IMPLANTS DENTAIRES ET ALLERGIE AU TITANE ? ACTUALISATION DES DONNÉES SCIENTIFIQUES ET ATTITUDE CLINIQUE
Biomatériaux
DUCICP, Université de Paris, Hôpital Rothschild (AP-HP), Paris. Exercice lbéral à Paris.
On appelle réaction d’« hypersensibilité » une réponse immunitaire spécifique exagérée ou inappropriée. L’hypersensibilité est à la base de réactions allergiques et non allergiques.
Le terme d’« allergie », introduit en 1907 par le pédiatre von Pirquet [1], désignait à l’origine la manière spécifique dont l’organisme infecté réagit à une nouvelle inoculation du même virus. Ce terme ne préjugeait alors...
Depuis plusieurs décennies le titane est considéré comme le matériau de choix en implantologie orale. Cependant, quelques études ont rapporté l’apparition de symptômes suite à la pose d’implants dentaires en titane chez certains patients. Le but de cette revue de portée récente est de synthétiser les connaissances actuelles concernant l’allergie au titane des implants dentaires et de proposer une conduite clinique à tenir dans cette situation.
On appelle réaction d’« hypersensibilité » une réponse immunitaire spécifique exagérée ou inappropriée. L’hypersensibilité est à la base de réactions allergiques et non allergiques.
Le terme d’« allergie », introduit en 1907 par le pédiatre von Pirquet [1], désignait à l’origine la manière spécifique dont l’organisme infecté réagit à une nouvelle inoculation du même virus. Ce terme ne préjugeait alors pas du type de réaction immunologique et ce n’est que récemment que le mot « allergie » est devenu synonyme d’hypersensibilité de type I.
En 2004, la classification des allergies et des hypersensibilités a été établie par la European Academy of Allergy and Clinical Immunology et la World Allergy Organization [2]. L’allergie est décrite comme une réaction d’hypersensibilité initiée par un dérèglement du système immunitaire qui correspond à une perte de la tolérance vis-à-vis d’un antigène. Pour que l’allergie se déclenche, deux conditions sont nécessaires : une prédisposition génétique et une exposition à la substance allergène.
La classification de Gell et Coombs de 1963, bien que remaniée et adaptée aux connaissances actuelles, est toujours utilisée afin de catégoriser l’hypersensibilité en quatre types en fonction de leurs mécanismes [3]. Les types I, II et III correspondent à des réponses immédiates.
Pour le type I, la réaction immunologique est médiée par des anticorps, les immunoglobulines de type E (IgE), avec une réponse de 10 à 20 minutes.
Le type II décrit une réaction cytotoxique ou allo-immunisation, caractérisée par une interaction des anticorps, immunoglobulines de type G (IgG).
Le type III décrit une réaction liée aux complexes immuns : les anticorps IgG sont dans ce cas dirigés contre des antigènes solubles.
Enfin, le type IV décrit une réaction retardée, induite par un contact répété d’un allergène avec la muqueuse ou la peau. Elle est produite non par des anticorps mais par des cellules immunocompétentes, les lymphocytes T spécifiques pour un antigène : c’est pourquoi on utilise les termes de « réaction à médiation cellulaire ».
La réaction de type IV est la plus fréquente concernant l’hypersensibilité aux métaux.
Dans la cavité buccale, les réactions de type I et IV seraient les plus fréquentes avec, comme le signalent Chaturvedi et al. [4], une possibilité d’apparition de symptômes qui peut varier de quelques jours à quelques années (encadré 1, figure 1).
Alinaghi et al. [5] ont rapporté que l’allergie de contact concernerait au moins 20 % de la population générale, avec une différence significativement plus élevée chez la femme. L’allergie la plus fréquente serait liée aux métaux et notamment au nickel qui toucherait 15,7 % de femmes et seulement 4,3 % d’hommes.
En 1984, Peters et al. [6] ont rapporté un cas d’échec de pacemaker associé à une allergie au titane. Mais ce n’est qu’après plusieurs échecs inexpliqués en orthopédie que l’allergie au titane a été décrite par Thomas et al en 2006 [7]. Plus récemment, les principes de la réponse allergique immunologique ont été décrits par Fage et al. [8].
Concernant l’implantologie intra-orale, quelques publications rapportent des phénomènes similaires en termes de réactions allergiques dans lesquelles le titane et ses alliages seraient impliqués.
En odontologie, le titane le plus utilisé est dit « commercialement pur » (Cp) ; il contient des concentrations différentes d’oxygène, de fer, d’aluminium, d’azote, de carbone et d’hydrogène. Il en existe 4 grades de 1 à 4, le grade 4 étant le matériau de choix en implantologie. Les grades 5 à 38 sont des alliages ; le titane de grade 5 ou TA6V4 est également utilisé en implantologie.
L’ASTM (American Society for Testing and Materials) a classé les alliages de titane selon leurs compositions chimiques, comme décrit dans le tableau 1.
Pour Siddiqi et al. [9], certaines lésions orales pourraient être liées à des réactions allergiques au titane en raison de leur proximité avec les implants métalliques. La liaison temporelle entre exposition et apparition des lésions serait également un argument en faveur de cette allergie. En accord avec les auteurs précédents, Javed et al. [10] et Bilhan et al. [11] signalent que, bien que le titane soit le matériau de choix pour les implants dentaires en termes de biocompatibilité et de résistance mécanique, il pourrait entraîner des réactions de toxicité ou d’hypersensibilité de type I ou IV. Différents tests sont utilisés pour mettre en évidence les réactions d’hypersensibilité. Le test cutané ou prick-test permet d’obtenir des résultats en 10 à 20 minutes et met donc en évidence une réaction de type I dite immédiate. Il démontre la présence d’IgE spécifiques vis-à-vis d’un allergène porté par un mastocyte cutané. Le test épicutané ou patch-test, qui permet une lecture en 3 à 7 jours, est plus sensible mais moins spécifique que le prick-test. Il met en évidence une réaction de type IV dite retardée.
Le test de transformation lymphocytaire ou LTT est un test sanguin qui permet de rechercher une réaction d’hypersensibilité de type IV. Il est possible d’utiliser également une version modifiée du test LTT par l’apport de la technologie Memory Lymphocyte Immuno-Stimulation Assay (MELISA®). Le test MELISA® permet une détection immunologique des récepteurs antigéniques présents sur la membrane extérieure des cellules.
L’objectif de cet article est, à la lueur des données issues de la littérature scientifique récente, de préciser la symptomatologie clinique et la prévalence des allergies au titane ou à ses alliages en implantologie intra-orale et de proposer quelques repères dans le cadre de la prise en charge d’un patient rapportant ou présentant un terrain allergique.
Une revue de portée concernant les travaux scientifiques portant sur l’allergie ou l’hypersensibilité en relation avec le titane et ses alliages a été entreprise.
La question posée a été construite selon un modèle PICO (Patient, Intervention, Comparison, Outcome). « Pour des patients présentant un terrain allergique aux métaux, quel est le risque d’échec ou de morbidité entraîné par la mise en place d’un implant dentaire en titane ou en alliage de titane par rapport à un patient non allergique ? ».
La base de données bibliographique Medline® accessible grâce au moteur de recherche Pubmed® a été consultée avec comme mots-clés MeSH (Medical Subject Headings) principaux dental implant, titanium, titanium alloy, allergy, hypersentivity combinés à l’aide des opérateurs booléens AND et OR.
La recherche a été effectuée sans limitation de dates parmi les travaux publiés en anglais.
Plusieurs équations de recherche ont permis de retrouver différentes publications :
– (allergy AND dental implant*) AND titanium* : 69 résultats ;
– ((hypersensitivity AND dental implant*) AND titanium) : 49 résultats ;
– (allergy OR hypersensitivity) AND dental implant* AND (titanium alloys OR titanium*) : 69 résultats.
Après lecture des résumés et exclusion des doublons, il apparaît que, tous les résultats de la recherche avec le terme hypersensitivity étant inclus dans ceux avec allergy, les 69 résultats de la recherche initiale ont été conservés. De même, tous les résultats obtenus avec titanium alloy ont été retrouvés avec l’équation de recherche contenant titanium*.
Différents critères d’inclusion ont été utilisés pour retenir les publications pertinentes :
– articles traitant de l’hypersensibilité ou de l’allergie au titane avec des implants dentaires ;
– études cliniques rétrospectives et rapports de cas, quel que soit le recul clinique.
Ont été exclus de la sélection les travaux in vitro, les études effectuées chez l’animal et les publications traitant de l’allergie au titane sans rapport avec les implants dentaires.
Après une lecture complète, sur les 69 publications initialement retrouvées, seuls 22 articles publiés entre 1990 et 2019 ont finalement été sélectionnés et les caractéristiques de ces publications sont précisées dans le tableau 2.
Des résultats issus de ces 22 articles, publiés durant les 30 dernières années, il est possible de dégager les éléments de réponse suivants concernant l’allergie au titane en implantologie orale.
On retrouve dans la littérature une prévalence de l’allergie au titane d’environ 0,6 % fondée sur l’étude rétrospective de Sicilia et al. [12]. Sur les 1 500 patients inclus, les auteurs ont sélectionné 35 patients parmi lesquels 16 patients ont présenté une symptomatologie qui s’apparente à une réponse allergique après la mise en place d’un implant dentaire en titane ; 19 autres patients avaient des prédispositions au développement d’une allergie au titane par le biais d’un terrain génétique favorable ou d’une exposition préalable. Sur l’ensemble de ces 35 patients, 9 patients ont présenté une réponse positive aux différents tests allergologiques cutanés et épicutanés pratiqués. Concernant la symptomatologie accompagnant ces manifestations, il a été rapporté des rashs, de l’urticaire, des prurits, des rougeurs, des dermatites et de l’eczéma.
Pour de Graaf et al. [13], dans une étude rétrospective incluant 458 patients testés par patch-test, la prévalence de l’allergie au titane serait de 5,7 %.
Dans une revue de la littérature concernant l’allergie au titane, Fage et al. [8] rapportent une prévalence de cette allergie mise en évidence par patch-test ou par test MELISA® variant de 0 à 37,5 % selon les études sélectionnées. Cependant, les critères de sélection des patients étudiés ainsi que la méthodologie des études, qui n’est pas standardisée donc non reproductible d’une étude à l’autre, compromettent la validité des résultats proposés.
Plusieurs publications ont décrit des réactions aux implants dentaires en titane qualifiées d’allergiques. Ces rapports de cas soulignent des similarités dans les signes cliniques rapportés.
Les principaux signes extra-oraux, situés au niveau facial, sont représentés par des dermatites atopiques, des érythèmes, des rashs, de l’urticaire, de l’eczéma, un œdème ou des douleurs associées.
Le tableau 3 synthétise les principaux signes cliniques rapportés dans ces différentes publications en rapport avec l’allergie au titane utilisé en implantologie. Le délai d’apparition des symptômes et le type de matériel implantaire sont précisés de même que le nombre de patients affectés.
Ainsi Mitchell et al. [14] ont décrit 2 cas cliniques dans lesquels les patients ont développé des hyperplasies gingivales 2 semaines après la mise en place de piliers prothétiques en titane commercialement pur (TiCp) sur 4 implants mandibulaires destinés au port d’une prothèse complète. Les piliers ont été déposés 5 mois plus tard et les signes cliniques ont disparu. Puis les piliers prothétiques ont été remplacés par des piliers en or de type III spécialement conçus sans l’observation de nouveaux symptômes.
En 2006, Müller et al. [15] ont étudié les dossiers cliniques de 56 patients qui ont développé une symptomatologie après la pose d’implants dentaires ou de prothèses supra-implantaires. Différents signes cliniques évocateurs d’une allergie ont été décrits. Sur les 56 patients, 21 ont été testés positifs au test sanguin allergologique MELISA® pour le titane, test validé scientifiquement par Valentine-Thon et al. [16]. Les 54 patients ayant accepté une dépose des implants ont vu leurs symptômes disparaître. Parmi ces derniers patients, après un délai de 6 à 9 mois post-explantation, 15 patients ont été testés négativement par MELISA®.
Du Preez et al. [17] ont rapporté le cas d’une patiente opérée avec succès et sans symptomatologie d’une fracture du métatarse réduite et maintenue par des plaques de titane sans précision de date avant la mise en place de 6 implants en titane de grade IV à la mandibule. À 1 semaine post-opératoire, un œdème des tissus mous péri-implantaires est apparu localement puis s’est propagé secondairement à la région sous-mentonnière. Des douleurs associées ainsi qu’une hyperhémie des tissus mous environnants sans nécrose ont été décrites. Les implants ont été déposés avec curetage des sites opératoires, ce qui a immédiatement entraîné une amélioration des symptômes. Des prélèvements histologiques ont mis en évidence une probable hypersensibilité de type IV avec une sensibilisation initiale liée au traitement de la fracture du métatarse. Egusa et al. [18] ont signalé le cas d’une patiente qui a développé un eczéma facial 1 semaine après la pose d’un implant en TiCp de grade I. Le diagnostic d’allergie au titane a été posé près de 2 ans après implantation en effectuant un test de transformation lymphocytaire. La dépose de l’implant a entraîné la disparition complète des symptômes en 6 mois. Lim et al. [19] ont décrit le cas d’une patiente, sans antécédent d’allergie aux métaux, qui a signalé un inconfort suite à la pose de piliers et de prothèses fixées supra-implantaires en titane de grade IV recouvert d’une couche de nitrure de titane. La patiente avait déjà été implantée sans effets secondaires. À la dépose de ces nouveaux éléments, il a été observé des érythèmes de la muqueuse. La réalisation de nouvelles prothèses et de piliers supra-implantaires sans couche nitrurée a entraîné une disparition des symptômes.
En 2016, Hosoki et al. [20] ont rapporté le cas d’un patient sans antécédent allergique chez lequel 2 implants dentaires en TiCp de grade IV ont été posés. Deux années plus tard, une fracture de la jambe a été traitée par des plaques d’ostéosynthèse utilisant des vis en titane. À 6 mois post-opératoire, un eczéma nummulaire à la surface de la peau en regard de la zone traitée est apparu. Le retrait du matériel d’ostéosynthèse 1 an plus tard a entraîné une diminution drastique de l’eczéma qui a fini par disparaître avec la dépose de la prothèse supra-implantaire et des implants dentaires.
Plus récemment, Hosoki et al. [21] ont réalisé une étude transversale sur 270 patients suspectés de présenter une allergie aux métaux utilisés dans les traitements dentaires parmi lesquels 16 avaient des implants dentaires. Un diagnostic allergique pré-opératoire a été fait à l’aide d’un patch-test sur différents types de métaux. Parmi les 16 patients implantés, 5 ont été testés négatifs et 11 positifs dont seulement 4 positifs au titane. Concernant ces 4 derniers patients, 3 ont présenté des signes allergiques sévères après implantation. Toutes les restaurations métalliques intra-orales et les implants dentaires en titane ont été déposés secondairement chez 1 patient, ce qui a entraîné la disparition totale des symptômes. Pour 2 autres patients, les restaurations métalliques en dehors des implants ont été déposées et les signes ont décru considérablement. Le dernier patient de ce groupe de 4 testés positifs au titane et ayant présenté des signes cliniques secondaires à l’implantation n’a pas souhaité déposer ses restaurations métalliques ni ses implants. Il a reçu un traitement symptomatique, ce qui a entraîné une légère amélioration de la situation.
Par ailleurs, il a été rapporté des phénomènes d’usure et de corrosion des implants dentaires associés au titane qui entraîneraient la libération de particules et d’ions TiO2. Ceux-ci se déposeraient au sein des tissus environnants, entraînant des réactions inflammatoires. Selon Kim et al., ces phénomènes pourraient ainsi induire des réactions d’hypersensibilité [22].
Mombelli et al. soulignent que les signes décrits par les auteurs cités précédemment ne sont pas limités à un contact direct avec le titane [23]. Selon ces auteurs, il y aurait un lien entre la corrosion entraînant la présence d’ions titane et les complications biologiques.
En ce sens, plusieurs publications évoquent un lien potentiel entre le titane, les particules métalliques en rapport avec l’usure et la corrosion et l’apparition de péri-implantites [9, 24, 25]. Pour Albrektsson et al. [26], il apparaît cependant que l’étiologie de la perte osseuse marginale serait strictement d’origine immunologique même si d’autres complications infectieuses pourraient être impliquées.
Les résultats de cette revue de littérature montrent que, globalement, peu de publications rapportent une allergie au titane en rapport avec l’implantologie dentaire, et ceci chez un faible nombre de patients avec ou sans terrain allergique aux métaux. De plus, les données concernant la prévalence de cette allergie apparaissent trop disparates pour permettre une évaluation valide.
Par ailleurs, le nombre élevé de signes cliniques associés à cette allergie rend difficile le diagnostic certain sans test systématique de sensibilité. À ce titre, il est intéressant de remarquer que la plupart des publications décrites précédemment mentionnent explicitement l’utilisation d’un test allergologique afin de poser le diagnostic d’allergie au titane.
Dans différentes revues de la littérature, Wood et al. [27] et Goutam et al. [28] discutent de la pertinence des différents tests utilisés pour le diagnostic de l’allergie au titane.
Le test épicutané ou patch-test (figure 2a) utilise le principe de la réexposition de la peau aux allergènes suspectés comme étant en cause dans l’apparition de signes cliniques. Les résultats sont recueillis à 48 heures, permettant ainsi le diagnostic d’hypersensibilité de type I (figure 2b).
Les limites de ce test sont sa faible sensibilité ainsi que l’absence de standardisation quant à la forme chimique du titane utilisée dans la réalisation du patch-test. Wood et al. [27] ont notamment montré qu’il existe un assortiment de poudres, solutions ou crèmes utilisées à des concentrations différentes de titane dans les patch-tests et que ceux-ci se révèlent très rarement positifs au titane. Comme l’ont signalé Forte et al. [29], ceci en limite l’indication systématique dans le diagnostic des allergies aux métaux. En dépit du fait de ne pas être le plus pertinent, il représente, par sa simplicité d’exécution et la rapidité d’obtention des résultats, le test le plus fréquemment pratiqué comme le confirment les méthodologies appliquées dans les travaux retenus dans cette revue de la littérature [19-21]. En complément du patch-test, certains auteurs comme Sicilia et al. [12] utilisent le prick-test, test cutané qui permet le diagnostic des hypersensibilités de type IV avec une lecture en 10 à 20 minutes.
Egusa et al. [18], quant à eux, ont utilisé le test de transformation lymphocytaire ou LTT, test sanguin qui permet de confirmer l’identité d’allergènes détectés lors des tests cutanés. Ce dosage est également utile lorsque les tests cutanés sont impossibles. Il est possible d’utiliser également une version modifiée du test LTT par l’apport de la technologie MELISA®. Ce test sanguin, scientifiquement validé [16] détecte les hypersensibilités de type I et de type IV aux métaux tels que le mercure, l’or, le palladium et le titane. Ainsi, Müller et al. [15] ont montré que, sur les 56 patients exposés au titane de par leurs implants dentaires, 21 (37,5 %) ont été testés positifs au test sanguin allergologique MELISA® pour le titane alors que ces mêmes patients avaient été testés négatifs au patch-test.
Le test MELISA® ayant une meilleure sensibilité, on peut donc affirmer qu’il serait le plus à même de poser le diagnostic quant à une potentielle allergie au titane.
Compte tenu de la difficulté du diagnostic, la littérature scientifique donne peu d’indications sur la conduite à tenir face à des patients présentant des réactions d’hypersensibilité de type I ou IV au titane contenu dans les implants dentaires. Bien que probablement d’une faible prévalence, il a été rapporté que certaines complications biologiques comme la perte osseuse marginale pourrait être en lien avec la réponse immunologique induite par l’exposition au titane. En outre, il semble que l’apparition de signes cliniques décrits comme en rapport avec des réactions d’hypersensibilité de type I ou IV pourrait intervenir de plusieurs jours à plusieurs années suite à la pose d’implants dentaires en titane. Leur disparition suite à la dépose de l’implant reste le moyen principal pour établir un diagnostic probable d’allergie au titane associée aux implants dentaires.
Selon Wood et al. [27] et Prikrylová et al. [24], en cas de réaction suspectée d’hypersensibilité de type IV à un métal, les recommandations sont aujourd’hui l’abstention de l’utilisation du métal concerné ou la dépose. Parmi les études trouvées sur le sujet, aucune ne concernait des implants dentaires de grade V en alliage de titane. Il n’a pas non plus été trouvé de relation entre hypersensibilité au titane et réponse positive à un test allergologique pour l’aluminium ou le vanadium. Pour Hosoki et al. [21], un patient présentant un terrain allergique à différents métaux doit être considéré à risque sur le plan implantaire.
Dans les études précédemment citées où une réaction secondaire est apparue après implantation évoquant une situation d’allergie probable à un composant métallique, la disparition totale ou quasi totale de cette symptomatologie clinique est intervenue avec un délai variant de 2 à 12 mois une fois les implants déposés.
Il est à noter néanmoins que, dans ces situations, les interventions de dépose implantaire s’avèrent parfois délabrantes sur le plan osseux et souvent responsables de la libération de débris métalliques dans l’environnement du site opératoire, situation peu propice à la sédation rapide de la symptomatologie par élimination de l’allergène responsable. Et ceci, d’autant plus que le diagnostic et la décision d’explantation interviennent tardivement par rapport à l’implantation.
Par ailleurs, il subsiste des situations où la dépose des implants dentaires (ou autres dispositifs implantables en titane) entraîne une altération du mode de vie du patient et pour lesquelles la dépose n’est donc pas souhaitée. Dans les cas où les implants ne peuvent être déposés, les symptômes associés persistants peuvent être traités par voie médicamenteuse [21].
Ainsi, dans les situations de suspicion de terrain allergique, si une intervention chirurgicale de mise en place d’implants dentaires est envisagée, un examen médical avec un interrogatoire orienté sur les allergies potentielles puis complété si nécessaire par un bilan allergologique peut s’avérer pertinent afin de détecter une hypersensibilité spécifique au titane ou aux métaux constitutifs des alliages de titane utilisés en implantologie orale.
L’interrogatoire vise à rechercher des antécédents allergiques, suspectés ou diagnostiqués, notamment à différents métaux ou dans les situations d’échecs d’implantations antérieures. Si un patient est dans l’une de ces situations, il est considéré à risque de développer une réaction d’hypersensibilité au titane et il est indiqué de prescrire un test allergologique MELISA® qui orientera la décision thérapeutique vers l’abstention ou la réalisation de l’intervention.
Concernant un patient ayant été implanté récemment et présentant des signes cliniques évoquant une hypersensibilité au titane, il faut établir les circonstances d’apparition (signes cliniques, lésion initiale et localisation, date d’apparition), les évolutions spontanées ainsi que les lésions secondaires éventuelles et, enfin, les traitements déjà utilisés, avec leurs effets associés.
Dans cette situation, un test allergologique aux métaux suspectés d’entrer dans la composition des implants ou des infra/supra-structures prothétiques et plus particulièrement au titane est indiqué. Si le diagnostic d’hypersensibilité au titane est avéré, la dépose de l’implant en titane doit être proposée en association avec un traitement prothétique de remplacement. Si cette dépose n’est pas souhaitée par le patient, un traitement symptomatique est mis en place dans le cadre d’un suivi régulier.
À l’issue de cette revue de portée, il apparaît que l’allergie au titane concernant les implants dentaires, bien que très peu fréquente, a été rapportée dans quelques publications cliniques. La prévalence exacte de ces allergies ou hypersensibilités, probablement très limitée, apparaît difficile à établir avec précision, les quelques données existantes reposant sur des publications présentant un faible niveau de preuve scientifique.
Par ailleurs, la littérature scientifique est encore insuffisante pour dégager un tableau clinique exhaustif et univoque de cette symptomatologie. De même, il n’existe pas de consensus sur une standardisation du protocole concernant le ou les tests allergologiques à effectuer pour poser un diagnostic valide d’allergie au titane ou à d’autres constituants métalliques des alliages de titane utilisés en implantologie dentaire.
Néanmoins, du fait de la symptomatologie assez diverse de ces phénomènes allergiques, de la morbidité associée et des difficultés rencontrées parfois lors de la dépose nécessaire, il apparaît judicieux de proposer un bilan allergologique préopératoire en cas d’antécédents rapportés ou de suspicion d’allergies à différents métaux avant d’envisager une intervention de chirurgie implantaire.
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.
Octobre 2020, Mme X, 59 ans, est implantée au niveau du secteur 3. Implants en 34 : 3.25 × 11.5, en 35 : 4 × 10 et en 36 : 4 × 10.
Les jours suivants l’intervention, douleur vive au niveau de la 36 avec fatigue importante.
10 jours plus tard, dépose des points de suture : douleurs persistantes, fatigue intense, début de douleurs articulaires aux épaules, chute importante des cheveux.
Novembre 2020, contrôle 1 mois post-opératoire : douleurs importantes et traces bleues sur la gencive. prescription pommades Pansoral et Dynexan 2 % (inefficace).
Janvier 2021, 3 mois post-opératoire : pose des vis de cicatrisation (alliage titane, vanadium, aluminium).
1 semaine plus tard, de multiples symptômes débutent ou s’amplifient :
→ douleurs amplifiées au niveau de la gencive et des ganglions sous-mandibulaires ;
→ douleurs articulaires à l’épaule gauche, au bras gauche, particulièrement invalidantes ;
→ douleurs au bout des doigts avec liseré foncé sur tous les ongles et progressivement coloration rouge des ongles ;
→ fatigue accrue, tachycardie, insomnies (tachycardie et brûlures bouche et pieds, sensation de pieds qui brûlent avec coloration rouge) ;
→ douleur sein droit (de type électrique) : échographie RAS ;
→ bilan sanguin prescrit par médecin généraliste : RAS.
Fin janvier 2021, demande de retrait des implants → le praticien prescrit Solupred + Dalacine.
Février 2021, dépose de l’implant 36 et prescription consultation en allergologie.
Entretemps, d’autres symptômes apparaissent :
→ crise de colique néphrétique ;
→ douleurs amplifiées épaule gauche avec point transfixiant ;
→ acouphènes et quelques vertiges ;
→ douleurs bras gauche amplifiée et douleur au niveau de la veine avec léger gonflement irradiant jusque dans la main et les doigts ;
→ brûlures en bouche, gencive, langue, palais, goût métallique prononcé.
Consultation en urgence à l’hôpital, on constate une bonne intégration des implants en 34 et 35, une gencive encore inflammatoire suite à l’extraction du 1er implant et on assure la patiente qu’il n’existe pas d’allergie aux implants en titane.
Mars 2021, consultation en allergologie → patch-tests demandés pour titane, vanadium, aluminium, nickel, palladium, mercure (figure 2) :
→ lecture à 48 h : réaction Palladium, Nickel ;
→ lecture à 72 h : Palladium +++ / Nickel ++ / Mercure ++.
Mars 2021, dépose des deux implants en 34 et 35 :
→ tachycardie mais de façon moins intense et particulièrement en position allongée ;
→ veines gonflées et bleues, brûlures aux pieds et sensations d’engourdissement dans les jambes ;
→ extrémités (doigts) sensibles et rouges ;
→ douleurs épaule et bras gauches et particulièrement des veines de l’avant-bras avec gonflement et irradiations jusque dans la main ;
→ acouphènes permanents, gout métallique et langue sensible.
Fin mars 2021, tension importante au niveau du cou avec sensation d’engourdissement, malaise vagal. Consultation aux urgences :
→ bilan cardio : RAS ;
→ bilan Sanguin : RAS ;
→ écho doppler bras gauche, clavicule, cou : RAS sans signes de thrombose.
Retrait des points de suture et décision de dépose des prothèses métalliques (nickel chrome) posées en 2012.
Avril 2021, symptomatologie persistante après dépose d’un des deux bridges :
→ mal de gorge, douleur gencive persistante, brûlure en bouche et goût métallique ;
→ pieds qui brûlent ;
→ acouphènes persistants et vertiges ;
→ douleur bras gauche et vaso-dilatation générale des veines en particulier sur l’avant-bras gauche avec œdème et irradiations dans la main ;
→ arythmie cardiaque et insomnies.
Consultation en ORL prévue.