prothèse en raison des contraintes déjà subies [9]. Ceci semble en accord avec Silvestri et al. qui soulignent que le serrage optimal ne peut être obtenu qu’en utilisant des vis neuves [23].
Cependant, certaines modalités en rapport avec le protocole clinique de vissage semblent recueillir l’adhésion d’une majorité d’auteurs. Ainsi, la réalisation d’une radiographie de contrôle lors de l’assemblage prothétique avant procédure de serrage contrôlé semble pertinente pour certains auteurs [9, 10, 12]. De même, l’utilisation d’une clé dynamométrique spécifique du système implantaire utilisé et réglée au couple de serrage recommandé apparaît comme une notion classiquement rapportée [2].
Plusieurs auteurs préconisent également de renouveler le serrage au torque recommandé 10 minutes après l’assemblage initial afin de contrôler la diminution de la précontrainte liée à l’ajustage progressif ou settling effect [16]. Ce phénomène traduirait l’usure et l’aplatissement des microreliefs de la surface des vis lors du serrage aboutissant à diminuer la précontrainte de serrage de 2 à 10 % [23].
Cette perte de l’efficacité du serrage initial peut être potentialisée par les micromouvements liées aux contraintes fonctionnelles s’exerçant sur la prothèse et transmises aux interfaces implant/vis/pilier. Ces micromouvements sollicitent les zones de contact en friction amenant un micro-jeu qui, s’il n’est pas contrôlé par une précontrainte suffisante, va augmenter avec le temps d’usage clinique. L’action délétère de ces micromouvements est d’autant plus importante et rapide que la précontrainte délivrée lors du serrage initial est insuffisante [23, 25, 27]. C’est pourquoi le respect scrupuleux des données recommandées en termes de couple de serrage s’avère essentiel [10, 12, 16].
Enfin, pour prévenir ces événements de dévissage intempestifs, il apparaît que la mesure la plus efficace réside dans le contrôle régulier de la stabilité des prothèses supra-implantaires, qu’elles soient assemblées par transvissage ou par scellement sur un pilier, lui-même transvissé. Ainsi, Pjetursson et al. recommandent de systématiser les rendez-vous planifiés de contrôle pour prévenir ces complications [4].
Selon Pardal-Peláez et Montero, lorsqu’ils ne sont pas repérés à temps, les dévissages peuvent évoluer vers la fracture de vis [12]. Pour ces auteurs, la prévalence des fractures de vis serait d’environ 0,35 % à 5 ans. Cette hypothèse du dévissage précurseur de la fracture a été étudiée par Scarano et al. en observant des vis fracturées en microscopie électronique à balayage. Ils ont montré des altérations de la surface de ces vis provenant de piliers ayant connu un épisode de dévissage. Des déformations plastiques et des fissures situées au niveau du filetage de la vis, liées à la fatigue mécanique, étaient visibles. En comparaison, les vis contrôles provenant de piliers n’ayant pas subi d’épisode de dévissage ne présentaient pas ces altérations. Pour ces auteurs, le revissage d’une vis de pilier dévissée augmenterait le risque de fracture de cette vis [28].
Pour Silvestri et al., l’incidence des fractures de vis entraînées par la fatigue mécanique serait rare [23]. Selon Papaspyridakos et al., dans une étude rétrospective menée sur des prothèses fixées complètes supra-implantaires suivies sur une période maximale de 12 années, le taux de fracture par fatigue est estimé à 0,3 % [29]. Al Jabbari et al. évoquent une divergence entre l’orientation des forces occlusales et des axes implantaires ou la réalisation d’extensions trop longues comme étiologie principale de ces fractures par fatigue des vis prothétiques [30]. Silvestri et al. précisent également qu’un phénomène de corrosion du titane et l’existence de para-fonctions pourraient constituer des facteurs contributifs à l’apparition de ces fractures [23].
De plus, Scarano et al. [28] ainsi que Bo Kyun et al. [31] soulignent également le risque de fracture entraîné par un serrage excessif des vis, supérieur à la valeur préconisée du torque. Par ailleurs, ces auteurs rapportent que peu d’études cliniques signalent l’extraction de vis fracturées dans ces situations de complications, bien que de nombreuses techniques aient été proposées dans la littérature [31]. Ainsi par exemple, Nergiz et al. décrivent l’utilisation d’un système de démontage dédié, associé à un guide de forage de la vis pour minimiser les risques d’altération du filetage interne de l’implant [6].
Bo Kyun et al. concluent sur l’absence de consensus face à une complication souvent difficile à gérer et sur l’intérêt d’utiliser des vis creuses afin de faciliter le retrait des segments fracturés sans risque pour le filetage interne de l’implant [31].
Si l’on reprend la classification des étiologies potentielles de dévissage proposée supra, il est possible de dégager les éléments de réflexion suivants.
L’analyse rétrospective des conditions du traitement a montré que des vis de verrou neuves ont été serrées à l’aide du tournevis hexagonal à bout hémisphérique spécifique (figure 10) puis serrées à 25 N.cm comme recommandé par la société implantaire qui commercialise ce matériel, en utilisant une clé dynamométrique dédiée. Un serrage complémentaire a été effectué quelques minutes plus tard afin de contrôler la perte de précontrainte. Sauf à envisager une mauvaise manipulation de la clé dynamométrique ou un défaut de calibrage de celle-ci, les conditions d’un vissage efficace ont été respectées.
Il apparaît que les implants sont situés dans le volume prothétique permettant une réalisation de l’infrastructure en tenant compte de l’angulation mésio-distale qui indiquait l’utilisation du système de piliers spécifiques inLink.
Le patient ne présente aucun signe évident de para-fonction et le niveau de contrainte fonctionnelle en rapport avec la musculature masticatrice n’apparaît pas excessive.
L’occlusion et la désocclusion ont été vérifiées lors des différentes étapes prothétiques pour favoriser la limitation des contraintes excentrées et partager l’intensité de la charge occlusale.
Enfin, l’usage clinique étant limité à environ 1,5 année, il apparaît difficile d’évoquer, dans cette fracture, l’impact de la fatigue mécanique en relation avec la fonction.
Le système de piliers utilisé ici est proposé pour permettre un rattrapage des divergences implantaires dans les situations de prothèse plurale réalisée sur implants à plateformes juxta-osseuses. La connexion et la plateforme plate du pilier sont identiques à celles de l’implant à plateforme juxta-muqueuse de la marque implantaire utilisée [32].
Par rapport à un pilier angulé pour prothèse transvissée, ce système original permet une conception prothétique par CFAO autorisant un recentrage du puits d’accès à la vis avec une ouverture occlusale très limitée malgré un axe de vissage angulé par rapport à l’axe du pilier implantaire.
La CAO et l’usinage associé permettraient de rattraper des divergences d’axes allant jusqu’à 25° tout en gardant un puits d’accès de diamètre réduit [33].
En effet, ce système de verrou utilise une vis captive insérée au laboratoire dans l’intrados de l’armature prothétique usinée, permettant ainsi l’utilisation d’un tournevis spécifique dans un puits de vissage dont le diamètre est limité au seul débattement de l’extrémité de cet outil [32, 33].
Lors de la conception de l’armature, un logement est prévu pour recevoir secondairement ces verrous constitués d’une bague de maintien et d’une vis captive qui existe en deux architectures : soit une vis de guidage à extrémité mousse, soit une vis standard plus courte [33, 35].
Dans ce système, la connexion implanto-prothétique est réalisée par l’intermédiaire de piliers à plateformes planes dans lesquels les vis assurent un rôle de guidage durant l’insertion prothétique et de maintien de l’assemblage après serrage.
Du fait de l’absence d’engagement et donc de stabilisation des pièces de l’assemblage, ces vis ont donc un rôle essentiel dans la pérennité de l’assemblage des pièces du dispositif prothétique en résistant à la déformation entraînée par les contraintes fonctionnelles.
Selon les principes physiques élémentaires qui régissent l’assemblage par vissage, il est rappelé que, par convention, une précontrainte efficace obtenue à l’aide d’un torque adéquat doit permettre d’amener une déformation de la vis correspondant à environ 75 % de son domaine élastique en traction. En fonction du matériau constituant la vis, de ses dimensions, de son architecture en termes de nombre de filets et de son état de surface, le fabricant se charge de déterminer le couple de serrage optimal pour se rapprocher des conditions favorisant une résistance optimale au dévissage [34, 35].
Ici, les vis spécifiques de ces verrous sont fabriquées en titane grade 5 TA6V, avec un diamètre de 2,8 mm, et présentent seulement 3 filets [33]. Ces vis comportent une zone de faiblesse ou gorge de rupture, située à proximité de leur tête, conçue pour entraîner une fracture en cas de contraintes excessives. Cette conception est inspirée du principe du fusible dont Rangert et al. ont montré l’intérêt dans les situations où le système implanto-prothétique pourrait subir des contraintes fonctionnelles ou para-fonctionnelles excessives, potentiellement néfastes pour l’ostéo-intégration ou pour l’intégrité de la prothèse [37]. Binon et al. qualifient cette conception de « mécanisme de protection contre l’échec » (Fail-Safe Mechanism) [32, 36, 38].
Ces vis spécifiques de verrou doivent être serrées avec un torque de 25 N.cm, permettant une précontrainte élevée par rapport à une vis prothétique conventionnelle de pilier conique dont le couple de serrage est généralement limité à 15 N.cm. Ceci serait rendu possible en partie par le diamètre de ces vis de verrous.
Ce système original d’assemblage vissé a fait l’objet de tests mécaniques réalisés par la société qui les commercialise. D’après les données accessibles, la résistance mécanique en fatigue du système répondrait à la norme ISO14801:2016 en termes de résistance mécanique. Les tests pratiqués évaluent la résistance maximale en traction statique avant rupture et la résistance à la fatigue mécanique sous une charge cyclique à une fréquence de 15 Hz en milieu sec. D’après les données du fabricant, ces tests montreraient un comportement mécanique équivalent entre un système de piliers avec verrous et un système multi-unit transvissé sans qu’il soit communiqué de données précises concernant les résultats de ces tests [32, 35].
En tenant compte de ces caractéristiques mécaniques censées être performantes, quelles hypothèses peut-on avancer en rapport avec cette conception originale en termes de causes potentielles du dévissage puis de fracture de cette vis de guidage
• La première hypothèse est que la conception du dispositif lui-même, bien que validée au laboratoire, ne permette pas une résistance mécanique suffisante dans toutes les situations cliniques. Comme il est stipulé dans la norme ISO 14801:2016, « Même si la présente Norme internationale simule la mise en charge fonctionnelle, dans les conditions « les plus défavorables », d’un implant dentaire endo-osseux, elle n’est pas applicable pour prévoir le comportement in vivo d’un implant dentaire endo-osseux ou d’une prothèse dentaire, notamment si plusieurs implants dentaires endo-osseux sont utilisés pour une prothèse dentaire » [39]. Clairement, les conditions de modélisation ne sont jamais totalement similaires aux conditions cliniques et il apparaît compréhensible que le comportement mécanique d’une prothèse complète sur 8 implants soit différent de celui d’une prothèse plurale sur 2 piliers implantaires. Les données scientifiques et les études publiées étant pour le moins limitées sur le comportement mécanique in vitro ou plus encore in vivo de ces dispositifs de verrou, il est difficile d’apporter des arguments à cette hypothèse. Néanmoins, si cette complication était fréquente cliniquement, il serait surprenant que la conception n’ait pas rapidement évolué ou, au pire, que ces dispositifs n’aient pas été retirés des catalogues d’accastillage prothétique de la société implantaire concernée.
• La deuxième hypothèse est que, en termes de conception, la zone de faiblesse ou gorge de rupture conçue pour se rompre afin d’éviter une surcharge transmise aux implants sous-jacents soit trop efficace. Encore une fois, il peut être avancé le fait que l’intensité d’une contrainte élevée exercée sur une prothèse agrégée à un nombre élevé d’implants sera répartie et supportée par chacun des piliers ou verrous implantaires. La même intensité de contrainte s’exerçant sur un faible nombre de piliers, comme c’est le cas dans la situation clinique présente, augmente d’autant le risque d’atteindre la limite de résistance mécanique des vis utilisées comme rupteurs de force ou fusibles.
• Enfin, il est possible qu’une contrainte fonctionnelle excessive, localisée sur le pilier antérieur, comme évoqué par le patient, ait dépassé la limite de résistance mécanique prévue avant rupture de cette vis à conception ruptrice.
Même s’il est difficile d’aller plus loin dans l’analyse rétrospective de cette situation de complication mécanique ou technique, l’examen des images réalisées en microscopie électronique montre bien une déformation plastique du matériau suivie d’une rupture par déchirure au niveau de la gorge de rupture de cette vis de guidage (figures 11 à 13).
Ce cas clinique illustre la nécessité de prendre en compte la maintenance dans un traitement implanto-prothétique. Le dévissage est une complication rare mais qui peut s’avérer difficile à gérer s’il évolue vers la fracture de la vis. Dans le cas clinique présenté ici, certains dispositifs prothétiques sont conçus pour éviter les conséquences néfastes d’une contrainte excessive s’exerçant sur la reconstitution implanto-prothétique en favorisant la fracture de la vis d’assemblage. Un outillage spécifique permet la dépose de la partie fracturée et le remplacement par une vis neuve. Néanmoins, la recherche de l’étiologie de cette fracture ainsi qu’une surveillance accrue doivent accompagner cette intervention de maintenance prothétique.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.